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Redshirts

Parmi les nouvelles recrues du vaisseau amiral L’Intrépide embarquent Maia Duvall, belle femme volontaire, Jimmy Hanson, riche héritier, et Andrew Dahl, qui ne tarde pas à remarquer le comportement étrange de l’équipage, dissimulé dans un placard ou occupé à d’autres taches chaque fois que le capitaine Abernathy décide d’une mission, surtout si y participent certains des officiers comme R’hwa, le scientifique du bord, ou l’increvable lieutenant Kerensky, baroudeur souvent blessé, toujours vainqueur. A cela il faut ajouter une mystérieuse boîte qui analyse n’importe quel problème impossible à résoudre pour le solutionner juste à temps avant la catastrophe. L’Intrépide accumule les succès au sein de l’Union Universelle, mais a aussi le plus fort taux de mortalité de la flotte. Et pour cause ! Les combats un peu stupides que mènent les « redshirts » sont en fait issus de l’imagination d’un scénariste hollywoodien pour une série de science-fiction particulièrement calamiteuse, qui ignore que ses créations prennent vie dans un univers parallèle. Forcément, les figurants meurent en nombre et les seconds rôles ne prennent de l’importance que pour décéder dans des circonstances tragiques.

Cette satire de Star Trek et assimilés (l’auteur ayant travaillé sur Stargate : Universe) est une sorte de Galaxy Quest à l’envers, la finesse en moins, où l’on voyait les acteurs d’une série de ce type appelés par des extraterrestres pour sauver l’univers. En effet, par un tour de passe-passe temporel à l’époque de rédaction des épisodes, les « redshirts » tentent de convaincre les auteurs de la série de les épargner.

On comprend mieux, du coup, les intrigues convenues et les insipides dialogues à tire-larigot mâtinés d’un humour potache, parfois graveleux : ils sont à mettre au crédit du scénariste et non de l’auteur, qui n’en profite pas moins pour se laisser à la facilité. Une série de codas comme autant d’emboîtages narratifs permettent de sauver, un peu, cette impression d’une resucée de SF parodique à la Sheckley, voire des années quarante quand on songe à L’Univers en folie de Fredric Brown. Scalzi reste un auteur intéressant, mais inégal. Redshirts se rapproche davantage de l’aimable divertissement, vite lu, vite oublié. Dommage.

Le Diable est au piano

Ce deuxième recueil de Léo Henry (après Les Cahiers du labyrinthe, paru aux défuntes éditions de l’Oxymore en 2003) est un festival stylistique où, en vingt nouvelles, l’auteur déploie ses multiples talents. Relevant davantage du fantastique que de la science-fiction, voire de la pure littérature générale, mais avec ce sens de l’onirisme et du décalage particulier.

La majorité des textes, les plus brillants en tout cas, sont de fascinants jeux littéraires mettant en scène des rencontres fantasmées ou réelles avec d’autres de la même veine, ou avec des personnages littéraires. « Révélations du prince de feu » voit le Corto Maltese de Hugo Pratt et le Blaise Cendrars de Moravagine résoudre une affaire de meurtres dans un Brésil exotique et un vocabulaire luxuriant. Ce premier étourdissement est suivi d’un brillant chassé-croisé temporel : il fallait une érudition borgésienne pour favoriser une rencontre autour de Poe et de Pessoa, l’auteur hétéronyme aux célèbres pastiches, via un Crowley qui leur aurait soufflé la même idée d’un poème. « Quand j’ai voulu ôter le masque, il collait à mon visage » est emblématique de la recette de Léo Henry : la rencontre de figures littératures tissée avec les fils thématiques communs à leur œuvre, des coïncidences biographiques comme le séjour en un même lieu, des relations communes, et un schéma narratif, une écriture, empruntés aux modèles. L’inspiration vient probablement à la faveur d’une bibliographie ou d’inédits exhumés ; ainsi « L’Invention de Guthman », référence au titre de Bioy Casares, qui met en scène, entre autres, Julio Cortazar et Fredi Guthman, trouve probablement sa source dans la correspondance de ce dernier retrouvée et publiée par Aurora Bernárdez, également présente dans le récit. Le repêchage de la gourmette de Saint-Exupéry est l’occasion d’une évocation du pilote hanté dans les moments les plus difficiles de son existence par une amicale présence, on devine laquelle, ne serait-ce qu’à partir du titre, superbe : « Je suis de mon enfance comme d’un pays ». Comme le suggère Mélanie Fazi dans sa dense et pertinente préface, l’inspiration vient des voyages, ceux effectués par l’auteur et ceux des aventuriers baroudeurs auxquels il rend hommage, dans les exotismes sud-américains, surtout littéraires comme l’Argentine, et les gravités austro-hongroises, entre Vienne et Prague (« Fragments retrouvés dans une poubelle de salle de bains, hôtel Venceslau, chambre 604 » convoque Meyrinck, Rilke et surtout Kafka, d’ailleurs récurrent ici). L’autre pôle est la prédilection pour les faux-semblants, pastiches et mystifications littéraires comme Ronceraille (imaginé par Claude Bonnefoy) dans « La Pelle et le pétrin », masques et pseudonymes multiples comme B. Traven/Ret Marut, présent dans le déjanté et hilarant « Indiana Jones et la phalange du troisième secret », où ce dernier, qui en prend pour son grade en tant que stupid US hero, enquête pendant la guerre d’Espagne et jusqu’à Fatima, en compagnie de Georges Orwell, mais aussi d’Ernest He-mingway, des reporters Robert Capa (parfois mystificateur aussi), de Gerda Taro, de la révolutionnaire Pilar Primo de Rivera, etc. « Kiss kiss, bang bang » multiplie les références populaires tout en interrogeant le statut du personnage qui ne vieillit jamais et éclipse son auteur, le tout raconté cette fois par une des James Bond girls.

Un autre point commun est l’alcool, dont les auteurs suscités abusent, et que Léo Henry, qui a déjà relaté les derniers jours de Fredric Brown dans Rouge gueule de bois, évoque en phrases d’une admirable justesse dans maints textes : « Laisse couler, bonhomme », au titre transparent, et surtout « Goudron mouillé, prière dérisoire », hommage parsemé de souvenirs et références au complice littéraire et à l’ami Jacques Mucchielli, à qui le recueil est dédié.

Une bibliophilie monstrueuse est à l’œuvre chez Léo Henry, qui se superpose au réel, comme finit par le faire la pin-up idéale du prisonnier qui en sélectionne soigneusement une par an pour l’ajouter à son mur d’affiches (« Soixante-dix-huit pin-up »), qui cannibalise l’existence, voire en fait son support, comme les œuvres sur peau humaine évoquées dans « Supplément au Bibliophage (1994-2003) ». La traque d’inédits jusque dans l’esprit des morts dans « Les Trois livres qu’Absalon Nathan n’écrira jamais », nouvelle primée au Grand prix de l’imaginaire en 2010, pose bien l’intérêt relatif, assurément douteux, qu’on peut apporter aux tourments des auteurs et aux gestations des récits. C’est l’histoire qui importe, rappelle « Nataraja », aux références mythologiques cette fois. Se préoccuper du talent seul, ici musical et cinématographique, peut être dangereux, comme le souligne l’inversion du thème du pacte méphistophélique (« L’Envers du diable »).

Tant d’érudition et de prédilections pour les masques et les emprunts, les codes secrets, les déchiffrages du réel et les souterrains obscurs s’expriment ailleurs, différemment, dans des textes fantasques ou à coloration science-fictive : la fuite dans l’imaginaire avec la terrible vocation des suicides en maison de retraite (« Arbre sec, arbre seul »), les histoires qu’on se raconte dans une guerre future où chaque mission ouvre droit à des avantages, des frais médicaux à la fille de camp, jusqu’à l’exonération d’un meurtre (« Sur le chemin du retour »). La ville même est un palimpseste qui bruisse d’anecdotes (« Un Festin de pierre »), les rêves de trésors magnifient toujours le réel, rappelle « Au Carrefour genouillé », ultime nouvelle d’un univers de science-fiction qui sera développé plus tard.

Point n’est besoin d’avoir l’érudition de l’auteur pour apprécier ces textes qui fonctionnent par eux-mêmes, quand bien même ils délivrent des clés pour aller au-delà du récit brut : l’érudition est le sel permettant de les savourer. La lecture de ces infernales mécaniques littéraires laisse un peu étourdi par tant de maestria dans les mises en abyme et de talent d’écriture. C’est sûr, Le Diable est au piano, mais Léo Henry a écrit la partition… Elle est éblouissante.

Le Dernier Château et autres crimes

Un roman et trois novellas composent ce sixième opus de Vance au Bélial’, qui poursuit son travail de redécouverte de cet auteur. Il est orchestré autour d’intrigues policières ou de complots de palais, qui sont toujours en lien plus ou moins étroit avec les foisonnants aspects de la planète explorée et de sa société.

Les Maisons d’Iszm est un agréable petit roman qui trouve une résonance nouvelle dans notre actualité, interdisant l’importation frauduleuse de plantes, graines, pollen, pour en tirer des propriétés à des fins mercantiles. En effet, la planète Iszm détient le monopole des multiples variétés de maisons vivantes, dont seuls les exemplaires mâles sont exportés à travers la galaxie. Pour empêcher les rares visiteurs, forcément suspects, de ramener un élément femelle, on les soumet à des contrôles stricts et on les sonde en permanence. A fortiori Aile Farr, que le statut de botaniste met en danger : il n’a pas de plan préconçu, ni de réel désir de voler, pourtant on tente de l’assassiner tout au long de son voyage, et même durant le vol de retour, sans qu’il sache pourquoi, ni si on le manipule. L’intrigue n’apparaît que progressivement, alors que des éléments de l’énigme ont commencé d’être résolus. Le lecteur aurait aimé s’attarder sur ce monde où la technologie est basée sur le végétal pour en découvrir d’autres aspects. Or, la narration est rapide, souvent elliptique, comme si Vance avait livré un synopsis dialogué plutôt qu’une œuvre achevée. Son sens du rythme reste cependant intact, de sorte qu’il parvient malgré tout à équilibrer son roman et à lui donner vigueur.

« Alice et la cité » présente à l’inverse des personnages forts : une jeune fille habituée à aborder des mondes étrangers car ses parents voyagent pour affaires, intelligente et sûre d’elle, un rien méprisante dans ses jugements péremptoires, et Bo, un mauvais garçon manipulateur et imbu de sa personne, habitué à satisfaire ses désirs. Quand ce dernier essuie un échec après s’être montré lourdement entreprenant, il décide de se venger… Une critique ironique des citadins de grandes villes qui pensent profiter de la naïveté des provinciaux.

« Fils de l’arbre » joue sur l’opposition entre la science et la religion. A la recherche de celui qui lui a ravi la femme qu’il aime, Joe Smith débarque sur un monde où toute la population est au service des druides adorateurs d’un arbre gigantesque, religion autour de laquelle tout s’ordonne. Ici aussi, tout arrivant est considéré comme un espion issu de la planète rivale. En tant que mécanicien, Smith n’a aucun mal à trouver un emploi de réparateur sur cette planète où la science et le savoir sont bannis, ce qui lui permettra d’économiser de quoi poursuivre son périple. Mais il tombe malgré lui sur un complot qui l’entraînera sur le monde antagoniste, ce qui, au passage, lui décillera les yeux sur les amours romantiques et les idées toutes faites.

« Le Dernier Château » présente une société de nobles esthètes en proie à la révolte de ses esclaves extraterrestres, les Meks, seuls capables d’entretenir leurs machines dont ils ignorent le fonctionnement. Les Nomades, humains trop longtemps ignorés et méprisés, refusent leur aide. A trop dormir sur ses lauriers, la civilisation est menacée. Résister dignement semble la dernière alternative, pour l’honneur. Du propre aveu de l’auteur, ce récit, prix Nebula 1966 et Hugo 1967, se base sur les différences de classes trop marquées entre les différentes couches de la société japonaise, qui conduisent à la scléroser.

Complots, aveuglements, oppositions idéologiques ou sociales tissent des correspondances d’un récit à l’autre, et sont autant d’échos qui donnent à ce recueil sa cohérence. Comme toujours avec Vance, ses talents de conteur emportent l’adhésion de toutes les classes de lecteurs.

Lee Winters, shérif de l'étrange

Visiblement, le mélange western et fantastique n’enthousiasme guère les éditeurs français. Les parutions se comptent sur les doigts de la main : La Tour du diable et Le Train du diable de Mark Sumner, Bloodsilver de Wayne Barrow, Celui qui bave et qui glougloute de Roland C. Wagner. Et plusieurs très bons livres du genre restent inédits en français : The Flight of Michael McBride de Midori Snyder, Territory d’Emma Bull ou la trilogie « Hexslinger » de Gemma Files. Par conséquent, on est tenté de saluer chapeau bas l’initiative des Moutons électriques de nous proposer une sélection des meilleures aventures du shérif Lee Winters, un des deux héros fétiches de l’auteur de pulps Lon T. Williams.

Un a priori positif que dément très vite la lecture de l’ouvrage. Passons rapidement sur les coquilles à la pelle, les mots oubliés et les maladresses de traduction, « buffle » plutôt que « bison », entre autres joyeusetés, pour nous pencher sur le vrai problème de cet ouvrage : on s’y ennuie trop souvent. Lon T. Williams n’écrit pas particulièrement bien, chez lui tout est expédié, et pour tout arranger, il construit mal ses histoires, usant d’artifices qui étaient déjà faciles du temps d’Edgar Allan Poe… quand il n’oublie pas un bout entier de son intrigue. Pire, il se répète. On a souvent l’impression de lire une variante du même récit : Lee Winters rentre de nuit à cheval et tombe sur un fantôme / des êtres mythiques / un mystère à résoudre, il s’en sort, puis va boire un verre chez Doc Bogannon. Si quelques histoires sortent du lot, « La Marque du wampus » par exemple, ou « Une lanterne en plein ciel », l’ensemble ne résiste pas à une lecture suivie. Sans être honteux, ce Lee Winters, shérif de l’étrange est une petite déception, d’autant plus cruelle que l’objet livre est très beau.

La Nuit

Trois ans après son premier roman, Monstre [une enfance], Frédéric Jaccaud revient, cette fois en « Série noire », avec La Nuit. Après s’être penché sur la psyché d’un tueur en série, l’écrivain élargit son champ de vision pour étudier au plus près une société au bord de l’explosion : la nôtre.

L’action se déroule à Tromso, petite ville du nord de l’Europe, plongée neuf mois par an dans l’obscurité. On y suit le parcours parallèle d’une quinzaine de personnages ordinaires, solitaires le plus souvent, (mal) accompagnés parfois : un vétérinaire urgentiste alcoolique, une militante écolo, un hacker, une pute, une infirmière, une paire de flics, un couple de tueurs… Tous semblent être en bout de course, tous partagent un même mal-être et semblent stagner dans un présent perpétuel et inconfortable auquel pourtant ils se raccrochent, car ils savent que ce qui les attend demain ne peut qu’être pire que ce qu’ils connaissent déjà. Frédéric Jaccaud va longuement s’attarder sur eux, sur ces êtres figés, en repoussant le plus longtemps possible le démarrage de son intrigue, laquelle n’aura d’ailleurs d’autre but que de projeter tout ce petit monde vers le chaos final.

On pourrait qualifier La Nuit de roman pré-apocalyptique. Tous les éléments sont en place, ne manque plus que l’étincelle qui mettra le feu aux poudres. Chacun des personnages, à sa manière, sera cette étincelle : Karl, ce vétérinaire qui a cessé de vivre le jour où sa femme et son enfant sont morts, et qui va par un malheureux concours de circonstances focaliser l’attention de tous ; Lucie, idéaliste innocente liée à un groupe d’écoterroristes ; Erik, le tueur sadique ; Aleksy, dont les interventions sur le Net vont amplifier cette ambiance paranoïaque délétère qui ne cesse de croitre au fil des pages, une paranoïa qui se nourrit d’elle-même, jusqu’à supplanter la réalité.

A l’image de cette ville plongée dans la pénombre à toute heure de la journée, La Nuit est un roman d’une noirceur de chaque instant, dans lequel plus personne ne semble croire que le soleil réapparaitra un jour. Il y a une profonde lassitude et une résignation collective à voir le monde s’effondrer, s’achever, et à l’inverse une incapacité à imaginer autre chose, une autre voie possible. Frédéric Jaccaud réussit un remarquable travail d’équilibriste en donnant à voir l’humanité sous son jour le plus sordide sans jamais faire preuve de la moindre complaisance. Au contraire, à l’instar d’un Thierry Di Rollo, il nous fait partager l’intimité de ses personnages, aussi pitoyable soit-elle, avec une belle pudeur et une économie de moyens qui force le respect. Le résultat n’en est que plus tragique.

L'Étrange Affaire de Spring-Heeled Jack

Quarante ans après Philip José Farmer et son « Monde du Fleuve », Mark Hodder ressuscite à son tour Sir Richard Francis Burton, et lui confie les rênes de son premier roman, L’Etrange affaire de Spring Heeled Jack. Le fameux explorateur, devenu pour l’occasion agent de la Couronne, y partage la vedette avec Algernon Charles Swinburne, poète méconnu de ce côté-ci de la Manche, libertin, adepte de Sade et enquêteur du surnaturel à ses nombreuses heures perdues.

Nous sommes à Londres, en 1861, dans une Angleterre qui aurait dû être victorienne si la jeune reine n’avait pas été assassinée vingt ans plus tôt. C’est dans ce meurtre que le roman trouve ses origines steampunk : grand-bis à vapeur, hélicoptères fonctionnant au charbon, chiens ou perroquets génétiquement modifiés pour servir de coursiers, Mark Hodder reste relativement sage dans ses inventions, jamais envahissantes, la plupart d’entre elles ne servant qu’aux transports ou aux communications. Pour le reste, cette Angleterre du XIXe n’est pas très différente de la nôtre, surtout lorsque le romancier met en scène les quartiers les plus sordides de la capitale, où se déroule une bonne partie de cette histoire. On y croise également nombre de visages célèbres, de Gustave Doré à Oscar Wilde, parfois dans des rôles assez surprenants.

Burton et Swinburne sont amenés à enquêter sur une série de phénomènes étranges plus ou moins liés entre eux : des enlèvements d’enfants, des agressions de jeunes filles, des attaques de loups-garous dans les rues de Londres, et l’apparition répétée d’une figure du folklore britannique. Les investigations de nos deux héros vont rythmer le récit durant cinq cents pages, avec plus ou moins de bonheur. Les péripéties et les coups de théâtre ne manquent pas, mais Mark Hodder aurait pu élaguer son roman d’un bon quart, épargnant ainsi au lecteur nombre de redites et de longueurs superflues.

Le roman doit l’essentiel de son originalité au personnage de Spring Heeled Jack et à son parcours chaotique. Mark Hodder sort pour l’occasion des canons habituels du steampunk et son histoire bascule alors dans un autre registre, plus inattendu — même si on devine assez rapidement le mystère qui entoure chacune de ses apparitions. Et là encore, on ne peut que regretter que la partie du roman qui lui est consacrée manque cruellement de concision.

L’Etrange affaire… est un récit d’aventures rythmé non dénué d’humour qui devrait vous offrir quelques heures d’agréable lecture. A moins que, si le temps le permet, vous préfériez boire des coups en terrasse, manière tout aussi plaisante de perdre son temps.

L'Amicale des jeteurs de sort

Après les éditions Griffe d’Encre l’an dernier et la très réussie Destination univers, c’est au tour des éditions Malpertuis de publier l’anthologie officielle du festival Zone Franche, qui s’est tenu en février dernier à Bagneux. Première différence de taille : là où Jeanne-A. Debats et Jean-Claude Dunyach avaient opté pour une sélection resserrée (huit textes, dont une moitié signée par de jeunes auteurs), Thomas Bauduret et Christophe Thill ont au contraire fait le choix de l’opulence, et L’Amicale des jeteurs de sorts affiche pas moins de vingt-quatre nouvelles à son sommaire.

La plupart de ces textes mettent donc en scène sorciers, magiciens et autres jeteurs de sorts, avec la volonté affichée en préface d’éviter les stéréotypes généralement liés à ce type de personnages et de récits. De ce point de vue, le choix d’ouvrir l’anthologie avec « L’Eau pure » de Lucie Chenu est à peu près le pire possible. Non que la nouvelle en question soit mauvaise, mais il s’agit d’une sorte de conte moral à l’ancienne, tout à fait désuet, tant sur le fond que sur la forme.

De manière générale, les nouvelles au sommaire de cette anthologie sortent assez peu des sentiers battus. Dans le meilleur des cas, leurs auteurs revisitent quelque conte célèbre (l’histoire du Petit Chaperon Rouge revue et corrigée par Ketty Steward) ou prolongent quelque œuvre fameuse (Claude Mamier jouant avec les personnages du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare). Trop souvent, ils ne font qu’enfiler les perles et alimentent à grands coups de clichés des récits d’une vacuité absolue, ou signent des nouvelles à chute qui pouvaient faire sourire du temps des pulps mais qui, aujourd’hui, ont pris un méchant coup de vieux.

Et puis, de temps en temps, on a tout de même de belles surprises. C’est « La Nuit où tu m’aimeras » de Jean-François Seignol, où la sorcellerie se danse sur un air de tango ; c’est la magie qui se terre dans un vieux bistrot parisien dans « Les Filles de la doublure intérieure » de Laurent Fétis ; ou encore les oniromanciens de Simon Sanahujas, qui modifient la marche du temps dans « Le Marchand de réalité ».

Quelques rares auteurs font l’effort d’aborder le thème de manière plus originale. Léo Henry y parvient fort bien avec « Tordre le cou à la pensée magique », où un anodin lecteur mp3 se transforme soudain en oracle musical. A l’inverse, Julien Heylbroeck signe la pire nouvelle du recueil avec « Magic Best-of », en tentant de marier sorcellerie et junk-food. L’idée pouvait être amusante, le résultat est d’un amateurisme absolu. Quant à Romain d’Huissier, on lui accordera volontiers la palme de l’exotisme pour « Hong Kong by Night – Vengeance pour un dragon », une fantaisie urbaine nourrie au cinéma de genre local qui mériterait sa classification en Catégorie III.

Finalement, la meilleure nouvelle de cette anthologie se cache en toute fin de volume et est signée Karim Berrouka. « Vaisseau d’espoir, comment es-tu devenu un vaisseau de douleur ? », nous invite à bord d’un navire spatial où ont pris place quelques milliers de colons en route vers une Terre nouvelle. Sauf que les secrets du voyage supraluminique ne doivent rien à la science… La fin aurait pu être plus cruelle encore, mais le texte en l’état fonctionne fort bien.

On trouvera donc au sommaire de L’Amicale des jeteurs de sorts quelques nouvel-les de qualité, un peu perdues au milieu d’une majorité de récits médiocres. Décidément, un élagage un peu plus sévère aurait fait le plus grand bien à cette anthologie.

Mater Terribilis

Mater Terribilis est le huitième roman consacré aux aventures de Nicolas Eymerich, et le deuxième inédit publié par la Volte après Le Château d’Eymerich. On y retrouve avec un plaisir non dissimulé notre anti-héros d’inquisiteur, confronté une nouvelle fois à des phénomènes pour le moins étrange, au long d’une intrigue complexe dont les ramifications temporelles, ainsi qu’il est d’usage dans la série, dépassent le seul XIVe siècle.

L’aventure se déploie en effet sur trois époques. En 1362, Nicolas Eymerich, souffrant d’un menu différend avec le pape et les dominicains d’Aragon, qui l’ont déposé de sa charge, est amené à enquêter sur la disparition de deux inquisiteurs dans la région de Cahors, alors sous occupation anglaise. Accompagné de deux prêtres (larbins), il doit faire face à des manifestations nécessairement sataniques : brumes persistantes, nuées d’insectes géants, distorsions temporelles… et l’on ose même lui brandir sous le nez un apocryphe de saint Thomas d’Aquin supposé détenir la clef de la victoire des Français sur la perfide Albion !

Quelques décennies plus tard, au début du XVe siècle, la guerre de Cent Ans fait toujours rage. Et Valerio Evangelisti décide de s’attaquer à un gros morceau, puisqu’il intègre dans son univers rien de moins que l’odyssée de Jeanne d’Arc, depuis sa rencontre avec le « gentil Dauphin » jusqu’à sa fin tragique… le tout envisagé essentiellement à travers les yeux de son sulfureux compagnon Gilles de Rais.

Enfin, à notre époque et dans un futur proche, nous assistons, au travers de brefs « cauchemars », à la mise en place d’un intrigant instrument de contrôle des rêves ainsi qu’au conflit entre les néo-nazis de la RACHE et l’Euroforce, faisant s’opposer des créatures improbables, mosaïques zombies et super-soldats…

Bien entendu, ces trois trames n’en font en définitive qu’une. Cependant, si le lien est évident et bien justifié entre les deux parties médiévales, on peut trouver la partie contemporaine et futuriste quelque peu redondante, et à vrai dire guère convaincante. Ces « cauchemars » sont trop décousus pour véritablement captiver le lecteur, qui ne goûtera en outre pas nécessairement les quelques relents de complotisme et de technophobie qui en émanent, pas plus que la naïve, voire dangereuse, utopie cyberpunk qui en découle.

Non, l’intérêt est ailleurs, à l’époque de la guerre de Cent Ans, et réside dans la confrontation entre l’inquisiteur Nicolas Eymerich et la plus satanique des créatures : la femme. Tel est en effet le thème essentiel de Mater Terribilis (hélas passé à la moulinette d’une pseudo-psychanalyse jargonneuse, moins séduisante que les fumisteries théologiques d’alors) : le rapport du masculin au féminin, et la place de la femme dans l’ordre du monde. Et l’on avouera sans peine que l’idée d’opposer, par-delà les années, Eymerich à Jeanne d’Arc, a quelque chose de particulièrement séduisant…

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que Valerio Evangelisti joue des archétypes (on ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser ici à la psychosphère). Le problème, c’est qu’à pousser le bouchon trop loin, il en vient à sombrer dans la caricature. Bizarrement, Jeanne d’Arc et Gilles de Rais, à ce petit jeu, s’en tirent plutôt bien, ce dernier étant même probablement le personnage le plus charismatique du roman, tandis que la Pucelle d’Orléans, démystifiée, offre un joli cas clinique. Il en va tout autrement, hélas, de notre inquisiteur préféré… Mais pourquoi est-il si méchant ? Certes, c’est en bonne partie pour cela qu’on l’aime, mais on peut légitimement trouver, cette fois, que l’auteur en fait trop. Ce qui nuit en outre à la crédibilité de l’intrigue… C’est d’autant plus regrettable que Mater Terribilis ne manque pas d’ambition, évoquant à cet égard les plus belles réussites de la série, Le Mystère de l’inquisiteur Eymerich et Cherudek. Hélas, l’exécution n’est probablement pas à la hauteur du projet, et donne une triste impression de bâclé.

Certes, tout n’est pas à jeter dans ce huitième épisode — qui se lit malgré tout assez bien, ou du moins sans que l’ennui ne s’installe : Valerio Evangelisti est un conteur aussi brillant qu’astucieux qui n’a à cet égard aucune leçon à recevoir. C’est déjà beaucoup, assurément. Mais on était en droit, eu égard à l’ambition affichée du roman, d’en attendre un peu plus qu’un simple divertissement pas trop mal ficelé, caricatural mais prenant ; quelque chose de plus stimulant, en somme, comme pouvaient l’être les meilleurs romans de la série. Aussi, c’est surtout d’un point de vue relatif que Mater Terribilis donne une impression d’échec : sans être un mauvais livre pour autant, il se montre frustrant, parfois même agaçant, et bien inférieur à ce que l’auteur avait pu livrer auparavant. Un Nicolas Eymerich plutôt faible, donc, qui ne convaincra totalement que les fans les plus acharnés de l’inquisiteur aragonais.

American Gothic

Si l’on en croit Xavier Mauméjean — ou bien le traducteur François Parisot, responsable de cette compilation de documents (à ce qu’il semblerait, tout du moins), ou encore Jack Sawyer, qui fait figure de spécialiste depuis un singulier mémoire d’étudiant —, l’imaginaire enfantin américain repose pour l’essentiel sur deux œuvres : Le Magicien d’Oz, bien sûr, mais aussi, et de manière à la fois plus insidieuse et plus profonde, Ma Mère l’Oie de Daryl Leyland, épatant recueil de contes, comptines et légendes urbaines paru à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Or, si Le Magicien d’Oz a connu les adaptations cinématographiques que l’on sait, il n’en est pas allé de même pour le chef-d’œuvre de Leyland illustré par son ami Van Doren. Il y eut pourtant un projet, soumis à Jack L. Warner, désireux de supplanter Disney. Et c’est justement la raison pour laquelle, maccarthysme oblige, la Warner embauche Jack Sawyer afin d’enquêter sur le mystérieux Daryl Leyland et, au besoin, de « nettoyer » sa biographie. American Gothic est donc l’occasion de dresser un portrait de l’auteur de Ma Mère l’Oie — et, en creux, de Jack Sawyer, voire de François Parisot, ainsi que d’autres figures gravitant autour de ce projet d’adaptation cinématographique ou de la vie et de l’œuvre de Daryl Leyland. Et de comprendre enfin pourquoi il n’y eut pas de film… même si, autant le dire de suite, cette dimension-là relève quelque peu du McGuffin.

American Gothic — le titre fait bien entendu référence au célèbre tableau, mais ses connotations sont plus vastes — est assurément un roman qui ne manque pas d’ambition. Sixième titre de la collection « Pabloïd » des éditions Alma, qui énumère huit « emblèmes » selon Picasso via Malraux, il a pour thème la souffrance. Traitée, donc, à travers le prisme des contes de fée. Et quoi de plus innocent qu’un conte ? Bien des choses, sans doute, ainsi qu’on le sait depuis fort longtemps… Et Ma Mère l’Oie ne déroge pas à la règle, compilation, teintée de sadisme, de faits-divers atroces abondant en maltraitances enfantines pouvant aller jusqu’à la torture ou l’homicide.

Il faut dire que le livre de Daryl Leyland reflète à bien des égards — et sans grande surprise — la biographie pour le moins tourmentée de son auteur, enfant plus ou moins abandonné, passé par les institutions les plus glauques de l’Amérique d’antan. Aussi l’étude de sa vie et de son œuvre — biaisée, forcément, puisque passant par le regard de Jack Sawyer, puis de François Parisot — débouche-t-elle sur une peinture sans concessions des Etats-Unis d’alors — et probablement d’aujourd’hui. Le melting-pot rêvé des immigrants se transcende ainsi en cauchemar, de la misère économique à l’oppression politique, en passant par la guerre (la Première Guerre mondiale pour Leyland, la Seconde pour Sawyer, la Corée pour Parisot). Ma Mère l’Oie se fait ainsi le creuset d’un imaginaire sombre, d’un « gothique américain », symptomatique d’un pays en construction mythique, qui se cherche et se fabrique une histoire qui lui soit propre.

La multiplicité des voix et documents — plus qu’à leur tour contradictoires — permet d’approfondir cette analyse. Ces portraits incomplets et sujets à caution, ces morceaux choisis, ces exégèses érudites mêlées de tranches de vie, dessinent ainsi une Amérique onirique, celle d’Hollywood et des gangsters de Chicago, faite de rêves et de violences, et riche en traumatismes plus ou moins avoués. Une Amérique pathologique — et donc authentique ? —, vécue de l’intérieur et observée — disséquée — d’une manière faussement neutre par des lecteurs s’appropriant leur lecture — jolie mise en abyme.

Irréprochable sur la forme comme sur le fond, tant les deux sont imbriqués à s’étouffer, et d’un à-propos indéniable, American Gothic se dévore comme un page-turner sans pour autant prendre le lecteur par la main, mais au contraire en l’incitant à s’interroger sur son propre regard.

En s’éloignant un tantinet de l’imaginaire, qui n’est plus traité ici que par la bande, devenant sujet et non méthode, Xavier Mauméjean signe probablement son roman le plus abouti et le plus convaincant (on ne peut s’empêcher à cet égard de le placer dans la lignée de Lilliputia, mais avec davantage de réussite). C’est dire si l’on recommandera chaudement cet American Gothic d’excellente facture, aussi intelligent que passionnant, à dévorer sans modération.

Stairways to hell

Pourtant, malgré toute cette violence, chaque texte recèle une certaine beauté, de petits moment de poésie qui rendent les écrits de Thomas Day si inoubliables et ses personnages, aussi horribles ou pervertis soient-ils, profondément humains et touchants. Le Bibliocosme

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Bifrost n° 114
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