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Les critiques de Bifrost

Le Silmarillion

Le Silmarillion

J. R. R. TOLKIEN
POCKET
482pp - 7,70 €

Bifrost n° 76

Critique parue en octobre 2014 dans Bifrost n° 76

Le Hobbit et « Le Seigneur des Anneaux » sont loin de représenter l’ensemble de l’œuvre que Tolkien a consacrée à la Terre du Milieu ; à la vérité, ils ne constituent qu’un aboutissement « par défaut » d’une œuvre immense et inachevée, un vaste « Légendaire » entamé dès la Première Guerre mondiale, et sans cesse repris ; un ensemble de textes très divers, puisant dans la littérature médiévale, qui décrivent tout ce qui s’est passé sur Arda avant les deux romans précités, lesquels se situent à la fin du Troisième Age. Or les deux Ages précédents ont bel et bien été développés par Tolkien, au-delà des allusions qui parsèment les romans « de Hobbits ». Le Premier Age, surtout, l’époque des elfes, celle des guerres du Beleriand, a fait l’objet de plusieurs textes, organisés autour d’une pièce maîtresse : le « Quenta Silmarillion » (dont il existe plusieurs versions). Ce « Légendaire » n’a été publié qu’à titre posthume par le fils de l’auteur, Christopher Tolkien, d’abord au travers du Silmarillion, puis des Contes et légendes inachevés, et enfin dans la très vaste entreprise de « l’Histoire de la Terre du Milieu ».

Le Silmarillion, le premier et probablement le plus achevé de ces volumes, est composé de cinq textes reprenant les chroniques des elfes. Les trois premiers concernent le Premier Age, là où les deux qui restent s’intéressent aux périodes ultérieures (d’où un aspect un tantinet décousu à la fin du volume).

« Ainulindalë » correspond à la genèse d’Arda. Ce très court texte, à la puissance poétique rare et aux fortes résonances bibliques et mythologiques, explique comment Eru Ilúvatar a créé les Ainurs (devenus ensuite les Valars), et comment leur chant a créé Arda, selon les thèmes du dieu, et malgré les dissonances introduites par l’équivalent tolkiénien de Lucifer, Melkor. « Valaquenta », qui complète ce premier texte et se révèle d’une brièveté comparable, est une sorte de « catalogue » des Valars, et des Maiars qui leur sont inférieurs.

Mais le gros de l’ouvrage, bien sûr, est occupé par le « Quenta Silmarillion », gigantesque épopée au souffle incomparable qui décrit, sur le mode de la chronique ou de la saga (très dense et délibérément archaïque), les événements majeurs du Premier Age. « Ainulindalë » y est repris et développé, et l’on découvre ainsi ce qu’il en était du monde avant l’arrivée des premiers des enfants d’Ilúvatar, les elfes (et a fortiori des humains qui les ont suivis, successeurs dotés par Dieu du mystérieux don de mourir…). Très tôt, avant même qu’Arda ne soit peuplée, Melkor entre en lutte avec les Valars ; mais la situation ne fera que s’aggraver quand les elfes apparaîtront en Terre du Milieu, avant d’être pour la plupart emmenés tout à l’ouest de ce monde plat, à Valinor. Là, nous voyons notamment comment le plus fameux des elfes de la branche Noldor, Fëanor, crée les silmarils, trois joyaux qui ont capturé la lumière des arbres de Valinor, avant l’apparition du soleil et de la lune. Mais Melkor détruit les arbres et vole les silmarils après avoir semé le trouble chez les Noldors. Et ces joyaux seront à l’origine de tous les malheurs des elfes… En effet, Fëanor entend bien les récupérer, et incite les Noldors à poursuivre Melkor (rebaptisé Morgoth) sur la Terre du Milieu ; le terrible serment qu’il prête avec ses fils de tout faire pour récupérer les silmarils leur vaut d’être maudits… et de massacrer leurs sembla-bles. Le « Quenta Silmarillion », dès lors, se focalise sur la Terre du Milieu, et notamment la région de Beleriand. Cadre propice aux faits d’armes les plus époustouflants, comme aux crimes les plus atroces… Et nous parcourrons ainsi tout le Premier Age. De nombreuses histoires traversent cette période agitée, dont certaines se voient accorder des développements conséquents, comme par exemple le très beau conte de Beren et Lúthien, le couple unissant un humain et une elfe, ou la tragédie des enfants de Húrin.

Mais d’autres histoires hantaient l’auteur, et notamment celle de la submersion de Núménor, équivalent sur Arda du mythe de l’Atlantide, qui fait l’objet du quatrième texte, « Akallabêth ». Cette catastrophe marque la fin du Deuxième Age, et la transformation du monde plat en un monde sphérique, quand bien même les elfes peuvent toujours, s’ils le souhaitent, emprunter la Voie droite pour gagner Valinor interdit aux mortels… Reste enfin « Les Anneaux du pouvoir et le Troisième Age », qui éclaire l’histoire des anneaux et de l’Unique.

Epique et puissant, Le Silmarillion constitue peut-être, malgré son caractère inachevé, le sommet du corpus tolkiénien ; l’œuvre, en tout cas, lui était chère, au point de l’accompagner toute sa vie… On est béat d’admiration devant l’inventivité de l’auteur, son adresse pour susciter et user des mythes. Œuvre inclassable, sans véritable équivalent dans la fantasy, c’est là un chef-d’œuvre que l’on n’a pas fini de lire et de relire.

Bertrand BONNET

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