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Musique liturgique pour nihilistes

Attention, noir ! C'est ainsi que tout le monde qualifie l'univers macabre et gothique de Brian Hodge. Ce ne saurait tout à fait être un gage de qualité s'il n'y avait derrière une profonde réflexion métaphysique servie par une splendide écriture. Un style qui fait mouche dès la première phrase : « Que ce soit bien clair : ici, on tue des enfants » (in « Le Paradis en voie d'extinction ») ; « II a dû y avoir des signes avant-coureurs » (in « Tendres Holocaustes »). Dès l'accroche, Hodge distille une musique qui ne vous quitte plus, comme une obsession qui remonte obstinément à la conscience. En plein récit, il est capable de lâcher une phrase qui vous hante pour longtemps. Ainsi, quand on a grandi dans l'absence d'un proche prématurément disparu : « Nous sommes des fantômes l'un pour l'autre, hantés de souvenirs inexistants ».

Le titre de la principale nouvelle (qui est celui du recueil) résume précisément son œuvre ; le paganisme (au retour souhaité) et la déliquescence des sociétés modernes sont ses thèmes principaux, comme on pourra s'en persuader avec ces cinq nouvelles qui voient rôder d'anciens dieux à la lisière de notre monde, des enfants persécutés par le monde moderne se transformer en jaguars, un dieu naître du néant à l'intérieur d'un lieu hautement symbolique : un abattoir désaffecté.

Aux villes qui s'étendent comme des cancers et dont les murs boivent les âmes de ceux qui souffrent s'opposent les landes écossaises battues par le vent, les reliefs tourmentés d'une Angleterre au ciel plombé et à l'horizon noyé de brouillard. Les personnages sont des marginaux, toxicomanes, homosexuels persécutés, enfants de bidonvilles, artistes ratés. Ce qu'ils vivent fait toujours écho à un passé douloureux, à des histoires anciennes qui mettent en relief les événements présents ou leur donnent un éclairage inédit. En toile de fond, Hodge analyse la souffrance, la culpabilité, la mélancolie, et les attitudes qui en découlent, attitudes de fuite, de révolte, d'expiation.

Le noir de Brian Hodge est profond, velouté, magistral !

Pour briller ainsi, cette noirceur est forcément truffée de diamants. Ceux-ci montrent que ce constat négatif du monde est tempéré par la compréhension, l'empathie, l'amour du genre humain et même l'espoir. Voici comment le preneur d'âmes considère celui qui le consulte pour fuir la souffrance : « À quelle déchéance était-il réduit ! Car plus personne ne croyait à la magie, et leur seule motivation était l'espoir de ne plus souffrir. Il refusait de les mépriser pour autant. Le siècle avait été cruel, dans l'ensemble. » Au-delà de la compassion, on décèle de la tendresse. Parler de souffrance morale n'est pas négatif quand elle est témoignage d'humanité : « Quelquefois je gratte la plaie, pour m'assurer que je sais encore la ressentir. Mais je dois creuser très profond (…) Il fut un temps où je croyais cette insensibilité désirable ».

Chez Hodge, l'espoir est mince, mais il existe. S'il ne se fait guère d'illusions sur le monde et ses semblables, il n'en reste pas moins porteur de valeurs positives qu'il sait déceler dans les plus noirs tableaux, à l'instar d'un Baudelaire célébrant Les Fleurs du mal.

Ne craignez donc pas la lecture de Hodge. Elle n'est pas aussi négative qu'on le dit. « Car lorsque tout est dit, il reste la vie et rien que la vie, dans toute sa richesse. »

Outre une préface de Bauduret, ce recueil comprend une interview de l'auteur et une bibliographie qui montre combien Brian Hodge est encore peu traduit en France.

10 sur l'échelle de Richter

Malgré la taille du nom sur la couverture, les seules photo et présentation de Clarke au dos, outre le commentaire élogieux qui présente ce roman comme « un nouveau défi du maître », il faut savoir que le seul crédit à porter à son actif est un synopsis de 850 mots, ce que ce dernier reconnaît bien volontiers dans sa postface, découvrant même « que cette manière de faire [lui] donnait toutes les joies de l'activité créatrice — mais sans les longues heures de pénible labeur au clavier ». L'auteur du synopsis nous donne ici de quoi alimenter les réflexions sur la définition de la création artistique.

Ce roman a donc été écrit par le seul Mike McQuay et c'est un roman formidable ! Que ceux qui s'attendent à ne lire qu'un récit catastrophe de plus se détrompent. Autour du thème des tremblements de terre, c'est une page d'histoire s'étalant sur trente-quatre ans qui est écrite.

La planète, dépourvue de sa couche d'ozone, rongée par un nuage radioactif qui fait périodiquement le tour de la Terre, est aussi malade que le monde géopolitique divisé en deux camps : les capitalistes (les empires financiers nippons contrôlent pratiquement les États-Unis) et les musulmans, isolés sur le sol américain dans des poches urbaines appelées Zones de Guerre, qui revendiquent la cession de plusieurs états pour y fonder une Nation de l'Islam, Les progrès technologiques évoluent également au fil des pages, comme les puces à implanter à la base du crâne qui débouchent vingt ans plus tard sur les techkids ou les compagnons virtuels dont il est parfois nécessaire de divorcer.

Depuis qu'il a vu mourir ses parents dans un tremblement de terre, Lewis Crane a consacré sa vie à étudier ce phénomène pour mieux le prévenir. Il a besoin d'argent pour financer la mise au point d'une simulation du globe afin de prédire avec précision la date et le lieu des séismes. Son rêve secret va plus loin : souder entre elles les roches des plaques continentales à l'aide de bombes atomiques pour empêcher tout séisme futur.

Mais son parcours est semé d'embûches. Les intérêts financiers, politiques ou religieux vont jusqu'à empêcher l'évitement de meurtrières catastrophes. Crane se bat envers et contre tout, malgré les trahisons de proches et les blessures du cœur.

Car McQuay établit le parallèle entre tremblement de terre et émotions humaines. La colère ou le désir provoquent le même séisme partant de l'âme et ébranlant la surface de l'être. Et de même que la pression de deux plaques en un même point provoquent un tremblement, l'affrontement entre capitalistes et islamistes pesant sur un personnage symbole de la lutte risque de dégénérer en guerre.

Bref, un livre haletant, intelligent, mêlant avec brio données scientifiques et scènes d'action, sentiment et suspense. Bien sûr, vous saurez aussi tout sur les tremblements de terre.

Le Vin des Dieux

Parce qu'il a bu du Vin des Dieux, le jeune prince Amatus perd soudain la moitié de son corps : tout le côté gauche. Et parce que diverses négligences ont abouti à cette situation, le roi Cédric obtient la tête de l'Alchimiste Royal, de la Sorcière Royale, de la Servante Personnelle du Prince, et du Capitaine de la Garde (qui, après avoir exécuté les autres fautifs, réussit à se décapiter lui-même, ce qui lui vaudra le respect et l'admiration de tous).

Un an et un jour plus tard, alors que le Premier Ministre est devenu Capitaine de la Garde et Commandant en Chef des Armées (tâches plus exaltantes que son autre poste, très administratif), quatre postulants arrivent au Palais. Bientôt, ils s'avèrent exceller dans leurs domaines respectifs, et la vie reprend son cours. Amatus grandit, éduqué par ses précepteurs. Il grandit, mais n'en retrouve pas pour autant sa part absente. Ce seront les quêtes diverses qu'il va devoir mener qui lui rendront peu à peu son intégrité. Car les périls sont nombreux et la guerre menace.

Ah, c'est un livre à part que Le vin des dieux. John Barnes a choisi d'écrire une œuvre qui joue sans répit des effets de miroir — l'histoire se proclame un conte de fées, les personnages eux-mêmes savent qu'ils vivent un conte de fées, le lecteur sait à tout moment qu'il lit un conte de fées. Ce pourrait être artificiel, et c'est séduisant ; puéril, et c'est innocent ; rebattu, et c'est fascinant. Et toujours grâcieux.

Dans ce roman de fantasy avouée, nommée, analysée, l'auteur renouvèle le genre en remontant à ses sources : les contes, le jeu complice de la narration orale, l'emploi de codes stricts, mais garants d'une totale liberté de création. La langue est belle ; précieuse, ampoulée, elle souligne le décalage qu'induit la lecture. Roman d'apprentissage, mise en abyme des symboles que le merveilleux utilise et auquel il renvoie, ressorts dramatiques qui empruntent aussi bien au Grand Guignol et à la commedia dell'arte qu'à la tragédie antique, cette fable un peu scélérate vous a un charme fou.

La robe est chatoyante, l'arrière-goût plus capiteux qu'il n'y paraît aux premières gorgées, bref, ce breuvage ne peut que se déguster avec un sourire de connivence.

Tekrock

Alors que s'ouvre le procès du sectateur Odon et que se poursuit la prise en otage du wèbe par les intelligences artificielles, Tem, le détective privé doué du don de la transparence, est contacté par l'une d'elles, sa fidèle alliée Gloria, qui lui propose de mener une enquête pour le compte d'un dénommé Pépin de Pomme.

Le problème de ce dernier est simple : il s'est réveillé un jour, un demi-siècle plus tôt, apparemment âgé de vingt-cinq ans, mais sans le moindre souvenir de son existence passée. Ceci se déroulait durant la Grande Terreur Primitive qui a changé à jamais le visage de la planète lorsque la Psychosphère a interagi de manière cataclysmique avec la Réalité consensuelle. Et comme rien de ce qui touche à la Psychosphère ne peut laisser Tem, le mutant, indifférent…

Ce n'est là que l'un des prémices d'une intrigue complexe et polymorphe, mêlant les fils narratifs et les voix, au cours de laquelle vont réapparaître plusieurs personnages secondaires des quatre titres précédents de la série. C'est l'occasion pour Roland C. Wagner de dresser une galerie de ces portraits iconoclastes dont il a le secret.

De plus, Tekrock impressionne par la facilité apparente, résultat sans doute d'un travail en profondeur, avec laquelle l'auteur construit, pierre par pierre, un futur qui, sous ses atours psychédéliques, demeure très crédible du point de vue politique, économique et social. Plus même que la musique, omniprésente, c'est la notion de jeu qui fonde ce roman, à la fois dans les détails qui renvoient à ce qu'on est bel et bien obligé d'appeler le “patrimoine” de la SF (linotype Brown-Shrdlu, astronef Arthur C. Clarke, etc.) et dans la manière dont l'ouvrage répond à diverses questions soulevées lors des premiers volumes tout en en posant de nouvelles. Enfin l'intrigue policière, pourtant souvent présentée comme un simple prétexte, n'a jamais été aussi chandlérienne, ni sa résolution, lourde de symboles, aussi satisfaisante.

Moiré, chatoyant, mélodieux, pacifique et ludique, Tekrock prouve, s'il en était encore besoin, que Roland C. Wagner a franchi un nouveau palier en tant qu'écrivain. On attend désormais avec espoir, et non sans une certaine impatience, de voir où l'escalier conduit.

Mutations

C'est avec des sentiments mêlés que je me suis penché sur ce nouveau roman du canadien anglais Robert J. Sawyer. Je n'avais guère apprécié Expérience terminale (J'ai Lu « SF »), son opus précédent (couronné par le Nebula), et le site Internet du bonhomme, quoique fourni, est un véritable festival de mauvais goût en matière d'auto-promotion. Les quelques nouvelles de lui que j'ai lues sont pourtant plutôt de meilleure qualité. Alors, Mutations ?

On est dans un futur proche qui pourrait être le présent. Le canadien français Pierre Tardivel, atteint d'une maladie dégénérative, la chorée de Huntington, se sait condamné à plus ou moins brève échéance. En attendant, il effectue des recherches sur le génome humain. Il rencontre Molly, dont les pouvoirs télépathiques font une sorte de marginale mais lui sont très utiles dans sa profession de psychologue. Ils s'aiment. Ils ont un enfant, Amanda.

Mais leur enfant n'est pas comme tout le monde. Pierre n'est pas son père, sous peine de lui transmettre le gène de la chorée de Huntington. C'est le professeur Klimus, prix Nobel et patron de Pierre, qui a fourni la semence. Bientôt, Amanda présente des retards d'apprentissage troublants.

Parallèlement, Avi Meyer, enquête pour retrouver “Ivan le Terrible”, un des pires bourreaux de Treblinka, tandis que Pierre est la cible d'une tentative de meurtre de la part d'un jeune néonazi…

Sawyer est certes un auteur habile, et les connaissances scientifiques qui charpentent l'intrigue m'ont paru crédibles, pour autant que je puisse en juger. Son roman se lit avec une grande facilité.

Oui. Mais le rajout de l'intrigue secondaire (la chasse au nazi) est inutile ; le dénouement, lacrymal, est navrant ; les coups de théâtre sont artificiels, les personnages à peine plus que des caricatures. Le tout paraît sortir d'un guide à l'usage du faiseur de best-sellers, et fait un tel usage des dialogues qu'on croirait parcourir le scénario d'un téléfilm américain.

Voilà un livre jetable, fabriqué plus qu'écrit. Idéal dans le train ou le métro. Laisser sur la banquette une fois fini — à l'intention d'un autre voyageur désireux de tromper l'ennui.

Longwor, l'archipel-monde

En proie à la fièvre sur la côte guyanaise, Pierre Boucquard est soigné par un vieux chaman indien, Bhogoral. On est en 1931. Pierre vient d'être licencié de la compagnie pétrolière qui l'employait, et il a décidé de partir à la recherche d'un aventurier, Augustin Coriac, un ami de son grand-père, qui a disparu dans la région un demi-siècle plus tôt.

Bhogoral lui raconte alors un étrange récit, celle que lui a fait, quand il était enfant, son aïeul, Capitaine-Papa, de retour d'un long voyage au cours duquel il a escorté deux Blancs qui étaient peut-être Coriac et son compagnon. Un voyage qui a mené le grand-père de Bhogoral et deux des oncles de celui-ci dans l'archipel de Longwor, ignoré des cartes, que seul la chevauchée en pirogue du Grand Dragon permet d'atteindre.

Longwor, « ce lieu hybride ? On songeait à une colonie européenne des confins, et aussitôt l'esprit dérouté pensait à un comptoir antique ou à une cité médiévale. L'île exhalait un parfum de république de flibustiers qui se serait endormie, mais des détails ne cadraient pas. » Et le narrateur d'ajouter : « Où nos voyageurs avaient-ils donc été transportés ? et quand ? »

Pour son premier roman, Denis Duclos, sociologue, et auteur de plusieurs essais, a choisi la difficulté : recréer un monde à la fois familier et distant, user de codes rebattus (le monde perdu, les sauvages, la jungle) et d'une langue aussi riche que désuète, c'est se placer d'emblée en marge de la fantasy « classique » — lire : (peu) inspirée de Tolkien.

C'est pourtant ce qui fait tout l'éclat de ce bijou. C'est un hommage à Cendrars, son style sensuel et ses atmosphères moites (L'or, Rhum…) ; Eco (L'île du jour d'avant) ; et le Vance de Lyonnesse. Les péripéties plus rocambolesques et connotées les unes que les autres ne sont que l'écrin d'un hymne à la sensualité, l'amour, l'aventure, la découverte des mystères de soi et du monde.

Drôle de roman. Il faut s'habituer à cette écriture gorgée de sève, à ces figures de style, à ce décalage constant entre l'effet de réel et la connaissance qu'on a de la géographie des Caraïbes. Alors, quelle fête pour le cœur et l'esprit !

Et la suite paraît cet automne ? Vivement l'automne.

Guerre aux invisibles

Au cours de l'enquête de routine qu'il mène sur le suicide du professeur Mayo, l'inspecteur Bill Graham découvre que plusieurs autres savants renommés, aussi bien étrangers qu'américains, se sont donné la mort ou sont décédés d'une crise cardiaque en l'espace de quelques jours. Peu à peu, alors que cette étrange épidémie continue de décimer la communauté scientifique, un certain nombre de constantes se dessinent : les personnes concernées s'étaient badigeonné un bras à la teinture d'iode, et poursuivaient, de près ou de loin, des recherches en rapport avec l'optique.

Et quel est ce sentiment d'être observé qui s'empare de Graham sitôt qu'il croit approcher la solution ?

Ce roman, le premier d'Eric Frank Russell, est paru en 1939 dans le numéro 1 du célèbre magazine Unknown (le pendant fantastique d'Astounding, dirigé lui aussi par John W. Campbell) avant d'être édité en volume après la guerre, dans une version remise à jour. Il s'agit d'une œuvre de SF, inscrite dans un avenir plausible (en tout cas pour l'époque). La solution de l'énigme est vite connue (les Vitons, des êtres d'énergie, élèvent l'humanité comme un troupeau et se repaissent de ses émotions), mais l'intérêt, pour moi, en est ailleurs — dans l'inquiétude, la paranoïa, qui sous-tendent l'intrigue et les réactions des personnages. Philip K. Dick était un fan d'Unknown : ce roman a sans doute figuré parmi ses lectures de jeunesse et l'a peut-être même influencé.

Passons sur les faiblesses occasionnelles du texte français qui aurait mérité un bon petit coup de peigne, et sur l'aspect caricatural des relations entre les sexes, bien qu'Eva Curtis, dont Bill Graham est amoureux, exerce un métier et soit présentée sous une lueur plus positive que les écervelées promptes à se pâmer dont la science-fiction de l'époque était encore friande. Passons aussi sur le dernier tiers du roman, moins palpitant, lorsque, la vérité enfin connue, la résistance s'organise sous les auspices de ces bons vieux USA. Je retiens par contre le mélange des genres, une des constantes d'Unknown, entre thriller, horreur et SF. Eric Ambler n'est pas loin, non plus que Lovecraft et Heinlein.

Un livre à (re)découvrir avec l'indulgence due à son âge.

Les Horizons divergents

Près de dix ans après Les Mosaïques du temps parait enfin le cinquième volume de « La Grande Anthologie de la Science-Fiction française ». Première remarque : jamais cette série n'a aussi mal porté son titre, puisque sur les seize auteurs apparaissant au sommaire, on ne trouve pas moins de six québécois, de naissance ou d'adoption, ainsi qu'un suisse (Georges Panchard, un habitué). Anthologie francophone, donc, d'autant qu'un nombre équivalent de ces textes sont initialement parus sur des supports étrangers (deux nouvelles viennent de la revue Imagine…, deux autres de Solaris, trois de diverses anthologies québécoises, et la dernière, « Dans l'abîme » de Serge Lehman, de l'anthologie suisse Parapsychologie, publiée par La Maison d'Ailleurs.) En cela, Les Horizons divergents est tout à fait représentatif de la période qu'il couvre (1985-1995), durant laquelle le manque de revues et d'anthologies en France s'est fait cruellement ressentir, tandis que la science-fiction québécoise était florissante. Ironie du sort, au moment où paraît ce volume, la S-F française a repris du poil de la bête, alors qu’outre-Atlantique la situation devient franchement calamiteuse (arrêt de la parution d'Imagine…, problèmes financiers pour Solaris, etc.).

Si Klein, Herzfeld et Martel se sont toujours défendus de vouloir dresser à travers cette série un historique de l'évolution de la, science-fiction en France, revendiquant la qualité des textes comme unique critère de sélection, Les Horizons divergents présente néanmoins un panorama assez fidèle de la période survolée : outre l'importance des québécois, on notera qu'un nombre conséquent de nouvelles proviennent de supports amateurs ou semi-professionnels. A contrario, l'absence de tout texte issu de Fiction (qui fournissait plus du tiers de ceux réunis dans La Frontière éclatée, pour la période 79-84) ne fait que confirmer l'idée que cette revue était déjà morte bien avant de disparaître des kiosques.

Autre intérêt de ce volume : faire cohabiter des auteurs qui, lorsque paraissait la précédente anthologie, n'en étaient encore qu'à leurs premiers pas littéraires (Nguyen, Lehman ou Tessier), et quelques « grands anciens » (Klein, Curval, Andrevon et Ruellan). Là aussi, par-delà la qualité des nouvelles choisies — celles d'Andrevon et Ruellan sont certes amusantes mais tout de même relativement anodines — on imagine de la part des anthologistes la volonté d'afficher une certaine pérennité de la science-fiction française, d'ancrer la période actuelle dans un mouvement plus vaste.

Ceci dit, on pourra bien sûr gloser des heures durant sur la pertinence de publier tel texte, sur l'absence de tel auteur (la seule à me paraître absolument impardonnable est celle de Sylvie Denis, pas même citée dans la préface). S'il me fallait pour conclure et en toute subjectivité citer mon quintet de tête, j'attirerais plus particulièrement votre attention sur « Stellarum nox » de Georges Panchard (évocation tout en subtilité du destin tragique des premiers voyageurs interstellaires), « Dire non » de Jean-François Somain (description minutieuse d’une société future dont les ambitions utopiques se teintent d'une inquiétante nuance de totalitarisme), « Chasseur et Proie » d'Yves Meynard (classique histoire dérapant soudain vers des territoires que ne renierait pas Dick), « Dans l'Abîme » de Serge Lehman (d'ores et déjà un classique de la S-F française) et « L'Homme singulier » de Jean-Jacques Nguyen, certainement la nouvelle française qui m'a le plus marqué ces dernières années. Quoi qu'il en soit, et quels que soient ses centres d'intérêt, le lecteur est invité à faire escale sur ces horizons, nul doute qu'il y trouvera de quoi le contenter.

La Fête électrique

Quatre mois à peine après la publication de son frénétique premier roman, Le Roi sans visage, Hervé Jubert revient avec ce deuxième volume de sa Bibliothèque Noire. On se souvient qu'à la fin du précédent tome, Georges Beauregard, agent du département Eugénie, découvrait que le Paris de 1860 dans lequel il évoluait n'était qu'un univers fictif, et parvenait en définitive à s'en échapper pour explorer « la marge ». Son escapade s'achève abruptement lorsque débute cette nouvelle aventure, un an plus tard, quelques jours avant l'inauguration de l'Exposition Universelle. Une Exposition que Beauregard se souvient parfaitement avoir visité, six ans plus tôt. En outre, la présence annoncée de la reine Victoria lui fait craindre le pire, d'autant plus que l'on a signalé plusieurs morts mystérieuses dans les jardins des Tuileries, précisément là où les premiers lampadaires électriques, clou de l'Exposition, ont été mis en service…

Le premier roman de Jubert détonnait dans la production courante par son inventivité et son rythme effréné. En comparaison, de prime abord, La Fête électrique déçoit quelque peu. Outre le fait que le récit peine à se mettre en place, l'intrigue qui nous est offerte ici est beaucoup plus policée que la précédente. Mais que l'on s'amuse moins ne signifie pas que l'on s'y ennuie : Jubert nous gratifie de quelques trouvailles bienvenues, de quelques personnages aussi improbables que mémorables. De plus, ce pseudo-Paris du Second Empire — les lecteurs attentifs pourront s'amuser à repérer les quelques anachronismes qui parsèment le texte, renforçant le côté décalé de cet univers — s'avère être un décor de choix pour les aventures rocambolesques que met en scène l'auteur. À la croisée des genres, quelque part entre science-fiction, fantasy, steampunk et fantastique, La Bibliothèque Noire confirme donc qu'elle est certainement la série la plus rafraîchissante du moment.

Cosmic Blues

Après la Cyberdanse macabre de Richard Canal, voici la deuxième aventure de Mark Sidzik, due cette fois à la plume d'un écrivain de polar — mais dont la quatrième de couverture nous apprend qu'il a une formation scientifique —, Gérard Lecas. Chronologiquement, ce récit se situe avant celui de Canal, durant les premières semaines de l'an 2000, alors que Sidzik ne fait pas encore partie du World Ethics and Research. Dans la nuit du 31 décembre 1999 au 1er janvier 2000, la Terre perd tout contact avec la station orbitale Novgorod. Simple panne, conséquence du fameux bug du nouveau millénaire ou acte malveillant ? La situation est d'autant plus préoccupante que l'un des scientifiques à bord de la station semble sur le point d'achever ses travaux, lesquels pourraient à terme permettre l'éradication de diverses maladies, hépatite C et SIDA en tête. Par un heureux concours de circonstances, Mark Sidzik, dont l'ancienne petite amie est également membre de l'équipage, va devoir endosser le rôle d'homme providentiel et sauver les quatre naufragés spatiaux.

On pourrait faire sur ce Cosmic blues sensiblement les mêmes commentaires que sur le Cyberdanse macabre de Canal : un roman bien foutu, efficace, offrant son lot de moments forts, des personnages très typés (sans doute une nécessité pour qu'ils demeurent toujours aisément identifiables pour le lecteur, malgré la valse des écrivains) mais plutôt sympathiques. En outre Lecas propose ici une description tout à fait convaincante de la vie dans une station orbitale. Bref, le type même de mécanique bien huilée, trois heures de lecture agréable garanties, je ne suis pas sûr qu'il faille attendre beaucoup plus de cette collection, mais si, contrairement au très versatile « Macno » de chez Baleine, elle parvient à maintenir ce niveau de qualité, on attendra les prochaines parutions sinon avec impatience, du moins avec bienveillance.

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