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Deathworld

« Comme à regret, avec un chuintement à peine perceptible, la capsule tomba dans le panier de réception. La sonnette retentit une fois et se tut. Jason dinAlt fixa cette capsule inoffensive, comme s'il s'était agi d'une bombe à retardement. » (« Deathworld » — épisode 1.)

Parmi les baby-boomers publiés jusqu'à présent dans la collection « Science-fiction » cœur de cible des éditions Bragelonne, Harry Harrison fait figure de grand ancien avec ses quatre-vingt-un printemps au compteur. Pour cette raison et une autre plus sentimentale — on y reviendra —, le lecteur que je suis éprouve un pincement douloureux au cœur : celui qu'un jeune enfant, à la fois attendri et indulgent, ressent devant son grand-papa gâteau lui ressassant les histoires du temps où il était jeune. L'autre raison qui me pousse à juger avec une certaine mansuétude Harry Harrison est imprimée de manière cinématographique dans ma mémoire. Il est l'auteur du roman à l'origine du film Soleil vert. Et peut me chaut que cette adaptation ne corresponde pas exactement, ni à l'histoire, ni au titre (Make room ! Make room ! en VO) du roman. Que voulez-vous, on ne tergiverse pas avec ses sentiments. Malheureusement, l'omnibus Deathworld — réédition de trois courts romans, dont un inédit, complétés d'une nouvelle également inédite — ne joue pas dans le même registre.

« Un instant, dit Jason. (Il se détourna du micro pour abattre un cornediable qui menaçait de passer à l'attaque.) Non, je ne fais rien de particulier. J'arrive. Je pourrais peut-être vous aider. » (« Deathworld » — épisode 2.)

Il était donc une fois un irrésistible et rusé héros. Son nom était Jason dinAlt. Joueur professionnel particulièrement couillu et téméraire, il écumait les casinos de la galaxie, mettant sa vie en jeu à chaque fois, tout en disposant, quand même, d'un atout caché dans sa manche : sa capacité psi à contrôler les jets de dés… Rassurons-nous immédiatement, cette faculté est éludée très rapidement par son autre nom : la chance, car Jason avait — comme on dit grossièrement — le cul bordé de nouilles. Il y avait chez lui un peu de Morgan Chane — la force en moins — et de Kirth Gersen — le désir de vengeance en moins. Il y avait surtout la curiosité, vilain défaut qui poussait à régulièrement se jeter dans la gueule du loup. Mais Jason était un vrai héros. Rien de grave ne pouvait lui arriver. Maniant avec autant d'aisance le pistolet et son cerveau — imaginez, le bougre était capable d'improviser une leçon sur l'éthique et l'ethos, rien que pour détourner l'attention d'un adversaire —, Jason s'amusait à passer de Charybde en Scylla avec une désinvolture et une facilité confondantes.

« Le lieutenant Talenc haussa les énormes jumelles électroniques devant ses yeux et tourna un bouton pour en régler l'intensité. Malgré un épais voile nuageux et un soleil blanc déclinant à cette heure entre chien et loup, le dispositif d'intensification restituait en noir et blanc une image de la plaine vallonnée d'une netteté parfaite. Talenc jura entre ses dents tout en balayant l'horizon devant lui. De l'herbe à perte de vue. Un océan d'herbe couverte de givre et agité par le vent. Rien. » (« Deathworld » — épisode 3.)

C'était le bon vieux temps. La galaxie était vaste, sauvage et peuplée d'une faune interlope de costauds et de monstruosités pas forcément commodes. Le lectorat n'était pas blasé par tous ces gadgets abracadabrantesques. Il avait le sense of wonder facile et faisait montre d'un enthousiasme juvénile devant ces voyages interstellaires accomplis en un éclair sans se relever de sa couchette d'accélération. Il s'extasiait sans sourciller de ces mondes exotiques et terrifiants où l'on pouvait quand même retirer de l'argent en liquide à la banque, recevoir des messages dans des capsules, se déplacer en voiture ou échanger des coups de feu à balle réelle.

Notons au passage que l'intégrale que nous proposent les éditions Bragelonne est celle du premier cycle. En effet, un second cycle a été coécrit avec des auteurs russes, uniquement dans leur langue natale (apparemment, les Lituaniens ont eu le privilège d'une traduction), afin de contenter les fans de cette série qui, paraît-il, sont très nombreux dans ce pays depuis l'effondrement du rideau de fer. Troquer les frères Strougatski contre la série Deathworld est une grande victoire dont la Démocratie doit s'enorgueillir.

« Je vais m'approcher encore un peu, annonça Meta. Ses doigts couraient sur les commandes de pilotage du vaisseau pyrrusien. Je ne ferai pas ça si j'étais toi, objecta Jason d'un ton empli de fatalisme résigné. » (« Deathworld » — épisode 4.)

C'est donc tout cela, Deathworld. Un récit léger, naïf, voire complètement crétin et répétitif. Un sense of wonder bon marché mais balisé pour ne pas trop égarer le lecteur. Des caractères aux traits grossiers qui fleurent bon le cliché affiché. De l'humour lourd à force de tirer sur les mêmes ficelles. Du pulp qui ne se cache même pas, malgré un emballage se parant d'une modernité aguichante.

Avis aux amateurs.

Kafka sur le rivage

On s'étonnera sans doute de trouver dans ces pages la chronique d'un roman nippon qui ne soit pas signé Yôko Ogawa… Pour la majorité des lecteurs, la production du Japon se résume aux mangas ou aux films-catastrophe de série Z, style Godzilla contre les Martiens ou Les Derniers jours avant l'Apocalypse… Les romans de S-F ? Rien à signaler !

Or, s'il a déjà produit au moins deux livres relevant de notre domaine favori (La Course au mouton sauvage et La Fin des temps — tous deux disponibles dans la collection « Points » des éditions du Seuil), Murakami présente la particularité de n'écrire des romans qui ne s'adressent de façon privilégiée qu'aux amateurs de S-F. Pour employer des gros mots, on dira qu'il fait appel à l'intelligence, à l'ouverture d'esprit et au sens du merveilleux caractéristiques des familiers du genre.

Dans Kafka sur le rivage, en effet, tout est à la fois étrange, inquiétant et doux. La cruauté y est une étape de la tendresse, l'insolite une phase du banal, la chair un moment de l'intellect. Le récit débute de manière assez simple : d'un côté, un après-midi de promenade, des enfants tombent les uns après les autres inanimés, puis se réveillent peu après sans paraître autrement affectés par l'incident. D'un autre côté, un adolescent nommé Kafka Tamura s'enfuit de la demeure paternelle et part pour un périple en solitaire.

En excellent romancier, c'est petit à petit que Murakami en appelle aux facultés d'émerveillement de son lecteur. Outre que l'intrigue se complique au fil des pages, ses développements deviennent de plus en plus insolites, et l'on rencontre des personnages et situations auxquels on finit par prêter un côté « ordinaire » comme s'il s'agissait des innovations courantes dans une histoire d'amour entre personnes assez sensées pour ne pas se contenter du quotidien… Les poissons pleuvent, un homme tue des chats en série pour n'en conserver que les têtes qu'il range dans le frigo, une putain discute philosophie, on se livre à des expériences militaires insolites, un personnage sans âge réel remet ses souvenirs en question, et la logique finit par être si tordue qu'on ne s'étonne plus de rien.

À tous ceux qui doutent que le réel soit franchement réel, que l'inattendu reste hors du commun, etc., bref à tous ceux qui considèrent les développements « classiques » du récit comme affreusement ennuyeux, on ne peut que conseiller un auteur comme Murakami, dont l'existence même paraît relever de la S-F.

Kathleen

Kathleen, trois récits, trois périples qui jalonnent ce beau texte.

D'abord : l'histoire de Louis, enfant du début du XXe siècle, partagé entre l'amour de sa mère et la rudesse de son père, perturbé par les difficultés que rencontrent ses parents dans leur couple, incommunication, jalousie, folie. Ensuite : Charles, fils du premier, photographe, en quête de l'histoire de ce père qu'il n'a jamais réussi à cerner ; histoire qui lui échappe car Louis souffre de la maladie d'Alzheimer en phase terminale et les seuls repères de Charles sont fournis par un journal intime parcellaire, irréel, où son père raconte son expérience au sein d'une communauté dirigée par un gourou excentrique et sa rencontre avec Catherine Mansfield, Kathleen. Finalement : la voix intérieure de Louis, récit introspectif rendant tangibles dans le fantasme les peurs, doutes et recherches personnelles de ce père qui n'est jamais parvenu à savoir qui il était en tant qu'humain.

Le roman de Colin est une lente recomposition des psychés d'un père et d'un fils ; récit introspectif pour le père, pseudo-biographie et recherche initiatique pour le fils, chacun des récits aborde les mêmes thèmes, principalement la connaissance de soi, l'élaboration du moi dans un monde où les repères tombent en déliquescence. Kathleen est une quête de sens à différents niveaux — psychologiques, philosophiques, humains — et sous différentes formes — scripturales, visuelles. D'une extrême finesse dans son approche psychologique, Colin fait se côtoyer des situations dures et pénibles, des éclairs de beauté et la cruauté de l'esprit humain lorsque celui-ci doit se (re)construire. L'écriture, quant à elle, transcende souvent le roman ; les discours introspectifs atteignent des profondeurs abyssales, traversées d'images sensorielles et psychanalytiques. Le roman est à l'image de ses personnages, une recherche formelle, une recherche de sens au sein même de ses lignes, paragraphes et chapitres. Il y a de très belles échappées, notamment lors des chapitres qui allient plusieurs niveaux discursifs et visuels, retranscrivant le discours de Louis, son introspection et les paroles d'une hypothétique Kathleen. Dans ces moments, le récit introspectif est ce qu'il y a de plus sûr, de plus tangible, alors que les extraits de paroles qui essaiment les marges sont comme ces sons que le noyé entend du monde au-dehors de l'eau.

Kathleen est donc un texte maîtrisé dans la forme, avec une belle idée sensitive, mais qui pêche parfois par intellectualisme. Devenant à certains endroits une véritable antithèse, la forme textuelle dessert le fond de celui-ci. C'est un paradoxe sur lequel le texte s'est enfermé : la complexité de la forme, des points de vue et des modes narratifs qui, au lieu d'apporter du sens, brouille parfois totalement le message. Le roman pêche par ses propres armes. La complexité de la construction, l'écriture et, surtout, les théories vides de sens qui elles-mêmes influencent les modes d'écriture auraient dû se retrouver dans un contrepoint final. Pourtant, le livre n'arrive pas à s'échapper de ce qui est soutenu dans la narration, le vide de l'existence, le vide des théories fumeuses, le vide des choses simples. Ajoutons encore que certains effets sont plus proches d'une recherche purement esthétique, par exemple la présence de photographies ou de dessins qui n'apportent rien à la lecture du texte, voire même détournent l'attention. Tout cela est d'autant plus frustrant que le livre tente d'exposer la simplicité de la vie.

La fermeté de la critique est à la mesure de l'ambition de ce roman et de ses fulgurances : que cela n'empêche aucune personne éprise de littérature d'aller se plonger dans ce grand maelstrom de phrases, de sentiments et de psychés.

Jocaste

Seule maison à proposer aujourd'hui des textes inédits d'un auteur de S-F pourtant unanimement considéré comme l'un des plus importants du genre, Métailié est définitivement à ranger parmi les éditeurs de bon goût (ligne éditoriale et couvertures comprises). Aussi british que subtil, Brian Aldiss continue avec bonheur son exploration borderline et, à 81 printemps bien tassés, se fait manifestement plaisir en livrant un Jocaste aussi sardonique que léger. Vision très personnelle du mythe d'Œdipe Roi pourtant déjà raconté par un certain Sophocle, le Jocaste d'Aldiss louche du côté de Racine, rencontre le spectre de Jean Anouilh et n'oublie pas non plus Didier Lamaison.

Reprenons : Anouilh a fait Antigone en y ajoutant ses visions anachroniques d'une rare poésie ; Lamaison nous a offert un Œdipe-Roi décalé et adapté du mythe à la « Série noire » (eh oui), en faisant logiquement ressortir le côté thriller d'une histoire pourtant archi-connue. Et Racine ? Racine est finalement plus proche d'Aldiss que jamais. En s'intéressant aux femmes dans Phèdre, le très estimable Jean (je l'appelle Jean) parvient à nous rendre incroyablement présente l'absence de Thésée pendant plus d'un acte. Le drame y est sous-jacent, suinte du texte, et quand il arrive au bout d'un scénario haletant, le lecteur est aussi choqué que soulagé.

Même procédé chez Aldiss avec une histoire évidemment différente, mais tout aussi tragique. Ici, la star, c'est Jocaste, et non Phèdre. Jocaste qui couche avec son fils parricide sans le savoir, Jocaste qui doit supporter sa grand-mère Sémélé (sorte de vieille sorcière aussi pénible que douloureusement perspicace) tout en ignorant ostensiblement la Sphynge qui traîne dans le palais en pissant un peu partout (c'est mal élevé, les Sphynges). D'entrée, les repères s'envolent (repassez par la case Anouilh et revenez contents). C'est d'un monde antique qu'il s'agit, mais ses tenants et aboutissants sont si proches du notre que le décor n'a somme toute pas beaucoup d'importance. Preuve qu'Œdipe-Roi est un vrai chef-d'œuvre, d'ailleurs… Comment une histoire aussi simple aurait-elle pu traverser le temps si elle n'évoquait pas nos angoisses les plus intimes ?

Inutile ici de résumer l'intrigue de Jocaste. Il suffit juste de savoir que Brian Aldiss colle au texte de Sophocle, mais plus en sale gosse qu'en disciple. Des vides y sont comblés, des personnages y gagnent en importance (Jocaste, évidemment), d'autres disparaissent dans un nuage opaque de mauvais caractère (Oedipe, ah, tiens, comme le Thésée de Racine), mais le destin est ce qu'il est et l'oracle ne se trompe jamais. Tout est dit ? La preuve que non. Aldiss s'approprie le texte avec un enthousiasme, une légèreté et une intelligence qui fonctionnent impeccablement bien. Ni parodie, ni réécriture, Jocaste est un hommage qui, chose rare, s'affranchit des lourdeurs du genre et ré-éclaire l'original d'une lumière aussi bienfaisante que déconcertante. Respect.

La Cité d'en haut

[Critique commune à Science-fiction : une littérature du réel et La Cité d’en haut.]

Auteur, éditeur, anthologiste, André-François Ruaud fait partie des talents pluridisciplinaires de la science-fiction hexagonale. Bonne nouvelle pour les lecteurs et lectrices attiré(e)s par son travail éditorial au sein des très respectables Moutons électriques, les rayons des libraires proposent deux ouvrages récents, un roman et un essai.

Côté essai, c'est d'une histoire de la science-fiction qu'il s'agit, mais une histoire revisitée aux éditions Klincksieck (coécrite avec Raphaël Colson) au sein de la collection « 50 questions ». Cinquante questions, donc, pour évoquer tout un pan de la littérature, dans une perspective historique, certes, mais également (c'est bien là l'intérêt) d'un point de vue culturel, sociologique et même franchement humaniste. Si, à l'instar d'autres textes du même genre, on traite essentiellement de S-F européenne et américaine, la lecture de Science-fiction, une littérature du réel (tout est dans le titre) n'en reste pas moins aussi agréable qu'étonnante. Etonnante, car les deux auteurs n'hésitent pas à épicer leur imposante bibliographie de titres encore inédits en France, et ce malgré leur importance majeure au sein du genre (Delany, bien sûr, mais aussi Crowley, Engh et bien d'autres). Agréable, car l'agencement des questions est bien amené et le discours historique impeccablement mêlé aux descriptions strictement livresques. Subversive, iconoclaste, dérangeante, la S-F gagne au passage les lettres de noblesse que continuent à lui refuser les milieux éditoriaux bien-pensants. Véritable mine d'information, ce vaste panorama ne rebutera personne : les spécialistes y trouveront de nouvelles voies à explorer et les néophytes en apprécieront la concision, la construction et l'intelligence. À ce titre, Science-fiction une littérature du réel s'impose d'emblée comme le meilleur livre de sa catégorie. Tellement bien fichu qu'on se plaît à rêver d'une version richement illustrée.

Changement de décor radical avec non pas un, mais deux textes de fiction rassemblés en un seul volume sous le titre La Cité d'en haut aux éditions Mnémos — le premier des deux étant la réédition d'un volume autonome paru en 1999 aux éditions du Bélial' sous le titre Des ombres sous la pluie, ce que Mnémos oublie bien naturellement de préciser, y compris dans la bibliographie de l'auteur au début du présent volume… Seul aux commandes, André-François Ruaud invite son lecteur au voyage. Un voyage pertinent et poétique, à l'exacte convergence de la fantasy et de la science-fiction. Parti pris fascinant de la part d'un auteur dont on connaît l'érudition : planter un décor qui a tout de la fantasy (un palais gigantesque sur les toits duquel est installée la Cité d'en haut, peuplée d'exilés — forcés de quitter le palais et maintenus à l'écart par un mystérieux champ de force — de centaures, d'hommes-chats et de tout un bestiaire qui résonne comme autant de clins d'œils) et lui donner une assise réaliste inscrite dans la tradition du planet opera (une dispora humaine pangalactique, la colonisation de la planète, la modification génétique de certains habitants, etc.). Héros idéal de ces deux courts romans, Ariel Doulémi symbolise à la perfection ce mariage rondement mené : jeune homme bien sous tout rapport, mais également vampire (pas au sens fantastique du terme), car modifié par les hommes-chats et pourvu de deux canines rétractiles dont il se sert pour identifier les liquides qu'il peut aspirer. De fait, au service de Madame Ha, il a l'occasion de se heurter à un complot qui sème plusieurs assassinats par empoisonnement tout en participant à une révolution sociale longtemps contenue. Descriptions longues et parfois fatigantes, certes, mais humour, souffle et véritable hommage à une littérature qui n'a jamais peur du merveilleux. Si La Cité d'en haut est un vrai thriller, c'est également un vrai bon bouquin à réserver aux lecteurs et lectrices avides de références (un des personnages s'appelle Rex Stout, et ce n'est qu'un exemple). Les fans de Richard Morgan n'apprécieront pas, même s'il y a des poursuites à vélo…

Science-fiction : une littérature du réel

[Critique commune à Science-fiction : une littérature du réel et La Cité d’en haut.]

Auteur, éditeur, anthologiste, André-François Ruaud fait partie des talents pluridisciplinaires de la science-fiction hexagonale. Bonne nouvelle pour les lecteurs et lectrices attiré(e)s par son travail éditorial au sein des très respectables Moutons électriques, les rayons des libraires proposent deux ouvrages récents, un roman et un essai.

Côté essai, c'est d'une histoire de la science-fiction qu'il s'agit, mais une histoire revisitée aux éditions Klincksieck (coécrite avec Raphaël Colson) au sein de la collection « 50 questions ». Cinquante questions, donc, pour évoquer tout un pan de la littérature, dans une perspective historique, certes, mais également (c'est bien là l'intérêt) d'un point de vue culturel, sociologique et même franchement humaniste. Si, à l'instar d'autres textes du même genre, on traite essentiellement de S-F européenne et américaine, la lecture de Science-fiction, une littérature du réel (tout est dans le titre) n'en reste pas moins aussi agréable qu'étonnante. Etonnante, car les deux auteurs n'hésitent pas à épicer leur imposante bibliographie de titres encore inédits en France, et ce malgré leur importance majeure au sein du genre (Delany, bien sûr, mais aussi Crowley, Engh et bien d'autres). Agréable, car l'agencement des questions est bien amené et le discours historique impeccablement mêlé aux descriptions strictement livresques. Subversive, iconoclaste, dérangeante, la S-F gagne au passage les lettres de noblesse que continuent à lui refuser les milieux éditoriaux bien-pensants. Véritable mine d'information, ce vaste panorama ne rebutera personne : les spécialistes y trouveront de nouvelles voies à explorer et les néophytes en apprécieront la concision, la construction et l'intelligence. À ce titre, Science-fiction une littérature du réel s'impose d'emblée comme le meilleur livre de sa catégorie. Tellement bien fichu qu'on se plaît à rêver d'une version richement illustrée.

Changement de décor radical avec non pas un, mais deux textes de fiction rassemblés en un seul volume sous le titre La Cité d'en haut aux éditions Mnémos — le premier des deux étant la réédition d'un volume autonome paru en 1999 aux éditions du Bélial' sous le titre Des ombres sous la pluie, ce que Mnémos oublie bien naturellement de préciser, y compris dans la bibliographie de l'auteur au début du présent volume… Seul aux commandes, André-François Ruaud invite son lecteur au voyage. Un voyage pertinent et poétique, à l'exacte convergence de la fantasy et de la science-fiction. Parti pris fascinant de la part d'un auteur dont on connaît l'érudition : planter un décor qui a tout de la fantasy (un palais gigantesque sur les toits duquel est installée la Cité d'en haut, peuplée d'exilés — forcés de quitter le palais et maintenus à l'écart par un mystérieux champ de force — de centaures, d'hommes-chats et de tout un bestiaire qui résonne comme autant de clins d'œils) et lui donner une assise réaliste inscrite dans la tradition du planet opera (une dispora humaine pangalactique, la colonisation de la planète, la modification génétique de certains habitants, etc.). Héros idéal de ces deux courts romans, Ariel Doulémi symbolise à la perfection ce mariage rondement mené : jeune homme bien sous tout rapport, mais également vampire (pas au sens fantastique du terme), car modifié par les hommes-chats et pourvu de deux canines rétractiles dont il se sert pour identifier les liquides qu'il peut aspirer. De fait, au service de Madame Ha, il a l'occasion de se heurter à un complot qui sème plusieurs assassinats par empoisonnement tout en participant à une révolution sociale longtemps contenue. Descriptions longues et parfois fatigantes, certes, mais humour, souffle et véritable hommage à une littérature qui n'a jamais peur du merveilleux. Si La Cité d'en haut est un vrai thriller, c'est également un vrai bon bouquin à réserver aux lecteurs et lectrices avides de références (un des personnages s'appelle Rex Stout, et ce n'est qu'un exemple). Les fans de Richard Morgan n'apprécieront pas, même s'il y a des poursuites à vélo…

L’ami de la mort

[Chronique commune à L’ami de la mort et Le Cardinal Napellus.]

À l'inverse du bon Français qui s'étrangle d'horreur quand on en vient à évoquer l'intelligence de la littérature fantastique, l'Anglais et le Sud-américain n'ont aucune vergogne à classer parmi les chefs-d'œuvre des ouvrages aussi répugnants que La Tempête, Anaconda, Le Baiser de la femme-araignée et bien d'autres. Étonnante singularité culturelle qui autorise des plumes aussi brillantes, modernes et étonnantes que Borgès, Llosa, Manguel ou Taibo II à régulièrement défendre un genre non seulement fondateur d'une certaine modernité, mais littéralement inépuisable et, au bout du compte, infini. Décrite avec un tel épithète, la littérature de l'imaginaire ne pouvait que séduire Jorge Luis Borgès et son insatiable curiosité. On a tout écrit, ou presque, sur l'inventeur du réalisme magique (terme qui l'a toujours amusé), sur son immense influence littéraire, sur les nombreux territoires inexplorés qu'il a découverts avant de les offrir au monde, on a tout écrit, sans doute, mais la France est avare d'éloges dès qu'on évoque le vieux maître argentin. C'est une littérature de métèques, quand même. C'est également sardonique, drôle, décalé, érudit, subtil, bref, rien de bien vendeur quand on y réfléchit. Monstre sacré fêté sur toute la planète, Borgès bénéficie chez nous d'une célébrité de bon aloi dans les cercles initiés, mais guère plus. Rien d'étonnant, donc, à ce que l'initiative d'un tout jeune éditeur italien de lui confier une collection, comme ça, pour le plaisir, ne suscite en France qu'un enthousiasme modéré. Résumons ; nous sommes au tout début des années 70 et le projet italien a de quoi plaire : rassembler, sous la direction de Borgès, de nombreux textes fantastiques réputés pour leur qualité et leur modernité, tous accompagnés d'une préface rédigée spécialement pour l'occasion. Très vite, le nom de la collection est trouvé : ce sera « La Bibliothèque de Babel » (référence transparente à une nouvelle toute kafkaïenne de Borgès). Liberté absolue, choix éditoriaux validés immédiatement après proposition, Borgès nage en plein bonheur quand la mort le fauche quelques années plus tard. Lui survivent ses propres chefs-d'œuvre, bien sûr, mais également cette curieuse collection dont les quelques quarante titres rencontreront en Italie (comme en Espagne ou en Angleterre) un succès à la hauteur du travail accompli. En France, la collection disparaît rapidement des rayonnages et seuls quelques titres seront traduits. Fin du premier acte.

Janvier 2006, alors que l'essentiel du secteur s'accorde à trouver que le fantastique se vend tout simplement mal, alors que les collections décèdent les unes après les autres et que la rentabilité devient le maître mot d'éditeurs transformés en gestionnaires, FMR et Panama s'associent pour ressusciter « La Bibliothèque de Babel », avec pour ambition de rééditer les titres parus en France à l'époque, mais aussi en traduisant les inédits. Louable initiative qui bénéficie certes de la marque Borgès, aujourd'hui mieux connu et plus respecté, mais qui n'en reste pas moins suicidaire. Cerise sur le gâteau, chaque titre est repris en fac-similé avec la couverture d'origine. Stupeur, vingt ans après : les visuels fonctionnent remarquablement bien et envoient Manchu, Sorel et autres hystériques de la hache ou du turbolaser aux oubliettes de l'histoire. Résultat : de beaux livres, soignés, élégants, aussi agréables à regarder qu'à lire. Car, ne nous leurrons pas, le plaisir est à l'intérieur. Et question choix éditorial, on peut faire confiance à Jorge Luis Borgès. Avant la parution en septembre prochain d'œuvres de London, Saki, Dunsany ou encore Kafka, FMR et Panama fidélisent d'entrée leur lectorat en proposant deux magnifiques textes de Meyrink (rassemblés en un seul volume) et une merveilleuse novella romantique de Pedro Alarcon (un espagnol rigoureusement inconnu en France, qui lui a préféré dans le genre un certain Potocki). Au-delà de la matière étonnamment prolifique que les spécialistes y trouveront dans leur exégèse de Borgès, ces deux opus proposent (mais est-ce si étonnant ?) une vision du monde évidemment labyrinthique, évidemment décalée, évidemment inquiétante, et une mise en abîme remarquable de précision. Les lecteurs et lectrices apprécieront au passage l'intelligence des scénarios qui sont des modèles de narration aussi simples qu'imparables.

Du côté de Meyrink, c'est le texte « Le Cardinal Lapellus » qui est finalement retenu en ouverture. Sombre histoire de quelques hommes rassemblés dans un château manifestement sous l'emprise d'une malédiction (joliment symbolisée par une fleur vénéneuse), la nouvelle fait mouche avec une efficacité qui n'est pas sans rappeler Lovecraft (un auteur admiré et, fait généralement peu connu, parfois traduit par Borgès pour des revues éphémères). Une manière de boucler la boucle, Lovecraft ayant lui-même évoqué Meyrink au cours de sa très volumineuse correspondance.

Du côté de Pedro Alarcon, L'Ami de la mort est d'une facture archi classique qui rappelle aussi bien le Ruy Blas d'Hugo que le Manuscrit trouvé à Saragosse de Potocki. Banal récit d'un jeune homme qui fait un pacte avec la mort pour grimper les échelons du pouvoir à la cour et obtenir les faveurs de sa bien-aimée (une fille de noble, forcément inaccessible pour un page comme lui), le texte promène agréablement son lecteur avant de lui asséner une bonne paire de claques en repartant à zéro. Boum badaboum, voilà un joli château par terre et un lecteur assommé par une histoire très XIXe, certes, mais stupéfiante de modernité.

Vrai plaisir de lecture, découverte d'un pan du fantastique qu'on aurait oublié sans la surprenante initiative des éditions Panama et FMR, cette « Bibliothèque de Babel » est une réussite totale. Pas besoin d'être un inconditionnel de Borgès pour apprécier la rigueur des textes, l'intelligence du propos et une technique narrative qui force le respect. On a ici affaire à un concentré de grande littérature. En attendant les autres et avant que les raisons du compte en banque ne mettent un terme à ce petit bonheur éditorial, précipitez-vous sur ces deux bijoux, vous n'en reviendrez pas.

Le Cardinal Napellus

[Chronique commune à L’ami de la mort et Le Cardinal Napellus.]

À l'inverse du bon Français qui s'étrangle d'horreur quand on en vient à évoquer l'intelligence de la littérature fantastique, l'Anglais et le Sud-américain n'ont aucune vergogne à classer parmi les chefs-d'œuvre des ouvrages aussi répugnants que La Tempête, Anaconda, Le Baiser de la femme-araignée et bien d'autres. Étonnante singularité culturelle qui autorise des plumes aussi brillantes, modernes et étonnantes que Borgès, Llosa, Manguel ou Taibo II à régulièrement défendre un genre non seulement fondateur d'une certaine modernité, mais littéralement inépuisable et, au bout du compte, infini. Décrite avec un tel épithète, la littérature de l'imaginaire ne pouvait que séduire Jorge Luis Borgès et son insatiable curiosité. On a tout écrit, ou presque, sur l'inventeur du réalisme magique (terme qui l'a toujours amusé), sur son immense influence littéraire, sur les nombreux territoires inexplorés qu'il a découverts avant de les offrir au monde, on a tout écrit, sans doute, mais la France est avare d'éloges dès qu'on évoque le vieux maître argentin. C'est une littérature de métèques, quand même. C'est également sardonique, drôle, décalé, érudit, subtil, bref, rien de bien vendeur quand on y réfléchit. Monstre sacré fêté sur toute la planète, Borgès bénéficie chez nous d'une célébrité de bon aloi dans les cercles initiés, mais guère plus. Rien d'étonnant, donc, à ce que l'initiative d'un tout jeune éditeur italien de lui confier une collection, comme ça, pour le plaisir, ne suscite en France qu'un enthousiasme modéré. Résumons ; nous sommes au tout début des années 70 et le projet italien a de quoi plaire : rassembler, sous la direction de Borgès, de nombreux textes fantastiques réputés pour leur qualité et leur modernité, tous accompagnés d'une préface rédigée spécialement pour l'occasion. Très vite, le nom de la collection est trouvé : ce sera « La Bibliothèque de Babel » (référence transparente à une nouvelle toute kafkaïenne de Borgès). Liberté absolue, choix éditoriaux validés immédiatement après proposition, Borgès nage en plein bonheur quand la mort le fauche quelques années plus tard. Lui survivent ses propres chefs-d'œuvre, bien sûr, mais également cette curieuse collection dont les quelques quarante titres rencontreront en Italie (comme en Espagne ou en Angleterre) un succès à la hauteur du travail accompli. En France, la collection disparaît rapidement des rayonnages et seuls quelques titres seront traduits. Fin du premier acte.

Janvier 2006, alors que l'essentiel du secteur s'accorde à trouver que le fantastique se vend tout simplement mal, alors que les collections décèdent les unes après les autres et que la rentabilité devient le maître mot d'éditeurs transformés en gestionnaires, FMR et Panama s'associent pour ressusciter « La Bibliothèque de Babel », avec pour ambition de rééditer les titres parus en France à l'époque, mais aussi en traduisant les inédits. Louable initiative qui bénéficie certes de la marque Borgès, aujourd'hui mieux connu et plus respecté, mais qui n'en reste pas moins suicidaire. Cerise sur le gâteau, chaque titre est repris en fac-similé avec la couverture d'origine. Stupeur, vingt ans après : les visuels fonctionnent remarquablement bien et envoient Manchu, Sorel et autres hystériques de la hache ou du turbolaser aux oubliettes de l'histoire. Résultat : de beaux livres, soignés, élégants, aussi agréables à regarder qu'à lire. Car, ne nous leurrons pas, le plaisir est à l'intérieur. Et question choix éditorial, on peut faire confiance à Jorge Luis Borgès. Avant la parution en septembre prochain d'œuvres de London, Saki, Dunsany ou encore Kafka, FMR et Panama fidélisent d'entrée leur lectorat en proposant deux magnifiques textes de Meyrink (rassemblés en un seul volume) et une merveilleuse novella romantique de Pedro Alarcon (un espagnol rigoureusement inconnu en France, qui lui a préféré dans le genre un certain Potocki). Au-delà de la matière étonnamment prolifique que les spécialistes y trouveront dans leur exégèse de Borgès, ces deux opus proposent (mais est-ce si étonnant ?) une vision du monde évidemment labyrinthique, évidemment décalée, évidemment inquiétante, et une mise en abîme remarquable de précision. Les lecteurs et lectrices apprécieront au passage l'intelligence des scénarios qui sont des modèles de narration aussi simples qu'imparables.

Du côté de Meyrink, c'est le texte « Le Cardinal Lapellus » qui est finalement retenu en ouverture. Sombre histoire de quelques hommes rassemblés dans un château manifestement sous l'emprise d'une malédiction (joliment symbolisée par une fleur vénéneuse), la nouvelle fait mouche avec une efficacité qui n'est pas sans rappeler Lovecraft (un auteur admiré et, fait généralement peu connu, parfois traduit par Borgès pour des revues éphémères). Une manière de boucler la boucle, Lovecraft ayant lui-même évoqué Meyrink au cours de sa très volumineuse correspondance.

Du côté de Pedro Alarcon, L'Ami de la mort est d'une facture archi classique qui rappelle aussi bien le Ruy Blas d'Hugo que le Manuscrit trouvé à Saragosse de Potocki. Banal récit d'un jeune homme qui fait un pacte avec la mort pour grimper les échelons du pouvoir à la cour et obtenir les faveurs de sa bien-aimée (une fille de noble, forcément inaccessible pour un page comme lui), le texte promène agréablement son lecteur avant de lui asséner une bonne paire de claques en repartant à zéro. Boum badaboum, voilà un joli château par terre et un lecteur assommé par une histoire très XIXe, certes, mais stupéfiante de modernité.

Vrai plaisir de lecture, découverte d'un pan du fantastique qu'on aurait oublié sans la surprenante initiative des éditions Panama et FMR, cette « Bibliothèque de Babel » est une réussite totale. Pas besoin d'être un inconditionnel de Borgès pour apprécier la rigueur des textes, l'intelligence du propos et une technique narrative qui force le respect. On a ici affaire à un concentré de grande littérature. En attendant les autres et avant que les raisons du compte en banque ne mettent un terme à ce petit bonheur éditorial, précipitez-vous sur ces deux bijoux, vous n'en reviendrez pas.

De l’avenir, faisons table rase

Impeccablement traduit par Michèle Charrier (et le mot est faible), De l’avenir faisons table rase fait partie de ces romans poing-dans-la-gueule dont Jack Womack a le secret. L’auteur y fait preuve d’une acuité aussi douloureuse que réaliste et nous offre une histoire à mettre en parallèle avec le déjà très inquiétant Journal de nuit, en son temps publié en « PdF ». Loin des USA à tendances fascisantes, De l’avenir faisons table rase est une plongée hallucinante (mais pas hallucinée, bien au contraire) dans ce qu’il est convenu d’appeler le chaos post-soviétique. Pas très éloigné du satirique La Flèche jaune de Viktor Pelevine (en Denoël « & d’ailleurs », ah tiens), le texte de Womack n’a pourtant rien d’un roman swiftien. Ici, on saigne, on dégueule, on crève, on picole, on tue. Et on le fait salement. Ecrite en 1996, en pleine période Boris Ieltsine, l’histoire pourrait se résumer à une cuite et à l’inévitable gueule de bois subséquente. Tout sourit à Max Borodine. Homme d’affaire aussi véreux qu’élégant, aussi cynique qu’avisé (il possède plusieurs banques, c’est dire), l’homme vit très agréablement dans un monde qui a tout du pandémonium. Raisonnablement farci de dollars, qu’il distribue généreusement pour graisser la machine et obtenir ce qu’il désire, Borodine règne sur un petit monde qui ne sort jamais sans escorte dûment armée (Kalachnikov oblige). Femme belle et avisée en affaire, maîtresse outrageusement sexuelle chipée à un client encore plus malhonnête, entreprise bien tenue, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si Borodine n’était affublé d’un frère aussi stupide que dépensier. Dernière lubie (que Max devra bien finir par éponger), la création d’un parc à thème sobrement nommé Sovietland, dans lequel le visiteur pourra s’immerger allègrement dans les merveilles du monde soviétique (personnel désagréable, paysage d’usines, discours, prisons, etc. — que du bonheur). Mais un frère débile léger, ça n’est somme toute pas si grave, surtout quand un client (le mari de la maîtresse, ah zut) indélicat vous embarque dans un deal qui implique la mafia géorgienne. La vraie. Celle qui ne plaisante pas vraiment et qui ne sourit qu’au moment où elle vous égorge. Bref, pour Max Borodine, la vie peut vite se transformer en cauchemar. Une descente aux enfers qui ressemble à la Russie en général et qui achève de montrer que le monde s’est déjà écroulé.

Evidemment drôle, évidemment délirant, De l’avenir faisons table rase est surtout terrifiant. Situations ubuesques, horreur maîtrisée (et d’autant plus inquiétante), terreur banale et quotidienne, la vision moscovite de Womack est à tomber par terre. Un livre qui a tendance à calmer tout net son lecteur, mais qui ne sort pas non plus des codes du « roman noir » le plus classique. Ici, c’est surtout la forme qui décoiffe et qui fait oublier un fond finalement assez prévisible. Mais ne boudons pas notre plaisir. De l’avenir faisons table rase est un livre tout simplement épatant. De quoi donner des idées quant à l’éventuelle réédition des œuvres les plus marquantes de Womack. Qu’attend-on ?

Danseurs de lumière

Tristan est un tri-récidiviste. Pour lui, point de salut. Hormis s'engager dans les forces armées pour aller porter le combat sur la propre planète des Meds, sorte de méduses géantes ayant envahi la Terre. D'ailleurs, le lavage de cerveau que lui inflige l'armée ne lui laisse guère d'alternative. Et, comme il se doit, une fois arrivé sur Médusa, Tristan réalise qu'on ne lui a offert qu'un billet aller. La mission est une mission suicide…

Frédérique Lorient est une nouvelle voix chez « Autres Mondes », une voix qui, dès les premières lignes, sait se faire entendre, projetant le lecteur contre les murs d'une prison aux murs blancs sans prendre de gants. Déroute, doute, torture, acceptation forcée, tout l'éventail des manipulations mentales y passe. Une entrée en matière éprouvante, mais efficace !

À l'instar des dialogues, d'ailleurs, dont le côté « parler jeune » pourrait agacer mais prend vite sens, tant ils aident à l'identification et font glisser le lecteur dans la peau de Tristan aussi bien que dans celle de tous les autres protagonistes.

Et après le voyage agité, c'est à des rencontres que nous convie l'auteur. Rencontres avec les siens, mais aussi l'ennemi désigné. Sauf que, bien sûr, tout n'est pas si simple. En quoi nos actes sont-ils justes ? L'ennemi, parce qu'il est ennemi, est-il pour autant mauvais ? Après tout, n'est-ce pas une question de point de vue ? Un problème d'individu plus que de race, de nation, de planète ? Autant d'interrogations fondamentales, essentielles, qui sont ici abordées au fil des pages avec force et justesse, tout en émettant simplement un léger bémol à l'encontre d'une fin un peu trop ouverte.

Avec ce Danseurs de lumière, trente-huitième livraison de la collection « Autres mondes », Frédérique Lorient a su mettre ses mots sur les principes mêmes de ladite collection : « Une littérature de sens et d'émotions. »

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