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Les critiques de Bifrost

Delirium Circus

Delirium Circus

Pierre PELOT
DENOËL
944pp - 30,00 €

Bifrost n° 39

Critique parue en juillet 2005 dans Bifrost n° 39

Pierre Pelot est un auteur prolifique qui est parvenu à écrire jusqu'à aujourd'hui plus de 150 romans. Ecrivain multiple, il débute par des romans de western, puis, lorsque sa série doit cesser, se lance dans diverses catégories de la littérature de genre. Ainsi, il écrit des romans de S-F au Fleuve Noir sous le pseudonyme de Pierre Suragne, puis sous son vrai nom pour d'autres éditeurs, notamment J'ai Lu, Robert Laffont et Denoël. Véritable hydre-écrivain, Pelot livre aussi des romans fantastiques, des reconstitutions scientifiques, des novélisations, mais encore des scénarii de cinéma et de télévision. Longtemps considéré comme un littérateur populaire — aux connotations diverses —, il se libère des clichés qui lui collent à la plume avec C'est ainsi que les hommes vivent (Denoël), fresque brutale et puissante, incontournable.

Devant une telle quantité de textes, il est parfois difficile de faire un choix, pour celui qui tenterait de s'immiscer dans cet univers fécond. Et pourtant, le recueil Delirium Circus présente en un fort volume quatre romans de Pelot qui, avec une certaine unité thématique, exposent différentes facettes de l'auteur et la qualité de son œuvre. Au sommaire : Delirium Circus (1978), Transit (1978), Mourir au hasard (1980) et La Foudre au ralenti (1983) ; les deux premiers textes sont couronnés par des prix littéraires, le premier par le Grand Prix de l'Imaginaire, le second par le Graouly d'or de Metz.

D'un côté, deux romans rapides, nerveux et radicaux :

Mourir au hasard montre une société qui établit à la naissance un pronostic de vie, ne laissant à première vue aucune place au hasard de la mort. Le roman se déploie comme un véritable thriller S-F mené par un natural killer. La Foudre au ralenti est une sombre histoire de réplication humaine, rouge sang à l'odeur de polar, où plusieurs personnages se croisent dans la fumée des bars louches de Denvercolorado.

De l'autre, deux romans « dickiens » plus élaborés :

Delirium Circus décrit un monde qui serait calqué sur celui du cinéma. Une société autarcique qui se développe en univers-bulles le long d'une grande roue perdue dans l'espace. Les personnages se démènent dans ce lieu hiérarchisé selon les métiers du cinéma pour découvrir leur être profond, mais aussi pour percer le secret du Dieu-public ; univers truqué et satire de l'existence par procuration. Transit, c'est l'histoire de deux mondes radicalement opposés, traversés par deux personnages qui ne sont qu'une seule et même personne — errance d'amnésique en utopie.

L'unité de ces quatre romans se retrouve dans leur thématique qui dénonce sans cesse et sous toutes les formes le simulacre — c'est-à-dire l'abus de pouvoir et l'injustice, les bases vérolées de la société, le problème de la liberté de l'individu, l'identité de soi au sein de la masse. Chaque texte, à sa manière, explore les faux-semblants d'univers viciés, parce que construits sur le trucage, et dénonce l'impossibilité d'ébranler des conventions universelles. La fiction pelotienne est une remise en question de la réalité comme elle est perçue par l'être social, face aux autres et à soi-même. Réalité trop présente pour que les personnages ne se fassent pas broyer.

Le style de l'auteur participe pleinement de cette catharsis. Ainsi, la construction narrative ne cesse d'amener le sujet au travers de différents parallélismes : en suivant plusieurs personnages qui se croiseront pendant le récit, en mettant en miroir différents mondes. Comme pour accentuer l'effet implacable de la machine à démembrer les illusions humaines, les univers de Pelot se répètent en eux-mêmes par des effets de mise en abyme — la fiction illustrant les trucages de la réalité. En général, Pelot excelle dans l'économie du texte, présentant nerveusement ses mondes imaginaires. Parfois, l'auteur laisse couler son texte vers des horizons plus lyriques — îlots de tranquillité — qui sont souvent brisés par des passages plus violents — crudité ramenant le texte dans la dureté de son propos. Il ne faut pas se fier aux apparences : Pelot est un architecte minutieux qui sait manier les styles afin de raconter une histoire.

Ce recueil illustre tout cela et démontre la puissance narrative de Pelot en tant que conteur implacable — pour reprendre les paroles de Philippe Curval à son sujet : « car, comme tous les grands romanciers populaires — je n'hésite pas à citer Gaston Leroux ou Maurice Leblanc à son propos —, Pierre Pelot jouit d'un souffle 1 […] ». Pour être plus radical, l'auteur dépasse les classifications convenues : Pelot est un romancier qu'il faut avoir lu.

 

Notes :
1. Philippe Curval, « Chronique du temps qui vient » in Futurs n°5, novembre 1978.

Frédéric JACCAUD

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