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La Chance que tu as

La Chance que tu as est un très court roman de Denis Michelis, son premier. Il se lit en une grosse heure et, durant ce temps, il oppresse.

Un jeune homme, dont nous ne connaitrons jamais le nom, trouve « enfin » un emploi au Domaine, un hôtel restaurant de prestige niché au cœur d’une forêt. La chance qu’il a ! Dans la situation catastrophique du pays, avec son chômage de masse. Il y est conduit par des parents, tout au moins ils semblent l’être, soulagés et heureux que leur rejeton soit enfin « casé ».

Mais rien ne tourne comme prévu. Le contrat de travail a-t-il été signé ou pas ? Depuis combien de temps le personnage est-il à l’œuvre au Domaine ? Et surtout, pourquoi tout est-il si étrange ? Pourquoi les relations entre salariés sont-elles si tendues ? Pourquoi leur supérieure est-elle aussi stressante ? La redescente est rude. Le paradis promis n’en est pas un, c’est dans un enfer crépusculaire qu’a pénétré ce jeune qui avait tant de « chance ». Un enfer qui, narrativement, vire rapidement au weird tant les situations sont étranges, vécues dans un emprisonnement semi volontaire qui évoque Evenson.

La Chance que tu as est une allégorie, un conte horrifique sur la situation des salariés aujourd’hui. Recherche de productivité, cadences infernales, dépersonnalisation, pression au silence, tout y passe. Y compris les harcèlements moraux ou sexuels ou la dictature des consignes absurdes. On y voit les petits chefs pousser aux limites puis se dédouaner en renvoyant la responsabilité sur le niveau supérieur. On y voit la désintégration de toute solidarité entre salariés, et l’isolement, l’ostracisation de ceux, trop naïfs, qui veulent comprendre ou faire respecter leurs droits élémentaires, risquant de gêner l’atteinte par le collectif de travail de ses objectifs imposés. On y voit aussi, et c’est plutôt fin, l’indifférence des clients, tyranneaux d’habitude — le client est roi, et il entend que ça se voie — qui détournent opportunément les yeux quand les conditions de production de ce qu’ils achètent deviennent intolérables.

Le jeune homme finira par être « libéré » quand l’institution n’aura plus besoin de lui. Un autre le remplacera. Il devrait presque dire merci.

La Chance que tu as est la mise en étrangeté de phénomènes connus, qui acquièrent, de ce fait, une puissance de dénonciation nouvelle. Suffisamment légère pour être transparente, l’allégo-rie amènera peut-être à ces questions des lecteurs qui les auraient évitées.

Le Syndrome Indigo

Le Syndrome indigo est le premier roman d’une des figures de proue de l’avant-garde autrichienne, le jeune prodige Clemens J. Setz.

On pourrait le résumer en disant que c’est du Vian noir et intranquille. Tentons d’être un peu plus disert.

Le titre fait référence à une divagation New Age prétendant que certains enfants seraient dotés d’une aura indigo, invisible bien sûr à l’œil nu, qui serait le signe de caractéristiques hors du commun dans les domaines de l’intelligence ou de l’empathie, au prix d’une certaine étrangeté et d’une résistance à toute autorité rendant difficile leur insertion scolaire ou sociale. Des personnalités riches mais borderline.

Dans le monde de Setz — car c’en est un — de nombreux enfants indigo ont commencé à apparaître au milieu des années 90. Malheureusement, les indigos de Setz sont toxiques, physiquement. Près d’eux, on souffre vite de maux de tête, de nausées, de vertiges ; une exposition prolongée entraine des troubles plus graves tels qu’eczéma chronique ou dépression. En Autriche, l’Institut Helianau, dirigé par l’étrange Dr Rudolph, accueille ces enfants, les isole aussi. Le jeune Clemens J. Setz, professeur de mathématiques stagiaire, y est le témoin de la « relocalisation » de certains enfants, partant pour ne pas revenir. Suite à une violente altercation avec le Dr Rudolph, Setz quitte l’Institut puis se lance dans une enquête sur ces inquiétantes « relocalisations ».

A priori ça paraît simple et balisé. Insider, mystère, enquête, complot, menace, résolution. Sauf que pas du tout.

La narration de Setz, qui met son double biographique en scène, alterne sans cesse entre deux époques et deux narrateurs. Il y a Setz, « l’enquêteur », et Robert, un indigo devenu adulte, qui a perdu son aura mais vit dans la souffrance psychique tant sa violence et sa rage cherchent à s’exprimer ; l’un est traité à la première personne, l’autre à la troisième. S’y ajoutent documents annexes et notes historiques montrant au lecteur la récurrence du phénomène indigo dans l’Histoire — mais, dans le passé, l’information ne circulait guère. Le tout forme un patchwork qui, peu à peu, prend forme. Forme toujours fuyante car la vérité d’une page est remise en cause quelques feuilles plus loin (Setz regrette dans le roman les « nouvelles ampoules », trop neutres, quand les anciennes interprétaient le réel comme les hommes le font). On doit s’y résoudre : on n’arrivera pas à une vraie résolution, tel n’est pas le but. C’est le voyage qui compte, pas la destination, et il n’est pas de tout repos. Le lecteur arpente les terres inquiétantes de l’étrangeté, où ce qu’il croit savoir sur les rapports humains s’avère faux, et où les images qu’il croit faire sens cessent d’être vraies, remplacées qu’elles sont par d’autres, à la surprenante beauté, décalées ou déviantes.

Le monde est agressif, les hommes aussi, le contact des autres engendre malaise, violence ou peur. Se frotter au réel est inquiétant et pénible. A la fin, aussi épuisé que Setz et Robert, le lecteur reposera le roman en se disant qu’une telle expérience vaut autant par sa singularité que par son charme vénéneux. Car le monde de Setz est beau, comme un tableau de Bosch. Dans un style très imagé, quelque part entre Vian (auquel il emprunte des images — la méduse — ou des moments de fusion entre organique et minéral) et Lynch (pour l’étrangeté des lieux, des actes, des discours), Setz promène ses héros sur une route aux nombreux méandres. Les digressions abondent, qui, d’un même mouvement, ralentissent la progression et permettent à Setz, entre grande culture, pop culture, histoire peut-être secrète, et délire fortéen à la Infos du Monde, de questionner la réalité, livrant au lecteur un récit fait de bribes lâchement liées où s’entremêlent réalité, réalité interprétée, rêve et imaginaire.

Au fil de cette déambulation sans cap dans un monde distordu — souvenir du Festin nu —, Setz parvient, en le déstabilisant sans cesse, à forcer le lecteur. Le forcer à s’abandonner, à cesser de lutter, à voir enfin, réceptivité contrainte oblige, certains des troubles de notre société et, peut-être, à y réfléchir. Les digressions mettent l’important et le futile sur le même plan autant qu’elles signalent l’incommunication. Le rapport aux enfants, l’amour/haine que leur voue notre société, fait face à la sensiblerie envers les animaux. La place, particulière, des enfants handicapés, victimes de leur trouble et bourreaux de leur famille, qu’on écarte pour qu’ils dérangent moins. L’invisibilité des SDF dans ce monde même où d’omniprésents iBall semblent surveiller tout et tous. La destruction de toute singularité dans un monde formaté. L’envie de tuer, de détruire, de blesser, la rage primale que ne bride que l’empathie et qui se libère quand celle-ci n’existe pas. La torture, cachée, dont l’Occident est capable ; des tortionnaires froids comme ces cadres exécutifs qui offrent leur corps au culte de la performance. Le passé qui ne passe pas, celui de l’Occident et singulièrement des Germains.

Le Syndrome indigo est une expérience éprouvante mais dense qu’on ne peut que recommander, en dépit de son faible contenu fantastique, aux amateurs de littérature exigeante qui veulent plonger dans l’uncanny valley et en être troublés.

La Saga d'Oap Täo

La trame est des plus simples : croyant sauver une vie, Oap Täo, trafiquant et baroudeur de l’espace, a récupéré un droïde éjecté d’un vaisseau spatial détruit par la police fédérale interstellaire. Pour échapper à celle-ci, il se réfugie hors de sa juridiction, dans le bar d’un authentique Breton sur un astéroïde perdu. Forcé de fuir avant l’arrivée de la police autorisée, il embarque avec le seul autre client de l’établissement, Face-de-Lune, qui dispose d’un vaisseau suffisamment rapide pour distancer les condés spatiaux. Celui-ci, dont le corps est déformé par la Fleur, une redoutable drogue qui évacue les angoisses mais remodèle physiquement son consommateur, l’emmène sur Rasalgheti retrouver un comparse, Ay-Tek. Il s’avère assez rapidement que Face-de-Lune est au service de Crass, un bandit de la pire espèce, destinataire de l’importante cargaison de Fleur détruite par la police. La réparation du droïde était censée révéler l’emplacement de la drogue. Malheureusement, la mémoire de ce dernier est endommagée. Crass charge alors Oap Täo de dénicher la planète où se trouve la Fleur. Accompagné du droïde qu’il a nommé ZAG-O (son numéro de série étant 246-0), notre héros se met en quête malgré l’absence totale d’indices. Ses pérégrinations de monde en monde l’amèneront sur une planète où des lichens géants dotés de télépathie ont établi une relation symbiotique avec une espèce de chauve-souris, découverte qui est loin de signifier la fin de ses ennuis…

Paru en 1990, en trois volumes de la collection « Anticipation » du Fleuve Noir, ce sympathique space opera est, chronologiquement, le premier opus des « Chroniques des Nouveaux Mondes » dont les éditions ActuSF ont déjà publié l’intégrale des nouvelles en trois volumes. Comme Jean-Marc Ligny s’en explique dans l’interview en fin de volume, l’événement déclencheur de l’écriture du cycle est la rencontre avec le scénographe Jacques Lelut, qui exposait ses vaisseaux spatiaux à la convention SF de Roanne en 1979. D’autres volumes ont suivi au Fleuve Noir, ainsi que Les Oiseaux de lumière, en collaboration avec Mandy, chez J’ai Lu, ouvrage où intervient également Oap Täo.

Classique dans la forme, Jean-Marc Ligny développe une histoire du futur qui rend hommage au space opera d’antan, entre aventure et humour, et quelques séquences poétiques. Les clins d’œil dont il parsème le récit permettent de déceler les influences, « Les Seigneurs de l’Instrumentalité » de Cordwainer Smith en tête, mais aussi Kurt Vonnegut Jr, Gérard Klein et bien d’autres. Quelques bonnes idées agrémentent ce récit sans prétention, comme la maladie d’oscillation temporelle affectant les premiers pilotes de saut hyper-spatial, qui fait vieillir et rajeunir physiquement la victime à un rythme rapide. Pour la présente édition, le texte a été revu et mis à jour au regard des développements ultérieurs des « Chroniques ». C’est frais, enlevé, et sans temps mort, à mille lieues des dystopies écologiques de l’auteur. Pourquoi bouder son plaisir ? D’autant plus que Ligny pourrait prochainement revisiter son havre de paix pour se reposer de ses prospectives plus sombres.

Les Perséides

Avant de réintégrer le froid appentis qu’il partage avec sa sœur Rachel que la folie emporte, le jeune Jacob joue aux échecs avec le bouquiniste de Finders, le dénommé Ziegler, qui lui offre un livre à chaque fois, des nouvelles de Wells. Il l’initie aussi à des règles atypiques où les bords de l’échiquier se poursuivent à l’opposé, comme s’il était fermé sur lui-même. Jacob se confie à Ziegler pour savoir s’il doit accepter que le déplaisant Taglieri embauche, à prix fort, sa sœur pour faire le ménage, sachant les vues que l’homme porte sur elle, sachant aussi qu’il ne pourra s’occuper toujours de Rachel, si incontrôlable. Il n’est pas sûr de comprendre la métaphore d’Abraham acceptant sans discuter de sacrifier son fils à Dieu, qui testait ainsi moins sa foi ou sa vertu que son allégeance. Dans « Les Champs d’Abraham », il est question de vol de corps ou de son commerce, de trahison et d’aveuglement, et encore de mondes étranges et d’inversion de point de vue. Quelle est l’histoire ? peut se demander le lecteur en cours de route tant Wilson a l’art de traiter de grands thèmes par le petit bout de la lorgnette et d’établir entre chaque motif de ses récits très denses des correspondances qui font sens à la toute fin.

De lorgnette, il en est question dans « Les Perséides », où un divorcé achète un télescope à une compétente vendeuse qui ne connaît pourtant rien à l’astronomie : elle a toujours eu peur de regarder dans l’objectif ce qui l’observerait en face. Sur le plan thématique, le récit tourne autour du paradoxe de Fermi et de la colonisation de nouveaux domaines de l’ordre de la culture davantage que du territoire, qu’on appellerait la gnososphère, d’autres niveaux de conscience accessibles par des hallucinogènes. Au niveau des rapports humains, le narrateur se voit reprocher son manque de présence ou d’implication, comme un guetteur chez les proto-hominidés se place à l’écart des autres… A nouveau, les divers éléments de ce récit très dense brassent de multiples thèmes dans un fascinant tourbillon.

Il en va de même lorsqu’il est question, au sein du défi que se lancent des universitaires, d’inventer une religion crédible. Si le narrateur projette de réaliser un plan de ville qui mêle la gnose et l’urbain, une forme d’occultisme qu’il nommerait paracartographie, il reste à s’interroger sur l’identité réelle du lanceur du défi initial, sur laquelle l’alerte Deirdre, une amie qui cultive du cannabis dans son antre. « La Ville dans la ville » semble reprendre les mêmes motifs mais les aligne différemment, et en tire de nouveaux concepts, aussi fascinants que les images d’un kaléïdoscope.

Ainsi, « L’Observatrice », où une adolescente tourmentée de cauchemardesques visions de créatures qui l’observent quand elle est seule, et placée un été chez son oncle astrophysicien, ami de Hubble, évoque à nouveau les questions de vie extraterrestre, de topologie de l’univers que l’observateur voit s’éloigner de lui de tous côtés. « On n’a pas besoin de comprendre pour regarder. On a besoin de regarder pour comprendre. » : ce bel aphorisme pourrait s’adapter à l’ensemble des nouvelles du recueil. Wilson apprend au lecteur à orienter son regard ou à exercer sa vigilance.

Dans « Protocoles d’usage », le narrateur séparé de sa femme, soigné pour troubles bipolaires, focalise aussi son attention dans la mauvaise direction. Le récit établit un intéressant parallèle entre les échanges chimiques dans le cerveau, que des molécules pharmaceutiques parviennent à modifier, et la communication dans la nature à base de substances chimiques et de phéromones chez les plantes et des animaux. La nature de l’observateur influe sur sa perception : si le chat ne considère pas l’humain comme un être supérieur, parce qu’il ne le voit pas accomplir des fonctions de base comme chasser et tuer, au sens où lui l’entend, nous ne serions pas plus capables de distinguer l’outil sophistiqué d’une entité supérieure d’un vulgaire caillou. Sur fond de tentative de séduction, « Ulysse voit la lune par la fenêtre de sa chambre », en jouant sur les faux-semblants, est un ironique clin d’œil au sentiment de supériorité. « Le Miroir de Platon » renvoie un reflet à peu près identique à un auteur égocentrique que les femmes finissent par quitter, à qui est donnée l’occasion de contempler sa véritable nature dans le miroir acheté pour lui par une admiratrice.

Nous vivons dans la science-fiction de notre jeunesse du fait des stupéfiantes découvertes et progrès technologiques actuels, telle est la thèse du vieux bouquiniste Ziegler, qui possède dans ses rayons des romans de SF jamais écrits par leurs auteurs. Il offre à un suicidaire un ouvrage, Vous ne mourrez jamais, qui explique que parmi les infinités de possibilités d’univers alternatifs, il en existe une infinité où on a réchappé à toutes les fins, même de la Terre, thèse que son employée, Deirdre, a toujours trouvée stupide, car chaque survie devient plus improbable au fil du temps. « Divisé par l’infini » offre à nouveau des situations extraordinaires basées sur des spéculations vertigineuses.

La dernière nouvelle, d’un fantastique lovecraftien, semble faire suite au récit précédent puisqu’on y retrouve Deirdre, héritière de la librairie, qui héberge la fille d’une vieille connaissance, une adolescente attirée par les sciences, l’origine de la vie et les micro-bactéries trouvées dans une roche martienne. Elle-même, vieillissante, expulse de son ventre, contre toute attente, quelque chose de vivant, un Bébé perle, qu’elle cache dans sa cave.

On le voit, ces neuf nouvelles sont reliées entre elles par de subtiles correspondances qui ne se limitent pas à la librairie Finders ou à quelques personnages récurrents. Des parentés thématiques créent une chambre d’échos autour de spéculations sur la vie extraterrestre, les formes de communication, l’observateur et son sujet d’observation, lesquelles débouchent sur des histoires de science-fiction troublantes ou angoissantes, expressions d’interrogations fondamentales qui révèlent dans le même temps l’âme des protagonistes. En effet, leurs situations répètent des motifs personnels que les jeux de diffraction éclairent différemment, autour de la séparation et de la difficulté de communiquer, de la folie et de la perception de soi, comme autant d’intimes images fractales déclinées à l’infini. Ici, rien de gratuit : dans une postface précisant l’origine des nouvelles, dont trois écrites pour resserrer les liens qui les unissent toutes, Wilson pousse la sophistication jusqu’à créer des correspondances entre ses commentaires et les nouvelles — s’y reporter après chaque lecture s’avère assez savoureux. Ce que dit Ziegler à propos des livres qui flottent comme des bouchons de liège sur l’océan, entre les mondes, pourrait s’appliquer à ce recueil. Un jeu fascinant et hypnotique où l’art de Robert Charles Wilson est porté à son plus haut niveau.

Une bibliographie d’Alain Sprauel complète ce volume aux allures de roman.

La Lumière d'Orion

1366. En raison de ses excès, Nicolas Eymerich est destitué de ses charges de grand Inquisiteur d’Aragon et renvoyé chez lui, à Gérone. Au lieu de quoi, il se rend à Padoue où il découvre dans un palais des Carrare une fresque en cours d’exécution qui fait peser un soupçon d’hérésie. Plus irritable et odieux que jamais, il somme Pétrarque, le concepteur de la fresque, de s’expliquer. Les premiers éléments l’incitent à embarquer pour Constantinople avec frère Pedro Bagueny, élève inquisiteur que les manifestations démoniaques impressionnent. Pour ce faire, il s’inscrit frauduleusement à une croisade à laquelle participe aussi Amédée de Savoie, qui arbore un drapeau représentant la constellation d’Orion. En effet, Jean V Paléologue s’est converti au catholicisme afin de sauver Constantinople menacée par les Turcs. Actuellement prisonnier de Louis, roi de Hongrie, son épouse, l’impératrice Hé-lène Cantacuzène, cherche à se protéger par tous les moyens à sa disposition, même les moins orthodoxes. La ville, dans un état lamentable, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Hélène demande à Eymerich de les protéger contre la menace de géants hurlants qui, chaque matin, avancent dans la mer, toujours un peu plus près du palais. Fort de ses connaissances occultes et de son art de la déduction, l’inquisiteur, tel un Sherlock Holmes flanqué de frère Bagueny en guise de Dr Watson, dans un fabuleux combat final contre un impressionnant démon, met fin à l’hérésie qui en est à l’origine.

Comme toujours chez Evangelisti, l’intrigue se déroule sur trois trames temporelles distinctes : d’une part une guerre future où des géants pilonnent les colonnes de Ninive, chaque faction utilisant des guerriers qui n’ont plus rien d’humain, d’autre part le projet de Frullifer d’envoyer, en direction de Bételgeuse, un rayon qui transformerait l’étoile en nova de façon à anéantir les adversaires de l’Union des Etats-Unis, armée issue de leur partition en trois blocs.

Ces deux intrigues restent assez minces, comme si Evangelisti s’en désintéressait, une fois établies les correspondances avec l’époque même d’Eymerich. Ce qui n’empêche pas l’auteur de mettre en parallèle les conflits religieux qui débouchent sur des schismes, et les moyens inhumains mis en œuvre pour s’assurer la victoire dans des guerres où les combattants n’ont plus rien d’humain. La partition future des Etats-Unis combattant les fedayins est un calque de la décomposition de l’empire byzantin attaqué par les Ottomans. La mécanique désormais bien rôdée semble toutefois tourner à vide, n’était l’ironie avec laquelle l’auteur développe les arguments des débats religieux opposant diverses chapelles. L’humour distancié, parfois burlesque, allège un récit fourmillant de détails historiques. Face à l’immense travail de reconstitution, un rafraîchissement préalable des connaissances sur la dynastie des Paléologue et des Cantacuzène n’est pas inutile pour s’adapter à la démarche immersive de Valerio Evangelisti.

Saluons au passage l’abnégation éditoriale des éditions la Volte qui ont mené, sous une élégante maquette, l’intégrale française de la saga de « Nicolas Eymerich », qu’un dixième opus clora bientôt — une entreprise sur laquelle plusieurs prédécesseurs s’étaient cassé les dents…

Aubes trompeuses

Il y a une petite mélodie Andrevon, ce qui ne surprend guère quand on songe que l’auteur se fait volontiers musicien. Même si on retrouve des thèmes récurrents dans toute l’œuvre, c’est dans ses nouvelles qu’il les explore avec une ardeur inébranlable. Rien de nouveau sous le soleil : il y a plus de quarante ans, son deuxième livre, après le premier roman, était déjà un recueil.

Aubes trompeuses réunit neuf textes issus des revues de genre (Faerie, Khimaira, Bifrost) et d’autres supports (Libération ou, ben tiens, Chorus, entre autres), publiés sur une douzaine d’années, hormis une antiquité de 1973 (dans une « nouvelle mouture », indique JPA) et un inédit. Comme souvent dans ses florilèges, la SF côtoie — et tutoie — le fantastique.

On voit un chanteur appelé « Jip » auprès de Brel, Brassens et ses autres idoles dans ce qui pourrait être une après-vie ; un TGV et ses passagers projetés dans un mouvement de balancier spatiotemporel qu’un van Vogt n’aurait pas renié ; un univers virtuel cataclysmique dissimulant… non, ce serait déflorer le texte ; l’agonie de l’humanité, ici dans les affres du post-pétrole, qui offre à la planète des lendemains peut-être plus radieux (une constante chez notre auteur, qu’on se souvienne de titres comme Le Désert du monde et Le Monde enfin) ; une fable à la Ballard, terrifiante de cocasserie apparente, sur la surpopulation ; et ainsi de suite.

Il y a une petite mélodie Andrevon, mais mieux vaut prévenir : elle tient souvent de la mélopée. Même si « le monde était frais et clair », il peut toujours s’agir d’une « aube trompeuse ». Toutefois, dans la grisaille ou la noirceur, il subsiste la couleur des sentiments, l’amour, l’amitié, voire — il faut chercher — l’espoir. Il y a surtout une belle maîtrise de la langue, une poésie réelle et, afin de chahuter quelque peu le bourgeois, une dose de cul quand la routine menace de s’installer.

Avec sa couverture, elle aussi due à notre homme, mettant en situation un emblème de sa ville, Grenoble, ce volume, sous sa modestie apparente, montre le talent protéiforme d’un de nos écrivains les plus précieux — au meilleur sens du terme.

Dernières Nouvelles de Majipoor

Ce titre français ambigu, bien trouvé, a quelque chose de programmatique — il s’agit en effet des récits les plus récents que Robert Silverberg a consacrés à sa planète géante, et il y a toutes les chances pour que ce soient les derniers, tant l’Américain se montre peu productif dans le domaine de la fiction alors qu’il approche des quatre-vingts ans.

La nouvelle a toujours été le point fort de Silverberg. Son intégrale raisonnée, disponible chez J’ai Lu en quatre fort volumes composés par Jacques Chambon et l’auteur, le prouve à l’envi. Des sept textes ici réunis, deux méritent l’appellation de « court roman » (la « novella » des anglophones), à mon avis le format sur lequel il a connu ses plus grandes réussites — ce qui, quand on sait la qualité de bon nombre de ses romans, n’est pas peu dire.

Même s’il paraît moins échafaudé que le précédent recueil de la saga, le superbe Chroniques de Majipoor, où les recherches d’un personnage dans des archives servaient de fil rouge, Dernières nouvelles… a tout de l’astucieux jeu de miroirs, tant les textes se répondent et se renforcent. Un lai du poète Furvain qui, par un concours de circonstances, se découvre un vrai talent pour écrire plus que des vers de mirlitons (« Le Livre des changements », et, oui, on peut y voir une nouvelle mise en abîme de la métamorphose de Silverberg, de faiseur habile en écrivain majeur), devient bien des millénaires plus tard la base de recherches archéologiques (« La Tombe du pontife Dvorn »). Au passage, Furvain rêve d’un personnage, une sorte de guide et de muse, dénommé Valentin, qui pour lui n’a jamais existé (mais qui, nous, lecteurs, le savons, existera), Valentin, par qui la saga de Majipoor a commencé, et qui la clôt dans une ultime et belle aventure, « Le Septième sanctuaire ». Entre-temps des textes plus légers, dans une veine vancéenne, auront apporté des respirations tantôt farceuses (« Heures sombres au marché de minuit »), tantôt intimes (« L’Apprenti en sorcellerie »).

Saluons le travail des trois traducteurs (dont le plus prolixe, Eric Holstein) qui ont su restituer à merveille le style classique mais riche de cet esthète qu’est Silverberg. En tout cas, si ce livre constitue le point final du grand-œuvre qu’est la saga de « Majipoor », on n’aurait su rêver meilleure conclusion que ce septuor rehaussé par une couverture où Valentin (on suppose) semble arborer les traits de son créateur inspiré.

Le Meilleur des mondes possibles

Il faut certes creuser dans la masse de romansdezombisquidépotent, mais la collection « Eclipse », ex-maison d’édition du même nom, publie non sans un certain flair une bonne partie des livres de SF les plus ambitieux d’aujourd’hui. Je pense notamment à Jack Glass, d’Adam Roberts, à Osama, de Lavie Tidhar, et au présent ouvrage, dû à une auteure des Barbades.

Comme, une fois n’est pas coutume, le quatrième de couverture est à la fois juste et concis, je le cite sans vergogne : « Autrefois la race la plus avancée de la galaxie, les Sadiris ont été exterminés et leur monde natal détruit. Pour préserver leur espèce de l’extinction, les derniers survivants, en majorité des mâles, doivent s’organiser. Sur Cygnus Béta, des conseillers sadiris partent à la recherche des descendants d’une ancienne diaspora de leur peuple, dans l’espoir de trouver des femelles génétiquement compatibles afin de sauvegarder la société et le mode de vie sadiris. »

Cygniens, Sadiris et autres, dans ce futur lointain, sont tous des rameaux issus d’un tronc commun humain — ou du même ensemencement qui a donné naissance, entre autres, à l’humanité. Cela n’exclut pas, vu leur développement séparé, une grande diversité des cultures. C’est là que le roman de Karen Lord brille le plus. La confrontation entre Dllenahkh, le chef de la mission sadirie, Delarua, la biotechnicienne cygnienne qui lui sert d’assistante, et divers autres personnages des deux ethnies qui, malgré leur volonté de coopération, font face à des chausse-trappes culturelles, fonde le ressort narratif principal de l’intrigue. Son cadre, mouvant, c’est une théorie de colonies planétaires, elles-mêmes très diversifiées, qui posent chacune des problèmes spécifiques, tantôt pittoresques, tantôt tragiques : l’une d’elles a ainsi renoué avec l’esclavage. D’une société néo-féodale à la recréation d’une cour féérique, de festivités mondaines à une catastrophe souterraine, les épisodes s’enchaînent, les malentendus surgissent, les solutions s’esquissent, et l’amour pointe le bout de son nez.

Ce livre n’est sans doute pas pour tout le monde. La structure du roman peut paraître un peu répétitive, il y a quelques longueurs et la traduction de Jean-Marc Ligny semble engoncée dans les premiers chapitres avant de trouver le ton (et le bon). Par ailleurs, le côté romantique est très poussé, les bons sentiments l’emportent, mais je l’avoue, c’est l’absence de cynisme, le refus du recours systématique au conflit, l’ode à la compréhension mutuelle qui m’ont justement con-vaincu et, en fin de compte, séduit. On pense, pour la forme, à du Le Guin (le caractère ethnologique, la réflexion sur le genre — Christine B., passez votre chemin !) relevé d’un peu de Vance (dans le récit de voyage), mais s’il y a un écrivain auquel Le Meilleur des mondes possibles fait penser, c’est surtout à Roland C. Wagner. Ces comparaisons sont sans doute injustes, cependant : Karen Lord possède un talent bien à elle, déjà salué par divers prix et nominations. Espérons qu’on la lise de nouveau sous nos latitudes sans trop attendre : The Galaxy Game (tout un programme…) sort ces temps-ci aux Etats-Unis.

Capitaine Fuck

Capitaine Fuck. Rien que le titre peut faire rêver tellement il dégouline de panache et autres potentialités réjouissantes. Les rares pages trouvées concernant Philippe Tagli sur internet attisent elles aussi la curiosité : l’auteur est avant tout un photographe doué. Son art montre les banlieues telles qu’on ne les voit jamais de l’extérieur. Il illustre ses clichés de poèmes en prose plutôt bien assortis et dispense un discours à la fois respectable et éclairant sur la vie en cité. En connaissance de cause puisque lui-même y réside. Mais voilà.

Sitôt une trentaine de pages tournées, le capitaine Fuck, héros dépressif de l’espace et des banlieues, chargé à bloc de cigarettes mentholées et de THC, perd la totalité de son capital sympathie. Son combat aux côtés des « Forces du Freedom » contre les « forces d’Ordre et de Valeur » et leurs divisions « BAC » échoue à capturer l’attention. Ses aventures cousues de fil blanc épuisent le lecteur de répétitions, de digressions et de clins d’œil avariés. Au point qu’on en vient à se demander si l’ouvrage n’a pas été rédigé sous l’emprise d’une drogue un peu trop puissante après un visionnage halluciné de quelques épisodes d’Albator entrecoupés de news sur LCI. Dommage. On devine la transposition, on sent le cri qui vient du cœur et on voit le tout se noyer dans un chaos sans fin, absolument hors de contrôle.

On s’agace par ici : « Il récupéra des Muslims de l’espace qui s’affrontaient à des juifs, eux aussi de l’espace, depuis toujours. » (sic)

On se fâche par là : « L’escadrille de jet de combat aux têtes cramées ravagées de vitesse dans laquelle planait Capitaine Fuck avant le commandement de son cuirassé, s’était fait déchirer. » (sic aussi)

Au fil des pages, la langue française est maltraitée de toutes les manières possibles : ponctuation écartelée, grammaire découpée en rondelles, orthographe sacrifiée — on se gardera d’énumérer l’ensemble des sévices subis. « Il la prit longuement comme une feuille de papillon, savourant son léger souffle, la violence de l’orgasme mutante, ce n’était plus pour lui. » Oui, ça, on avait remarqué. Merci.

Avant de passer notre chemin après une pause un peu trop longue en ces contrées peu reluisantes, on s’interrogera sur le sérieux des éditions Baleine qui osent proposer un torchon pareil dans un format de poche (17,8 x 11 x 3,2) pour le prix incroyable de 20 euros…

Fuck !

Chambre 507

Malgré leurs couleurs criardes très seventies (orange et jaune, nom de Zeus !), les ouvrages des éditions Super 8 savent attirer le geek qui sommeille en chacun de nous : titres mystérieux, quatrièmes de couverture aguicheurs et thèmes dans le vent des films et séries qui ont bercé nos heures perdues. Chambre 507 ne déroge pas à la règle.

L’institut psychiatrique de Brinkvale, construit dans le trou titanesque d’une carrière de New-York en 1875, abrite les pires fous dangereux qu’on ne peut laisser à proximité des gentils citoyens de la ville (un peu comme l’asile d’Arkham où sont enfermés les ennemis de Batman, en fait). Le jeune art-thérapeute Zachary Taylor y exerce son métier avec passion. Ses résultats probants poussent son supérieur hiérarchique à lui confier un dossier délicat : celui de Martin Grace, accusé des meurtres d’une douzaine de personnes à qui il avait prédit qu’elles allaient mourir. Zachary devra déterminer si Grace, devenu aveugle après cette série d’homicides, est mentalement apte à comparaître devant une cour de justice ou s’il doit finir ses jours à moisir au fond d’une cellule capitonnée.

Les séances d’examen tournent vite au jeu du chat et de la souris (un peu comme dans Le Silence des agneaux, mais on ne va pas insister…), néanmoins Zachary acquiert rapidement la conviction que l’homme enfermé dans la chambre 507 n’est ni coupable de ce dont on l’accuse, ni celui qu’il prétend être.

Malgré son manque d’originalité, Chambre 507 se lit rapidement et non sans quelques moments agréables. Les personnages stéréotypés sont aussi attachants que jetables : leurs petits tics et caractéristiques amusent mais ne suffisent pas à leur donner une réelle profondeur. L’histoire se déroule tambour battant en développant nombre d’intrigues secondaires qui aident la tension à se maintenir de page en page. Ce qui nous amène au défaut majeur de cet ouvrage : la fin.

Les auteurs ont pris parti de rester sur la mince ligne séparant le thriller réaliste du récit fantastique en n’élucidant pas ne serait-ce que le tiers des questions qu’ils ont soulevées dans leur bouquin. Une fois reposé, Chambre 507 laisse le goût d’un épisode pilote dont on n’a aucune chance de connaître la suite (paru en 2009 aux Etats-Unis, une suite semble maintenant peu probable). Est-ce un hasard si la chaîne câblée américaine Starz en a acheté les droits ? Toujours est-il qu’on attend légitimement plus d’un roman que du scenario d’un épisode de série télévisée. Fût-il le premier.

Chambre 507 n’a finalement qu’une qualité : parfaitement dispensable, il se lit comme il s’oublie. Le cœur léger.

NB : Pas de bon point pour les éditions Super 8, qui ont escamoté illustrations et documents de la version originale. Pas très geek, tout ça…

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