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Les Furies de Borås

[Critique commune à L'Abomination d'InnswichLe Piège de Lovecraft et Les Furies de Borås.]

Piqûre de rappel après le numéro 73 de Bifrost, et démonstration qu’il y a toujours une actualité lovecraftienne. Trois publications récentes constituent en effet, à titres divers, des hommages au Maître de Providence ou des variations sur son œuvre (et encore, sans compter ce qui s’est publié en numérique, mais ne poussons pas le shoggoth dans les orties…) ; trois approches radicalement différentes, pourtant, de cette matière commune ; et, comme de juste, le résultat est plus ou moins bon…

La revue Mythologica, parallèlement à son numéro spécial Lovecraft (eh) abordé plus avant dans nos pages dans « Le coin des revues » de Thomas Day, a également publié L’Abomination d’Innswich d’Edward Lee, titre ne laissant guère de doute sur l’objet du livre. Il s’agit bien ici de reprendre la fameuse nouvelle de Lovecraft qu’est « Le Cauchemar d’Innsmouth », avec ce riche dilettante, lovecraftien précoce d’une naïveté confondante, qui fait du tourisme en Nouvelle-Angleterre sur les pas du Maître. Il arrive ainsi dans la ville d’Olmstead (nom du narrateur de ladite nouvelle), et y découvre tant de coïncidences que cela ne peut être le fait du hasard ; de toute évidence, Lovecraft est passé par ici, et y a puisé son inspiration. Et sans doute pas seulement pour les noms propres… Un pastiche anecdotique, et certainement pas « pour public averti », en dépit des prétentions de la quatrième de couverture. Ça colle énormément à la nouvelle originale et ne surprendra guère le lecteur, mais ça se révèle malgré tout honnête, et c’est déjà pas mal ; une lecture distrayante pour amateur de lovecrafteries pas trop exigeant.

On passe à quelque chose de bien plus intéressant avec Le Piège de Lovecraft d’Arnaud Delalande, auteur à succès du Piège de Dante. Il s’agit cette fois d’un thriller ésotérique dans lequel le narrateur, confronté à la folie d’un camarade étudiant qui commet un meurtre de masse avant de se suicider sous ses yeux, en vient à s’intéresser à Lovecraft, au « Mythe de Cthulhu » (notamment dans ses variantes ludiques), et tout particulièrement aux « livres maudits », Necronomicon en tête. Bien entendu, se pose très vite la question de l’existence réelle, sous une forme ou une autre, de l’ouvrage de l’Arabe dément Abdul Alhazred… Mais la quête du narrateur va au-delà, baignant dans l’horreur cosmique et visant à circonscrire le mal à l’état métaphysique. On se doute là encore très vite de comment cela va finir, ce qui pourrait être rédhibitoire, d’autant que la pirouette finale, outre son évidence, a quelque chose d’arrogant, pour ne pas dire mégalomane. Et pourtant, ça marche. Car Arnaud Delalande se montre un conteur efficace qui sait promener le lecteur, bien aidé par une intrigue malgré tout palpitante et une plume agréable. Plus malin qu’il n’en a l’air, et assurément ludique, Le Piège de Lovecraft constitue donc, en dépit de quelques défauts notables, une bonne surprise.

Le plus intéressant de ces trois volumes, cependant, est de loin Les Furies de Borås du Suédois Anders Fager, aux éditions Mirobole. Il s’agit d’une sélection de nouvelles piochées dans trois recueils, et quelle sélection ! On est là, de toute évidence, devant de l’excellente littérature fantastique, comme on n’en avait probablement pas lu depuis longtemps (hélas…). Anders Fager se place bel et bien dans la lignée de Lovecraft (les références ou allusions ne manquent pas, toujours réjouissantes), mais en modernisant sa matière ; aussi peut-on à juste titre le comparer à Stephen King (la quatrième de couverture ne s’en prive pas), mais aussi, sans doute, au Clive Barker des « Livres de sang ». Du sexe, du sang, des tentacules : joli programme pour un superbe recueil qui fait mouche à tous les coups, et dont les textes se répondent habilement. On se régale ainsi de ces jeunes ménades qui vont danser (et plus puisque affinités) dans les bois, de ce gamin qui fait l’apprentissage du mal auprès de « lapins-caca » pas tout à fait innocents, de cette femme (?) entourée d’aquariums et avide de conquêtes, de cet inexplicable suicide collectif de vieillards… ou, dans le passé, de la terrible vengeance d’un homme brisé par l’horreur de la guerre, voire encore de cette séance fondatrice à l’aube de la psychanalyse. Tout le recueil, à vrai dire, pourrait y passer. Répétons-le, ça le mérite : Les Furies de Borås comblera tout amateur d’horreur ; indispensable. 

Le Piège de Lovecraft

[Critique commune à L'Abomination d'InnswichLe Piège de Lovecraft et Les Furies de Borås.]

Piqûre de rappel après le numéro 73 de Bifrost, et démonstration qu’il y a toujours une actualité lovecraftienne. Trois publications récentes constituent en effet, à titres divers, des hommages au Maître de Providence ou des variations sur son œuvre (et encore, sans compter ce qui s’est publié en numérique, mais ne poussons pas le shoggoth dans les orties…) ; trois approches radicalement différentes, pourtant, de cette matière commune ; et, comme de juste, le résultat est plus ou moins bon…

La revue Mythologica, parallèlement à son numéro spécial Lovecraft (eh) abordé plus avant dans nos pages dans « Le coin des revues » de Thomas Day, a également publié L’Abomination d’Innswich d’Edward Lee, titre ne laissant guère de doute sur l’objet du livre. Il s’agit bien ici de reprendre la fameuse nouvelle de Lovecraft qu’est « Le Cauchemar d’Innsmouth », avec ce riche dilettante, lovecraftien précoce d’une naïveté confondante, qui fait du tourisme en Nouvelle-Angleterre sur les pas du Maître. Il arrive ainsi dans la ville d’Olmstead (nom du narrateur de ladite nouvelle), et y découvre tant de coïncidences que cela ne peut être le fait du hasard ; de toute évidence, Lovecraft est passé par ici, et y a puisé son inspiration. Et sans doute pas seulement pour les noms propres… Un pastiche anecdotique, et certainement pas « pour public averti », en dépit des prétentions de la quatrième de couverture. Ça colle énormément à la nouvelle originale et ne surprendra guère le lecteur, mais ça se révèle malgré tout honnête, et c’est déjà pas mal ; une lecture distrayante pour amateur de lovecrafteries pas trop exigeant.

On passe à quelque chose de bien plus intéressant avec Le Piège de Lovecraft d’Arnaud Delalande, auteur à succès du Piège de Dante. Il s’agit cette fois d’un thriller ésotérique dans lequel le narrateur, confronté à la folie d’un camarade étudiant qui commet un meurtre de masse avant de se suicider sous ses yeux, en vient à s’intéresser à Lovecraft, au « Mythe de Cthulhu » (notamment dans ses variantes ludiques), et tout particulièrement aux « livres maudits », Necronomicon en tête. Bien entendu, se pose très vite la question de l’existence réelle, sous une forme ou une autre, de l’ouvrage de l’Arabe dément Abdul Alhazred… Mais la quête du narrateur va au-delà, baignant dans l’horreur cosmique et visant à circonscrire le mal à l’état métaphysique. On se doute là encore très vite de comment cela va finir, ce qui pourrait être rédhibitoire, d’autant que la pirouette finale, outre son évidence, a quelque chose d’arrogant, pour ne pas dire mégalomane. Et pourtant, ça marche. Car Arnaud Delalande se montre un conteur efficace qui sait promener le lecteur, bien aidé par une intrigue malgré tout palpitante et une plume agréable. Plus malin qu’il n’en a l’air, et assurément ludique, Le Piège de Lovecraft constitue donc, en dépit de quelques défauts notables, une bonne surprise.

Le plus intéressant de ces trois volumes, cependant, est de loin Les Furies de Borås du Suédois Anders Fager, aux éditions Mirobole. Il s’agit d’une sélection de nouvelles piochées dans trois recueils, et quelle sélection ! On est là, de toute évidence, devant de l’excellente littérature fantastique, comme on n’en avait probablement pas lu depuis longtemps (hélas…). Anders Fager se place bel et bien dans la lignée de Lovecraft (les références ou allusions ne manquent pas, toujours réjouissantes), mais en modernisant sa matière ; aussi peut-on à juste titre le comparer à Stephen King (la quatrième de couverture ne s’en prive pas), mais aussi, sans doute, au Clive Barker des « Livres de sang ». Du sexe, du sang, des tentacules : joli programme pour un superbe recueil qui fait mouche à tous les coups, et dont les textes se répondent habilement. On se régale ainsi de ces jeunes ménades qui vont danser (et plus puisque affinités) dans les bois, de ce gamin qui fait l’apprentissage du mal auprès de « lapins-caca » pas tout à fait innocents, de cette femme (?) entourée d’aquariums et avide de conquêtes, de cet inexplicable suicide collectif de vieillards… ou, dans le passé, de la terrible vengeance d’un homme brisé par l’horreur de la guerre, voire encore de cette séance fondatrice à l’aube de la psychanalyse. Tout le recueil, à vrai dire, pourrait y passer. Répétons-le, ça le mérite : Les Furies de Borås comblera tout amateur d’horreur ; indispensable. 

L'Univers de carton

Dans le cadre de la collection « Lot 49 », le Cherche-Midi propose de découvrir la vie et l’œuvre de l’écrivain de science-fiction américain Phoebus K. Dank (1953-2006). Obèse reclus, marié à de multiples reprises, écrivain compulsif, agoraphobe illuminé, manifestement fou, Dank n’a pas vécu pour voir la reconnaissance que ses textes connaissent depuis sa mort tragique. De nombreux films sont annoncés alors que les rééditions se multiplient. Ecrit à qua-tre mains par William Boswell et Owen Hirt, cette somme — intégralement constituée d’entrées alphabétiques — fait l’inventaire raisonné de ses romans et nouvelles, le tout agrémenté de plusieurs fiches biographiques. Les deux auteurs ont bien connu Dank. Boswell est le gardien du temple, il idolâtre Dank qui est à ses yeux le plus grand écrivain américain. Hirt, au contraire, le dénigre fielleusement. Chacun trouve dans l’écriture de cette encyclopédie un long défouloir à leurs propres carrières littéraires ratées. Le premier est un universitaire, qui a longtemps été son locataire et qui a passionnément consacré sa vie à l’exégèse dankienne. Le second est recherché par la police afin de l’entendre sur son rôle dans l’assassinat de Dank… Au fil des différentes fiches, il s’établit un dialogue à distance entre les deux hommes qui permet de comprendre le secret de la vie et de la mort de PKD. La science-fiction de Dank est d’une médiocrité assez constante, et, comme le reconnaît Boswell : « Le meilleur dans ses œuvres ce sont les prémisses — les idées étonnantes qui ont donné naissance aux nouvelles et aux romans. » Pétri d’obsessions adolescentes pour les femmes callipyges qui s’offrent à des héros virils à l’outrance, le corpus dankien est cependant parcouru de fulgurances, comme dans son roman Big Dick où il imagine un monde dans lequel un écrivain de science-fiction du nom de Philip K. Dick écrit un roman dont Phoebus K. Dank serait un personnage…

Ce roman du double se sert bien évidemment de la figure et de la vie de Dick pour créer son avatar fictif, Dank — procédé déjà utilisé par Steve Aylett dans sa biographie imaginaire de Lint (2005). Mais le propos n’est pas Dick lui-même, et encore moins l’histoire de la science-fiction. Le cœur du projet de Christopher Miller se dessine lentement, en kaléidoscope, à mesure que la lecture progresse. Il s’attaque aussi bien aux milieux universitaires que littéraires. Il s’attaque aussi à son lecteur en multipliant les pistes et axes de lectures (il est tout aussi possible de lire linéairement qu’en suivant les renvois de fiche en fiche.) Il parle de l’écriture et de l’imagination, du sublime et du minable, le tout dans un grand éclat de rire.

La mécanique du texte — entre délire organisé et satire méticuleuse — prend un tour particulièrement savoureux quand le traducteur, Claro (qui est aussi l’éditeur français du livre), entre également dans la danse, faisant partager ses doutes, soucis et inquiétudes sur son propre travail, s’avérant au final, pour notre plus grand plaisir, aussi peu fiable que les multiples auteurs du Guide du monde de Phoebus K. Dank

Les souffles ne laissent pas de traces

Auteur de nombreuses nouvelles publiées sur divers supports (revues, recueils, anthologies), Timothée Rey est loin d’être un inconnu dans le champ des littératures de l’Imaginaire. C’est toutefois la première fois qu’il s’aventure sur la distance du roman.

« Je vais vous conter l’histoire de Collembole N’a-Qu’un-Œil, Chamane-Soigneur du clan des Ronces. Lors d’un Jamboree, il s’est produit une disparition mystérieuse au cours d’une chasse aux bisons. Tout accuse les Souffles, les déités maléfiques et fantasques des vents. La peur s’insinue progressivement dans la tête des hommes et femmes des clans rassemblés. Cependant, N’a-Qu’un-Œil, esprit rationnel et pragmatique, ne croit pas à cet enlèvement surnaturel et décide d’enquêter. »

Affirmons-le d’emblée : bien qu’émaillé de petit défauts, ce premier roman, thriller préhistorique prenant pour cadre l’aurignacien, est une réussite. Pour le fond, rien à dire. Timothée Rey utilise les canons du genre et les adapte au cadre historique du roman. L’histoire se lit d’une traite, avec plaisir. Un bémol toutefois : le tic de narration du style « alors, moi j’ai compris mais je vous laisse réfléchir pour voir si vous allez trouver vous-même », qui s’avère un peu lassant.

La forme est au rendez-vous. On retrouve ici toute la verve déployée dans les nouvelles de l’auteur, sans oublier un style fluide et agréable, un humour omniprésent. Que ce soit dans les noms (Choque-Nourrice…), dans les références à des inventions farfelues pour l’époque (un parapluie…), ou dans les dialogues. Au point que l’auteur se dilue parfois dans cette débauche d’idées. On rit beaucoup pendant l’enquête, mais on en perd le fil de temps en temps, accaparé à anticiper le prochain bon mot. La galerie de personnages contribue aussi au plaisir de la lecture. Certains sont caricaturaux mais c’est ce qui les rend attachants. Le couple Chamane/Apprenti évoque Maître Li et Bœuf Numéro Dix de Barry Hughart (La Magnificence des oiseaux).

Cerise sur le gâteau, des interludes nous en apprennent plus sur les us et coutumes de nos héros et immergent sans heurt dans l’univers construit par l’auteur.

Avec ses énigmes loufoques et invraisemblables, ses personnages attrayants, Les Souffles ne laissent pas de traces est un premier roman qui fait mouche. Pour peu qu’on nourrisse une appétence pour les récits préhistoriques. Grrr…

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