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Queen City Jazz

À qui souhaite se lancer dans la lecture de Queen City Jazz, un conseil : qu'il se munisse d'aspirine et de patience. Parce qu'en ce qui me concerne, ce roman m'a donné autant mal au crâne qu'un solo de saxophone d'une vingtaine d'heures…

L'idée de base est intéressante : les États-Unis ont été profondément transformés par le développement de la nanotechnologie, « pierre philosophale » moderne qui permet les transmutations les plus diverses : n'importe quel élément est susceptible d'être synthétisé à la demande pour un coût quasi nul. Des villes se sont développées, dans lesquelles des abeilles monstrueuses, substituts insectoïdes des ordinateurs éteints depuis longtemps, transportent les informations des « immeubles-Fleurs » à la Ruche. Chaque cité ainsi « convertie » est supposée offrir à ses habitants une qualité de vie supérieure, pourvu qu'ils acceptent d'entrer dans cette « Ruche ». Le problème est que le système s'est manifestement déréglé : les abeilles terrorisent la population, condamnée à vivre et revivre en boucle une vie tirée des fantasmes schizophréniques du bâtisseur de la Cité, hanté par le jazz et la littérature américaine. Pour ne rien arranger, une « peste nanotech » s'est répandue dans le pays, qui pousse les survivants à se diriger, on ne sait pourquoi, vers « Norléans ».

Lorsque cette peste atteint la petite communauté de « Shakers » dans laquelle vit Verity, l'un des Aînés, John, devient fou et abat Braise, ami d'enfance de Verity, ainsi que Caire, sa chienne. Par miracle, Russ, le doyen, dispose de deux couvertures de survie nanotech qui permettent un état d'animation suspendue. Verity, pour tenter de ressusciter ses amis, choisit de remonter à la source du monde nanotech, dans le berceau du Diable, du point de vue des Shakers, à Cincinnati, que, seule, elle ne semble pas craindre. Et qui depuis toujours paraît l'appeler au son délicat d'une cloche. Son parcours dans cette ville lui apprendra les secrets de l'élaboration des Cités Fleuries et la raison d'être des étranges excroissances logées derrière ses oreilles.

Si le monde inventé par l'auteur est foisonnant… le récit a bien du mal à s'organiser. La partie consacrée à la vie du camp Shaker est conséquente, sans pourtant en donner une image nette : que sont donc ces « Dons » des personnages, ou les « Livres » qu'ils tiennent ? De même, on a du mal à saisir l'intérêt des péripéties du voyage vers Cincinnati. Les personnages s'agitent sans vraiment parvenir à prendre corps, souvent d'ailleurs parce qu'ils ne font effectivement que passer dans le récit, tels de simples figurants.

Les explications concernant la naissance des Cités sont fournies — dans le désordre — par des « flashes » dans l'esprit de Verity : leur créateur, Abe Durancy, communique avec l'héroïne au moyen des « éponges mémorielles » placées derrière ses oreilles qui la relient à la Ruche. Le récit s'encombre alors de multiples micro-récits relevant de l'analyse psychanalytique des névroses du nanotechnicien, qui dévoilent un complexe d'Œdipe mal résolu l'ayant entraîné à sauver de la mort sa mère contre son gré en l'introduisant dans la matrice de la Cité et en en faisant la Reine de la Ruche, ce qui semble être la cause du détraquement du système. (Bien que, là-dessus, le récit soit d'une confusion suffisante pour que je ne me prononce pas…) Dans tous les cas, le fils génial souffre d'une fixation affective sur sa mère, générant des problèmes relationnels avec les femmes, ce qui justifie manifestement le choix du modèle de la ruche pour ses Cités, sur le plan symbolique. Et Verity, qu'il a choisi pour être son lien avec le monde et résoudre ses problèmes psychologiques, commet elle-même semblable « faute œdipienne » en imposant la survie à Braise et Caire… Abe, au nom prophétique prédestiné, souffre lui aussi d'un complexe de culpabilité, se rendant responsable de l'échec de la Cité au nom de son égoïsme. Bref, un délice pour freudien en mal de patients…

Le roman, très touffu, est desservi par un mode d'écriture (la faute à la traduction ?) tout en redondances et en redites subtilement modifiées. Un style qu'on qualifierait volontiers d'alvéolaire, pour ne pas quitter l'apiculture : les phrases tournent et se retournent, pour finalement dire toujours la même chose. L'auteur tente par là d'entretenir le suspense, ce qui se solde souvent par une confusion noire ou un échec total. (Non ? ! Pas possible que Verity soit la nouvelle Reine de la ruche ! ? Là, franchement, on l'avait pas vu venir depuis 300 pages…) Plus ennuyeux : après tant de longueurs, la solution finale au problème de Cincinnati alterne entre naïveté bâclée et obscurité. Un simple « virus » qui modifie toute la Cité, prévu des années auparavant par l'amie-amante de Durancy, c'est un peu gros, surtout après une mise en scène à la limite du grotesque d'une partie de base-ball pendant laquelle Verity répand la peste norléanaise pour guérir les habitants de la Cité Reine…

La fin est volontairement ouverte, puisque trois volumes restent à venir, mais ne crée pas de réelle attente. L'épisode est manifestement clos : la jointure avec un nouveau récit risque fort de se réduire à la chaussée du pont que traverse l'héroïne… aucun personnage, même Sphère, le jazzman passionné, l'incarnation finale du Jazz, ne parvient à nous intéresser à son destin. Tous disparaissent derrière l'ampleur presque étouffante de la Cité et de son histoire, un peu comme les abeilles sont « absorbées » par le système de la Ruche.

Au final donc, un livre très confus, tortueux, mais qui révèle néanmoins un imaginaire puissant et novateur. Peut-être la longueur de l'ensemble nuit-elle à la force évocatrice de l'auteur, peut-être la traduction ne rend-elle pas hommage à son talent. Une chose est sûre : il s'agit ici de la première incursion de Goonan dans le roman, et débuter par une tétralogie, ce n'est pas la voie la plus évidente. Il faudra donc attendre le second volume, Mississippi Blues, pour décider plus sûrement de la valeur de l'ensemble. Jusque-là, on considérera ce nouvel auteur américain fraîchement débarqué sur la scène francophone avec un peu plus que de la suspicion…

Le Feu primordial

Un roman à ne pas commencer si vous avez quoi que ce soit d'urgent à faire… Parce qu'une fois ouverte la première page, avant même le début du récit proprement dit, une carte, un plan et une liste des personnages suffisent à vous dire que vous n'en lèverez plus le nez avant l'ultime ligne. Et c'est vrai.

Un sorcier du nom d'Urbain Grandier semble sévir dans la capitale, Vienne. Galen Dubell, sorcier banni du royaume d'Ile-Rien dix ans auparavant, a été rappelé, car le docteur Sûreté, sorcier de la Cour jusqu'alors, est décédé dans d'étranges circonstances… Au même moment débarque Kade, la demi-sœur à moitié fée du roi Roland, fille de la Reine de l'air et des ténèbres, venue régler ses comptes avec son frère et sa belle-mère, Ravenna, la reine douairière au courage exemplaire et à la forte personnalité, qui maintient le pouvoir dans le droit chemin avec un art consommé de la diplomatie… Fantoche faible et impressionnable, traumatisé dans l'enfance par son père Fulstan, Roland est entièrement sous l'influence de Denzil, noble aux mystérieuses machinations, qui le dresse contre la faction de Ravenna. Thomas Boniface, ancien amant de la reine douairière et capitaine de ses gardes, doit alors tenter de maintenir un semblant d'ordre en Ile-Rien et démêler les alliances et projets de chacun, alors que la Horde des fées noires lance l'assaut — aidée par qui ? — sur le palais… On se gardera d'en dire davantage, car le suspense est si parfaitement maintenu au long du récit que ce serait sacrilège que d'en dévoiler d'autres éléments.

L'ouverture du roman est pensée comme une pièce de théâtre : plan du décor — le palais de Vienne en Ile-Rien — et liste des personnages : vingt et un exactement, sans les figurants. Le drame se déroulera en à peine quelques jours, sans sortir ou presque de ce domaine, sans ajout de personnages… et sans le moindre répit pour le lecteur. Le récit est mené de main de maître, parfaitement ficelé et avec ce qu'il faut de respiration pour ne pas se réduire à un pur scénario de film d'action. Le décor, sans fausses notes, ne révolutionne pas l'univers de la fantasy, mais ne donne pas non plus trop dans le « Donjons et Dragons » : souvent, dans le cours du texte, on oublie que circulent ici fées et sorciers tant l'univers décrit acquiert de puissance réaliste. Un roman « de cape et de fées », sans vouloir faire dans le jeu de mots simpliste… Les dialogues ne sont pas dénués d'un certain humour et évitent le ton pompeux que pourrait réclamer la nature dramatique des événements et le genre du roman. Parfois, au début surtout, on se dit que ce pourrait être du Terry Pratchett : il règne dans le quartier brûlé des premières pages une ambiance d'Ankh-Morpork, encore renforcée par la remarque de Thomas sur le fait qu'on lui a adjoint un sorcier furieusement incompétent, que le lecteur baptiserait bien Rincevent. Ne confondons pas tout de même pas : le ton du récit reste sérieux, et, si humour il y a, il est bien souvent teinté de noirceur ironique.

Bref, sans chercher à renouveler les codes et canons propres à la fantasy, Martha Wells produit une œuvre parfaitement maîtrisée, palpitante, qui procure un réel plaisir de lecture — ce qui semble être le moins que l'on puisse attendre d'un livre et qui pourtant, en ces temps de production pléthorique, est loin d'être si courant… Vous savez donc ce qui vous reste à faire : ajouter Le Feu primordial à votre bibliothèque, tout simplement.

Périphériques

Michel Houellebecq donne, dans un article publié dans la NRF en avril 2002, une définition de ce que peut faire la science-fiction lorsqu'elle est judicieusement exploitée : réaliser une authentique mise en perspective de l'humanité, de ses coutumes, de ses connaissances, de ses valeurs, de son existence même ; étant ainsi, au sens le plus authentique du terme, une littérature philosophique. Les romans de Dantec collent parfaitement à cette définition. En lisant Les Racines du mal, Babylon babies ou la superbe novella « Là où tombent les anges », on se doute que leur auteur n'hésite guère à plonger ses mains dans le chaos métaphysique. Quitte à ce qu'elles en ressortent avec quelques stigmates. Ce recueil est là pour nous le confirmer, que ce soit au travers des textes critiques ou de l'interview minutieuse, quasi chirurgicale, conduite par Richard Comballot. La chair de la fiction et les nerfs de la critique s'y greffent pour engendrer en une mystérieuse alchimie, en une miraculeuse transsubstantiation, en une infinie recombinaison du grand séquenceur verbomoteur, le portrait pixellisé de l'auteur.

À côté des textes précités, la thématique beaucoup moins tendue, voire saupoudrée d'humour qui habite ses premières nouvelles : « Dieu porte-t-il des lunettes noires ? » ou « THX Baby », n'est pas sans rappeler certains récits d'Andrew Weiner, comme « Fugue » ou « Devenir indigène ». De petites perles où le cocasse alterne avec l'angoisse.

La lecture des textes critiques dans l'ordre chronologique nous révèle qu'au fil des années, Maurice Dantec s'imprègne, s'imbibe, se nourrit de sa propre fiction et que la distance qui le sépare de ses écrits s'amenuise de plus en plus pour, peut-être un jour, disparaître et donner naissance à une sorte d'entité hybride, une copulation virale, une usine à produire le réel, le grand Broyeur de la Nouvelle Synthèse Sub-Réaliste qui établira définitivement les premiers principes de thermodynamique transfictionnelle chers à l'auteur. Maurice G. Dantec, tout comme Philip K. Dick il y a quelques années, devient, par le biais d'une hallucinante transmigration verbomotrice, Le Livre duquel il arrache les pages de ses fictions.

À ce titre, ce recueil, en alternant articles, entretiens, conférences, nouvelles et discours, brosse un portrait-miroir passionnant de l'auteur et de son œuvre et démontre une fois de plus que le tout est bien supérieur à la somme des parties.

Alors si vous ne voulez pas rater le train pour Villa Vortex, foncez tout de suite sur les périfs1 !

 

Notes :

1. Autres périphériques conseillés : Les larmes de Nietzsche — Richard Pinhas (préface de Maurice Dantec) — Flammarion — 2001 ; Schizotrope III (Richard Pinhas & Maurice Dantec) le/pli — CD 73' — Emma production — 2001

Le Sens du vent

C'est de l'excès permanent que procède le charme de la « Culture ». Autant la civilisation galactique que la série de livres qui en détaille les avatars et les avanies, car Banks adapte la forme au fond, jouant à l'occasion les Ponson du Terrail modernes. « Jouant » est le mot-clé : Banks tient la langue anglaise à sa merci, la malmène et la promène, aussi à l'aise dans l'action démesurée que dans les conversations de cocktail oiseuses et hachées qui sont l'activité principale de tant de citoyens de la « Culture ».

Pour lui remettre les pieds sur terre, pour que les romans aient quelque chose à raconter, il faut bien que la « Culture » se confronte à des civilisations moins avancées, moins bienveillantes. Elle ne court jamais le risque de perdre mais peut infliger à ses adversaires des défaites honteuses, dont les conséquences mettent à mal ses principes même : démocratie et respect des créatures douées de raison. Prenez les Chelgriens : leur société commençait à se débarrasser de son archaïque et révoltant système de castes. L'interventionnisme sans finesse de la « Culture » a précipité une guerre civile. Quatre milliards de morts, une société profondément meurtrie, un quarteron de fanatiques ne rêvant que de revanche. Et le compositeur Ziller, peut-être le plus grand artiste de la civilisation chelgrienne, qui avait choisi de s'exiler sur une Orbitale de la « Culture », n'a aucune envie de revoir sa planète natale, ni non plus Quilan, l'émissaire qu'elle lui envoie…

Ziller et Quilan fournissent un rude et permanent contrepoint à l'hédonisme évaporé de la « Culture » ; le premier parce qu'il remet sans cesse en cause ses activités de loisir extravagantes (excellent prétexte saisi par Banks pour nous les décrire en détail et augmenter d'autant la longueur du livre) ; le deuxième parce qu'il impute à la « Culture » la responsabilité de la mort de son épouse, seul amour de sa vie. Sans qui il perd toute raison de vivre, ce qui fait de lui le parfait candidat pour une mission-suicide clandestine. Parce qu'ils souffrent, parce qu'ils se consacrent à des idées plus grandes qu'eux-mêmes, Ziller et Quilan sont les deux personnages les plus attachants du roman (et peu importe qu'ils ressemblent à des tigres dotés de quelques membres supplémentaires). Et pourtant, face aux machines surpuissantes de la « Culture », le résultat de leurs efforts est insignifiant…

La leçon n'est pas nouvelle : c'était déjà celle de Une Forme de guerre, dont le titre original (Consider Phlebas) voisine avec celui du présent ouvrage (Look to Winward) dans le poème de T. S. Eliot dont ils sont tous les deux tirés. On retrouve d'ailleurs ici, en arrière-plan historique, la guerre Idirane. De même qu'on retrouve une poignée d'éléments glanés dans d'autres romans de la série, comme la construction en flash-backs analogue à celle de L'Usage des armes. Et bien sûr, une débauche de paysages et d'artefacts. Mais pas de voitures automobiles, en dehors des camions militaires Chelgriens : en bonne utopie anarcho-communiste, la « Culture » propose une abondance de transports collectifs. À cela près, pourtant, elle n'a jamais autant ressemblé aux États-Unis : un immense jardin pour des citoyens gâtés, contents d'eux-mêmes et de leurs grands principes, défendus sur leurs frontières par un dispositif militaire (les Circonstances Spéciales) qui se montre teigneux. Jusqu'à la description de la guerre Idirane, et sa conclusion par la Bataille des Novae Jumelles, qui évoque immanquablement la guerre du Pacifique entre Américains et Japonais. Sans même parler de la perspicacité dont fait preuve le livre en matière de relations internationales : un an après sa sortie en 2000, des fanatiques religieux ulcérés par les contradictions internes de leur propre société commettaient aux USA de spectaculaires attentats-suicides. Dead Air, dernier livre en date de Iain Banks, l'alter-ego de littérature générale de Iain M. Banks, tourne autour du 11 septembre 2001. En attendant « l'air mort », vous pouvez toujours vous plonger dans Le Sens du vent, c'est plus léger, Banks y exerce sa verve et son humour cruel, même s'il ne renouvelle pas la « Culture ».

Le Talent assassiné

Tout commence comme un des carnets de voyage de Francis Valéry disponibles sur internet. L'auteur se met en scène dans son quotidien1 et, en l'occurrence, il raconte un voyage à Paris qu'il effectue afin de rencontrer son éditeur, Gilles Dumay. Mais tandis qu'il marche pour aller à son rendez-vous, une explosion le fauche et il tombe dans le coma. Exit Francis Valéry : le narrateur qui rentre en scène s'appelle Jean-Hubert de la Thibaudière et débute son récit par… une visite chez son éditeur, Gilles Dumaysberg… Le roman va dès lors suivre les pas de cet écrivain pour la jeunesse qui, peu à peu, se rend compte de son véritable statut… Sur fond de crimes, à commencer par celui de Dumaysberg tué en pleine action (besognage de stagiaire…), JH rencontrera d'autres auteurs qui, comme lui, sont en situation d'incomplétude, des rencontres qui vont l'aider à comprendre le rapport qu'il entretient avec ces derniers et le mystérieux tueur.

Entrecoupé de passages biographiques et d'un récit dans le récit, Le Talent assassiné est un roman riche. Riche par sa forme, d'abord, assez libre — d'aucuns diront post-moderne —, et qui mêle plusieurs récits enchâssés dont toutes les clés ne sont pas forcément livrées. L'écriture change en fonction des narrateurs et se fait volontiers plus vive, drôle voire non-sensique lorsque JH est aux commandes. Ceci n'est pas gratuit et s'explique par les circonstances qui président à la création de l'histoire que vit de la Thibaudière.

Riche ensuite par les thèmes abordés. Valéry part d'éléments biographiques très concrets pour dériver, par le biais d'une intrigue fine mais loin d'être très originale, vers des sujets qui lui tiennent à cœur. L'écriture, le milieu de l'édition, l'art, les femmes, le Rock n' Roll, le cul, l'enfance, Jim Morrison et même Roswell sont ainsi abordés d'une façon naturelle et personnelle. Quant aux divers clins d'œil qui émaillent le récit, gageons qu'ils feront sans doute sourire les habitués du fandom et de l'édition parisienne…

Difficile, donc, de classer pareil ouvrage. On est dans du mainstream mâtiné de fantastique, alors que l'histoire même emprunte ici au polar, là au porno. Fervent défenseur de ce qu'il nomme « Fusion » dans son guide Passeport pour les étoiles (Folio "SF"), Valéry livre ici un modèle du genre qui, s'il n'est pas un manifeste, demeure un bon exemple de ce qu'il est possible de faire en mêlant sans restriction différents types de littératures et d'écritures. Malgré quelques scènes qui font perdre de l'intérêt à l'ensemble, notamment les histoires d'amours du milieu du bouquin, on prend plaisir à s'égarer dans la (les) tête(s) d'un auteur qui se livre avec largesse. À lire en tous cas.

 

Notes :

1. Lire « Le Talent assassiné : annexe temporaire », texte inédit de Francis Valéry publié dans le présent numéro (p.. 158), pour se rendre compte de la manière particulière de cet auteur sur cet ouvrage. (NDRC)

Mars Heretica

La Terre et Mars sont en guerre. Une guerre de religion qui oppose la très rigoriste et hégémonique Eglise de Sol III et les sages martiens du Néo-Perfectisme. C'est dans cet univers qu'un homme, Jaufré Faydit, recueille sur Terre, après un combat de rue organisé, une jeune femme nommée Sieglinde. Il découvre que celle-ci est une Martienne, adepte de la sagesse Néo-Perfectiste, qui a fui son monde jusque sur Terre. Elle va s'avérer utile pour qu'il puisse mener à bien sa mission. Laquelle demeure bien mystérieuse : on ne sait pas bien quel est le but de Faydit, ni quel est son employeur. Ni d'ailleurs qui il est, certains indices laissant à penser qu'il n'est pas tout à fait celui qu'il prétend être au départ. Ensemble, Jaufré et Sieglinde vont aller sur Mars, où l'aventure ne fait que commencer. Et ils se retrouvent en plein cœur de la guerre entre Terriens et Martiens, à mesure que les origines et les desseins des uns et des autres se révèlent au grand jour…

Mars Heretica marque le passage de Claire et Robert Belmas au roman, après les nouvelles publiées ici et là, puis réunies en partie dans le « fix-up » Chroniques des Terres Mortes. Peut-on parler de tentative réussie ? Pas vraiment. En effet, si le style est assuré, efficace et sans fioriture, si l'intrigue progresse de manière satisfaisante, alternant scènes d'action et révélations, le roman laisse une impression mitigée. La faute sans doute au caractère quelque peu artificiel du roman. On ne croit pas vraiment aux personnages — notamment aux personnages principaux — et la mise en scène sent un peu trop le carton-pâte. Bien sûr, il s'agit là d'un roman de pure action, ainsi l'ont voulu les deux auteurs qui n'en font pas mystère (comme le prouve la dédicace à Stefan Wul, B.R. Bruss, F. Richard-Bessière et Julia Verlanger). Mais à trop vouloir insister sur le caractère « pif-paf » et le rythme effréné des péripéties, les auteurs en oublient quelque peu de camper des personnages ayant une vraie épaisseur. De telle sorte que l'on finit par s'ennuyer, ce qui est bien le comble pour un roman de ce type. Bref, un livre maîtrisé mais qui manque paradoxalement de souffle, malgré le caractère trépidant de son intrigue. Bof.

L'Empire de la poussière

Un univers en forme de gouffre. Immense et en perpétuel affaissement. Empli de cités « volantes », reliées entre elles par des voies commerciales empruntées par des dirigeables dont les ballons sont en fait d'énormes créatures. Celles-ci sont du reste à l'origine de la plupart des industries de l'Empire de poussière : leur chitine est utilisée pour la construction de nombre de produits manufacturés. C'est dans ce décor particulier qu'évoluent les protagonistes, essentiellement répartis entre deux peuplades elfiques antagonistes, les Dökkalfars, plutôt belliqueux, et les Ljosalfars, qui vivent davantage en harmonie avec leur environnement. Au centre de l'intrigue, la naissance d'un être parfait, censé rétablir l'équilibre entre Dökkalfars et Ljosalfars et résorber l'affaissement général des cités jusqu'au Niflheimr, le fond du gouffre. Un double être parfait, car il s'agit en définitive de jumeaux. Eïla et Falko sont d'abord recueillis par deux volväs, prêtres ljosalfars, qui les séparent pour les cacher et, ce faisant, éviter que l'Heptarchie, le gouvernement qui régit ce monde emmené par le vil Odmar, ne les supprime avant qu'ils n'accomplissent leur destin suprême. Pourtant, il faudra bien qu'un jour les jumeaux sortent de leur cachette pour révéler leur existence à tout l'Empire de Poussière…

La première réaction, à la vue de ce livre, c'est malheureusement un constat trop souvent fait ces dernières années : il s'agit, encore et toujours, du premier tome d'un cycle. Nicolas Bouchard, en bon « faiseur », avait jusque-là écrit un certain nombre de romans (qu'on échelonnera du bon au très moyen) qui se lisaient indépendamment. Et on l'appréciait aussi pour cela. Sans doute a-t-il jugé que son histoire nécessitait davantage d'espace. On se retrouve ainsi avec un livre inachevé une fois la dernière page tournée, chose hautement énervante. Néanmoins, une fois cette première réaction passée, on peut se plonger dans le roman, et trouver que Bouchard réussit à nous livrer un roman d'aventures/apprentissage réussi, car haut en couleurs et peuplé de personnages attachants. Une imagination débordante, qui débouche sur la création d'un univers étrange que l'on découvre peu à peu : rarement livre aura été autant basé sur les mythologies scandinaves que celui-ci. Peut-être trop, car le prix à payer est une surcharge de noms nordiques, parfois difficiles à assimiler pour qui n'a pas envie de prendre des notes, sans que, toutefois, cela ne nuise véritablement à la lecture. Bref, un livre sympathique et rythmé, qui souffre toutefois de quelques longueurs, et dont on aurait aimé qu'il fût davantage un roman autonome que le premier tome (de cinq cent pages) d'un énième cycle de fantasy. Parce que ça, vraiment, ça commence à bien faire…

Utopiae 2002

À l'heure actuelle, Utopiae est la seule anthologie originale disponible. Certes, on peut trouver un best of francophone annuel au Bélial' (le SF 2000-2002), pléthore d'anthologies thématiques qui vont des sujets les plus bateaux (l'érotisme) aux plus improbables (les cochons), en passant par le hard boiled S-F et les invasions. Il y avait eu les Escales du Fleuve Noir et les Horizons lointains de R. Silverberg en « Millénaires »… Aussi, quand il n'y a pas d'antho, il en faut.

Et Bruno Della Chiesa s'est engagé, avec l'appui des éditions l'Atalante, sur les traces des pionniers des S-F exotiques que furent Jean-Pierre Moumon et Bernard Goorden. On retrouve d'ailleurs au sommaire le Brésilien Roberto De Sousa Causo, que l'on avait pu lire naguère dans Antarès, la publication dirigée par Moumon, et qui figure ici en compagnie de deux autres latino-américains.

La vraie curiosité est bien sûr la nouvelle de l'Indien Ashok K. Banker. Elle ouvre ici ce recueil sur le thème de la transmigration de l'âme du martyr dans l'enveloppe charnelle du bourreau, sujet jadis traité par feu Marion Zimmer Bradley puis par Serge Lehman dans un de ses meilleurs textes, « Dans l'abîme ».

W. Jeschke aborde la traque des résistants arabes à la mondialisation occidentale par des moyens à la fois génétiques et nanotechnologiques et de hideuses armes non létales d'autant plus odieuses que bien pensantes sur une Terre qui rappelle un peu Ventus de K. Schroeder.

Dans « La Plus belle femme du monde », de Roberto de Sousa Causo, les extraterrestres sont venus et repartis, dégoûtés que nous ne valions pas mieux qu'eux.

L'Espagnol Rodolfo Martinez produit ici un texte sans intérêt où le dernier homme vient mourir à bord d'un train automatique.

La fable anti-féministe du Tchèque Jan Polacek amuse en mettant en scène une société où la libido mise à contribution pour produire de l'énergie est censée être stimulée par ses propres produits technologiques. Celle du héros étant davantage stimulée par le sexe opposé, le voici déporté sur une île déserte qui servira de jardin d'Eden.

James Morrow revisite sa thématique eschatologique selon l'humour absurde de Robert Sheckley, ou les aventures de deux missionnaires rationalistes chez les robots intégristes darwiniens.

« L'Ouragan » de Jean-Marc Ligny est un beau texte, intimiste et juste. Sur fond de catastrophe écologique globale, il nous livre un drame sans en faire trop, ce qui n'en donne que plus de force à sa nouvelle.

Le texte du mexicain Roberto Lopez Moréno oscille entre La Rédemption de Christophe Colomb d'O.S. Card et En des Cités désertes de Lewis Shiner. Les Mayas y sont maîtres de l'espace et du temps…

Lucas Masali fait très fort : des sorcières féministes ressuscitent Nicolas Eymerich, l'inquisiteur médiéval, dans le corps d'un pape réactionnaire mais trop matérialiste à leur goût afin d'avoir un adversaire digne de ce nom et justifier leur existence.

« Les Jardiniers du monde » de Jean-Louis Trudel, qui nous a habitués à mieux, n'a aucun intérêt.

Dans « Le Métayer », Liz Williams met en scène la résistance agricole de paysans musulmans ouzbeks face à un état fasciste vendu aux capitalistes pourvoyeurs d'OGM.

Avec le texte du Cubain Yoss, on traite de l'invasion en revenant aux prémices du Canal Ophite de John Varley.

La lecture de cette anthologie est révélatrice de la capacité, voire de la nature même, de la S-F à gommer les particularismes locaux au profit d'une expression de l'imaginaire de l'Occident chrétien et technologique qui ne varie guère d'un pays à l'autre. La S-F apparaît donc ici comme un élément actif de la mondialisation de l'imaginaire selon le canon anglo-saxon, quand bien même elle est critique. Et en France, critique, la S-F l'est la plupart du temps, sans jamais toutefois déroger au politiquement correct. Or, cette critique n'est qu'un mode de la rebelle-attitude en kit aseptisé que les marchés sont rompus à vendre.

Les textes de Banker et Moréno, qui ont les plus forts ancrages locaux — dans la spiritualité traditionnelle de l'Inde et l'histoire précolombienne — s'apparentent néanmoins sans difficulté à d'autres textes du panthéon S-F. L'Occident a depuis longtemps, et c'est sa force, appris à intégrer de telles données et à les traiter. C'est une sorte de civilisation virale qui pénètre les autres et les fait tourner à son profit ; ainsi deux textes européens exploitent-ils l'Islam. Non seulement il intègre les caractéristiques utiles, mais surtout fait produire de l'occidentalisation.

Cette anthologie internationale a le mérite de nous permettre de voir à l'œuvre le mécanisme consistant à instiller la pensée occidentale chez autrui par le truchement de son autocritique afin de se rendre familière et de dédramatiser les méfaits du capital. Même si le texte de Liz Williams n'est pas publié en terre d'Islam, il finira par toucher, par percolation, quelques musulmans. Et il n'est qu'un des grains de sable du désert…

Utopiæ 2002 intéressera davantage par ce qu'elle révèle à travers son concept que par les textes qui y sont inclus. Néanmoins, la plupart se lisent agréablement.

La Science-Fiction

Suffisamment rares sont les ouvrages sur notre genre de prédilection pour que nous n'omettions point d'en parler (même avec un an de retard !).

Mais avant toute chose, tâchons de déterminer à qui s'adresse celui-ci.

Certainement pas aux connaisseurs, non, mais plutôt à tous ceux qui veulent savoir ce qu'est cette bête étrange que l'on nomme science-fiction et à qui il apparaît nécessaire ou souhaitable de savoir de quoi il en retourne. Aux profs, par exemple…

Les auteurs commencent par essayer de répondre à la question : « Qu'est-ce que la science-fiction ? » Ils abordent sa dimension anticipative, sa vision technoscientifique et son approche rationaliste, soulignent qu'il s'agit d'une littérature spéculative et non pas prophétique, axée sur l'exploration de divers possibles soumis à condition et non sur une quelconque prédictibilité.

Ainsi, la S-F explore non seulement ce qui pourrait se passer lorsque les E.T. viendront (s'ils viennent, s'il y en a), mais aussi ce qui se passerait s'ils étaient déjà venus, si l'Axe avait gagné la Deuxième Guerre Mondiale, etc.

Les auteurs tentent également de définir la S-F par rapport à des genres voisins avec lesquels on (le béotien) tend à la confondre : le merveilleux, la fantasy, le fantastique, l'utopie, etc. Après quoi ils approfondissent quatre types de S-F : le space opera, la hard science, le cyberpunk et le steampunk.

Cette introduction terminée, nous est proposé un historique du genre, suivi d'une recension des thématiques qui constitue le gros de l'ouvrage. Les auteurs les parcourent, de la conquête spatiale à l'uchronie en passant par les extraterrestres, le voyage temporel, les sociétés futures, mutants, ordinateurs et autres robots, l'impact de la science sur l'homme, la politique, la métaphysique et l'eschatologie, le réel et le virtuel, les univers parallèles. Un dernier chapitre, enfin, est consacré au traitement humoristique. À cette exception près, les auteurs esquivent le débat sur la forme et c'est peut-être dommage.

Le principal défaut de l'ouvrage tient à ce qu'il s'apparente trop à un catalogue de la production de S-F en France. Paradoxalement, c'est aussi ce qui fait sa qualité et révèle combien les auteurs sont des prosélytes qui aiment le genre et connaissent sur le bout des doigts ce qui s'est publié dans l'Hexagone, au point que l'on peut critiquer l'excès de citations. Un auteur actuel et abondant, comme Pierre Bordage, y voisine avec la production plus discrète mais exigeante d'une Sylvie Denis, des space opera oubliés d'un Maurice Limat au Fleuve Noir ou des anciens tels que Rosny Aîné. Du coup, les annexes constituent une autre force de l'essai. Elles sont au nombre de cinq. Un dictionnaire des principaux auteurs avec notices biographiques ; un glossaire pratique des termes spécifiques pour ceux qui n'y connaîtraient vraiment rien ; un répertoire des fort nombreuses œuvres citées (livres, BD et films) classées par auteurs ; un index des notions et un index des noms propres. On déplorera que le répertoire des œuvres ne bénéficie pas d'un renvoi de page et qu'il faille transiter par l'index des noms pour accéder au texte depuis une référence. Il faut aussi noter que seule la production traduite est prise en compte ; le livre fait comme si ce qui n'a pas été traduit n'existait tout simplement pas.

C'est un ouvrage essentiellement descriptif. Pas une œuvre critique. D'une manière générale, les auteurs s'abstiennent de commenter le genre. Ils n'opèrent pas de distinguo entre une S-F animée de véritables ambitions littéraires, tant stylistique que problématique, d'une autre ayant avant tout vocation divertissante (nonobstant le fait qu'il existe de bons divertissements et des spéculations médiocres). On pourra donc considérer comme regrettable qu'un ouvrage destiné en priorité à des béotiens ne demandant qu'à apprendre présente la S-F comme si tout y était intéressant.

Avant de conclure, il nous faut abonder dans le sens des auteurs qui voient depuis 20 ans un certain affadissement du genre, pour ne pas dire un affadissement certain. Le nier reviendrait à adopter la politique de l'autruche. La S-F est un produit culturel des XIXe et XXe siècles où dominait une idéologie de progrès ; elle ne saurait être une littérature du XXIe siècle tel qu'il s'annonce, au mieux conservateur, voir réactionnaire. Ainsi Francis Fukuyama, l'éminence grise (brune) de Reagan qui s'est fendu d'un ouvrage intitulé La Fin de l'Histoire, où il estime le capitalisme indépassable, vient de récidiver avec La Fin de l'Homme, essai ultraréactionnaire sur la bioéthique parce qu'une transcendance de l'humanité représente une menace pour le capitalisme. C'est cette pensée, rigoureusement hostile au concept même de science-fiction, qui aujourd'hui domine totalement le bassin culturel de la S-F, l'Occident. Aussi notre littérature de prédilection est-elle pour l'heure vouée à ressasser les clichés du genre selon un canon politiquement correct, en passant sous les fourches caudines d'un terrorisme intellectuel plus virulent que jamais. Les bons ouvrages spéculatifs, tel Le Feu sacré de Bruce Sterling, sont désormais la portion congrue, très congrue. À l'inverse, foisonnent les ouvrages de fantasy médiévale véhiculant une idéologie féodale et un obscurantisme de mauvais aloi où l'homme est livré à des forces qui le dépassent (sans doute les forces du marché). Difficile d'imaginer un contexte macroculturel moins favorable à la S-F. Il lui incombe néanmoins de porter l'espoir du progrès et d'imaginer un monde meilleur, ne serait-ce qu'en critiquant celui-ci, comme le firent les auteurs des années 60/70.

La Science-Fiction est un ouvrage didactique de base, à caractère essentiellement descriptif, qui ne s'adresse pas aux fans chevronnés. Les autres y trouveront un panorama qui pourra leur être utile. Les connaisseurs y puiseront de quoi alimenter leurs querelles de chapelle, opposer moult objections, polémiquer à loisir et animer maintes controverses, mais rien de rédhibitoire qui permette de vouer l'ouvrage aux gémonies.

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