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Les critiques de Bifrost

Le site ArchéoSF, où Philippe Éthuin exhume régulièrement les pièces étranges d’une science-fiction française qui ne portait pas encore ce nom, se met à publier en papier, et c’est tout à fait bienvenu – même si la finition de ce Ruines de Paris n’est sans doute pas optimale encore. Cette très brève anthologie comprend cinq textes tournant autour de la thématique d’un Paris destiné à finir, à l’image de l’antique Palmyre et autres Carthage, à savoir en ruines – sujet qui avait le vent en poupe au XIXe siècle, un vent d’autant plus fort qu’il s’appuyait sur la passion de l’époque pour l’archéologie… dont le caractère scientifique pouvait cependant s’avérer douteux.

Deux textes sont relativement « longs ». « Les Ruines de Paris », de Maurice Saint-Aguet, auteur oublié (ouf ?), décrit une expédition babylonienne dans les ruines de la ville-lumière « en l’an du Christ 4850 », où le sage Amorgias et son frère, le savant Elial, quelque peu romantiques, outre qu’ils semblent échappés des Lettres persanes, tomberont sur un très opportun Parisien les guidant à la surface – décrivant comment un coup de vent a mis fin à Paris, et donc à la France, et donc à l’Europe –, puis leur dévoilant la société troglodyte un brin loufoque qui s’est malgré tout développée pour prendre le relais du Paris d’antan. Il y a de belles idées, et un humour un peu tordu, mais le texte s’avère une relique poussiéreuse – normal ! –, notamment du fait d’un style extrêmement lourd et pompeux, au point d’en perdre toute drôlerie…

Sur un canevas assez proche, « Les Ruines de Paris en 4875 », d’Alfred Franklin (qui y est revenu plusieurs fois : L’Arbre Vengeur avait réédité l’état final du texte, Les Ruines de Paris en 4908), est autrement plus intéressant. Cette nouvelle épistolaire, rapportant les découvertes dans l’ancien Paris d’une expédition partie de Nouméa, est une satire acerbe et rusée d’une archéologie aléatoire et bâtie sur des préjugés. D’un style plus souple et léger que le texte précédent, cette nouvelle parvient à être toujours drôle et pertinente aujourd’hui – sans doute le meilleur texte de ce bref recueil, et de loin.

Restent trois textes autrement courts, et d’un intérêt variable. Sans doute n’y a-t-il pas grand-chose à dire concernant « En l’an 5000 », signé du pseudonyme collectif Santillane. Plus connu, Louis-Sébastien Mercier, à la fin de son « Tableau de Paris », médite sur les ruines à venir, et sur les étrangetés de l’appréciation des œuvres artistiques quand le temps s’en mêle ; mélancolique mais sans doute bien vu. Enfin la star, Victor Hugo… mais un Hugo de quinze ans à peine, qui, dans son « Le Temps et les cités », n’a sans doute pas le brio et la maîtrise du poète à venir – les images comme les formules ont quelque chose d’un peu convenu…

Une curiosité – où Franklin est le seul à briller pour lui-même… Pour autant, l’initiative reste bienvenue, à même d’intriguer les érudits du domaine, et on encouragera Philippe Éthuin à poursuivre dans ce sens – en en attendant un peu plus, peut-être…

Bertrand BONNET

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