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Aux limites du son

Étanche aux aléas éditoriaux et à toute forme de compromission littéraire, La Volte publie ce qu'elle veut, quand elle veut et comment elle veut. Un constat réjouissant, qui autorise Mathias Echenay (Monsieur La Volte, donc) à s'aventurer sur des terrains a priori interdits aux autres. Témoin, cette très belle (littérairement et physiquement) anthologie plus ou moins dédiée au défunt et fameux groupe Limite qui rassemble sept plumes prestigieuses (de Berthelot à Curval en passant par Jouanne ou Barbéri) en plus d'un CD musicalo-bruitiste de haute tenue. Plaisir des yeux, donc (merci à Jef Benech' pour l'excellent habillage de l'ensemble), mais aussi plaisir des oreilles, puisque tel est le sujet. Recherche sur la structure et sur la langue, nous dit le manifeste du mouvement Limite fondé vers le milieu des années 80 et clairement orienté vers une S-F plus adulte, plus littéraire, plus expérimentale, plus audacieuse en un mot. De fait, les sept textes qui composent Aux limites du son forment un tout cohérent à défaut d'être parfaitement intelligible. On se dit que les auteurs — comme l'éditeur, d'ailleurs — ont voulu se faire plaisir, et on aura bien du mal à leur en vouloir, tant ce plaisir est communicatif, même si toutes les nouvelles ne fonctionnent pas de la même façon. C'est sans doute inévitable et c'est tant mieux, l'idée restant de toucher (mais de toucher vraiment) un public réduit plutôt que de racoler le plus grand nombre. À défaut de tout comprendre (le faut-il nécessairement, d'ailleurs ?), on a le droit de se laisser bercer par la musique des mots et celle des sons. On citera par exemple les très beaux morceaux Il n'y a pas de raisons de s'inquiéter (DDAA) et La danse de Lugrustan (BeNe GeSSeRiT), tous deux inspirés respectivement par les très beaux textes « Dies Irae » (Barbéri & Jouanne) et « Mes relations avec Lugrustan » (Philippe Curval, qui « remplace » Volodine au menu Limite et y ajoute son humour très personnel). À noter également la très curieuse « Symphonie inaccessible » de Francis Berthelot, qui raconte la quête musicale d'un homme à travers les âges et les incarnations et qu'on a pu « entendre » in situ aux dernières Utopiales de Nantes dans une sorte de happening plutôt réussi. Bref, on l'aura compris, Aux limites du son est de la race des livres qui font du bien, tant par leur différence que par leur provocation. La preuve que l'imaginaire n'est pas formaté et qu'une autre littérature est possible.

L’âge des lumières

Chroniquer L'Âge des lumières n'est pas simple. D'abord parce que MacLeod nous a déjà emballé tout net avec son très bon Les Iles du soleil, ensuite parce que la traduction de Jean-Pierre Pugi est tout simplement à tomber et rend justice au style si particulier de l'auteur. Difficile, donc, de garder son calme devant le livre, tant sa qualité est à la hauteur de sa réputation. Fort heureusement, la couverture plutôt repoussante (ce qui a donné lieu à un joli — et vif — débat sur la toile) tempère les ardeurs des hystériques. Reste que c'est l'intérieur qui compte et que MacLeod n'a pas pour habitude de se moquer du monde. Pourtant, entrer dans L'Âge des lumières n'est pas évident. Lenteur de l'histoire, rigueur stylistique, inaction récurrente et scénario somme toute assez banal (malgré l'originalité de départ) limitent le droit d'accès : dans une Angleterre uchronique précipitée dans une sorte d'ère industrielle parallèle depuis le XVIe siècle grâce à la découverte de l'Ether, on suit le parcours d'un jeune homme qui refuse le pouvoir en place et qui va tout tenter pour le renverser. Pas de quoi s'énerver a priori, mais l'Ether est une si jolie trouvaille… Magie incarnée en une substance délétère, c'est elle qui donne à l'Angleterre son pouvoir et sa richesse en pliant la matière à la volonté humaine. C'est elle qui maintient les ponts, c'est elle qui fait tourner le monde, mais c'est également elle qui, en se rendant indispensable, asservit l'humanité. De fait, la société décrite par MacLeod n'a vraiment rien d'utopique. Organisation bureaucratique pyramidale ultra hiérarchisée par l'intermédiaire des guildes, on trouve même des intouchables (ou leur équivalent) qui ont tout des prolétaires si bien décrits par Orwell dans 1984. L'Âge des lumières, roman politique ? Pourquoi pas. Tous les ingrédients y sont habilement mélangés. La critique sociale, la description d'un ordre implacable et immuable, la révolte nécessaire d'un individu et l'idée assez fréquente au Royaume Uni (on peut y voir la très recommandable influence de William Morritz) que le progrès ne justifie pas forcément l'injustifiable.

En fait, l'atout principal du roman reste sa magnificence un peu barrée, un peu baroque. Le style est inimitable, le déroulé des phrases s'autorise maints détours et la beauté générale du décor transporte assez vite le lecteur là où la S-F ne l'emmène que rarement. Aucun doute, Ian MacLeod confirme son exceptionnel talent d'architecte. Le meilleur est sans doute à venir, mais la barre est déjà bien haute, ce dont personne ne songera sérieusement à se plaindre.

Le Puits des histoires perdues

Nous retrouvons l'héroïne Thursday Next là où nous l'avions laissée dans Délivrez-moi. Enceinte d'un mari qui n'a jamais existé puisqu'il a été éradiqué de la trame temporelle, traquée par la puissante et impitoyable Goliath Corporation, elle a été recrutée par la Jurifiction, la police des livres qui, entre autre, veille à ce que les personnages de roman ne s'échappent pas de leur œuvre. Afin qu'elle puisse passer une grossesse tranquille, sa supérieure, Miss Havisham (celle des Grandes espérances de Dickens), la cache dans un roman de gare inédit, Les Hauts de Caversham. Car il existe en effet, sous la Grande Bibliothèque (c'est-à-dire, le monde des livres publiés), le Puits des histoires perdues, vingt-six étages de sous-sols où s'entassent les livres en chantier, les œuvres en attente de publication, les manuscrits impubliables. Dans le cadre du programme d'échange de personnages, Thursday endosse donc un second rôle dans ce médiocre polar en instance de démolition et s'installe dans un hydravion avec Pickwick, son dodo apprivoisé.

Mais son congé maternité ne sera pas aussi reposant qu'elle l'avait imaginé. Investie de missions mineures pour la Jurifiction, elle découvre l'existence d'un complot qui menace ni plus ni moins les fondations du Monde des Livres. UltraWord, 9e version du « système d'exploitation » du monde des livres, est en cours de test et doit bientôt remplacer le vieillissant système LIVRE en usage depuis plusieurs siècles. Or, un agent de la Jurifiction semble avoir été assassiné après avoir découvert qu'UltraWord est piégé. Et le piège doit se refermer lors de la 923e cérémonie des Livres d'Or. Thursday Next, qui s'était mise en tête de former deux personnages génériques, d'aider le personnage principal des Hauts de Caversham et de préserver le roman de la mise au rebut, va en plus de tout cela devoir sauver le monde…

En 2004, les lecteurs français découvraient L'Affaire Jane Eyre, étonnante uchronie dans laquelle fiction et réalité se mélangent allègrement. L'Angleterre est en guerre contre la Crimée depuis un siècle, les Anglais vénèrent l'écrit au point d'avoir mis en place des services secrets spécialisés dans la littérature, des personnages de fiction peuvent sortir des livres. Inversement, on peut entrer dans les livres et en modifier l'intrigue, on y communique via un note-de-bas-de-page-phone. Le tout est hautement référentiel et ratisse large (de Blyton à Dickens en passant par le Chat de Cheshire et les empereurs de l'espace). Les références piochent abondamment dans les classiques anglo-saxons ; si toutes ne parleront pas forcément au lecteur français, cela ne gêne en rien la lecture. Ces quelques lignes ne constituent qu'un petit aperçu de l'univers bâti par Jasper Fforde. Si vous ne connaissez pas encore Thursday Next, vous êtes impardonnables et êtes sommés de vous procurer et de lire dans les meilleurs délais les deux premiers tomes, disponibles en grand format au Fleuve Noir et en poche chez 10/18.

Avec Le Puits des histoires perdues, l'auteur approfondit et enrichit son univers, et plus particulièrement le fonctionnement du Monde des Livres — la Grande Bibliothèque et le Puits — auquel il apporte de nombreuses nouvelles idées : le système LIVRE, la Mer de Texte, les vyrus ortografiques, ou encore les personnages génériques (une belle invention parmi d'autres). C'est aussi l'occasion de s'amuser avec les clichés, du polar en l'occurrence, à travers le roman fictif Les Hauts de Caversham, le personnage de l'enquêteur Jack Spratt, et les extraits dudit roman (Fforde aime écrire des romans-gigognes. Ça tombe bien, nous on aime le lire).

Le revers de la médaille, c'est que la facette uchronique des deux premiers opus et le monde fascinant des SpecsOps passent à l'arrière-plan. C'est frustrant : l'univers s'enrichit d'un côté mais s'appauvrit de l'autre. Par ailleurs, l'intrigue principale tarde quelque peu à se mettre en place, tant Jasper Fforde s'amuse avec ses personnages et ses bonnes trouvailles, au risque de s'égarer en chemin. Si Le Puits des histoires perdues se situe donc un cran en dessous de L'Affaire Jane Eyre, il convient de relativiser : nous restons malgré tout dans le domaine de l'excellent. Le roman comporte plusieurs morceaux de bravoure — ainsi, l'attaque des virus orthographiques et le combat épique qui leur est livré ! Et lorsque l'enquête sur le grand complot démarre enfin, l'auteur ne nous lâche plus jusqu'à un final ébouriffant mené à cent à l'heure et nourri de rebondissements.

À l'image des précédents, ce troisième opus demeure un OVNI littéraire, drôle, original et fin, qu'on se doit de lire toutes affaires cessantes. En attendant le tome 4, Something Rotten, au titre shakespearien prometteur.

Jennifer Morgue

En 2004, l'Écossais Charles Stross débarquait en France avec un roman surprenant et hilarant, Le Bureau des atrocités, adjoint d'une novella se déroulant dans le même univers et mettant en scène le même personnage principal : Bob Howard, hacker au service de la Laverie, le plus secret des services secrets britanniques, une entreprise qui œuvre dans le domaine de l'occulte et a notamment pour rôle d'intercepter mathématiciens et autres informaticiens fous ayant redécouverts certains théorèmes capables d'ouvrir des portes vers des mondes parallèles peuplés de créatures que H. P. Lovecraft n'aurait pas reniées. L'ouvrage, publié chez Robert Laffont dans la collection « Ailleurs & demain », n'ayant sans doute pas reçu le succès public escompté (à moins que l'éditeur, Maître Gérard Klein, n'ait pas apprécié la suite…), c'est le Cherche Midi qui nous propose ce second opus dans l'univers de la Laverie.

Pour Howard, tout commence par une mission de routine, en Allemagne, où il échappe de justesse, au cours d'une réunion, à une présentation Powerpoint piégée. Briefé par son supérieur et ses collègues, il apprend que le milliardaire Ellis Billington entend récupérer une redoutable arme chthonienne échouée depuis des millénaires dans les fonds océaniques. Entreprise qui pourrait bien rompre l'accord secret passé entre l'humanité et des créatures sous-marines capables d'exterminer toute vie terrestre d'un simple claquement de doigts. Howard est donc envoyé sur place, dans les Caraïbes, pour déjouer le plan de Billington. Avec l'aide de Ramona Random, agent de la Chambre Noire, équivalent US de la Laverie, il doit s'introduire sur le yacht du milliardaire… Comme si la situation n'était pas assez compliquée, les deux agents secrets se retrouvent liés par une « intrication de destinée » : si le lien télépathique qui en résulte s'avère bien pratique pour les besoins de la mission, un tel sort met leurs vies en danger. Ah oui, j'oubliais : Ramona est une démone (d'apparence humaine, grâce à un « glamour »), et mieux vaut éviter de fricoter avec la charmante créature si l'on tient à sa vie et à sa santé mentale…

Le lecteur du Bureau des atrocités ne sera pas trop dépaysé, du moins au départ, avec ce Jennifer Morgue. On y retrouve le même mélange d'espionnage et de fantastique, dans un univers où la technologie se met au service de la magie : utilisé de manière appropriée, le matériel électronique permet de lancer des sorts et des invocations — l'économiseur d'écran d'un téléphone portable contient un attrape-rêves protégeant le sommeil de son possesseur, etc. L'imagination de l'auteur n'est pas avare en idées délirantes. Parmi les plus jolies trouvailles : un produit de beauté à base de sacrifice humain qui transforme le porteur en véritable caméra de surveillance. L'humour reste très présent, à travers l'univers bureaucratique de la Laverie, et surtout via les réflexions du personnage principal (sa diatribe contre les réunions soporifiques à base de présentations Powerpoint est savoureuse).

Mais Stross a eu l'intelligence de ne pas écrire un simple clone de son premier roman. Ici, l'aspect lovecraftien de son univers, omniprésent dans Le Bureau…, et dont il constituait un des nombreux charmes, s'estompe au profit d'un hommage à un autre genre d'œuvres : celles de Ian Fleming et de son célèbre agent 007. Tout y est : la mission sur une île de rêve (surveillée par des mouettes zombies), l'espion en smoking (avec port USB intégré dans le nœud papillon), la James Bond girl (version démon aquatique), le milliardaire dément qui veut devenir maître du monde (forcément) et qui monologue abondamment (comme tout Méchant digne de ce nom), sans oublier la voiture gadgétisée. Pas une Austin Martin, non, mais une Smart, restriction budgétaire oblige, et moins dotée d'armes conventionnelles que de protections anti-zombies. Le résultat est une intrigue jamesbondienne transposée dans un contexte fantastique et décalée par un sens de la dérision pertinent. Autre idée qui confère à l'intrigue une dimension supplémentaire : les protagonistes ont conscience d'évoluer dans l'univers fictif de James Bond, car il existe (on résume grossièrement) un sort qui invoque l'esprit de Ian Flemming aux alentours de l'île, sort que, naturellement, bons et méchants tentent d'exploiter.

On pourra reprocher au roman un petit coup de mou à mi-parcours. Faiblesse toutefois passagère : l'intrigue ne tarde pas à redémarrer pour ne plus lâcher le lecteur jusqu'à la fin. On pardonne aisément au vu des morceaux de bravoure dont elle est parsemée, notamment la réunion piégée et toute la partie finale sur le yacht du milliardaire. L'autre reproche, difficilement pardonnable, celui-là, est à imputer à l'éditeur : une couverture laide à pleurer qui ne rend justice en rien à la qualité et à l'originalité de l'ouvrage. Certes, nous sommes dans l'hommage aux films d'espionnage et aux clichés qui vont avec, mais ce n'est pas une raison pour faire dans le moche, ni faire fuir le lecteur potentiel qui croira tomber sur un « OSS 117 » grand format.

Quoi qu'il en soit, on conseillera ce Jennifer Morgue, et, d'une manière générale, l'univers de la Laverie, qui constitue jusqu'à présent, en français tout du moins, l'aspect le plus intéressant de l'œuvre de Charles Stross.

Alien Earth

Voici ce qu'on peut lire en page 110 du présent bouquin : « Votre planète est empoisonnée. Les effets de l'empoisonnement sont irréversibles. D'ici deux cents ans, l'espèce humaine ne pourra plus survivre sur votre planète. Il faut l'évacuer dès maintenant, avant que l'empoisonnement n'affecte votre potentiel génétique. Nous sommes là pour aider à l'évacuation. Nous sommes les Arthroplanes. » Une citation qui résume au mieux les enjeux du roman… C'est dit : la race humaine passe sous le giron protecteur des Arthroplanes pour se voir, après quelques manipulations génétiques forcées, réimplantée avec succès (mais sous haute surveillance) sur deux lointaines planètes, Castor et Pollux. Sauf que quelques millénaires plus tard, la méfiance et la curiosité n'ayant toujours pas été éliminées du pool génétique humain, une poignée d'hommes et de femmes se mettent à douter des Arthroplanes qui ne cessent de répéter combien la Terre est pourrie. Ils veulent savoir, ils veulent voir par eux-mêmes. Sous couvert d'une mission banale, ils envoient donc en secret un vaisseau vers la Terre afin d'y effectuer leurs propres relevés. Et pour y trouver quoi, ma bonne dame ?

Il est rare d'observer une telle dichotomie chez un écrivain portant deux noms de plume différents. Autant Robin Hobb est passionnante, autant Megan Lindhom peut se révéler chiante et pénible. La trame de cette petite fable (500 pages tout de même !) philosophico-écolo, alourdie du thème rebattu du retour aux sources, était déjà usée jusqu'à la corde lorsque, en 1992, le livre fut écrit. Chacun sait que la spécialité de Robin Hobb alias Megan Lindhom n'est pas à proprement parler l'originalité. C'est même tout le contraire. Et si Hobb excelle dans la réécriture des mythes standards de la fantasy, Lindhom passe au travers dans le domaine de la science-fiction, et pas qu'un peu.

Nous voici donc avec un récit impersonnel et dépassionné, confit dans un rythme non pas lent mais mou, ce qui est pire. Les personnages sont décevants, sans saveur, à la limite de la caricature. Connie, surtout, l'élément féminin de l'histoire, particulièrement agaçante : indécise, psychorigide, on a plus qu'à son tour l'envie de la balancer contre un mur pour voir le résultat, juste par curiosité. Ainsi se retrouve-t-on coincé à la moitié du livre, et ce sur plusieurs centaines de pages, au cœur d'un huis clos qui fait bailler d'ennui. Un sentiment que rien ne vient sauver, et certainement pas les première et dernière parties, tout aussi mornes et plates, sans rythme autre que contemplatif. La construction même de l'histoire est simpliste. Découpé en deux parties, la première est rigide, monolithique et ennuyeuse. Puis l'auteur introduit un élément déstabilisant, et on bascule dans le chaos. Sauf que… Le chaos chez Lindhom est très lisse, policé, et surtout très, très, prévisible. À oublier, et vite.

Un secret de famille

Dans le premier volume de cette trilogie, Miriam Beckstein, une journaliste économique, a reçu de sa mère adoptive, Iris, un carton à chaussures contenant des objets relatifs à ses origines, dont un pendentif qui l'a expédiée sur un monde parallèle d'aspect médiéval. Elle est désormais la riche princesse d'un clan dont l'activité principale est un lucratif trafic de drogue, impunément acheminée au client à travers l'univers parallèle. Tout le monde n'ayant pas la capacité de passer d'un monde à l'autre, Angbard, l'oncle de Myriam, attend qu'elle participe à l'entreprise familiale. Un refus signifierait la mort de Myriam. En outre, bien des gens espèrent mettre la main sur son fabuleux héritage, qui avait été gelé jusqu'à ce jour. Elle-même n'est qu'un pion dans les luttes mortelles qui opposent les diverses familles du Clan. Après plusieurs tentatives d'assassinat, Myriam a choisi de se cacher sur Terre chez son amie Pauline, d'où elle organise la contre-attaque. Elle est accompagnée de Brill, une aristocrate qui n'a pu changer d'univers que juchée sur ses épaules et qui se familiarise extraordinairement vite avec les merveilles technologiques de nos sociétés industrielles. Elle a également pris ses distances avec Roland, le cousin déconsidéré pour avoir voulu engager des réformes sociales jugées dangereuses par les tenants du pouvoir : elle l'aime toujours mais pense qu'un traître se dissimule dans son entourage.

Le seul moyen de mettre fin à ce commerce immoral, d'améliorer le niveau de vie et les conditions sociales sur l'autre monde, est de permettre aux familles de s'enrichir différemment. Myriam trouve plus lucratif le commerce des idées : il ne nécessite pas de soustraire à un univers une quantité de matériaux limitée à ce que peut porter un homme, mais permet de donner une valeur ajoutée à la matière brute tout en développant sur place une industrie prospère. La technologie de nos sociétés est trop avancée pour être exportable, mais Myriam découvre fort opportunément l'existence d'un troisième univers, d'où serait issue une fraction des gens qui cherchent à la tuer et qui, sur le plan du progrès, se situe à mi-chemin entre les deux mondes. Cette société victorienne qui connaît l'automobile et le dirigeable est cependant dirigée par un gouvernement totalitaire des plus répressifs.

C'est donc en voyageant dans trois univers différents que Myriam déjoue les plans des factions acharnées à sa perte et met en place un commerce idyllique qui jette les bases d'une société plus égalitaire. Celles-ci empruntent essentiellement au père de l'économie politique, Adam Smith, auquel Stross rend hommage à travers quelques vibrants plaidoyers sur les vertus de la production industrielle, qui offre à l'homme de la disponibilité, en même temps qu'il balaie les remords post-coloniaux des sociétés avancées craignant de détruire d'anciennes cultures en lui apportant la technologie (Allez donc vivre dans une hutte pendant deux ans !). Ces discours libéraux ne sont pas entièrement tempérés par ceux d'un autre analyste économique, Karl Marx, auteur d'un Réexamen de l'Exode de Hanovre, qu'on lit sous le manteau dans le troisième univers. Stross se fonde d'avantage sur le sens moral des dirigeants pour éviter les dérives d'une économie de marché trop libérale que sur un réel contre-pouvoir. Par ailleurs, la révolution conceptuelle de son héroïne est un peu trop facilement menée : un seul discours suffit à gagner les membres du Clan à sa cause. Les arguments, très rationnels et fondés sur les réflexes égoïstes des auditeurs, sont, certes, convaincants, mais on est surpris que Myriam rencontre si peu d'opposition dans sa remise en cause de traditions, sachant le pouvoir dont disposaient, dans nos sociétés médiévales, les puissances religieuses qui n'avaient pas leur pareil pour tuer dans l'œuf les révolutions scientifiques, religions qui sont ici à peine évoquées.

Mais Charles Stross masque habilement les insuffisances de sa démonstration avec un récit prenant, servi par des personnages intéressants. L'avalanche de péripéties ne laisse pas au lecteur le temps de porter un regard critique. Certains coups de théâtre nous ramènent même à l'époque de Molière, mais le dynamisme et la conviction sont tels qu'on se laisse malgré tout emporter par l'histoire jusqu'à la dernière page.

Temps

Persuadé que l'avenir de l'homme est dans l'espace, Reid Malenfant, exclu de la NASA, a convaincu des investisseurs de financer un programme concurrent de conquête spatiale à rentabilité immédiate avec l'exploitation d'astéroïdes. C'est un excentrique optimiste qui n'est jamais là où on l'attend. Son ancienne épouse, Emma Stoney, qui est restée sa secrétaire, le soupçonne de s'être inventé une maîtresse juste pour se consacrer davantage à ses projets. Ceux-ci changent notablement quand Cornelius Taine, un mathématicien, parvient à théoriser l'extinction de l'humanité dans les deux siècles à venir par un cataclysme quelconque, une conséquence de la surpopulation ou de l'épuisement des matières premières, théorie qui ne peut que flatter les idées d'un Reid pressé de voir l'homme quitter la planète. Taine le convainc cependant de tenter une expérience délirante, persuadé que si l'homme est parvenu à s'en sortir, il a envoyé un message dans le passé pour prévenir ses ancêtres. La détection de ce message, réalisée à partir du comptage de neutrinos issus de désintégrations de quarks et d'anti-quarks, est une preuve d'autant plus vertigineuse qu'elle désigne un astéroïde a priori insignifiant, Cruithne, mais dont l'orbite est si bien ajustée à celle de la Terre qu'elle constitue un mystère. Il n'en faut pas plus pour que Reid modifie ses plans, envoyant sa fusée sur un objectif moins facile à atteindre, avec, à son bord, un calmar génétiquement modifié dont l'intelligence, pour rudimentaire qu'elle nous apparaisse, est exceptionnelle par rapport à ses congénères. Sheena 5 sait que son voyage est sans retour et l'accepte plus facilement que bien des humains ayant appris sa présence à bord. Alors que se posent des questions éthiques sur l'emploi de calmars dans l'espace, l'humanité s'inquiète, dans le même temps, de l'apparition d'enfants surdoués à travers le monde, dans des quartiers défavorisés, qui tous dessinent des cercles bleus. La peur qu'ils suscitent amène la société à les confiner dans une école en Australie, où ils sont suivis…

Autour de ces trois axes, les enfants surdoués, les céphalopodes amenés à l'intelligence et le message en provenance du futur, Stephen Baxter élabore une intrigue échevelée, où la découverte sur Cruithne d'un artefact permettant de passer d'un univers à l'autre emmène les héros dans une multitude de mondes parallèles. Tout au long de cette folle aventure se pose la question du sens de la vie et celle de l'immortalité de l'espèce. L'humain se refuse à croire qu'il s'éteindra un jour, au mieux avec la mort de son soleil, ni, s'il parvient à essaimer dans la galaxie et au-delà, à disparaître en même temps que l'univers, lui aussi mortel. La théorie des univers parallèles qu'il développe, si elle assure une pérennité, pose cependant d'autres questions.

Stephen Baxter a le sens du cosmique. La première partie du roman, passionnante dans ses développements très hard science, comme l'usage de particules voyageant dans le temps, l'emploi de calmars pour l'exploration spatiale, la confiscation de l'espace par la NASA (un reproche qu'il a déjà utilisé ailleurs) rappelle que l'auteur fut lui-même un candidat aux étoiles refusé par la NASA. Si l'espace a perdu un astronaute, la science-fiction a gagné un écrivain d'envergure, qui possède un sens de l'intrigue et du rythme capables de transformer le plus assommant exposé scientifique en insoutenable suspense.

Au terme de cette aventure absolue se pose la question de savoir ce que Baxter pourra bien encore raconter dans les prochains volumes de la trilogie (Espace et Origine), tant il semble être allé loin dans l'exploration de son univers. Il est surprenant que ce très grand roman ait dû attendre huit ans pour être traduit en France (mais il est tout aussi irritant de voir que nombre d'œuvres de Baxter, comme les séries Xeelee, Behemoth et Time's Tapestry, restent inédites chez nous).

Sjambak

Six nouvelles et un court roman, tous datés des années cinquante à l'exception de « Planète de poussière » (1946), composent ce recueil de Jack Vance. L'exotisme y est de rigueur et la plupart des histoires traitent de commerce extra-planétaire et des dangers ou problèmes afférents ; on lutte ainsi contre une créature dans une région de prospection minière (« Joe Trois Pattes ») ou on espère développer le tourisme sur une planète malgré la présence de sjambaks, dissidents au pouvoir local (« Sjambak »).

L'expédition de marchandises à travers les mondes, dans les soutes de vaisseaux spatiaux ou par le biais d'une technique de téléportation, génère des trafics et des escroqueries (« La Planète de poussière », « Le Robot désinhibé »). Ces mondes aux forts relents de colonialisme permettent d'aborder le sujet sous divers éclairages. Les nouvelles qui ouvrent et ferment le recueil en particulier montrent que les occupants ne sont pas toujours les vainqueurs : « Les Maîtres de maison » ne sont pas forcément ceux que l'on croit et la culture locale marque parfois l'envahisseur de son empreinte au point de l'obliger à s'adapter au lieu d'imposer ses vues planifiées (« Le Diable sur la colline du Salut »).

Tout ce qui fait le talent de Vance est déjà présent : loin de se concentrer sur l'intrigue, le récit fourmille de détails et de remarques renforçant la sensation de décalage culturel. Ces touches discrètes ne sont pas seulement utiles pour l'exotisme mais plaident pour la tolérance et le respect des cultures étrangères, témoignant au passage de l'ouverture d'esprit de Vance face à l'autre.

Le court roman formant le cœur du présent volume tranche radicalement sur les nouvelles et montre que Vance est passé maître dans plusieurs registres. Parapsyché est en effet un récit fantastique basé sur la thématique de la maison hantée mais qui évolue vers la maîtrise de pouvoirs paranormaux. Bien que convenue aujourd'hui, l'intrigue reste passionnante, portée par un suspense constant. On apprécie la tentative de Vance pour rationaliser les phénomènes de poltergeist avec une théorie faisant de la pensée une matière, au même titre que la lumière, on estime davantage encore ses prises de position fermes pour la liberté de pensée, contre l'obscurantisme religieux, opposition qui se manifeste ici en une lutte farouche entre les Croisés Chrétiens et la Société pour la Liberté de Pensée.

Ce roman et trois nouvelles (sur six) étaient restés inédits à ce jour, et, des trois rééditions, aucune n'avait encore été publiée dans un recueil. Même si certains textes ont vieilli, la lecture de ces histoires reste tout à fait agréable. On y entend en particulier cette musique propre à l'auteur, une musique légère et familière, comme ces airs populaires que l'on tient pour négligeables mais qu'on ne cesse de siffloter parce qu'ils rendent la vie plus gaie. Il est bon de la retrouver encore une fois.

Au-delà de l'infini

Cley est une Originale, autrement dit ce qui se fait de plus proche de l'Ur-Humain tel qu'il est apparu sur Terre. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir des doigts se transformant en autant d'outils de couteau suisse. Elle a en fait été recrée par les Supras, à partir des données conservées dans la Grande Bibliothèque où elle travaille et où elle s'est éprise d'un Supra que son infériorité ne gêne pas. Mais la Bibliothèque est attaquée par un ennemi venu de l'espace, qui éradique tous les Originaux, à l'exception de Cley, laissée pour morte. C'est Traqueur de Modèles, un raton laveur génétiquement modifié d'une intelligence aiguë, qui lui sauve la vie. Mais les archives d'ADN ont été détruites, ce qui fait de Cley la dernière représentante des Ur-humains. Traquée, elle décide d'affronter son ennemi, le Malin, créé par des extraterrestres à présent disparus, un destructeur de mondes auquel on avait opposé jadis un ennemi de puissance comparable dont on a perdu la trace.

Dans un futur très lointain, le concept d'humanité a évolué au point de ranger les représentants actuels parmi les hommes des cavernes. Cley elle-même, de par son relatif isolement au sein de la Bibliothèque, découvre avec étonnement des espèces capables de l'expédier dans une des dimensions cachées de l'univers. D'autres, comme le Balancier Stellaire, une baguette géante bondissante en rotation autour d'une planète, constituent un moyen de transport à travers les mondes. Des squales de l'espace sillonnent le vide à la recherche de Léviathans ou apparentés pour se repaître des parasites et voyageurs qui y nichent.

L'étrangeté plus que déstabilisante de cet univers ne donne que plus de force au leitmotiv que Cley entend depuis le début de son équipée, à savoir qu'elle n'est pas le summum de la création et que son espèce a même contribué à en créer d'autres qui lui sont supérieures. C'est ainsi que Traqueur, avisé compagnon de route, considéré comme quantité négligeable par les Supras qui ont laissé l'espèce se développer seule, apparaît de plus en plus comme une pièce importante de l'échiquier qui dissimule sa véritable nature.

Gregory Benford a poussé ici l'humanité dans ses ultimes développements, plantant un décor d'un exotisme absolu. Si le lecteur est bluffé par l'inventivité dont il fait preuve à chaque page, il est en même temps dérouté par l'étrangeté qui prévaut du début à la fin. Le récit lui-même manque de relief, ne serait-ce que parce que durant une grande partie du livre, Cley et Traqueur sont les seuls protagonistes affrontant des dangers liés à l'environnement. Déjà trop éloignés de l'humanité primitive, les protagonistes peinent à nous faire partager leurs émotions ou leur motivations, ce qui nuit grandement à l'intérêt qu'on peut leur porter. Au-delà de l'infini est une superbe construction intellectuelle, brillante sur le plan des idées, mais à qui il manque une âme pour provoquer l'adhésion.

Fugue en ogre mineur

« Dans ce recueil, vous ne trouverez que des femmes. Etonnant, non ?

Non. Les femmes connaissent bien les ogres. Elles ont dormi avec (parfois, ils se cachaient juste sous le lit), elles ont fait cuire des oies grasses pour calmer leurs fureurs, elles ont essayé de leur échapper. Et les ogres connaissent bien les femmes ; là, le vieux tabou de l'inceste les a travaillés, alors qu'ils somnolaient dans leur antre, là, il suffisait de serrer la main pour briser de jolis cous et de jolies vies. » Extrait de la courte mais bonne préface d'Anne Fakhouri.

 Cinq nouvelles, cinq femmes présentées par une sixième et au final, une très jolie surprise là où ne l'attendait guère. Plutôt que de dire du mal de la nouvelle la plus indigne et insignifiante de cette anthologie qui, de plus, a la lourde responsabilité d'y mettre un point final, je préfère plutôt rendre compte des deux meilleurs textes : « L'Ogre de ciment » de Jeanne-A Debats (42 ans, deux enfants, deux chiens, deux chats, deux ex. S'ils font naufrage, elle pense qu'elle sauvera les chats d'abord) et « La Chair choisie » d'Audrey Guillotte (née en 1982 en banlieue parisienne, quelque peu traumatisée par les écrits d'Edgar Allan Poe).

La première de ces deux nouvelles est une histoire d'ogre en banlieue ; malgré ses accents un peu convenus et sa chute téléphonée, il s'agit surtout d'un texte poignant, bien construit autour d'un personnage attachant, terriblement proche de nous. Au final, une très jolie trouvaille taillée dans la chair dure du quotidien et qui, par voie de conséquence, ne manque pas d'émotion.

Le texte de la jeune Audrey Guillotte, « La Chair choisie », est lui d'une toute autre facture. C'est un conte horrible et tendre, l'histoire d'une petite ogresse prénommée Larve, un long texte très riche, parfois magnifiquement écrit, tout à fait du niveau de ce qu'on peut lire dans les Year's Best Fantasy and Horror de St. Martin Press. Un texte qu'on achève assommé et qu'on relit juste pour le plaisir. Une pépite noire, dégoulinante de sang et de sucres en grumeaux qui, à elle seule, vaut que vous vous intéressiez grandement à l'ouvrage Fugue en ogre mineure (dont on notera aussi la jolie qualité de fabrication).

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