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Normal

États-Unis, quelque part près de la côte de l’Oregon, maintenant ou disons dans cinq minutes. Adam Dearden est admis à Normal Head, institution établie dans une forêt expérimentale à l’abri des regards. L’endroit est spécialisé dans le soin des « gens qui ontessayé de regarderdans l’avenir pour tenter de sauver lemonde et que cela a rendu fous ». Dearden souffre d’incontinence émotionnelle, d’hyperconcentration et d’impossibilité de s’exprimer. Sans compter qu’il est le concepteur de l’« attaque plongeante » qui semble peser lourd sur sa conscience.

Les patients sont divisés en deux groupes, répartis selon une démarcation au sol : les veilleurs stratégiques (en gros, les donateurs et concepteurs qui agissent dans le présent) et les prospectivistes (pour l’essentiel, espions et think tank). Tous ont l’espoir, si un jour ils vont mieux, de gagner les habitations modulaires de la Préparation, sorte de programme antichambre avant la libération et où les conditions sont assouplies. Notamment par l’accès au Net, qui manque à l’ensemble des internés, bien plus que l’extérieur. Le soir même de son arrivée, Dearden est confronté à une énigme en chambre close : un patient enfermé dans ses quartiers a disparu, laissant à la place une nuée de mouches…

D’entrée, Normal évoque cette anecdote authentique : Kurt Gödel, génial logicien mais complètement cintré, avait pour thérapeute un ancien clown dadaïste. Le troisième roman de Warren Ellis répond aux exigences classiques du théâtre : unités de temps, de lieu et d’action. Toutefois, au sein de cette contrainte imposée, le romancier donne sa pleine démesure. L’institution de soin est établie sur un ancien site dont le concepteur est devenu fou en 1913. L’endroit est largement financé par les employeurs des « sondes humaines », l’équivalent de kleenex que l’on jette une fois usés. Leur médecin, le docteur Murgu, a le mérite de l’explicite dans l’efficacité du diagnostic : « Vous êtes tous tarés. » De fait, la galerie des patients est haute en couleurs, entre l’urbaniste Lela Charron, Clough et surtout Jasmin Bulat qui écoute la sagesse de ses intestins. Paradoxalement, tous ceux qui ont tenté d’envisager un futur collectif sont emprisonnés dans un solipsisme stérile. Leur conception du bien-être est de la bonne nourriture, des tonnes de DVD et personne pour les joindre par téléphone. Soit l’idéal geek, ce qu’annonçait déjà Warren Ellis dans Gun machine – « Je ne veux pas faire partie de la vie des gens. »

Car Normal se situe dans la continuité de ses précédents romans, prenant le relais de la nostalgie du passé, illusoire avec Artères souterraines et sa recherche du manuscrit original de la Constitution ; avérée par contre dans la tradition amérindienne qui vient perturber l’efficace thriller Gun machine (qui partage d’ailleurs un segment narratif avec la relance de Moon Knight assurée par Ellis pour Marvel).

Ici, le romancier multiplie les constats sur l’avenir immédiat et le futur : « Je ne veux pas voir la fin du futur » ; « Que reste-t-il à faire lorsqu’il n’y a plus d’avenir à prévoir ? »  ; « Le problème avec l’avenir, c’est qu’il advient que l’on soit là ou pas »  ; « C’est toujours ainsi que le futur survient. On ne le remarque pas avant de se le prendre dans la gueule. »

Davantage qu’un constat du présent, Normal évoque une présence, celle d’une rumeur, comme un bruit blanc. L’idée que, constamment soumis à la surveillance, nous devenons aveugles. Le tout servi par une traduction fluide et efficace de Laurent Queyssi.

Un roman absolument nécessaire, qui ronge l’esprit avec l’efficacité d’un mème.

Cyberland

Si du réel nous ne pouvons dire grand-chose, et que le doute est nécessaire à l’avancée des connaissances, comme l’affirme le roman, alors les trois récits qui composent Cyberland sont autant de points de vue subjectifs, fatalement partiels et partiaux. Espaces mouvants, entre le monde subjectif et sa simulation, mais également temps incertains, comme l’indique la chronologie, chorale puisque répétée (pp. 14 ; 262) mais avec des variantes.

La constante tient à la frange d’humains s’opposant à la Singularité qui a formé le Diktrans, une autocratie en lutte contre le Chronocryte, soit une IA à l’origine d’univers simulacres qui attirent nombre d’individus modifiés, les Humods.

Sur cette trame, Li-Cam déploie trois récits dont la variété des narrateurs (identifié ou problématiques) concourt intelligemment à troubler les repères, sans pourtant jamais perdre le lecteur.

« Saïd in Cyberland  » décrit la mission d’infiltration menée par le Diktrans au sein de la réalité simulée. Un commando de militaires expérimentés ayant échoué, l’autorité envoie un groupe de jeunes aux talents et motivations hétérogènes. Sur un canevas classique, Li-Cam propose un récit profondément original, tant dans la forme que le fond. La forme relève du récit épistolaire (ou plutôt documentaire comme l’entend Michel Foucault, l’information se substituant au vécu). Le fond tient du conte, par la répétition lancinante du « Il est une fois » et les jeux enfantins (caca de vache, jus de chaussette, vomi de hyène, comme sensations par procuration qu’offre Cyberland). Du conte mais aussi de l’allégorie (Socrate existe comme simulacre) puisque l’idéal de la Singularité est, en amplifié, ce que l’on voit en dix minutes sur Facebook (cf. notamment la page 46). Au final, les deux possibilités de l’alternative, réel objectif ou monde simulacre, apparaissent comme bien tristes. Fort heureusement il y a le clone considéré d’abord comme de la simple viande sans esprit, et surtout l’analogon de Léonard de Vinci, qui incarne l’espoir et la réconciliation qu’offre une science joyeuse et réfléchie, à l’imagination tout autant rationnelle que poétique.

« Asulon » se déroule dans la prison bâtie par le Diktrans pour y loger les humains modifiés. Le récit est tout simplement magistral, entrecoupé d’inserts qui vont des mots prononcés par De Gaulle à plusieurs citations du Frankenstein de Mary Shelley, entre autres, les apports de textes fonctionnant comme reliquats d’une culture que les prisonniers tentent de conserver, au moins par bribes (touchante p. 244 où « le vrai savoir se trouve dans une poubelle », écrit sur des bouts de papiers gras). Li-Cam conjugue poésie et réflexion (magnifiques lignes sur folie et raison p. 228 ; analyse étourdissante de la subjectivité p. 246), le tout évoquant THX 1138 s’il avait été réalisé par Antonin Artaud, d’ailleurs convoqué par Li-Cam.

Mais c’est à Samuel Beckett, celui du théâtre aride et dépouillé de Pas ou La Dernière bande, que fait penser « Simulation Love », récit bref comme les pièces évoquées de l’écrivain irlandais. À fin d’expérimentation scientifique, le caporal Mateo Stranieri est examiné par le Chronocryte, à moins qu’il n’en soit aimé. Distance irrémédiable entre l’homme et la machine, ou promesse maladroite de rencontre, Li-Cam ne tranche pas, c’est au lecteur de juger en parfaite cohérence avec l’ensemble puisque, durant tout le roman, celui qui jouit de la culture, quelle qu’elle soit, doit en être aussi l’acteur.

Complète réussite, Cyberland est un roman dont il y aurait encore beaucoup à dire, uniquement du bien, et sans se répéter.

La Terre demeure

Il est grand temps de redécouvrir La Terre demeure de George R. Stewart. Ainsi Juan Asensio débute-t-il sa préface à cette nouvelle édition, la troisième en langue française. L’ouvrage fut publié en 1949 aux USA, traduit en 51 chez Hachette sous le titre Un Pont sur l’abîme, réédité en 1980 dans la collection « Ailleurs & demain classique » chez Robert Laffont, agrémenté d’une élogieuse préface de John Brunner et d’une non moins remarquable postface de Rémi Maure éclairant le thème post-apocalyptique qui n’ont malheureusement pas été reprises ici. La nouvelle préface interroge davantage le contenu du roman de Stewart.

Un virus a éradiqué 99,99 % ou davantage de la population américaine, et probablement mondiale (selon moi). Ish, mordu par un crotale, est l’un des très rares survivants. Il est un intellectuel, avant tout observateur de la nature de sa région, qui constitue son sujet de thèse, et un homme volontiers solitaire qui le restera jusqu’à la page 130. Il traverse les États-Unis aller-retour sans croiser quiconque valant qu’il s’associât avec. De retour en Californie, il rencontre Em, qui devient sa femme, et bientôt une petite communauté s’agrège autour d’eux et des enfants viennent à naître. Longtemps, ce groupe, « la tribu », vit sur les vestiges de l’ancien monde qui progressivement se délite – Stewart parsème son roman de commentaires « off », en italiques, tantôt lyriques, tantôt cliniquement descriptifs, de l’impact sur le monde de la disparition de l’homme. En bon intellectuel, Ish aimerait beaucoup préserver le savoir contenu dans les livres, mais force lui est de constater que pour les nouvelles générations, un rien de savoir pragmatique est infiniment plus précieux pour leur survie. Il devra au final admettre que les générations futures ne relèveront pas la civilisation mais qu’elles n’en ont pas vraiment besoin.

Comme le montre la postface de Rémi Maure à l’édition de 1980, La Terre demeure occupe une position médiane au sein du corpus de la littérature post-apocalyptique. En gros, l’apocalypse est soit le résultat d’une catastrophe naturelle, soit le fait de l’humanité. Dans la première option, on a des œuvres et des auteurs qui envisagent la résurrection de la civilisation. Dans l’autre cas, la civilisation est justement le fléau responsable de la catastrophe qu’il ne faut à aucun prix relever de ses cendres. Aujourd’hui, 70 ans après la parution originale du roman, c’est devenu une tendance philosophique lourde que de considérer que la civilisation doit disparaître, l’homme avec elle et que tout sera bien mieux ainsi (L’Humanité disparaîtra, bon débarras ! de Yves Paccalet, le roman de Jean-Pierre Andrevon Le Monde enfin, ou le film de Terry Gilliam L’Armée des 12 Singes).

Nombre de récits post-apo proposent la fin du monde comme un châtiment divin, et l’on peut lire ainsi l’épidémie de La Terre demeure, mais ce n’est pas le propos de G. R. Stewart, juste une interprétation possible. Les survivants doivent faire acte de rédemption en renonçant à la civilisation, au fruit de la connaissance offert par le Serpent qui est donc assimiler au mal, pour regagner le Paradis Terrestre. « Heureux les pauvres en espritcar le royaume des cieux leur est ouvert », lit-on dans Matthieu. La civilisation technologique est alors vue comme suffisante et bouffie d’orgueil, à l’instar des Pharisien sous le regard de Jésus. Juan Asensio évoque une révolte animale à travers le texte d’Arthur Machen, « La Terreur », « qui ne peut répondre qu’à la quête éperdue d’une pureté abolie lorsque les hommes et les animaux vivaient ensemble pacifiquement » (p. 12) ; motif naïf que l’on retrouvera dans Shikasta de Doris Lessing. Dans le roman de Stewart, le flambeau de la civilisation, conçu comme le corpus des savoirs agrégés par l’humanité au cours des âges, va s’éteindre ; seront par contre préservés des éléments de société ainsi qu’on le voit dans le sublime passage cité par Brunner (p. 282).

Servi par une écriture des plus remarquable, adaptée au propos, La Terre demeure est un exemple éblouissant de récit post-apocalyptique. Thème souvent prétexte à des récits d’action à l’emporte-pièce (on se souvient du navet adapté du très bon roman de David Brin Le Facteur), bien qu’abondent les contre-exemples (dans la préface de Rémi Maure, entre autres), le roman de George R. Stewart est profond et mélancolique, empreint d’une nostalgie pour le savoir perdu mais rempli d’espoir quant à un possible renouveau d’une société pour le moins convenable et, en dépit de tout, résolument optimiste. Voila un livre qui donne en abondance à réfléchir. La Terre demeure est le standard indépassable du thème, comme diraient les jazzmen. À lire absolument.

Un rat dans le crâne

Sur cette rive de l’Atlantique, le nom de Rog Phillips ne parle guère qu’aux connaisseurs les plus exhaustifs de la SF : un roman et une douzaine de nouvelles en tout et pour tout. Piège dans le temps, publié en 1954 sous le n°30 de feue la collection « Anticipation » du Fleuve Noir, et l’une des plus belles illustrations de Brantonne, était une bonne histoire d’inspiration vanvogtienne jamais rééditée depuis. Cinq nouvelles dans Fiction, quatre dans les revues policières A. Hitchcock et Mystère, deux dans l’anthologie de Jacques Sadoul Les Meilleurs récits de Fantastic Adventures. Puis plus rien. La douzième ne paraissant que l’an passé dans le 4e opus du Wendigo, revue publiée par l’Œil du Sphinx, comme le recueil qui nous occupe ici.

La carrière de Rog Phillips débute en 1945 pour se terminer une vingtaine d’années plus tard, peu avant sa mort, après six romans et cent soixante nouvelles environ. Les quatre textes ici sélectionnés par Richard D. Nolane (excellent connaisseur de nos genres de prédilection – il faut l’être, pour exhumer un tel auteur – qui dirigea chez Garancière, l’une des première collections de fantasy à avoir vu le jour en France : des bouquins de qualité sous de hideuses couvertures jaunes.) pour ce mini recueil furent publiées dans les années 50 et sont représentatives de la SF de l’époque.

La nouvelle qui ouvre le volume, « Un rat dans le crâne », nominée au Hugo 1959, est celle qui, à mon avis, a le plus mal vieilli. Légère modernisation de l’histoire de « savant fou » où un chercheur voit son université se refuser à financer ses travaux et décide de les poursuivre à domicile… On n’est pas loin du laboratoire d’arrière-cour ! Par ailleurs, l’électronique et la robotique d’un côté, les sciences cognitives de l’autre, ont fait quelques progrès depuis les années 50. Pour apprécier ce récit à sa juste valeur, il faut se mettre en situation et savoir qu’on lit là un texte écrit avant notre naissance (pour la majorité d’entre nous, tout du moins) et s’imprégner de ce contexte. Notons encore avec plaisir que L’OdS a repris en guise de couverture l’illustration originale de Emsh du numéro de décembre 58 de la revue If, où cette nouvelle était parue à l’origine.

Le deuxième texte, « Les Anciens martiens », daté de 1952, a moins vieilli bien qu’il soit empreint des forts relents d’une Guerre Froide naissante. Si on n’est pas bien loin du Ray Bradbury des Chroniques Martiennes, le Martien est toutefois d’un type plus ancien, c’est à dire perçu comme une menace, et tout le texte est conçu comme un récit d’espionnage de la plus belle eau.

« La Galerie » est certainement le plus moderne des textes réunis ici bien que l’entame soit davantage encore marquée par l’esprit de la Guerre Froide que le précédent (Khrouchtchev jouera bientôt de la godasse à l’ONU). Mais Rog Phillips va finalement réorienter avec bonheur son texte vers davantage d’ouverture à l’autre, lui conférant ainsi un surcroît de modernité.

Enfin, « Les Parias » joue du thème de l’altérité sur fond de risque nucléaire. Sans en avoir l’incroyable force, ce texte évoque par maints aspects « Journal d’un monstre », qui révéla le talent de Richard Matheson quasiment à la même époque. Le monstre d’aujourd’hui, terrifiant, sera la norme de demain. La nouvelle peut se lire comme une parabole contre le racisme. Ce qui serait aujourd’hui de la banalité la plus totale était alors radicalement progressiste, voire avant-gardiste, alors que les chasses aux sorcières maccarthystes n’avaient pas encore commencé ni a fortiori le mouvement pour les droits civiques qui en constituerait la réplique. Hiroshima était encore tout chaud et la thématique des dangers de l’atome, tant civil que militaire, venait tout juste de poindre.

Nul ne s’attendait ici à jamais revoir le nom de Rog Phillips sur la couverture d’un livre, plus de soixante ans après sa précédente publication ! Ce petit recueil n’est nullement indispensable, mais ce serait bouder son plaisir que de faire l’impasse pour tous ceux qui apprécient la SF classique. Une occasion à ne pas manquer.

Pierre-Fendre

Un château absolument gigantesque. Grand comme un monde. On y naît, on y vit, on y meurt, mais on n’en sort pas ! Les salles y sont si vastes qu’elles abritent des pays entiers et autant de saisons. Viridis, le printemps ; Chaloir, l’été ; Feuilles-Sèches, l’automne, et Pierre-Fendre, l’hiver. L’hiver où dort la Sommeilleuse qui rêve ce château-monde, dit-on…

Tout pourrait être bien ainsi et continuer encore et encore… Mais voici qu’un couple gay, Dulvan et Garicorne, se met en tête de changer cela, d’abattre les remparts de ce château qu’ils vivent comme une prison, entendant pour ce faire éveiller la Sommeilleuse. Tout le monde ne goûte cependant pas à l’idée de liberté que pourrait offrir l’accès au Grand Dehors. Comme nul ne sait ce qu’il en est du Grand Dehors, certains craignent qu’une terrible catastrophe ne vienne s’abattre sur leur monde tandis que d’autres, plus simplement, redoutent que leur confortable situation ne se voie remise en question. Ainsi, la sœur de Dulvan, Aurjance, se lance, en compagnie de son amie Farille, aux trousses de son frère afin de lui faire entendre raison. La grosse sorcière Murdoche, accompagnée d’une gamine à tout faire plus ou moins débile nommée Clabousse, du Bandit Yuk Long Renard et de ses acolytes bientôt rejoints par le jeune forgeron Fauric, engage également la poursuite des deux damoiseaux… Et tout ce joli monde se poursuit à qui mieux mieux de rencontres en aventures.

À l’instar de nombre de ses confrères, Brice Tarvel recourt à une triple ligne narrative, histoire d’allonger la sauce. On suit tour à tour Dulvan, Aurjance et Murdoche, dont les divers accompagnateurs n’ont nulle autre justification de leur existence que de donner prétexte à des dialogues, pour délayer la sauce. Pour les uns comme pour les autres, les péripéties s’enfilent comme les perles d’un chapelet.

Selon une mode qui semble sévir depuis quelque temps déjà chez les Indés de l’Imaginaire, Brice Tarvel, comme Gregory Da Rosa (Sénéchal) et Olivier Bérenval (Nemrod), s’emploie à « torsionner » un vocabulaire qu’il eut pu se contenter de tordre dans le dessein de conférer au texte une impression d’ailleurs. C’est plus varié que Da Rosa, mieux inspiré que Bérenval, mais, si ça ne gêne guère, ça n’aboutit pas davantage.

Voici donc un livre d’aventures à lire à toute vitesse pour passer un moment avant de l’oublier, tant on est au niveau zéro de la problématique…

Station : la chute

Depuis qu’elle a été expulsée de la Terre par des IA militaires devenues incontrôlables, l’humanité s’est réfugiée dans l’espace. Entre les bases sur la Lune, Mars ou d’autres astres telluriques, et plusieurs habitats artificiels, les hommes ont confié leur destin aux dieux du Panthéon, autrement dit un conglomérat d’entités numériques collectives. Sur Station, la principale colonie humaine, le confort s’achète désormais à prix d’or. Des licences qui permettent d’enrichir la réalité augmentée de la Trame, un filtre bienvenu permettant de masquer la froideur et la décrépitude des lieux. Un bon moyen aussi d’oublier l’exil et le spectacle déprimant offert par le clair de Terre. Pour le commun des mortels, la Trame est devenue indispensable. Elle donne accès au réseau, revêt l’architecture de la station de textures riches et variées, s’ajustant aux préférences des habitants, et elle permet de communiquer avec les dieux. Elle socialise et exclut à la fois, proscrivant de l’environnement visuel des usagers les personnes indésirables. Elle héberge enfin dans ses serveurs la conscience téléchargée des défunts, procurant à leurs proches un peu de réconfort. Longtemps, la Guerre Logicielle contre la Totalité, des IA entrées en rébellion, a menacé cet équilibre. Une trêve fragile a fini par être signée, au prix de concessions difficilement acceptées par tous et du retour des prisonniers de guerre. Tout juste libéré, Jack Foster entend goûter à son amnistie pour se réconcilier avec ses parents et retrouver la femme qu’il a aimée jadis. Quatre mois d’existence avant d’être chassé de son corps par Hugo Fist, le logiciel de combat implanté dans sa chair. La licence d’utilisation arrivant bientôt à échéance, le contrat prévoit en effet l’effacement de sa psyché au profit du parasite numérique, dont le sale caractère et le peu d’empathie constituent un fardeau de plus en plus lourd à porter. Mais les événements le poussent à reprendre le fil d’une enquête que son engagement dans l’armée l’avait obligé à abandonner.

Crashing Heaven, reprenons le titre original, entretient une parenté très forte avec le roman noir. En d’autres temps, d’aucuns auraient invoqué le cyberpunk, courant initié et définit par Bruce Sterling et ses confrères neuromantiques. Mais les temps changent, et si l’univers d’Al Robertson se nourrit d’ultra-technologie, transhumanisme et vision post-singularité y compris, il n’en reste pas moins empreint d’un classicisme indéniable, jusque dans son intrigue lorgnant de manière évidente vers le roman noir. On y retrouve ainsi le sempiternel duo d’enquêteurs, bon flic/méchant flic, ici incarnés par Foster, un vétéran de la Guerre Logicielle, et Fist, l’IA bagarreuse. Blade runner n’est pas loin, mais aussi Dashiell Hammett, Foster reprenant l’archétype du dur-à-cuire, bien sûr désabusé, et pourtant prêt à rétablir un tort, même s’il sait que cela ne changera pas grand chose à la réalité sociale. Face aux puissances du Panthéon, ces entités logicielles tutélaires faisant la pluie et le beau temps sur Station, et face à la Totalité, le duo doit se garder des complots et manipulations sans oublier la pression hostile des anciens collègues de Foster, les flics de l’InSec. Al Robertson use et abuse des poncifs du roman noir, saupoudrant le tout d’un vernis mythologique, les manigances du Panthéon rappelant en effet beaucoup celles des dieux antiques. On pense toutefois aussi beaucoup à Destination ténèbres de Frank M. Robinson, où l’équipage de l’Astron use de falsifs, des environnements virtuels qui embellissent coursives et cabines du vaisseau-génération. Le traitement de la conscience des défunts et la marchandisation de l’existence évoquent Noir, le roman de K.W. Jeter, où le héros dispose d’ailleurs d’implants oculaires lui faisant appréhender la réalité à la manière d’un roman noir des années 1940-1950. Bref, s’il ne fait pas toujours montre d’une extrême originalité, Al Robertson n’en construit pas moins un monde cohérent, sous-tendu par une intrigue nerveuse. Et même si l’on peut regretter cent pages de trop, un déchaînement pyrotechnique et hyper-technologique interminable, Station : la chute n’en demeure pas moins un divertissement stimulant qui s’acquitte de son tribut à ses prédécesseurs avec efficacité. À suivre, peut-être, avec Waking Hell, second roman de l’auteur et nouvelle incursion dans l’univers mis en place avec Crashing Heaven.

The Only Ones

Pauvre fille à la trentaine bien sonnée, Moira a toujours vécu dans le quartier du Queens, subsistant d’expédients et de rapines. Une existence âpre dans un monde lui-même en proie aux maladies et à la paranoïa. Car depuis la Grande Vague, première des pandémies dévastatrices, l’humanité a appris à vivre avec la menace virale, s’accoutumant à la ségrégation sociale renforcée. Miséreuse, illettrée et orpheline, Moira se débrouille, vendant son corps contre des aliments, un toit et un peu de protection contre la précarité. Cette enveloppe corporelle constitue d’ailleurs sa seule richesse, recelant en son sein un trésor inestimable. Une immunité contre toutes les maladies. Moira est en effet une vivace doll, autrement dit un être unique dont les gènes font l’objet d’un trafic de la part des biohackers qui en prélèvent des échantillons pour cloner des bébés sains, résistants aux multiples virus. Jusqu’au jour où l’un des clients change d’avis. Moira se retrouve alors mère d’un nourrisson viable qu’elle doit désormais élever, toute seule.

Dystopie quand tu nous tiens… The Only Ones est le premier roman de Carola Dibbell, autrement plus connue dans le milieu du journalisme pour ses critiques rock et punk, mais aussi pour son activisme féministe. Avec ce livre, elle nous projette dans un futur pas si lointain qui ferait passer Les Fils de l’homme (le roman et le film) pour une aimable comptine. Sur une trame minimaliste, l’autrice nous livre un roman d’apprentissage, celui d’une femme qui n’imaginait pas un seul instant devoir élever un enfant, une petite fille de surcroît, dans un monde où un génome sain se monnaie très cher. Ne nous voilons pas la face, le principal attrait de The Only Ones réside dans le choix de ce narrateur particulier. Écrit dans un style oral, au registre langagier assez pauvre, un tantinet saoulant à la longue, le récit dévoile un futur chaotique où l’État et la protection qu’il accorde aux plus faibles se cantonnent au strict minimum. Parcouru par des milices surarmées – Pro-Vie, traditionalistes et autres –, ce monde n’est plus fait pour la jeunesse. Donner naissance à une progéniture qui survivra aux diverses mutations virales est devenu exceptionnel, du moins sans le recours aux biotechnologies. Dans une ville de New York fragmentée, exposée aux rafles arbitraires et aux quarantaines, le patrimoine génétique de l’humain est ainsi mis aux enchères, cultivé dans des fermes par des généticiens de fortune qui transposent leur art du clonage des animaux dans le domaine plus rémunérateur de l’humain. Une pratique hasardeuse dont le résultat n’est pas du tout garanti. Pourtant, pour Moira, porteuse saine d’une immunité universelle, ce commerce apporte assurément un peu de sécurité. Il contribue hélas également à faire de son corps une machine à enfanter, d’où on extrait les ovules à la chaîne pour les faire pousser in-vitro et hors de portée de son amour maternel.

Si The Only Ones marque par la noirceur de son propos, le roman de Carola Dibbell suscite aussi l’émotion. Le personnage de Moira exprime un désir sincère et naïf, celui d’éduquer sa petite fille afin de la préparer au mieux à sa vie d’adulte. Un souhait partagé par de nombreux parents, mais rendu ici plus incertain par la déliquescence du monde et par sa condition de sous-prolétaire.

Bref, The Only Ones se révèle effectivement un roman à remiser dans sa bibliothèque, non loin de La Servante écarlate de Margaret Atwood et d’autres classiques de la dystopie. Un sous-genre jamais à cours d’idées en matière de catastrophisme.

Issa Elohim

Pendant un reportage dans un camp Front ex, la journaliste suisse Valentine Ziegler découvre, parmi les migrants cherchant à franchir les frontières de l’Union européenne, un mystérieux réfugié prénommé Issa que tout le monde présente comme un Elohim, autrement dit un extraterrestre. Le fait n’est pas inédit. Il fait même l’objet d’un véritable culte depuis l’hypermédiatisation de Noïm, le plus célèbre d’entre eux. Entretenant le buzz autour de l’Elohim, les adeptes de la secte Aion ont essaimé partout dans le monde, en quête de ses semblables, afin de donner davantage de substance à leur discours prophétique. Ces êtres qui se prétendent venus d’ailleurs laissent toutefois Valentine sceptique. D’abord incrédule et méfiante, elle finit par succomber à l’aura surnaturelle émanant d’Issa, cette foi irrationnelle se trouvant confirmée par un swap, autrement dit la dématérialisation inexpliquée du garçon, puis sa réapparition quelques instants plus tard. Avec l’aide d’un politicien nationaliste issu de son pays natal, lui aussi fasciné par le jeune réfugié, elle tente d’obtenir un visa, précieux sésame pour entrer en Europe, puis cherche à obtenir le droit d’asile en Suisse pour le garçon et ses amis.

Bienvenue dans le futur de Laurent Kloetzer, celui que l’on a découvert et apprécié dans Anamnèse de Lady Star et Vostok. Issa Elohim s’inscrit dans cette anticipation, prenant place avant le Satori, l’attentat dont les conséquences cataclysmiques ont bouleversé la planète, provoquant la quasi extinction de l’humanité. Dans ce court roman, Laurent Kloetzer s’attache à la condition des migrants dans les camps Frontex où l’Union européenne sous-traite la misère, fermant les yeux sur les exactions de ses supplétifs au nom d’une maîtrise des flux migratoires très ambiguë. Mais si le traitement des migrants motive le séjour de Valentine dans un camp de rétention, son attention finit par se focaliser sur Issa, le fameux Elohim. Est-il vraiment un extraterrestre comme l’affirment ses amis ? Ou plus simplement un affabulateur épaulé par des complices, n’ayant trouvé que cette seule stratégie pour obtenir l’asile en Europe ? La question reste en suspens, Laurent Kloetzer se gardant bien de donner une réponse définitive. Il préfère tisser sa toile pour nous capturer, déroulant un questionnement stimulant autour de la foi. Il montre de quelle façon celle-ci cherche à conformer la réalité aux désirs des croyants, transformant leur vie et jusqu’à l’existence de leurs proches. Objet de tous les fantasmes et de toutes les peurs, Issa inspire aussi une fascination planétaire, une illusion collective, support d’un discours empreint de mysticisme. À moins qu’il ne soit un simple humain, ballotté sur les routes de l’exode.

Avec Issa Elohim, la collection « Une Heure-lumière » s’enorgueillit d’un second titre francophone dont l’atmosphère et le propos interpellent durablement notre conscience. Bref, voici de quoi commencer la troisième année d’existence de la collection de novellas inédites du Bélial’ dans une très bonne disposition d’esprit.

After Atlas

Quarante années après le départ de l’Atlas pour les étoiles, on s’apprête enfin à révéler le message laissé dans une capsule par Lee Suh-Mi et Cillian Mackenzie, l’Éclaireuse et le directeur marketing à l’origine du voyage sans retour vers la planète où résiderait Dieu. Quarante ans, c’est justement à peu près l’âge de Carlos Moreno, enquêteur efficace du ministère de la Justice de Norope, le gov-corps regroupant le Royaume-Uni et les pays scandinaves. Aussi connu parce qu’il a été abandonné par sa mère dans sa plus tendre enfance, il aimerait que l’événement ne ramène pas à la surface ce passé familial dramatique dont son père ne s’est jamais remis, optant pour la réclusion au sein du Cercle, la secte fondée par Alejandro Casales, dont les membres ont tous été recalés à la sélection de l’Atlas. Pourtant, ce passé se rappelle à son souvenir, non par l’entremise de l’hystérie médiatique autour de la capsule de l’Éclaireuse, mais parce que l’on retrouve le corps démembré du gourou du Cercle dans une chambre d’un hôtel low-tech anglais. À vrai dire, ses supérieurs ne lui laissent guère le choix : résoudre ce crime le plus rapidement possible, et ainsi dénouer la crise diplomatique qui s’amorce entre les trois principaux gov-corps, ou repartir pour dix ans supplémentaires d’esclavage. Dans tous les cas, rien que des mauvais choix.

Avec After Atlas, Emma Newman continue de nous dévoiler le futur esquissé par Planetfall. Cette fois-ci, nous restons sur Terre, découvrant un monde exsangue, en proie aux guerres endémiques, avec un écosystème en lambeaux et des ressources en voie d’épuisement. De puissantes entités supranationales issues du mariage incestueux entre le politique et les firmes transnationales, les gov-corps, se partagent la planète. Cette oligarchie hypocrite et prédatrice assure à la population un minimum vital, dispensé sous forme d’ersatz alimentaires générés par des imprimantes 3D, des jeux massivement immersifs et des informations formatées. Sans cesse dorloté par un Assistant Personnel Artificiel avec lequel il communique via la puce implantée dans son corps, le vulgum pecus semble avoir renoncé à toute velléité de lutte des classes. Quant aux déchus du système, victimes de trafiquants esclavagistes, ils sont ramenés au statut de non-personne, condamnés à une longue existence de servitude pour payer leur dette au propriétaire de leur contrat. De quoi faire passer leSoleil vert de Richard Fleischer pour une douce utopie. Avec After Atlas, Emma Newman malmène nos certitudes, sacrifiant l’humanisme sur l’autel de l’instinct de survie. La rareté et le capitalisme ont accouché d’un monde cauchemardesque où la liberté n’est qu’une illusion qui se monnaye au prix fort. L’autrice use des ressorts du whodunit pour en dresser un tableau sinistre. Une vision que l’on aimerait bien ne pas voir se réaliser et dont pourtant on perçoit les prémisses, tant ses spéculations brassent des thèmes sociétaux familiers. À l’instar de l’enquêteur désabusé du roman noir, mais agissant davantage ici en analyste de données, Carlos cherche à survivre dans un monde vendu à des puissances aveugles aux drames individuels, son personnage contribuant à porter de manière puissante le déroulé d’une intrigue oscillant entre roman noir et spéculations science-fictives.

Bref, dans un registre différent, Emma Newman confirme l’excellent ressenti à la lecture de Planetfall, démontrant par ailleurs la réussite de son passage de la fantasy urbaine à la science-fiction. After Atlas a le charme vénéneux de la dystopie, donnant à réfléchir sur les lendemains qui déchantent. L’autrice nous renvoie ainsi à nos choix présents, sans chercher à faire preuve d’angélisme ou à diaboliser outre mesure. Une qualité précieuse, magnifiée par un art du récit impeccable. On en redemande !

Tension extrême

Dernier thriller en date de Sylvain Forge, Tension extrême a obtenu le Prix du Quai des orfèvres 2018, prix décerné annuellement à un roman policier par un jury présidé par le Préfet de Police de Paris et composé d’un aréopage de professionnels du droit pénal et de la procédure éponyme. Ceci explique peut-être cela. Car Tension extrême n’est pas un bon roman, mais il est écrit pour eux.

Nantes, aujourd’hui. Deux hommes, jumeaux et porteurs du même modèle de pacemaker, succombent simultanément à une défaillance destructrice de leur implant cardiaque. Il est vite évident que les défaillances ont été provoquées de l’extérieur. On découvre bientôt que c’est le téléchargement d’un virus, lors d’une mise à jour sans fil de l’implant, qui a rendu le sabotage possible. Car le pacemaker était « connecté », comme le sont aujourd’hui nombre d’objets, du réfrigérateur à la montre en passant par les boxes, les téléphones ou les voitures. Un « internet des objets » dont les spécialistes savent qu’il est peu sécurisé et donc vulnérable à des attaques aux objectifs variés. Jusque là, ça va. Pourquoi ne pas aborder ce thème d’actualité dans un roman policier ? Et pourquoi ne pas en faire un thriller dans lequel un génie diabolique de l’informatique menacerait de répandre un virus très dangereux dans la nature à une date symbolique pour lui ?

Trois cent quatre-vingt-dix pages, soixante-quatorze chapitres, dans mon expérience, ce n’est jamais très bon signe. Ca se vérifie ici. Le rythme trépidant que trouve l’auteur l’est au détriment de toute écriture ou caractérisation. Le style est au mieux nonchalant. L’auteur abuse d’un argot censé « faire flic » mais qui fait juste vieux. Beaucoup d’idées ou de situations sont évacuées en quelques lignes, dans un saupoudrage qui donne parfois l’impression qu’on lit le plan détaillé d’un roman à écrire. Les personnages (le vieux flic qui en a vu ou la nouvelle surdiplômée ; sans oublier les toppings « qui font vrai et émouvant » comme le désir d’enfant, la mort de la mère, ou les secrets de famille, le tout totalement hors du sujet principal et vite expédié aussi) reprennent les clichés faciles des romans policiers. Les développements informatiques, pas toujours exempts d’erreurs techniques, sont souvent confus quand ils ne sont pas amusants de naïveté. En revanche, les noms complets des services policiers (jusqu’à leur localisation sur la carte de France) ou des procédures utilisées ont dû ravir le jury du Prix, même si l’auteur confond allègrement meurtre et assassinat par exemple.

Pour qui a été écrit ce roman ? Je vois deux publics cibles. D’abord, le jury du Prix du Quai des Orfèvres. Le passage en revue des services et des techniques de police (jusqu’aux fichiers spécialisés) a sûrement plu à un jury de professionnels qui a pu entrer dans ce roman comme dans ses pantoufles. Choix narratif gagnant pour l’auteur. D’autre part, des lecteurs très peu regardants sur l’écriture (ou même la construction interne de l’histoire) à la recherche d’un divertissement qui leur donnera le sentiment d’avoir découvert quelque chose sur une menace qui nous environnerait et sur laquelle nous saurions trop peu. Grâce au roman, ils pourront briller en informant leurs amis sur le dessous des cartes. Carton plein pour eux ! Rien en revanche pour les lecteurs de Bifrost.

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