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Bran Mak Morn

Bran Mak Morn, sombre roi d’un peuple sur son déclin, les Pictes. L’homme noir, dernier rassembleur des clans, ne renonçant jamais malgré la menace des Romains et celle, plus grande encore, de l’oubli.

Le décor ? La Calédonie, entre le deuxième et le troisième siècle de notre ère. Une terre oubliée, une époque oubliée, un peuple oublié, à peine un nom dans les chroniques latines qui nous sont parvenues : picti, les Pictes. Cette rêverie sur des tribus dont en vérité il ne savait rien ou si peu a traversé l’œuvre et la vie de Robert Howard, de Brule le tueur à la lance, compagnon de Kull de Valusie, jusqu’à Bran Mak Morn et même au-delà.

Bran est roi, comme Conan ou bien Kull, mais il règne sur un peuple dégénéré, sauvage, ombre de l’ombre de ce qu’il fut, faisant face à la plus grande puissance de son temps : Rome. Bran Mak Morn se bat, mû par une fierté folle, par l’illusion peut-être que la grandeur des Pictes pourrait un jour revenir. Les récits le mettant en scène sont ceux d’une lutte désespérée, de combats gagnés au prix de l’utilisation d’une magie étrange (« Les Rois de la nuit ») ou de compromissions terribles (« Les Vers de la terre »). Les histoires de Bran Mak Morn sont au croisement de l’aventure fantastique et de ces récits historiques pleins de sang et de fureur dans lesquels Howard excelle. Elles sont amères, brutales et sans concession, et, de toutes celles que le Texan a écrites, les favorites de l’auteur de ces lignes. Par la qualité des récits, déjà, par l’originalité de leur décor, mais aussi parce que l’histoire du peuple picte permet à Howard de tirer un fil rouge de sang et de batailles à travers son histoire du passé. Ils relient les temps antédiluviens où régnaient des choses proches des Grands Anciens, à l’époque de Kull, puis à celle de Conan (dont les Pictes sont les pires ennemis), jusqu’à notre ère, l’histoire la plus significative à ce titre étant « Les Rois de la nuit » déjà citée, qui voit apparaître Kull l’Atlante en guest-star ! Quand pour de nombreux auteurs le cross-over est un exercice maladroit, Howard fait de cette histoire un grand récit de bataille et un beau vertige littéraire. On retrouvera les Pictes et Bran Mak Morn (en quelque sorte) jusque vers l’an mille dans le récit « L’Homme noir », mettant en scène Turlogh O’Brien.

La sympathie constante de Robert Howard pour ce peuple sombre, sauvage et vaincu dit beaucoup à son sujet. C’est à travers eux que je me suis pris à aimer le Texan.

Les histoires à lire absolument : « Les Vers de la terre », « Les Rois de la nuit ». Je dirais même : si vous ne connaissez pas Robert Howard et que vous ne devez lire qu’un seul livre de lui, prenez Bran Mak Morn.

Solomon Kane

Solomon Kane, le puritain élisabéthain. Arpentant les terres sombres d’une jungle méphitique, sa rapière au côté, tenant à la main un bâton vaudou, rendant froidement la justice au nom de Dieu, au nom, surtout, de la folie qui l’anime !

Avec Kane, Robert Howard est tombé sur quelque chose de puissant. Solomon Kane n’a rien de sympathique, aucune chaleur, aucune énergie barbare emportant l’adhésion contrairement aux autres brutes mélancoliques créées par le Texan. Kane est un ange de la vengeance, un fou halluciné jeté dans un voyage sans fin, un marcheur qu’on imagine lancé sur un chemin qui s’étend jusqu’à la fin des temps.

Le premier récit le mettant en scène (« Solomon Kane », connu aussi sous le titre « Ombres rouges ») est à la fois un ratage littéraire complet (cadre historique grossier, changements de ton, de genre, de décors impromptus, incohérences narratives) et un modèle de puissance et d’énergie : en France, au seizième siècle, des bandits massacrent. Solomon Kane le puritain recueille le dernier soupir d’une jeune fille violée. Et sur quarante pages, des mois de poursuite et des milliers de kilomètre parcourus, il accomplit sa vengeance. Men shall die for this !

Les histoires de Kane sont l’occasion pour Howard de créer des récits hybrides, croisements entre histoires de pirates, d’exploration africaine et fantastique gore. Les tambours battent jusqu’à l’obsession, des monstres innommables sortent de la jungle, des cadavres s’animent, des crânes sont fichés sur des piques et le sang coule. L’un au moins de ces récits (« Des ailes dans la nuit ») contient des images d’horreur gothique qui habiteront longtemps le lecteur.

Les récits à lire absolument : « Solomon Kane », « Les Collines de la mort », « Des ailes dans la nuit ».

Kane incarne un fantasme noir et terrifiant, une matière passionnante pour le lecteur curieux des mécanismes et des ressorts de l’écriture. Rarement Howard a été plus direct et sincère que dans les récits qui lui sont consacrés.

Kull le Roi Atlante

Kull, roi de Valusie, descendant des Atlantes tombés dans la barbarie, devenu de ses propres mains roi du plus remarquable royaume de son époque. Un barbare à la musculature de panthère, au regard glacé, alliant l’intelligence politique et la fureur guerrière…

« Le Royaume des chimères » est le premier récit mettant en scène Kull de Valusie, et la première incursion littéraire de Robert Howard dans une forme de récit d’aventure historique située dans un monde imaginaire. Avec Kull, Howard découvre le pouvoir libérateur de s’affranchir de tout cadre historique. Kull est un proto-Conan, mais pas un aventurier : dans les dix récits qui lui sont consacrés, on ne le connaîtra jamais que roi, installé sur le trône d’une capitale brillante et schématique. À part quelques entités politiques vaguement définies (la Valusie, Atlantis, la Lémurie, les îles pictes…), le monde de l’âge thurien dans lequel il évolue reste flou et n’intéresse pas (encore) l’écrivain. Les récits de Kull ne sont pas exactement les récits de Conan : Howard utilise son outil littéraire (histoire et passé imaginaires) pour mettre notamment en scène des histoires allégoriques ou métaphoriques, qu’elles soient sur le thème de l’illusion, comme dans l’excellent : « Royaume des chimères », ou du double (« Les Miroirs de Tuzun Thune »). Pour être intéressant, le filon n’est pas bien défini ni très riche et l’auteur ne parviendra pas à l’exploiter très longtemps.

Avec Kull, Howard jette toutefois les fondations de cette histoire du passé, faite de continents engloutis, de migrations de peuples, de grandeurs et de chutes de civilisations, qui servira de toile de fond à une grande partie de ses récits. En aparté : les écrivains de SF sont nombreux à avoir créé une « histoire du futur » ; Robert E. Howard fait partie de ceux qui sont intéressés à l’autre versant des temps – voir l’article de Steven Tompkins « Gigantic Gulfs of Eons : Kull, Conan and Tyrant Time », dans l’anthologie critique de Don Herron The Dark Barba-rian That Towers Over All.

Quelque temps après avoir écrit la dernière aventure de Kull (« Par cette hache, je règne ! ») durant laquelle le roi échappe de peu à un attentat tendu par des conspirateurs, Howard reprendra la trame du récit, mettant en son centre un nouveau personnage plus riche et moins schématique que le roi de Valusie. Le récit se nomme « Le Phénix sur l’épée », et son héros n’est autre que Conan le Cimmérien, roi d’Aquilonie. De manière quasi contemporaine, Howard rédige un essai décrivant les grandes lignes historiques de l’Âge Hyborien, l’époque succédant à celle de Kull. L’outil se développe et la joie de créer avec lui !

Avec les récits de Kull, Robert E. Howard a inventé un nouveau type d’histoires : des personnages réalistes, vivant des aventures imaginaires dans un monde très proche de notre réalité historique (pour paraphraser Patrice Louinet). Il faudrait trouver un nom pour ça…

Les histoires à lire absolument : « Le Royaume des chimères », « Les Miroirs de Tuzun Thune ».

Au fond, le point le plus rebutant de ce personnage, pour le lecteur français du moins, reste son nom ridicule.

Le Seigneur de Samarcande

Quand Farnworth Wright, alors rédacteur en chef de Weird Tales, décida en juin 1930 de lancer Oriental Stories, Howard était tenté par l’écriture de récits historiques depuis plusieurs années. Ses essais pour placer ses tentatives auprès de la revue Adventures, découverte dès 1921, à l’âge de quinze ans, et qui publiait nombre d’auteurs qui allaient l’influencer, dont Harold Lamb au premier chef, s’étaient révélées vaines, aussi saisit-il au bond la balle lancée par Farnworth Wright, avec qui il avait l’habitude de travailler.

En 1930, la carrière de Howard bat déjà son plein et il a publié certains de ses meilleurs textes. Ceux rassemblés ici par Patrice Louinet répondent à deux critères bien spécifiques : ils sont situés dans le monde réel et ne recourent pas au fantastique.

Oriental Stories a vocation à publier des aventures situées en Orient ou en Extrême-Orient. En 1930, peu de gens, peu d’Américains sont allés en Égypte, en Syrie, au Yémen ou en Afghanistan, a fortiori dans les républiques musulmanes d’Union Soviétique (Turkménistan, Ouzbékistan, Azerbaïdjan…). Pour le lecteur de pulps d’alors, ce sont des contrées lointaines et mystérieuses fort mal connues. La télévision n’a pas été inventée, l’internet encore moins (donc pas de Google Earth pour visiter le monde à domicile). L’époque offre toujours une large place à l’imagination et la fantaisie des auteurs. De Samarcande (alors en URSS), le lecteur américain de pulps n’a pu voir au mieux que quelques photos et peut-être un court film aux actualités cinématographiques. Néanmoins, Patrice Louinet rapporte que des lecteurs réagirent au « Seigneur de Samarcande » jusqu’à nécessiter l’intervention de Farnworth Wright lui-même pour calmer la polémique, mais pas là où Howard s’attendait à la contradiction : le suicide fictif de Byazid (Bajazet) ou la mort de Timour (Tamerlan) par arme à feu ; là où il avait pris des libertés avec l’histoire. La contradiction porta sur les distances qu’il avait prises avec la culture musulmane en faisant boire de l’alcool à Tamerlan. Avec le recul, ce n’est guère surprenant. Si les faits historiques pouvaient échapper aux lecteurs, certains devaient connaître un tant soit peu l’Islam, voire être musulmans eux-mêmes.

Howard a choisi le Proche et Moyen-Orient au bas Moyen-Âge comme théâtre de ses récits historiques. « Des faucons sur l’égypte » semble être le récit situé à l’époque la plus ancienne, en 1021 ; la plus récente étant le siège de Vienne par les armées de Soliman le Magnifique en 1529, auquel on assiste dans « L’Ombre du vautour ». « La Voie des aigles » mentionne la date de 1595 mais ça n’a guère d’importance…

Au fil de ces récits, on croisera les principales figures historiques de l’époque. Saladin dans « Les Faucons d’outremer », qu’on reverra par la suite. Gengis Khan dans « Les épées rouges de Cathay la Noire », le premier texte historique du Texan. Baïbars dans « Les Cavaliersdelatempête ». Bayazid et Tamerlan dans « Le Seigneur de Samarcande » ou encore Zenghi dans « Le Lion de Tibériade ». Seul le dernier fragment inachevé livré en appendice est situé dans l’Antiquité…

Les textes sont bons, voire très bons, parce qu’Howard est l’un des tout meilleurs conteurs des littératures de l’Imaginaire. Et l’édition Louinet est absolument remarquable par son érudition.

Cela dit, rappelons que Howard écrivait pour les pulps des histoires de cinquante pages environ, pas pour constituer les forts volumes de plus de cinq cents pages à la mode d’aujourd’hui. Du coup, on ressent alors la même chose qu’à la lecture de Lee Winters, shérif de l’étrange (les Moutons électriques). Malgré des textes globalement d’un très bon niveau quand ils ne frisent pas l’excellence, une certaine lassitude s’installe, due à la répétition de motifs assez semblables. Cet effet est amplifié par des personnages principaux qui, même lorsqu’ils ne sont pas Cormac FitzGeoffrey, ne cessent jamais de lui ressembler comme autant de jumeaux. Bien que s’étendant sur plus de cinq siècles, les combats, pour épiques qu’ils soient, sont également trop semblables, le siège de Vienne seul offrant un rendu différent.

Il en faudrait toutefois bien davantage pour venir à bout de l’incroyable talent de raconteur d’histoires du Texan, qui, même quand il ne donne pas son meilleur, vous emporte dans le fracas et la furie des batailles.

Les Clous rouges

[Critique commune à Conan le Cimmérien, L’Heure du dragon et Les Clous rouges]

« Entre l’époque où les océans ont englouti l’Atlantide et l’avènement des fils d’Arius, il y eut une période de l’Histoirefortpeuconnuedans laquelle vécut Conan, destiné à poser la couronne d’Aquilonie ornée de pierres précieuses sur un front troublé. C’est moi, son chroniqueur, qui seul peux raconter son épopée. Laissez-moi vous narrer ces jours de grandes aventures… »

Conan le barbare, scénario de John Milius & Oliver Stone, 1982.

 

Tout le monde (ou presque) connaît Conan, le personnage de barbare créé en 1932 par Robert E. Howard ; connaissance généralement incarnée auprès du grand public sous les traits d’Arnold Schwarzenegger, qui revêtit le slip fourré deux fois au cinéma (Conan le barbare de John Milius, 1982, et sa médiocre suite, Conan le destructeur de Richard Fleischer, 1984) — on passera vite sur la récente et risible tentative de résurrection, avec Jason Momoa dans le rôle-titre, qui – plaise à Crom ! – n’a pas laissé de véritable empreinte visuelle.

En 1932, R. E. Howard nous décrivait un Conan un peu différent du Chêne d’Autriche (un des nombreux surnoms de Schwarzie) : un barbare musculeux, oui, mais avec le visage couturé de cicatrices, une grande chevelure noire de jais et des yeux bleus perçants.

Conan est né en Cimmérie ; en pleine bataille, précise-t-il un jour dans une conversation. Il n’a de cesse d’explorer la géographie des âges hyboriens, existant ainsi à toutes les époques préindustrielles où les barbares ont existé (on le verra même se battre au côté des Kozaks). Conan, un anti-héros – voleur, violeur et assassin – comme il n’en existait pas auparavant en littérature de genres, est apparu à ses premiers lecteurs en décembre 1932 dans la revue Weird Tales, puis dans des tas d’autres nouvelles et un unique roman : L’Heure du dragon (où il est alors roi d’Aquilonie).

Pastiches, hommages, plagiats, films, novélisations, musique (la bande originale de Basil Poledouris), bandes dessinées, Conan a connu de nombreuses vies depuis le suicide de Robert E. Howard. Le destin éditorial du personnage a été assez chaotique (nouvelles censurées, tronquées, réécrites, collaborations posthumes, etc…), mais voilà, presque quatre-vingts ans après la publication de la première aventure de Conan, les éditions Bragelonne proposent au public français une respectueuse intégrale Robert E. Howard / « Conan » en trois volumes, une édition remarquable d’exhaustivité, sous la direction du spécialiste mondial Patrice Louinet (un Français !) – par ailleurs grand artisan du présent dossier bifrostien. Toutes les nouvelles écrites par Robert E. Howard et le roman sont évidemment au sommaire de ces plus de mille cinq cents pages, auxquels s’ajoutent des appendices, des synopsis, des articles, des versions alternatives et autres introductions. Les traductions sont nouvelles ou revues et, à part une ou deux répétitions agaçantes, elles sont d’une véracité admirable (Patrice Louinet est d’ailleurs davantage dans le ton que François Truchaud). Ou plutôt d’une sincérité admirable.

Relire « Conan » aujourd’hui, c’est découvrir un personnage tour à tour roi d’Aquilonie, assassin, pirate, voleur d’idole, général, aventurier, et bien d’autres choses encore. On s’amusera d'ailleurs à remarquer, çà et là, les éléments puisés par John Milius et Oliver Stone pour écrire leur scénario (Valeria qui revient d’entre les morts pour sauver Conan d’un coup fatal, c’est Bêlit, la reine shémite de la côte noire et la pirate Valeria des « Clous rouges » ; l’ascension de la tour des serpents, c’est l’ascension de la Tour de l’éléphant dans la nouvelle éponyme, etc. Globalement, Stone et Milius ont puisé dans les meilleurs textes.)

Relire « Conan » aujourd’hui, c’est un peu comme lire Tintin au Congo d’Hergé, il faut accepter que le personnage soit – doublement – le produit d’une autre époque (la sienne propre et celle de son auteur, Robert E. Howard). Avec ses Noirs cruels au comportement souvent répugnant,« La Vallée des femmes perdues » pourrait être présenté comme un texte raciste. Dans « Le Bassin de l’homme noir », les ennemis sont aussi des « sauvages », décrits proches du singe. Dans d’autres textes, on croise des Shémites au nez crochu ou des Méditerranéens à la nature fourbe… Il convient toutefois de renverser un peu le point de vue ; Conan vit à des époques où la xénophobie est la norme (où la mondialisation et la lutte pour les droits civiques n’existent évidemment pas), ce qui n’empêche pas notre barbare de coucher avec des catins noires (« La Vallée des femmes perdues »), de vivre un amour surnaturel avec une Shémite, « La Reine de la côte noire », etc. Globalement, ce qu’il y a de meilleur chez l’autre, c’est sa femme…

Dans « Conan » (comme dans ses échanges épistolaires avec H.P. Lovecraft), Robert E. Howard n’a de cesse d’opposer le barbare (bon, solide) à l’homme civilisé (mauvais, dans le sens pas fiable), décrivant le second comme un individu qui aurait régressé. Mais une fois de plus, il s’agit avant tout du point de vue de Conan… qui trouve les gens civilisés incompréhensibles ou insensés, mous par essence. Si on ajoute à cette opposition que notre barbare aux yeux bleus symbolise une certaine pureté venue du nord du Monde, on pourrait tenter de rapprocher sa philosophie à celle d’un des pires hommes politiques du XXe siècle :

« Eh bien, oui, nous sommes des barbares, et nous voulons être des barbares. C’est un titre d’honneur. Nous sommes ceux qui rajeuniront le monde. Le monde actuel est près de sa fin. Notre seule tâche est de le saccager. » Propos attribués à Adolf Hitler par Hermann Rauschning, dans Hitler m’a dit, 1939.

Mais il faudrait qu’en premier lieu cette citation d’Hitler – qui a marqué bien des esprits – soit véridique, or Hermann Rauschning a écrit son livre de mémoire, ce qui lui a valu d’être discrédité en tant que source historique fiable. Et si le physique de Conan incarne un idéal, c’est l’idéal celte, pas aryen. Quant à sa philosophie personnelle, sa finalité l’éloigne radicalement du nazisme :

« Dans ce monde, les hommes luttent et souffrent en vain, trouvant du plaisir seulement dans la folie ardente de la bataille […] Il me suffit de vivre ma vie intensément ; tant que je peux savourer le jus succulent des viandes rouges et le goût des vins capiteux sur mon palais, tant que je peux jouir de l’étreinte ardente de bras à la blancheur d’albâtre et de la folle exultation de la bataille lorsque les lames bleutées s’enflamment et se teintent d’écarlate, je suis satisfait ! » in « La Reine de la côte noire »

En 1982, résumée par John Milius et Oliver Stone, cette philosophie divergeait un tantinet :

« Écraser ses ennemis, les voir mourir devant soi et entendre les lamentations de leurs femmes. »

Les nazis luttaient pour l’hégémonie (un troisième Reich de mille ans) ; une fois roi d’Aquilonie, Conan décide (certes poussé par les événements) de quitter son cercle d’hégémonie pour redevenir aventurier et barbare (in « Le Phénix sur l’épée », première nouvelle du cycle – comme Moorcock avec « Elric », Robert E. Howard a commencé par la fin). Chez Conan, la bataille passe avant le pouvoir – ce n’est pas le pouvoir qui passe par la bataille. La bataille est tout ; bien que désiré, le pouvoir politique est surfait.

Les aventures de Conan sont pulps. Par conséquent, il est sans doute abusif de les rehausser d’une vraie vision politique (libertarienne ?), mais on peut leur reconnaître une certaine touche de philosophie existentialiste. Les traits les plus saillants de ces histoires résident toutefois dans leurs ambiances crépusculaires, les manifestations surnaturel-les diverses, les éclaboussures de cervelle, les jets de sang sur les murs et les filles nues (beaucoup de filles nues !). Dans le monde de Conan, les femmes légèrement vêtues ont tendance à perdre leurs vêtements, pris dans des branches, déchirés par les serres de créatures démoniaques ou retirés sans préliminaires par leurs divers tortionnaires. Dans les âges hyboriens, on viole, on fréquente les catins, une femme jalouse fouette une femme nue dont Conan est amoureux (in « Xuthal la crépusculaire »), une femme offre ses faveurs à Conan s’il tue quelqu’un pour elle (ce qui arrive relativement souvent), une Noire s’éloigne de sa captive en roulant du cul pour la narguer. La femme est bien souvent réduite à une marchandise ou au statut, guère plus enviable, de « repos du guerrier ». C’est peut-être cette dimension érotique, indéniable (parfois à limite du sado-masochisme), qui surprend le plus dans ces récits des années 30.

Comme on peut être dérangé par les saillies xénophobes de H.P. Lovecraft dans « Horreur à Red Hook », on peut se trouver pareillement incommodé par l’obsession raciale, la misogynie de certaines des nouvelles de « Conan », mais ce serait dommage de passer à côté pour autant. « Conan » est à l’œuvre de Robert E. Howard, ce que « Le Seigneur des Anneaux » est à celle de J.R.R. Tolkien : un cœur séminal qui bat avec une puissance éternelle et irrigue encore aujourd’hui tout un pan de la culture mondiale.

En guise de conclusion, on listera les aventures les plus étonnantes du Cimmérien : « Le Dieu dans le sarcophage », qui commence comme une enquête policière ; « La Tour de l’éléphant », pour sa surprise scénaristique centrale ; « Xuthallacrépusculaire », pour ses interrupteurs au radium et sa coquine scène de fouet ; « Au-delà de la rivière noire », sorte de western au temps des trappeurs avec des Pictes à la place des Peaux-Rouges ; et enfin « Les Clous rouges », pour sa dangereuse cité perdue d’inspiration méso-américaine.

« La civilisation n’est pas naturelle. Elle résulte simplement d’un concours de circonstances. Et la barbarie finira toujours par triompher. » – in « Au-Delà de la rivière noire »

L'Heure du dragon

[Critique commune à Conan le Cimmérien, L’Heure du dragon et Les Clous rouges]

« Entre l’époque où les océans ont englouti l’Atlantide et l’avènement des fils d’Arius, il y eut une période de l’Histoirefortpeuconnuedans laquelle vécut Conan, destiné à poser la couronne d’Aquilonie ornée de pierres précieuses sur un front troublé. C’est moi, son chroniqueur, qui seul peux raconter son épopée. Laissez-moi vous narrer ces jours de grandes aventures… »

Conan le barbare, scénario de John Milius & Oliver Stone, 1982.

 

Tout le monde (ou presque) connaît Conan, le personnage de barbare créé en 1932 par Robert E. Howard ; connaissance généralement incarnée auprès du grand public sous les traits d’Arnold Schwarzenegger, qui revêtit le slip fourré deux fois au cinéma (Conan le barbare de John Milius, 1982, et sa médiocre suite, Conan le destructeur de Richard Fleischer, 1984) — on passera vite sur la récente et risible tentative de résurrection, avec Jason Momoa dans le rôle-titre, qui – plaise à Crom ! – n’a pas laissé de véritable empreinte visuelle.

En 1932, R. E. Howard nous décrivait un Conan un peu différent du Chêne d’Autriche (un des nombreux surnoms de Schwarzie) : un barbare musculeux, oui, mais avec le visage couturé de cicatrices, une grande chevelure noire de jais et des yeux bleus perçants.

Conan est né en Cimmérie ; en pleine bataille, précise-t-il un jour dans une conversation. Il n’a de cesse d’explorer la géographie des âges hyboriens, existant ainsi à toutes les époques préindustrielles où les barbares ont existé (on le verra même se battre au côté des Kozaks). Conan, un anti-héros – voleur, violeur et assassin – comme il n’en existait pas auparavant en littérature de genres, est apparu à ses premiers lecteurs en décembre 1932 dans la revue Weird Tales, puis dans des tas d’autres nouvelles et un unique roman : L’Heure du dragon (où il est alors roi d’Aquilonie).

Pastiches, hommages, plagiats, films, novélisations, musique (la bande originale de Basil Poledouris), bandes dessinées, Conan a connu de nombreuses vies depuis le suicide de Robert E. Howard. Le destin éditorial du personnage a été assez chaotique (nouvelles censurées, tronquées, réécrites, collaborations posthumes, etc…), mais voilà, presque quatre-vingts ans après la publication de la première aventure de Conan, les éditions Bragelonne proposent au public français une respectueuse intégrale Robert E. Howard / « Conan » en trois volumes, une édition remarquable d’exhaustivité, sous la direction du spécialiste mondial Patrice Louinet (un Français !) – par ailleurs grand artisan du présent dossier bifrostien. Toutes les nouvelles écrites par Robert E. Howard et le roman sont évidemment au sommaire de ces plus de mille cinq cents pages, auxquels s’ajoutent des appendices, des synopsis, des articles, des versions alternatives et autres introductions. Les traductions sont nouvelles ou revues et, à part une ou deux répétitions agaçantes, elles sont d’une véracité admirable (Patrice Louinet est d’ailleurs davantage dans le ton que François Truchaud). Ou plutôt d’une sincérité admirable.

Relire « Conan » aujourd’hui, c’est découvrir un personnage tour à tour roi d’Aquilonie, assassin, pirate, voleur d’idole, général, aventurier, et bien d’autres choses encore. On s’amusera d'ailleurs à remarquer, çà et là, les éléments puisés par John Milius et Oliver Stone pour écrire leur scénario (Valeria qui revient d’entre les morts pour sauver Conan d’un coup fatal, c’est Bêlit, la reine shémite de la côte noire et la pirate Valeria des « Clous rouges » ; l’ascension de la tour des serpents, c’est l’ascension de la Tour de l’éléphant dans la nouvelle éponyme, etc. Globalement, Stone et Milius ont puisé dans les meilleurs textes.)

Relire « Conan » aujourd’hui, c’est un peu comme lire Tintin au Congo d’Hergé, il faut accepter que le personnage soit – doublement – le produit d’une autre époque (la sienne propre et celle de son auteur, Robert E. Howard). Avec ses Noirs cruels au comportement souvent répugnant,« La Vallée des femmes perdues » pourrait être présenté comme un texte raciste. Dans « Le Bassin de l’homme noir », les ennemis sont aussi des « sauvages », décrits proches du singe. Dans d’autres textes, on croise des Shémites au nez crochu ou des Méditerranéens à la nature fourbe… Il convient toutefois de renverser un peu le point de vue ; Conan vit à des époques où la xénophobie est la norme (où la mondialisation et la lutte pour les droits civiques n’existent évidemment pas), ce qui n’empêche pas notre barbare de coucher avec des catins noires (« La Vallée des femmes perdues »), de vivre un amour surnaturel avec une Shémite, « La Reine de la côte noire », etc. Globalement, ce qu’il y a de meilleur chez l’autre, c’est sa femme…

Dans « Conan » (comme dans ses échanges épistolaires avec H.P. Lovecraft), Robert E. Howard n’a de cesse d’opposer le barbare (bon, solide) à l’homme civilisé (mauvais, dans le sens pas fiable), décrivant le second comme un individu qui aurait régressé. Mais une fois de plus, il s’agit avant tout du point de vue de Conan… qui trouve les gens civilisés incompréhensibles ou insensés, mous par essence. Si on ajoute à cette opposition que notre barbare aux yeux bleus symbolise une certaine pureté venue du nord du Monde, on pourrait tenter de rapprocher sa philosophie à celle d’un des pires hommes politiques du XXe siècle :

« Eh bien, oui, nous sommes des barbares, et nous voulons être des barbares. C’est un titre d’honneur. Nous sommes ceux qui rajeuniront le monde. Le monde actuel est près de sa fin. Notre seule tâche est de le saccager. » Propos attribués à Adolf Hitler par Hermann Rauschning, dans Hitler m’a dit, 1939.

Mais il faudrait qu’en premier lieu cette citation d’Hitler – qui a marqué bien des esprits – soit véridique, or Hermann Rauschning a écrit son livre de mémoire, ce qui lui a valu d’être discrédité en tant que source historique fiable. Et si le physique de Conan incarne un idéal, c’est l’idéal celte, pas aryen. Quant à sa philosophie personnelle, sa finalité l’éloigne radicalement du nazisme :

« Dans ce monde, les hommes luttent et souffrent en vain, trouvant du plaisir seulement dans la folie ardente de la bataille […] Il me suffit de vivre ma vie intensément ; tant que je peux savourer le jus succulent des viandes rouges et le goût des vins capiteux sur mon palais, tant que je peux jouir de l’étreinte ardente de bras à la blancheur d’albâtre et de la folle exultation de la bataille lorsque les lames bleutées s’enflamment et se teintent d’écarlate, je suis satisfait ! » in « La Reine de la côte noire »

En 1982, résumée par John Milius et Oliver Stone, cette philosophie divergeait un tantinet :

« Écraser ses ennemis, les voir mourir devant soi et entendre les lamentations de leurs femmes. »

Les nazis luttaient pour l’hégémonie (un troisième Reich de mille ans) ; une fois roi d’Aquilonie, Conan décide (certes poussé par les événements) de quitter son cercle d’hégémonie pour redevenir aventurier et barbare (in « Le Phénix sur l’épée », première nouvelle du cycle – comme Moorcock avec « Elric », Robert E. Howard a commencé par la fin). Chez Conan, la bataille passe avant le pouvoir – ce n’est pas le pouvoir qui passe par la bataille. La bataille est tout ; bien que désiré, le pouvoir politique est surfait.

Les aventures de Conan sont pulps. Par conséquent, il est sans doute abusif de les rehausser d’une vraie vision politique (libertarienne ?), mais on peut leur reconnaître une certaine touche de philosophie existentialiste. Les traits les plus saillants de ces histoires résident toutefois dans leurs ambiances crépusculaires, les manifestations surnaturel-les diverses, les éclaboussures de cervelle, les jets de sang sur les murs et les filles nues (beaucoup de filles nues !). Dans le monde de Conan, les femmes légèrement vêtues ont tendance à perdre leurs vêtements, pris dans des branches, déchirés par les serres de créatures démoniaques ou retirés sans préliminaires par leurs divers tortionnaires. Dans les âges hyboriens, on viole, on fréquente les catins, une femme jalouse fouette une femme nue dont Conan est amoureux (in « Xuthal la crépusculaire »), une femme offre ses faveurs à Conan s’il tue quelqu’un pour elle (ce qui arrive relativement souvent), une Noire s’éloigne de sa captive en roulant du cul pour la narguer. La femme est bien souvent réduite à une marchandise ou au statut, guère plus enviable, de « repos du guerrier ». C’est peut-être cette dimension érotique, indéniable (parfois à limite du sado-masochisme), qui surprend le plus dans ces récits des années 30.

Comme on peut être dérangé par les saillies xénophobes de H.P. Lovecraft dans « Horreur à Red Hook », on peut se trouver pareillement incommodé par l’obsession raciale, la misogynie de certaines des nouvelles de « Conan », mais ce serait dommage de passer à côté pour autant. « Conan » est à l’œuvre de Robert E. Howard, ce que « Le Seigneur des Anneaux » est à celle de J.R.R. Tolkien : un cœur séminal qui bat avec une puissance éternelle et irrigue encore aujourd’hui tout un pan de la culture mondiale.

En guise de conclusion, on listera les aventures les plus étonnantes du Cimmérien : « Le Dieu dans le sarcophage », qui commence comme une enquête policière ; « La Tour de l’éléphant », pour sa surprise scénaristique centrale ; « Xuthallacrépusculaire », pour ses interrupteurs au radium et sa coquine scène de fouet ; « Au-delà de la rivière noire », sorte de western au temps des trappeurs avec des Pictes à la place des Peaux-Rouges ; et enfin « Les Clous rouges », pour sa dangereuse cité perdue d’inspiration méso-américaine.

« La civilisation n’est pas naturelle. Elle résulte simplement d’un concours de circonstances. Et la barbarie finira toujours par triompher. » – in « Au-Delà de la rivière noire »

Conan le Cimmérien

[Critique commune à Conan le Cimmérien, L’Heure du dragon et Les Clous rouges]

« Entre l’époque où les océans ont englouti l’Atlantide et l’avènement des fils d’Arius, il y eut une période de l’Histoirefortpeuconnuedans laquelle vécut Conan, destiné à poser la couronne d’Aquilonie ornée de pierres précieuses sur un front troublé. C’est moi, son chroniqueur, qui seul peux raconter son épopée. Laissez-moi vous narrer ces jours de grandes aventures… »

Conan le barbare, scénario de John Milius & Oliver Stone, 1982.

 

Tout le monde (ou presque) connaît Conan, le personnage de barbare créé en 1932 par Robert E. Howard ; connaissance généralement incarnée auprès du grand public sous les traits d’Arnold Schwarzenegger, qui revêtit le slip fourré deux fois au cinéma (Conan le barbare de John Milius, 1982, et sa médiocre suite, Conan le destructeur de Richard Fleischer, 1984) — on passera vite sur la récente et risible tentative de résurrection, avec Jason Momoa dans le rôle-titre, qui – plaise à Crom ! – n’a pas laissé de véritable empreinte visuelle.

En 1932, R. E. Howard nous décrivait un Conan un peu différent du Chêne d’Autriche (un des nombreux surnoms de Schwarzie) : un barbare musculeux, oui, mais avec le visage couturé de cicatrices, une grande chevelure noire de jais et des yeux bleus perçants.

Conan est né en Cimmérie ; en pleine bataille, précise-t-il un jour dans une conversation. Il n’a de cesse d’explorer la géographie des âges hyboriens, existant ainsi à toutes les époques préindustrielles où les barbares ont existé (on le verra même se battre au côté des Kozaks). Conan, un anti-héros – voleur, violeur et assassin – comme il n’en existait pas auparavant en littérature de genres, est apparu à ses premiers lecteurs en décembre 1932 dans la revue Weird Tales, puis dans des tas d’autres nouvelles et un unique roman : L’Heure du dragon (où il est alors roi d’Aquilonie).

Pastiches, hommages, plagiats, films, novélisations, musique (la bande originale de Basil Poledouris), bandes dessinées, Conan a connu de nombreuses vies depuis le suicide de Robert E. Howard. Le destin éditorial du personnage a été assez chaotique (nouvelles censurées, tronquées, réécrites, collaborations posthumes, etc…), mais voilà, presque quatre-vingts ans après la publication de la première aventure de Conan, les éditions Bragelonne proposent au public français une respectueuse intégrale Robert E. Howard / « Conan » en trois volumes, une édition remarquable d’exhaustivité, sous la direction du spécialiste mondial Patrice Louinet (un Français !) – par ailleurs grand artisan du présent dossier bifrostien. Toutes les nouvelles écrites par Robert E. Howard et le roman sont évidemment au sommaire de ces plus de mille cinq cents pages, auxquels s’ajoutent des appendices, des synopsis, des articles, des versions alternatives et autres introductions. Les traductions sont nouvelles ou revues et, à part une ou deux répétitions agaçantes, elles sont d’une véracité admirable (Patrice Louinet est d’ailleurs davantage dans le ton que François Truchaud). Ou plutôt d’une sincérité admirable.

Relire « Conan » aujourd’hui, c’est découvrir un personnage tour à tour roi d’Aquilonie, assassin, pirate, voleur d’idole, général, aventurier, et bien d’autres choses encore. On s’amusera d'ailleurs à remarquer, çà et là, les éléments puisés par John Milius et Oliver Stone pour écrire leur scénario (Valeria qui revient d’entre les morts pour sauver Conan d’un coup fatal, c’est Bêlit, la reine shémite de la côte noire et la pirate Valeria des « Clous rouges » ; l’ascension de la tour des serpents, c’est l’ascension de la Tour de l’éléphant dans la nouvelle éponyme, etc. Globalement, Stone et Milius ont puisé dans les meilleurs textes.)

Relire « Conan » aujourd’hui, c’est un peu comme lire Tintin au Congo d’Hergé, il faut accepter que le personnage soit – doublement – le produit d’une autre époque (la sienne propre et celle de son auteur, Robert E. Howard). Avec ses Noirs cruels au comportement souvent répugnant,« La Vallée des femmes perdues » pourrait être présenté comme un texte raciste. Dans « Le Bassin de l’homme noir », les ennemis sont aussi des « sauvages », décrits proches du singe. Dans d’autres textes, on croise des Shémites au nez crochu ou des Méditerranéens à la nature fourbe… Il convient toutefois de renverser un peu le point de vue ; Conan vit à des époques où la xénophobie est la norme (où la mondialisation et la lutte pour les droits civiques n’existent évidemment pas), ce qui n’empêche pas notre barbare de coucher avec des catins noires (« La Vallée des femmes perdues »), de vivre un amour surnaturel avec une Shémite, « La Reine de la côte noire », etc. Globalement, ce qu’il y a de meilleur chez l’autre, c’est sa femme…

Dans « Conan » (comme dans ses échanges épistolaires avec H.P. Lovecraft), Robert E. Howard n’a de cesse d’opposer le barbare (bon, solide) à l’homme civilisé (mauvais, dans le sens pas fiable), décrivant le second comme un individu qui aurait régressé. Mais une fois de plus, il s’agit avant tout du point de vue de Conan… qui trouve les gens civilisés incompréhensibles ou insensés, mous par essence. Si on ajoute à cette opposition que notre barbare aux yeux bleus symbolise une certaine pureté venue du nord du Monde, on pourrait tenter de rapprocher sa philosophie à celle d’un des pires hommes politiques du XXe siècle :

« Eh bien, oui, nous sommes des barbares, et nous voulons être des barbares. C’est un titre d’honneur. Nous sommes ceux qui rajeuniront le monde. Le monde actuel est près de sa fin. Notre seule tâche est de le saccager. » Propos attribués à Adolf Hitler par Hermann Rauschning, dans Hitler m’a dit, 1939.

Mais il faudrait qu’en premier lieu cette citation d’Hitler – qui a marqué bien des esprits – soit véridique, or Hermann Rauschning a écrit son livre de mémoire, ce qui lui a valu d’être discrédité en tant que source historique fiable. Et si le physique de Conan incarne un idéal, c’est l’idéal celte, pas aryen. Quant à sa philosophie personnelle, sa finalité l’éloigne radicalement du nazisme :

« Dans ce monde, les hommes luttent et souffrent en vain, trouvant du plaisir seulement dans la folie ardente de la bataille […] Il me suffit de vivre ma vie intensément ; tant que je peux savourer le jus succulent des viandes rouges et le goût des vins capiteux sur mon palais, tant que je peux jouir de l’étreinte ardente de bras à la blancheur d’albâtre et de la folle exultation de la bataille lorsque les lames bleutées s’enflamment et se teintent d’écarlate, je suis satisfait ! » in « La Reine de la côte noire »

En 1982, résumée par John Milius et Oliver Stone, cette philosophie divergeait un tantinet :

« Écraser ses ennemis, les voir mourir devant soi et entendre les lamentations de leurs femmes. »

Les nazis luttaient pour l’hégémonie (un troisième Reich de mille ans) ; une fois roi d’Aquilonie, Conan décide (certes poussé par les événements) de quitter son cercle d’hégémonie pour redevenir aventurier et barbare (in « Le Phénix sur l’épée », première nouvelle du cycle – comme Moorcock avec « Elric », Robert E. Howard a commencé par la fin). Chez Conan, la bataille passe avant le pouvoir – ce n’est pas le pouvoir qui passe par la bataille. La bataille est tout ; bien que désiré, le pouvoir politique est surfait.

Les aventures de Conan sont pulps. Par conséquent, il est sans doute abusif de les rehausser d’une vraie vision politique (libertarienne ?), mais on peut leur reconnaître une certaine touche de philosophie existentialiste. Les traits les plus saillants de ces histoires résident toutefois dans leurs ambiances crépusculaires, les manifestations surnaturel-les diverses, les éclaboussures de cervelle, les jets de sang sur les murs et les filles nues (beaucoup de filles nues !). Dans le monde de Conan, les femmes légèrement vêtues ont tendance à perdre leurs vêtements, pris dans des branches, déchirés par les serres de créatures démoniaques ou retirés sans préliminaires par leurs divers tortionnaires. Dans les âges hyboriens, on viole, on fréquente les catins, une femme jalouse fouette une femme nue dont Conan est amoureux (in « Xuthal la crépusculaire »), une femme offre ses faveurs à Conan s’il tue quelqu’un pour elle (ce qui arrive relativement souvent), une Noire s’éloigne de sa captive en roulant du cul pour la narguer. La femme est bien souvent réduite à une marchandise ou au statut, guère plus enviable, de « repos du guerrier ». C’est peut-être cette dimension érotique, indéniable (parfois à limite du sado-masochisme), qui surprend le plus dans ces récits des années 30.

Comme on peut être dérangé par les saillies xénophobes de H.P. Lovecraft dans « Horreur à Red Hook », on peut se trouver pareillement incommodé par l’obsession raciale, la misogynie de certaines des nouvelles de « Conan », mais ce serait dommage de passer à côté pour autant. « Conan » est à l’œuvre de Robert E. Howard, ce que « Le Seigneur des Anneaux » est à celle de J.R.R. Tolkien : un cœur séminal qui bat avec une puissance éternelle et irrigue encore aujourd’hui tout un pan de la culture mondiale.

En guise de conclusion, on listera les aventures les plus étonnantes du Cimmérien : « Le Dieu dans le sarcophage », qui commence comme une enquête policière ; « La Tour de l’éléphant », pour sa surprise scénaristique centrale ; « Xuthallacrépusculaire », pour ses interrupteurs au radium et sa coquine scène de fouet ; « Au-delà de la rivière noire », sorte de western au temps des trappeurs avec des Pictes à la place des Peaux-Rouges ; et enfin « Les Clous rouges », pour sa dangereuse cité perdue d’inspiration méso-américaine.

« La civilisation n’est pas naturelle. Elle résulte simplement d’un concours de circonstances. Et la barbarie finira toujours par triompher. » – in « Au-Delà de la rivière noire »

Le livre du cygne

Actes Sud nous présente un ouvrage pour le moins atypique avec ce Le Livre du cygne. Auteur australien d’origine wanyi, un peuple aborigène, Alexis Wright se met en tête de nous écrire un roman post-apocalyptique mystique. Ou apocalyptique onirique. À moins qu’il s’agisse d’autre chose, mais quoi ? On ne sait pas trop, en définitive, ce que nous avons là, et ce n’est pas la quatrième de couverture qui nous aidera.

Situé dans un futur plus ou moins proche, l’action prend place autour d’un lac où s’entassent des aborigènes parqués par les autorités australiennes dans le but avoué de mettre ces « sauvages » à l’écart, et cela pour leur propre bien, évidemment. Au milieu de ce camp, la vieille Bella Donna de la flotte conquérante et sa fille adoptive Oblivia Ethyl(ène) font figure de parias mais aussi de simili-oracles. La jeune Oblivia (ou Oblivion – c’est selon) a une obsession : les cygnes. Les cygnes qui envahissent le lac, ceux qui survolent le camp, qui la suivent partout, même en rêve. Alors que le camp lui-même semble condamné à l’oubli du fait de la catastrophe climatique globale, un jeune homme aborigène va venir dans cet insignifiant coin de l’Australie pour épouser celle qui lui a été promise depuis bien longtemps. Warren Finch, celui qui incarne le renouveau du pays (voire du monde), se présente à Oblivia au milieu des déchets et des épaves. Il est temps pour la jeune fille d’explorer cette Australie des Blancs qu’elle ne connaît que par les histoires de Bella Donna.

De ce postulat foutraque et, pour tout dire, improbable, Alexis Wright tire une histoire retorse à souhait, bourrée de métaphores, de mythes, de rêves et de cauchemars. Avec un style rugueux et une densité d’écriture confinant souvent à l’asphyxie, l’écrivain renvoie à une sorte de Volodine… raté. Tout le problème du Livre des cygnes vient de l’ambition de la part de Wright de façonner une œuvre totalement atypique dans un monde post-apocalyptique, mais sans jamais réussir à faire autre chose qu’à se répéter ad nauseam. Le cadre tout d’abord : l’espèce d’apocalypse climatique n’est qu’effleurée, on la devine plus qu’on ne la vit, et on se demande en réalité à quoi elle sert tant Wright aurait pu écrire le même texte dans le monde présent sans altérer le sens profond de son histoire. De fait, le message délivré sur l’environnement se révèle simpliste et tellement peu exploité qu’on demeure dubitatif tout du long. Le reste n’est de toute façon pas meilleur. En choisissant une écriture froide et très stylisée, il empêche toute forme d’empathie avec ses (étranges) personnages. Ceux-ci parcourent le récit, vivent des drames… mais l’on s’en fiche. Le pire restant que très rapidement, l’histoire se prend les pieds dans le tapis et, à force de nous bombarder de mythes et de métaphores hermétiques, on ne comprend rapidement plus rien. Où veut en venir Alexis Wright ? S’agit-il d’un pur roman onirique ? D’un livre de SF qui ne sait pas quoi faire de ses thématiques ? D’un texte à charge autour de la ségrégation des aborigènes ? Un dernier axe sur lequel l’œuvre se sauve d’ailleurs in extremis de la banqueroute. Entre deux considérations mythologiques incompréhensibles et lourdes, Alexis Wright distille des réflexions acérées à propos du destin de son peuple, de l’injustice dont il est victime depuis des années et de l’hypocrisie des Blancs. Ce message fort aurait certainement suffit à lui seul en lieu et place de l’imbroglio climatique. De même, certaines images convoquent des fulgurances visuelles très fortes. Ne serait-ce que cette petite fille cachée au cœur d’un eucalyptus, cette ville noire où les cygnes meurent sur le bitume, cette traversée du désert où les gardes du corps se font génies… Car il y a plein de belles choses dans ce qu’écrit Wright. Sauf qu’il s’avère incapable de les gérer et de les exploiter correctement. Du Volodine raté, on l’a dit, qui échoue à choisir dans sa quincaillerie narrative, incapable d’imbriquer les éléments constitutifs de l’ensemble. En résulte une lecture pénible, poussive, voire éreintante. Le jeu n’en vaut clairement pas la chandelle.

Guide de survie pour le voyageur du temps amateur

Le phénomène s’accentue depuis un certain temps, quelques-uns des romans de science-fiction les plus excitants nous proviennent pour bonne part de petites structures indépendantes. Dans le cas qui nous intéresse ici, ce sont les Forges de Vulcain, dont le catalogue contient déjà quelques livres à la lisière des mauvais genres qui nous intéressent – des classiques comme la proto-fantasy « Le Puits au bout du monde » de William Morris ou la dystopie Un regard en arrière d’Edward Bellamy, et des textes contemporains, dans le cas présent. Premier (et pour l’instant unique) roman de Charles Yu, auteur américain d’origine taïwanaise, dont il s’agit aussi de la première traduction dans nos contrées, le Guide de survie pour le voyageur du temps amateur nous raconte les déboires d’un certain… Charles Yu. Voyons de plus près ce qu’il en est.

« Quand ça arrive, voilà ce qui arrive : je me tire dessus. »

Charles Yu vit dans l’Univers Mineur 31, monde de poche ressemblant passablement au nôtre à cette nuance que les règles de narration coexistent avec les lois de la physique. Technicien de machines temporelles, Yu a pour job de s’occuper de la maintenance de ces appareils qui fonctionnent selon le principe de la chronodiégèse. Il voyage à travers le temps en compagnie d’un chien ontologiquement inexistant et d’une IA quelque peu dépressive ; dans l’UM 31, Yu possède un supérieur hiérarchique qui oublie qu’il est un logiciel, une mère enfermée dans une boucle temporelle longue d’une heure, et la femme avec qui il ne se mariera pas (et qui donc ne l’attend pas). Tout se passe à peu près bien dans la vie terne de Yu, jusqu’au moment où son double du futur lui tire dessus. Blessé, il n’a d’autre choix que de se réfugier dans sa machine temporelle et essayer de tirer les choses au clair s’il veut survivre. Ce qui implique de replonger dans ses souvenirs d’enfance, en particulier ceux liés à son père, qui a presque inventé une machine temporelle et donc l’échec l’a poussé à fuir.

Ce Guide de survie… n’est pas tant un guide à proprement parler, en dépit des nombreux inserts explicatifs sur la nature de l’UM 31, qu’une aventure temporelle centrée sur une relation père-fils. Encore que ceux qui s’attendent à un roman de hard science fondé sur les paradoxes en seront pour leurs frais : Charles Yu s’empare des tropes de la SF pour les remixer à sa manière – d’une façon peut-être un peu trop désincarnée, le roman échouant à susciter l’émotion dans les moments qu’on attend touchants. Dommage aussi que notre auteur ne cherche pas à consolider son monde science-fictionnel : beaucoup d’éléments amusants ne sont là que pour le plaisir d’un bon mot. Si on retrouve un peu de l’inventivité littéraro-grammaticale de Jasper Fforde (côté « Thursday Next ») dans ce texte malin et geek, la folie douce est moins présente.

Faute d’ancrage avec les personnages ou l’univers, notre Guide… reste malheureusement un brin superficiel. Le plaisir de lecture demeure, toutefois, avec un texte assez peu commun pour qu’il reste en mémoire.

Le Cercle

Dans un futur très proche, demain ou peu s’en faut, les actuels géants du Web – Google, Facebook, Twitter, Paypal – ont été remplacés par le Cercle. Plus simple, plus pratique, le Cercle est l’invention d’un geek génial aidé de deux fortes personnalités, un philanthrope avunculaire et un homme d’affaire impitoyable. À eux trois, ils ont rendu le Cercle indispensable, universel.

Communication, compréhension et clarté sont au cœur du projet. Dans le monde actuel, Google a pour slogan « Do No Evil » : le credo du Cercle est similaire, mais à qui s’adresse l’injonction ? Au Cercle ou à ses utilisateurs ? Entreprise affichant ses visées bienveillantes, le Cercle veut simplifier votre vie, la protéger aussi ; le Cercle veut tout connaître – du nombre de grains de sable du Sahara jusqu’à votre arbre généalogique – et ne veut rien oublier. Potentiellement intrusif ? Mais voyons, c’est pour votre bien et celui des autres membres de la communauté…

Sous l’impulsion d’une amie y travaillant, la jeune Mae Holland quitte son boulot pourri et part pour la Silicon Valley rejoindre le Cercle. Embauchée à l’Expérience Client, elle y fait montre de ses qualités. Ses collègues se hâtent de lui faire découvrir toutes les merveilles offertes par le Cercle, mais Mae n’y participe guère : la voilà vite incitée à faire davantage partie intégrante de la vie du campus, à afficher plus encore sa présence sur le réseau social du Cercle. Suite à un malheureux incident, Mae va se retrouver propulsée au premier plan du Cercle et à porter haut des valeurs qu’elle a contribué à définir. Valeurs qui, dans leur énoncé, rappellent en creux les slogans du monde totalitaire de 1984. Quoiqu’ici on pense plutôt au cauchemar de verre de Zamiatine, Nous autres, dont se dessinent les prémisses en mode 2.0, un tantinet infantilisantes, à mesure que le Cercle se clôt. Un mystérieux inconnu tente d’avertir Mae des dangers de la complétion du Cercle, mais n’est-il pas déjà trop tard ?

Quatrième roman de Dave Eggers (deuxième traduit en français après une novélisation de Max et les maximonstres, le film de Spike Jonze adaptant le livre éponyme de Maurice Sendak), Le Cercle brasse bon nombre de thèmes dans l’air du temps : la surveillance, la bienveillance typiquement puritaine des géants du Web américain, le droit à l’oubli (ou pas), l’engagement qui se résume à liker/disliker quelque chose… Sur le papier, le roman de Dave Eggers a tout pour plaire, dans le genre anticipation immédiate, mais finit par décevoir sur le plan narratif, la faute à une longueur un brin excessive, une relative absence de tension durant la majeure partie du roman, une intrigue pas toujours bien ficelée, des protagonistes un tantinet caricaturaux – en particulier celui qui apporte le seul point de vue construit visant à brocarder le Cercle.

Il n’empêche, Le Cercle fait réfléchir. À l’heure où la neutralité du Web est loin d’être tenue pour acquise, où Facebook et consorts acquièrent quantité de données sur leurs utilisateurs et collaborent avec les agences de renseignements étatsuniennes sans grand respect pour la notion de vie privée, où Google s’arroge le mot « alphabet », Le Cercle s’avère une lecture en pleine prise avec l’actualité, plus convaincante sur le fond que sur la forme. Smiley. (Et pour les oreilles.)

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