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L'Assassin de Dieu

Alors que ses romans dépassent allègrement la centaine de titres, les nouvelles semblent réduites à la portion congrue dans l’œuvre de Pierre Pelot. Tout au plus une soixantaine, sans doute passées inaperçues au milieu de livres d’une plus grande ampleur. D’aucuns en ont tiré la conclusion que son imagination avait sans doute besoin d’espace pour se déployer. Après avoir lu L’Assassin de Dieu, permettons-nous d’en douter. Ce recueil compile dix des meilleurs textes de l’auteur, du moins si l’on se fie à la quatrième de couverture. Des nouvelles parues dans la revue Fiction ou figurant au sommaire d’anthologies thématiques ou de titres plus éphémères, voire fandomiques. Leur lecture prouve que Pierre Pelot n’a nul besoin de place pour nous livrer de dangereuses visions où le fantastique et ici, surtout, la science-fiction, se révèlent sous leur plus beau jour.

L’Assassin de Dieu comporte au moins deux véritables coups de cœur, deux nouvelles justifiant à elles seules son acquisition. La nouvelle éponyme qui ouvre le recueil se révèle une quête métaphysique sur fond de futur si lointain qu’il se pare des attributs du mythe. L’écriture somptueuse ensemence l’esprit d’images baroques et son dénouement, même s’il est prévisible, n’en demeure pas moins délicieusement cynique. « Première mort » apparaît comme l’autre choc incontestable du recueil. Pierre Pelot se fait ici l’égal d’un Jean-Jacques Girardot, convoquant le clonage pour interroger les perspectives ouvertes par la science et examiner leur impact psychologique et sociétal. Pas sûr que la réponse débouche sur une joyeuse utopie…

Si ces deux nouvelles se détachent du lot, les autres ne sont pas négligeables, offrant un aperçu non exhaustif de ses différents centres d’intérêt. Un peu de fantastique avec « Danger, ne lisez pas ! », dont on goûtera tout le sel de la mise en abyme. Mais surtout beaucoup de science-fiction, avec une propension à mettre en scène univers post-apocalyptiques, dystopies et autres récits de fin de l’humanité. La liberté semble aussi un thème récurrent dans de nombreuses nouvelles du recueil, avec pour corollaire un attrait pour l’anarchie et une touche de misanthropie. Liberté d’abord de conserver ses rêves d’enfant face à une société totalitaire (« Bulle de savon ») ou de ne pas respecter l’autorité (« Razzia de printemps »). Liberté d’aimer jusqu’au désespoir (« Un amour de vacances (avec le clair de lune, les violons, tout le bordel en somme) »). Liberté de refuser le tropisme de la conquête pour lui préférer celui de l’indépendance d’esprit (« Pionniers »). Liberté enfin de témoigner du passé (« Le Raconteur ») ou de s’opposer à l’Histoire (« Je suis la guerre »). Si la grande noirceur du propos, voire la désillusion prévalent dans la plupart des textes de L’Assassin de Dieu, elles ne tuent cependant pas complètement la tendresse d’un auteur qui sait se montrer touchant lorsqu’il s’attache à ses personnages. « Numéro sans filet » témoigne du sentiment sincère que tout n’est pas foutu et qu’il reste (peut-être) encore un petit espoir pour l’humanité, malgré des tares indéniables.

Bref, si le cœur de la science-fiction bat au rythme de la nouvelle, Pierre Pelot marque la cadence avec talent et une belle constance. Et s’il fallait conclure cette chronique avec un seul mot pour qualifier ce recueil, ce serait celui-ci : indispensable.

Kid Jésus

Terre, XXIVe siècle. Dans un monde dévasté par la guerre, un gouvernement fédéral a péniblement émergé des décombres. Il a fixé des règles, établissant une nouvelle hiérarchie sociale fondée sur une lutte des classes féroce. Julius Port appartient aux damnés de la Terre. Vulgaire fouilleur, il hante les ruines de la civilisation à la recherche de vestiges à exploiter. Un travail de forçat dont les fruits ne profitent qu’aux puissants et aux intermédiaires. Inspiré par le contenu d’une bande découverte dans les décombres, il prend le nom de Kid Jésus et prêche auprès de ses compagnons un évangile de révolte et de partage. Pour lui, il est possible de construire un monde meilleur sans attendre. Un monde fondé sur l’entraide, l’amour de son prochain, la fraternité, le respect d’autrui, la générosité, la bonté et l’égalité. Son discours soulève bien entendu l’enthousiasme auprès des humbles, leur faisant oublier l’individualisme où ils végétaient jusque-là, au point de susciter la crainte des politiques qui siègent au gouvernement fédéral. Confiant dans sa force et son charisme, Kid accepte finalement de jouer le jeu du pouvoir. Il finit par s’y perdre…

L’intrigue de Kid Jésus pourrait prendre place aux États-Unis pendant la Conquête de l’Ouest. Il suffirait de changer peu de choses. Mais si Pierre Pelot a écrit de nombreux westerns, il ne se contente pas ici de transposer le cadre de l’Ouest américain et ses archétypes dans un décor post-apocalyptique. Il étoffe son récit avec une mythologie empruntée à la science-fiction pour imaginer un univers de pionniers, à la fois singulier et convaincant, où de gigantesques bulldozeurs remplacent les chevaux.

Critique de la démocratie représentative et de la religion, Kid Jésus démontre que la foi n’est qu’un outil pour manipuler la foule et la démocratie un moyen pour la contrôler. Les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Le leitmotiv est bien connu. Julius Port va en faire l’amère expérience, lui qui croyait maîtriser son destin, adulé par les fidèles attachés à ses paroles et à l’espoir qu’elles éveillaient chez eux. À bien des égards, le destin du Kid se révèle marqué par l’ambivalence. Porte-parole des misérables, il use d’un discours prophétique pour diffuser un programme politique révolutionnaire. Ce combat qu’il entame pour exister l’amène à se penser l’égal des puissants qui conduisent le monde. En fait, il se révèle un être vénal, médiocre, plus ambitieux qu’altruiste, dont la lutte servira plus malin que lui.

Au final, Kid Jésus a la qualité des plaisirs coupables, ces livres lus sous le manteau dont le décorum aventureux cache un propos plus politique. Pour Pierre Pelot, pouvoir et contre-pouvoir semblent comme les deux mâchoires du même piège à cons. En cela, il se rapproche d’un Jean-Patrick Manchette.

La Guerre olympique

Comme dans le monde romain, les jeux, désormais strictement sportifs, concourent à l’équilibre de nos sociétés pacifiées. Sous toutes ses déclinaisons, footballistique, rugbystique, athlétique, vélocipédique et j’en passe, le sport alimente le quotidien en exploits qui servent d’exutoire aux passions, de tribune aux discours politiques et de tremplin commercial aux transnationales. Plus vite, plus haut, plus fort ! La formule du baron de Coubertin paraît être le leitmotiv de médias prompts à s’enflammer au moindre sautillement, au plus infime centième de seconde grappillé sur le record précédent. En 1980, dans le contexte tendu des J.O. de Moscou, Pierre Pelot met sur la sellette le sport-spectacle via l’angle de la prospective. Il en résulte une dystopie joliment troussée et toujours d’actualité.

Lorsqu’il écrit La Guerre olympique, la guerre froide connaît son ultime manifestation de tension, quelque part du côté de l’Afghanistan. Organisé pour la première fois sur le sol soviétique, l’événement donne surtout lieu à un boycott mené par les États-Unis. Que ce contexte soit désormais dépassé (mais pas tant que cela au final) n’a que peu d’importance au regard du jeu de massacre auquel se livre l’auteur français, jeu qui n’est pas sans rappeler Rollerball de Norman Jewison. Adaptant à sa manière la formule de von Clausewitz, Pierre Pelot martèle tout au long de son roman le message suivant : le sport n’est qu’un prolongement de la guerre par d’autres moyens.

Le futur esquissé par l’écrivain des Vosges naît en effet des œuvres perverses de la logique bloc contre bloc et de la surpopulation. Pour préserver le fragile équilibre démographique et idéologique, les puissances ont établi une sorte de décimation tous les deux ans. Les Jeux olympiques deviennent ainsi le paroxysme d’un affrontement régulé, permettant aux Rouges et aux Blancs de défendre l’honneur de leur Cause et de se débarrasser de leurs surplus démographiques : criminels, opposants politiques et assimilés, otages au cerveau piégé, voués à périr en cas de défaite aux Jeux. Les dieux du stade deviennent des machines à tuer condamnées à vaincre. Sélectionnés génétiquement et bourrés d’anabolisants, ils sont affûtés comme des armes, prêts à porter la mort dans le camp adverse de manière directe et indirecte. Pietro Coggio, l’espoir du camp des Blancs, Slim, la jeune journaliste en quête du scoop susceptible de doper sa carrière, les condamnés Yanni Bog du côté Blanc, et Mager Cszorblovski du côté Rouge, se retrouvent aux premières loges de ces Olympiades sanglantes. Tous ne sont que des rouages, des pions dans un système qui les déplace sur l’échiquier géopolitique afin de pérenniser l’équilibre de la terreur.

Œuvre politique par excellence, La Guerre olympique apparaît désormais décalé du fait de son contexte daté. On n’y parle pas encore de développement durable ou de guerre contre le terrorisme, mais de surpopulation et de Guerre froide. Pourtant, ceci ne doit pas éluder la lucidité des perspectives ouvertes par le roman. Le Marché et la société du spectacle laminent toujours l’intelligence et, plus que jamais, le dopage entache de doute les compétitions sportives. Quant aux manipulations génétiques et au clonage, il ne s’agit que d’une question de temps…

Canyon Street

Canyon Street ressemble à une prison à ciel ouvert, bornée de tous côtés par la barrière cyclopéenne des Horizons fermés. La contrée est un dédale, en apparence infini, de rues et ruelles, de bois, de pâtures et d’agglomérations. Sous un ciel éternellement embrumé, comme barbouillé par un artiste fatigué de repeindre toujours le même tableau, ses habitants, ou plutôt devrait-on dire ses détenus, jouent et rejouent la comédie de l’existence. Soumis à la Loi, ils attendent la Manne distribuée par les Cohortes masquées de cuir, espérant un jour faire partie des Élus et repartir en leur compagnie dans le tunnel menant à l’autre monde. Mais un jour, tout s’arrête. La Manne se tarit et les Cohortes disparaissent, laissant la place à la prédation généralisée. La foule fanatisée par les abbés-speakers bascule dans la folie et la barbarie. Malheur au solitaire ou au marginal. Il risque désormais le grill à plus ou moins brève échéance car « seul le plus fort gagne et survit ». Javeline l’a bien compris. Elle se cache dans un appartement pour échapper à son destin de femme, armée et résolue, prête à défendre son ventre contre celui qui tentera de le violer. Raznak le Fou sait où elle se terre. Il a un plan pour s’évader de Canyon Street, rejoindre le pays du Grand Ciel et ses perspectives ouvertes.

À la fin des années 1970 et au début de la décennie suivante, le paysage de l’imaginaire français a été marqué par une série de romans qui l’ont traversé comme un riff rageur. Joël Houssin, Kriss Vilà, Jean-Pierre Hubert, Philippe Cousin, Joëlle Wintrebert, Jean-Pierre Andrevon et Pierre Pelot mettent le feu avec des histoires oscillant entre critique sociale et nihilisme punk.

Par sa violence, son univers oppressant et sa radicalité, Canyon Street rappelle Blue et Argentine de Joël Houssin. On y trouve une rage semblable, une envie d’en découdre et de faire exploser les carcans. Le périple de Javeline et Raznak est également une quête vers un monde meilleur, loin de l’aliénation et de la violence ambiante. Un voyage à travers un monde truqué vers un miroir aux alouettes destiné aux esprits crédules. L’itinéraire du duo dévoile ainsi le machiavélisme d’un système fondé sur le conditionnement d’une population préférant les promesses de la religion et du consumérisme à la liberté. D’aucuns trouveront le propos convenu, du moins conforme à l’esprit de contestation de l’époque. Il n’en demeure pas moins fondé. La liberté reste un choix. Il ne tient qu’à chacun de l’assumer pleinement en rejetant les illusions forgées par la foi et le conformisme. Mais, encore faut-il renoncer au confort matériel d’une existence réglée. Un choix difficile auquel se trouveront confrontés eux-mêmes Javeline et Raznak.

Comme bien des romans populaires de son acabit, Canyon Street se lit sans déplaisir. Et si le propos demeure amer et désabusé, le traitement des personnages apporte un peu de tendresse, histoire d’éclairer leur malheur.

Les Barreaux de l'éden

En tant que lecteur, très peu de fois j’ai eu la sensation que l’auteur du livre que je tenais entre les mains se trouvait là, à côté de moi, silencieux et bienveillant, m’accompagnant au long du voyage par sa réalité d’être humain et la puissance de son talent d’écrivain. Il y aura eu Wells, Dick, Ballard, Shepard. Et aussi Pierre Pelot. Pour sa science-fiction pertinente et toujours, toujours à hauteur d’homme. Les Barreaux de l’Éden ne déroge pas à la règle.

Dans un futur éloigné où, grâce à l’inventeur d’une drogue, on est en mesure de parler à ses défunts, validant ainsi la notion même d’âme immortelle et d’au-delà, la société, devenue planétaire, est divisée en trois classes génétiques, définissant chacune les limites intellectuelles de leurs sujets respectifs : À, l’élite dominante, B, les intermédiaires chargés d’encadrer la classe laborieuse C. Les Barreaux de l’Éden croise ainsi le destin de quatre personnages : Jov, un ouvrier de la classe C, Baher, un cadre B dont l’heure de la retraite a sonné et qui s’apprête à aller rejoindre sa femme dans l’au-delà, Jedith, une chanteuse A mondialement connue, Hert, transfuge de la classe B vers la classe A – promotion très rarement accordée par l’élite et qu’il aura gagnée à son seul mérite –, et enfin Costerman, un ponte de la classe A. Tout ce petit monde finira par trouver sa raison d’être et sa finitude, en miroir les uns des autres.

Comme toujours chez Pelot, la construction du récit est implacable et d’un équilibre sans faille, le tout magnifié par un style insolent de liberté et la présence forte, tout au long des pages, de la voix d’un auteur fascinant qui nous entraîne là où il l’a décidé, et seulement là. Le cauchemar peut donc avancer, presque tranquille. Et la charge sociale autant qu’humaine n’a rien perdu de son acuité, ni de sa triste probabilité future. La démonstration du talent, ni plus ni moins.

À sa façon, dès 1977, Les Barreaux de l’Éden préfigure, avec quelques autres titres – notamment Canyon street –, le cycle des « Hommes sans futur » qui, quatre ans plus tard, en 1981, enrichira d’un jalon indiscutable l’histoire de la science-fiction française. Et dont la lecture m’a profondément marqué.

Delirium Circus

Dès ses débuts, Pierre Pelot a choisi d’être un écrivain professionnel, un romancier, or gagner sa vie en racontant des histoires implique de suivre certaines modes. À peine a-t-il fait ses premières armes dans le western que la SF entre dans son âge d’or hexagonal, la période 1975/1985. Pelot s’oriente donc vers ce genre qui a soudain le vent en poupe tout en offrant à l’écrivain la possibilité de dire ce qu’il veut. Plus tard, Pelot ira vers le roman noir et le fantastique, puis le roman historique plutôt que la fantasy sur laquelle il fera l’impasse.

Delirium Circus est donc l’œuvre d’un Pelot trentenaire, encore jeune mais avec déjà de la bouteille car il écrit beaucoup… Dans les années 70, la SF s’intéresse aux média et à leur pouvoir. C’est l’époque où paraissent Jack Barron et l’éternité de Norman Spinrad, Michaelmas d’Algis Budrys, Sur l’onde de choc de John Brunner, L’Incurable de Davis G. Compton adapté à l’écran sous le titre La Mort en direct avec Romy Schneider et où Yves Boisset adapte la nouvelle de Robert Sheckley « Le Prix du danger » (1958). Pierre Pelot n’est pas en reste. Le thème lui parle. Il écrira Les Pieds dans la tête, La Nuit du Sagittaire et surtout Delirium Circus. Le roman est un pur produit de la période.

Avec Delirium Circus, Pierre Pelot va plus loin ; il va jusqu’au bout. Il pousse le thème dans ses ultimes retranchements.

Tout commence sur un plateau de tournage où Zorro Nap défend Fort-Wateralamo contre les Autrichans. Ce pourrait être de l’humour à la Grosse Bertha. Il n’en est rien. Tout est pleinement justifié dans un univers où l’on recycle sans fin les vieux films d’archives, piochant des bribes ici ou là pour faire du neuf avec du vieux sans plus rien savoir de l’origine des choses…

Zorro Nap est joué par Citizen, acteur au faîte de sa gloire, âgé de quatre cents films. Mais Citizen interprète ses rôles drogué et sous hypnose dans des films où les figurants, appelés frimeurs, sont flingués pour de vrai tandis que les animaux sont de précieux automates… Tout cet univers n’existe que pour et par le cinéma. L’univers, c’est le noyau rempli de tubes et de bulles où vit le monde du spectacle et où sont tournés tous ces films dont le public est si avides, et la ceinture qui sert de réservoir de frimeurs. Tout ça pour le dieu Public qui décide de ce qu’il veut mais dont on ignore tout.

Et voilà qu’un beau jour Citizen pète les plombs. Il va jusqu’à mettre en doute l’existence même du public. Serait-il devenu complètement fou ? Il part, quittant son paradis artificiel, en compagnie d’une scrip-girl, à la recherche du dieu Public, bien décidé à comprendre son monde qui lui apparaît désormais sans queue ni tête. Il ira de surprises en surprises jusqu’à la révélation finale au fort arrière-goût dickien.

Delirium Circus est avant tout un excellent roman d’aventures à l’intrigue quasi-linéaire qui ne présente aucune difficulté quand bien même Pierre Pelot ne cesse de nous entraîner dans des décors truqués. En poussant le bouchon aussi loin que possible, il nous amène, mine de rien, à nous interroger sur la place que nous accordons au spectacle dans nos réalités. À quel point la société du spectacle parvient à nous aliéner en nous enfermant dans une vie par procuration. Que l’on ne s’y trompe pas, au tournant des années 80, Pierre Pelot est un véritable auteur de science-fiction qui utilise pleinement le genre pour dire ce qu’il a à dire et le fait avec brio.

Le Sourire des crabes

Il y a des romans, rares mais précieux, que l’on reçoit comme une gifle, des romans dont la lecture vous laisse hébétés, pantois. Le Sourire des crabes fait sans conteste partie de cette catégorie.

L’histoire est celle de Luc et Cath, frère et sœur, amants, fous à lier, désespérés, humains, monstrueux. Elle a été jugée incurable et bonne à interner par la médecine, lui ne peut envisager un seul instant la vie sans elle. Ensemble, ils vont se lancer dans une fuite en avant éperdue et meurtrière, exécutant tous ceux dont ils croiseront le chemin, hommes, femmes, enfants.

La première chose qui frappe à la lecture de ce roman, c’est sa violence, sidérante. Pierre Pelot décrit dans ses moindres détails l’errance folle de ses deux héros, sans jamais jeter le moindre voile pudique sur l’horreur de leurs actes. Cela donne des scènes de carnage prolongées jusqu’à l’insoutenable (l’attaque du restaurant, l’agonie interminable de Cath), d’autant plus éprouvantes que la plume de l’auteur y est d’une précision chirurgicale.

Mais aussi atroces soient les actes de Luc et Cath, Pelot se garde bien de les condamner – pas plus qu’il ne les absout. Il est avant tout là pour les accompagner, et permettre au lecteur de percevoir tout le désespoir et le malheur à l’origine de ces horreurs. Il n’en est que plus éprouvant de les voir au fil des pages se défaire de leurs dernières traces d’humanité comme d’une peau morte pour embrasser la monstruosité à laquelle ils se sont résignés.

Le Sourire des crabes est paru il y a bientôt quarante ans. Dans son portrait d’un état totalitaire maquillé en démocratie torpide et d’une société du spectacle recyclant les horreurs du monde en armes de distraction massive, le roman, trop caricatural et outrancier, trop marqué par l’imagerie de son époque, accuse un peu le poids des ans. En revanche, dans la description au plus près qu’il fait de ses héros, dans sa volonté affichée de donner un éclairage brut sur leur parcours et leurs actes, il n’a peut-être jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui.

Fœtus Party

« Un jour il était né. Bel et bien pris au piège. Sans le savoir. Un jour il était né et s’était bravement mis à mourir. »

L’incipit de Fœtus-Party annonce la couleur : noir. Le roman de Pierre Pelot apparaît comme un évangile dystopique. Une vision sombre de l’avenir dont on espère qu’elle ne s’avérera pas prophétie auto-réalisatrice…

Dans le futur, la ville étend ses limites à l’ensemble du monde. Les gens vivent désormais dans des appartements minuscules ou dans des bidonvilles poussés comme du chiendent. Dans la rue et sur les boulevards, la foule grouille, une multitude sans cesse en mouvement, en route vers son travail. Dans ce monde surpeuplé, pollué, usé jusqu’à la trame, où la nature est recréée dans des parcs, on fouille dans les dépotoirs pour récupérer les ordures et on recycle les cadavres dont la chair morte offre une alternative aux portions d’insectes broyés. Et si l’on n’est pas satis fait de sa condition, la police vient vous arrêter, car le Saint Office Dirigeant veille au grain, louant la Vie, combattant le gaspi et l’esprit de révolte. Mais il est bien rare de trouver un véritable opposant au régime. Les marges cachent du menu fretin, lui-même utile à la Communauté. Pas grand-monde au final, car le Saint Office encadre très strictement les esprits, interrogeant les fœtus sur leur désir de vivre dans un tel monde et proposant aux habitants âgés le suicide assisté, avec une pilule en guise de viatique vers l’au-delà, autrement dit l’assiette de son prochain.

Auteur emblématique de cette science-fiction teigneuse et énervée des années 1970, Pierre Pelot aligne les mots comme des cartouches. Il prend ici pour cible un lieu commun de la littérature : la connerie humaine. Loin d’être l’époque promise par le libéral-capitalisme, l’anthropocène a conduit l’humanité au bord du gouffre. Les hommes ont épuisé toutes les ressources du globe, contraignant leurs descendants à payer les pots cassés. Sous la poigne de fer du Saint Office Dirigeant, les valeurs humanistes ont été remises en avant. Le remède n’a pas tardé à porter ses fruits, une marée humaine dont le flux croissant a aggravé la situation. Pour le Saint Office Dirigeant, l’enjeu consiste désormais à désamorcer la bombe P.

Pessimiste, jusqu’au-boutiste, le roman de Pierre Pelot marque par son atmosphère mortifère. L’auteur se plaît à dépeindre un futur cauchemardesque, sordide, dépourvu de toute échappatoire. Le livre recèle de nombreuses fulgurances stylistiques qui contribuent à marquer l’esprit, y imprimant des visions dantesques. Elles viennent rehausser une intrigue donnant la fâcheuse impression de ronronner, au point de susciter hélas un ennui poli. Fort heureusement, le dénouement surprenant permet d’achever la lecture sur une touche plus positive, si l’on peut dire…

En dépit de ses presque quarante ans, Fœtus-party n’a donc rien perdu de sa noirceur glaçante. Le roman reste une lecture misanthrope très recommandable dont le propos s’apparente à un réjouissant jeu de massacre où la seule alternative à la mort demeure… la mort.

Ils savent tout de vous

Thèmes particulièrement en vogue ces dernières années en science-fiction – et ailleurs –, la surveillance et le contrôle des masses se retrouvent au cœur du dernier roman de l’écrivain américain d’origine écossaise Iain Levison.

Déjà publié chez les éditions Liana Levi à plusieurs reprises depuis 2003, l’auteur d’Un petit boulot ou d’Arrêtez-moi là continue de brasser les thèmes avec Ils savent tout de vous. Roman policier saupoudré de science-fiction conspirationniste, le dernier bébé de Levinson suit en parallèle deux intrigues : d’un côté celle de Jared Snowe, policier lambda du Michigan, de l’autre celle de Denny Brooks, un tueur de flic attendant son exécution dans le couloir de la mort. Tous deux sont victimes d’un étrange phénomène : ils sont capables d’entendre les pensées des autres. Le genre de particularité qui ne peut qu’attirer l’attention du FBI et de l’agent Terry Dyer, surtout lorsque la politique internationale est en jeu. Comme on s’en doute rapidement, les deux télépathes vont finir par se croiser et devront découvrir le fin mot de l’histoire.

Pour qui a lu un tant soit peu de science-fiction, Ils savent tout de vous ne propose pas grand chose de neuf. Le coup du télépathe a déjà été traité maintes et maintes fois, avec des personnages souvent bien plus brillants (David Selig dans L’Oreille interne, pour n’en citer qu’un), et les conséquences de ce pouvoir à double tranchant ne surprendront pas davantage le lecteur. Heureusement, Iain Levinson possède une écriture fluide, bien aidée par le découpage nerveux de son récit, ainsi qu’une capacité assez remarquable à façonner en peu de pages des personnes sympathiques. Évidemment, il ne faudra pas chercher de gros bouleversements émotionnels là-dedans, ni même de réflexion sur les implications du gouvernement US dans cette douteuse entreprise (le genre de cliché dont on se serait gentiment passé, en fait).

Alors que tirer de ces quelque deux cent trente pages ? Rien ? Pas tout à fait. In extremis, le roman se sauve sur une thématique annexe beaucoup plus pertinente : le pouvoir de la technologie moderne. On s’aperçoit très rapidement que les deux télépathes, aussi efficaces soient-ils, font pâle figure face à Jerry, le petit bidouilleur en chef de l’Agence gouvernementale. Ici, Iain Levinson démontre de façon magistrale qu’il n’est nul besoin d’imaginer un quelconque super-pouvoir dans un monde tellement connecté qu’il s’avère impossible de passer inaperçu. Les GPS sont par tout, les informations n’ont plus rien de privé, et même votre téléviseur est piratable. Oubliez les télépathes et les expériences bidons d’un gouvernement en mal d’autorité morale – l’espionnage des citoyens est une affaire de smartphones et d’ordinateurs. Sur ce point, et en y ajoutant le second degré de l’auteur, Ils savent tout de vous arrive tout de même à retrouver un certain intérêt.

Difficile pourtant de franchement recommander le livre aux amateurs de SF chevronnés, tant il se contente bien trop souvent d’effleurer son sujet et de se borner à offrir un divertissement rythmé sans grands enjeux émotionnels. Restent les autres lecteurs plus occasionnels, ou qui souhaiteraient justement un moment de détente agréable et pas forcément dénué d’intelligence – ceux-là devraient y trouver leur compte.

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