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Les critiques de Bifrost

Lesabéndio

Lesabéndio

Paul SCHEERBART
VIES PARALLELES
214pp - 23,00 €

Bifrost n° 84

Critique parue en octobre 2016 dans Bifrost n° 84

Sous une élégante et sobre couverture d’un violet métallisé traversée par un astéroïde noir, paraît aujourd’hui la première traduction française d’un roman de science-fiction intrigant, fantaisiste et spéculatif : Lesabéndio, de l’écrivain allemand Paul Scheerbart (1863-1915). Félicitons-nous que ce texte, publié pour la première fois en 1913, et qui connaît légitimement un intérêt renouvelé depuis sa traduction anglo-saxonne en 2012, soit enfin accessible au lecteur français non germanophone : il saura surprendre et charmer, et surtout nous faire découvrir une œuvre importante de la science-fiction du XXe siècle.

En 25 chapitres d’une petite dizaine de pages, Scheerbart met en scène la quête métaphysique des habitants de l’astéroïde Pallas, sous la direction d’un rêveur inspiré du nom de Lesabéndio. Les Pallasiens mènent une vie douce sur leur astre-tonneau, composé d’un cratère au nord et d’un autre au sud. Ils peuvent y étirer leur long corps malléable, aux nombreux membres, pourvu d’ailes dans le dos qui les font voler avec grâce dans le cirque rocheux du cratère nord, à moins qu’ils ne choisissent de se déplacer sur l’un des nombreux rubans-rouleaux qui relient les sommets de leur petit monde. Le soir venu, ils assistent aux étranges concerts d’un des leurs ayant disposé au centre de l’astre d’immenses toiles qui vibrent au passage du vent. Ils se retirent ensuite sur l’un des grands champs de champignons dont ils se nourrissent en les absorbant par la peau, tout en fumant l’herbe à bulle qui leur pousse sur l’épiderme. Leur principale préoccupation est la pratique des arts. Jusqu’à ce qu’un jour cet esprit curieux nommé Lesabéndio décide de savoir ce que peut cacher le nuage qui éclaire Pallas la journée avant de s’obscurcir tous les soirs en descendant vers le fond de la vallée. Il se met en tête de convaincre les autres Pallasiens de construire une tour gigantesque, d’une dizaine de lieues de haut, pour aller percer ce secret. C’est un bouleversement majeur pour la société pallasienne, qui doit accepter de faire passer au second plan ses activités purement artistiques pour se dédier à une mission dont le but lui échappe, mais qui concerne profondément sa condition et son avenir. Sous la conduite de Lesabéndio, les Pallasiens entreprennent l’immense chantier qui fait d’eux, bon gré mal gré, de subtils architectes, en espérant que leur guide pourra les faire profiter de son initiation…

Voilà résumé à gros traits un roman dont la lente fantaisie se déploie avec ampleur et magnétisme au fil de scènes de voyages fabuleux dans les astres, de discussions métaphysiques sur le sens de l’existence, les moyens d’accéder au savoir et au bonheur, la place à accorder aux arts et aux progrès d’une civilisation. Vastes problèmes servis par une imagination foisonnante et jamais abordés de façon dogmatique, Scheerbart étant lui-même un être pluriel, tout à la fois artiste, rêveur, penseur, architecte, utopiste, persuadé comme seul un poète peut l’être que la solution à nos problèmes est sous nos yeux et que nous ne la voyons pas. Sans doute est-ce pour cela qu’il consacra si longtemps ses forces à créer un mouvement perpétuel qui bouleverserait profondément l’humanité, comme on peut le lire dans Perpetuum mobile. L’histoire d’une invention (Zones sensibles, 2014), et qu’on ne saurait trop recommander, après la lecture de son roman chef-d’œuvre.

Arnaud LAIMÉ

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