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Les critiques de Bifrost

Le Seigneur de Samarcande

Le Seigneur de Samarcande

Robert E. HOWARD
BRAGELONNE
576pp - 22,40 €

Bifrost n° 84

Critique parue en octobre 2016 dans Bifrost n° 84

Quand Farnworth Wright, alors rédacteur en chef de Weird Tales, décida en juin 1930 de lancer Oriental Stories, Howard était tenté par l’écriture de récits historiques depuis plusieurs années. Ses essais pour placer ses tentatives auprès de la revue Adventures, découverte dès 1921, à l’âge de quinze ans, et qui publiait nombre d’auteurs qui allaient l’influencer, dont Harold Lamb au premier chef, s’étaient révélées vaines, aussi saisit-il au bond la balle lancée par Farnworth Wright, avec qui il avait l’habitude de travailler.

En 1930, la carrière de Howard bat déjà son plein et il a publié certains de ses meilleurs textes. Ceux rassemblés ici par Patrice Louinet répondent à deux critères bien spécifiques : ils sont situés dans le monde réel et ne recourent pas au fantastique.

Oriental Stories a vocation à publier des aventures situées en Orient ou en Extrême-Orient. En 1930, peu de gens, peu d’Américains sont allés en Égypte, en Syrie, au Yémen ou en Afghanistan, a fortiori dans les républiques musulmanes d’Union Soviétique (Turkménistan, Ouzbékistan, Azerbaïdjan…). Pour le lecteur de pulps d’alors, ce sont des contrées lointaines et mystérieuses fort mal connues. La télévision n’a pas été inventée, l’internet encore moins (donc pas de Google Earth pour visiter le monde à domicile). L’époque offre toujours une large place à l’imagination et la fantaisie des auteurs. De Samarcande (alors en URSS), le lecteur américain de pulps n’a pu voir au mieux que quelques photos et peut-être un court film aux actualités cinématographiques. Néanmoins, Patrice Louinet rapporte que des lecteurs réagirent au « Seigneur de Samarcande » jusqu’à nécessiter l’intervention de Farnworth Wright lui-même pour calmer la polémique, mais pas là où Howard s’attendait à la contradiction : le suicide fictif de Byazid (Bajazet) ou la mort de Timour (Tamerlan) par arme à feu ; là où il avait pris des libertés avec l’histoire. La contradiction porta sur les distances qu’il avait prises avec la culture musulmane en faisant boire de l’alcool à Tamerlan. Avec le recul, ce n’est guère surprenant. Si les faits historiques pouvaient échapper aux lecteurs, certains devaient connaître un tant soit peu l’Islam, voire être musulmans eux-mêmes.

Howard a choisi le Proche et Moyen-Orient au bas Moyen-Âge comme théâtre de ses récits historiques. « Des faucons sur l’égypte » semble être le récit situé à l’époque la plus ancienne, en 1021 ; la plus récente étant le siège de Vienne par les armées de Soliman le Magnifique en 1529, auquel on assiste dans « L’Ombre du vautour ». « La Voie des aigles » mentionne la date de 1595 mais ça n’a guère d’importance…

Au fil de ces récits, on croisera les principales figures historiques de l’époque. Saladin dans « Les Faucons d’outremer », qu’on reverra par la suite. Gengis Khan dans « Les épées rouges de Cathay la Noire », le premier texte historique du Texan. Baïbars dans « Les Cavaliersdelatempête ». Bayazid et Tamerlan dans « Le Seigneur de Samarcande » ou encore Zenghi dans « Le Lion de Tibériade ». Seul le dernier fragment inachevé livré en appendice est situé dans l’Antiquité…

Les textes sont bons, voire très bons, parce qu’Howard est l’un des tout meilleurs conteurs des littératures de l’Imaginaire. Et l’édition Louinet est absolument remarquable par son érudition.

Cela dit, rappelons que Howard écrivait pour les pulps des histoires de cinquante pages environ, pas pour constituer les forts volumes de plus de cinq cents pages à la mode d’aujourd’hui. Du coup, on ressent alors la même chose qu’à la lecture de Lee Winters, shérif de l’étrange (les Moutons électriques). Malgré des textes globalement d’un très bon niveau quand ils ne frisent pas l’excellence, une certaine lassitude s’installe, due à la répétition de motifs assez semblables. Cet effet est amplifié par des personnages principaux qui, même lorsqu’ils ne sont pas Cormac FitzGeoffrey, ne cessent jamais de lui ressembler comme autant de jumeaux. Bien que s’étendant sur plus de cinq siècles, les combats, pour épiques qu’ils soient, sont également trop semblables, le siège de Vienne seul offrant un rendu différent.

Il en faudrait toutefois bien davantage pour venir à bout de l’incroyable talent de raconteur d’histoires du Texan, qui, même quand il ne donne pas son meilleur, vous emporte dans le fracas et la furie des batailles.

Jean-Pierre LION

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