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Alice est montée sur la table

Le nouveau Lethem — en attendant la traduction de Girl in the Landscape et de son polar Motherless Brooklyn (aux Éditions de l'Olivier) qui fit un carton aux USA — est un livre de fiction sur la science et non un livre de science-fiction. Il s'agit de la description d'un triangle amoureux :

1) Philip Engstrand (le narrateur) dont les rêves sont pour le moins étranges — « Je me réveillai dans les affres d'un rêve terrifiant mêlant des cannibales, des nuages de poussière et mon répondeur téléphonique » — aime Alice Coombs.

2) Alice Coombs aime Lac, une parcelle de non-être, une bulle de pseudo-vide créée par le Professeur Soft, inadapté social cela va sans dire (le professeur Soft, pas la bulle de non-être). Ce qui n'empêche pas Alice de vivre avec Philip Engstrand, puis de faire semblant de vivre avec lui…

3) Jusqu'à présent une bulle de non-être n'a jamais aimé personne, mais Lac (surnom masculin donnée à cette vacuum intelligence) est différent : traversé à fins expérimentales par un tas d'objets personnels et autres (dont un chat de laboratoire) il avale la clé de l'appartement d'Alice Coombs, le chat, des fraises, etc. et rejette presque tout le reste dont, crime ultime, Alice…

Donc la description d'un triangle amoureux pour le moins original sur lequel se greffent un duo d'aveugles — un noir, un blanc — , quelques éléments loufoques inhérents à tout campus en pleine activité universitaire, plus une couche de physique quantique sauce Lethem. Beaucoup d'humour, un hommage permanent à Lewis Carroll, des clins d'œil à David Lodge, agitez et servez sans attendre. Mais au-delà des rares passages hilarants, comme l'arrivée des aveugles chez Philip et Alice, voilà un livre au style souvent brillant, parfois gratuit, qui ne va pas aussi loin qu'on aimerait. C'est un synopsis de Greg Egan développé par un Woody Allen sous LSD : étrangement, on aurait aimé lire l'inverse. Ceux qui n'ont jamais lu Jonathan Lethem préféreront sans doute découvrir cet auteur en passe de devenir incontournable avec Flingue sur fond musical (J'ai Lu), d'un bien meilleur rapport qualité-prix.

La Trilogie Steampunk

Les temps modernes ont commencé bien plus tôt que nous le pensons. C'est en fin de compte le message du steampunk qui, en bricolant la technologie du XIXe siècle, nous rappelle que nous avons tendance à considérer comme primitives toutes les époques qui nous ont précédées. En poussant jusque dans leurs plus exotiques limites les techniques des deux siècles précédents, les auteurs du steampunk rendent justice aux savants des âges de la vapeur, de l'électricité et du fer — pour notre plus grand plaisir.

La Trilogie steampunk représente ce que l'on a fait de mieux dans le genre : trois novellas dans lesquelles des scientifiques se livrent à des expériences aux conséquences plus qu'inattendues.

Dans « Victoria », Cosmo Cowperthwait, inventeur malheureux d'un nouveau moyen de production d'énergie — au moyen d'uranium, ce qui a provoqué la mort de toute sa famille dans une gigantesque explosion… — s'est tourné vers la biologie. Le résultat ? Victoria, une salamandre à taille et forme humaine, qu'il vient de cacher dans un bordel londonien lorsqu'il reçoit la visite du premier ministre en personne. Pourquoi un tel personnage s'intéresse-t-il à un obscur savant ? Eh bien, parce que la jeune reine Victoria, dont le couronnement approche, a disparu, et qu'il a besoin de sa créature pour donner le change. S'ensuit une enquête qui mène le malheureux Cowperthwait et son valet dans les bas-fonds de Londres, jusqu'à l'école de jeunes filles d'une dame nommée Otto et à un duel avec un homme au nez d'argent ! Tout est réussi dans ce texte : des personnages plus excentriques les uns que les autres aux situations comiques ou grotesques, sans oublier les inventions de Cosmo.

La deuxième novella n'a pas le rythme de la première. Le professeur Agassiz, fervent défenseur du créationnisme contre les théories de Darwin, y part à la recherche d'un étrange fétiche, et tombe sur quelques monstres tout droits sortis de Lovecraft. Le personnage et son racisme sont joyeusement caricaturés, mais l'intrigue est moins rondement menée que dans la première nouvelle.

Le meilleur est pour la fin, avec « Walt et Emilie ». Walt, c'est Walt Whitman, le grand poète américain du XIXe siècle, d'abord vilipendé pour s'être fait le chantre de la sexualité dans ses poèmes, mais reconnu à la fin de sa vie. Emily, c'est Emily Dickinson, poétesse inconnue de son vivant, mais dont les quatrains incisifs, qui déchiffrent de manière quasi métaphysique émotions et sentiments, seront publiés après sa mort. Di Filippo fait se rencontrer la recluse d'Amherst, Massachussets, et le démocrate élégiaque à l'occasion d'une expérience menée par le frère d'Emily — qui vécut effectivement non loin du couple formé par lui et par sa meilleure amie. L'expérience en question vise à atteindre Summerland, c'est à dire l'au-delà, pour y rencontrer les morts du passé et du futur. Passons sur les détails de l'expérience — le voyage se fait dans un schooner et la machinerie est rechargée en courant électrique par des autruches ! — pour dire qu'ils finissent par rencontrer Allen Ginsberg, autre poète américain, mais de la beat generation cette fois.

Avec ce merveilleux texte, Paul Di Filippo, nouvelliste émérite mais auteur hélas peu connu ici — des textes sont parus en leur temps dans Fiction, l'anthologie Mozart en verres miroirs, la revue Cyberdreams et, plus récemment, Galaxies et Bifrost — donne toute la mesure de son talent et prouve, s'il en était besoin, que le steampunk n'est pas que décoratif.

En réunissant Walt Whitman, Emily Dickinson et Allen Ginsberg dans une aventure surnaturelle, il rend hommage à ce que la culture américaine peut produire de meilleur. Walt Whitman eut du mal à être lu parce qu'il défendait des idées démocrates et pensait qu'on trahissait les idéaux de la révolution. Allen Ginsberg, qui s'adresse à Whitman dans un de ses poèmes (A super-market in Califorma, Howl), critiqua les valeurs de la société américaine dans toute son œuvre. Emily Dickinson, recluse dans une petite ville du Massachussets, vécut à l'opposé de l'image de l'écrivain américain moderne, voyageur aux multiples métiers prêt à prendre la pose pour la postérité — et n'en produisit pas moins une œuvre dont la forme, comme le fond, sont d'une éclatante modernité. Les temps modernes ont vraiment commencé plus tôt qu'on ne le pense, y compris en ce qui concerne les idées.

Tout cela est fait sans la moindre lourdeur, au contraire, avec humour et une capacité à inventer des machines et des situations cocasses qui ne peuvent que réjouir le cœur du lecteur de S-F qui s'empressera de poser ce livre sur les rayons de sa bibliothèque, en attendant la traduction de Ribofunk, le deuxième recueil de l'auteur.

Royaumes

Sous une couverture de Julien Delval, qui fut souvent bien plus inspiré, se cache Fantasy 2, le retour, avec, aux commandes, Stéphane « fais chier ! je quitte Mnémos pour fonder mon Mnémos à moi, Bragelonne » Marsan. Étant donné la nature de son prédécesseur (Fantasy, 18 grands récits de merveilleux), l'objet invite à la méfiance. Méfiance justifiée dès la lecture de la première nouvelle, signée Mathieu Gaborit. Un supplice, que dis-je, une torture : écriture ampoulée aux relents de puberté baudelairienne mal digérée, histoire sans grand intérêt, romantisme de pacotille, dénouement grotesque. Echaudé, je plonge dans la nouvelle de Magali Segura, où l'on peut lire assez rapidement : « Mais je vois que je commence mal mon histoire » — quelle clairvoyance ! — avant trois pages d'exposition pure sur les bons, les gentils, la géographie locale.

C'est nul, c'est niais (un comble, vu que la narratrice passe son temps à se faire violer), c'est mal écrit, c'est mal construit. Allez, zou ! Courage, plus que quatorze. Suit un texte de Richard Canal, sur une ville attaquée par un bras de sable « vivant », ennuyeux mais réservant quelques belles images. Vient le tour de Philippe Bonneyrat qui, malheureusement, ne relève en rien le niveau : son texte est sans le moindre intérêt. Et c'est à Erik Wietzel de se crasher, au propre comme au figuré, avec « Les Ailes de la renommée », une fois de plus écrit avec deux pieds gauches. Là, j'avoue, j'ai posé le livre en me disant : ce coup-ci je baisse les bras. C'est pas ça la fantasy ! À moi John Crowley, Peter S. Beagle, Michael Moorcock, Mary Gentle, Barry Hughart, Glen Cook, Tad Williams… (Bon, d'accord, il n'y a que des anglo-saxons dans la liste.). Je craque, me gave de pilules — du stolzobuprofène, pour ceux qui voient de quoi je parle. J'appelle le rédac'chef pour implorer un peu de clémence (en fond sonore, on entend clairement Noir Désir et plusieurs voix féminines et gloussantes qui annoncent que l'heure du massage est venue). « J'en peux plus…

— Cid, personne d'autre ne veut la chroniquer…

— Pitié…

— Si tu ne finis pas cette chronique, je te donne le nouveau Bernard Werber à chroniquer.

— Non, non, pas le Werber ! »

Grâce à deux stolzobuprofènes de plus, que je fais passer d'une tasse de verveine brûlante, je m'y remets. Et c'est à Fabrice Colin de livrer le premier « bon » texte de la sélection, une histoire de forêt mythique et de fantôme enfantin qui vaut plus par sa construction et son écriture, que par l'histoire en elle-même, assez banale. D'un seul coup l'horizon s'éclaircit. Ouf ! Suit une nouvelle humoristique pas marrante de Laurent Genefort, que l'on peut sauter (la nouvelle, pas Laurent Genefort !) pour passer au texte de Laurent Kloetzer, « Rélio ». Là, j'avoue, j'avais un a priori très positif et… Pas la moindre once de déception une fois la lecture terminée, puisque l'auteur de La Voie du cygne nous propose un récit dérangeant sur le pouvoir, pouvoir de séduction d'un jeune esclave sur son maître et le prince d'un royaume arabisant. Une réussite de plus à mettre au crédit d'un auteur dont on attend désormais beaucoup. C'est ensuite au tour du texte de Thomas Day le plus long de la sélection avec celui de Nathalie Dau. Comme pour Kloetzer, l'a priori était vraiment positif. D'autant que le cadre du texte — une Afrique fantasmée —, original, m'a d'emblée séduit. Malheureusement, un texte ne peut se réduire à son contexte, et « Jusqu'aux Montagnes de la Lune » m'a finalement déçu. Un style parfois laborieux, des incohérences… et au final une histoire de quête somme toute classique, néanmoins émaillée de quelques jolies scènes. Une impression tenace d'inachevé. Et même si, au regard de la qualité générale de l'antho, force est de constater que cette novella se situe du côté des textes dignes d'intérêt, nous sommes ici bien loin du Thomas Day des grands jours. On sautera aisément le texte de Corto Ravena, tout en scènes d'expositions, à mourir d'ennui. Et hop ! On fait péter le Glenlivet et deux stolzobuprofènes de plus (il paraît que si on en prend trop, on se met a dessiner des mandalas pour agir positivement sur ses chakras). Il faut bien ça pour lire le texte de David Calvo, qui part dans tous les sens, réserve quelques belles surprises, autant de belles images, mais on ne sait pas trop ce que Calvo, l'autre pirate rigolo, veut raconter en fin de compte. Dommage. Vous ne saurez jamais ce qu'est vraiment la Jabule… Suit une nouvelle de Nikos Leterrier qui, avec un point de départ en or — le règne d'une jeune impératrice sur une Nécropole et ses sujets — rate son coup : trop de scènes d'exposition, une écriture visiblement déformée par la pratique du jeu de rôle. Des défauts que l'on retrouve chez la plupart des auteurs de cette anthologie, Magali Ségura, Nathalie Dau et Corto Ravena en tête. On se prête à rêver de ce qu'un Michael Bishop ou un Michael Swanwick aurait fait avec une telle idée de départ. Je descends à la pharmacie en courant, j'ai plus de stolzobuprofènes. La pharmacienne me regarde d'un air attristé : faut dire que mes sudations font des flaques à côté du présentoir tampax/vania pocket. Quand je remonte, le téléphone sonne :

« T'en es où ? (C'est Olivier Girard. Merde ! J'avale une tablette complète et noie les douze comprimés d'une bière tiède, éventée, oubliée près du téléphone quelques jours plus tôt.)

— Presque fini.

— T'es à la bourre, Vicious ! »

Juste avant de raccrocher, j'entends deux bifrostgirls glousser dans le lointain. On passe en vitesse sur la nullissime nouvelle de Sébastien Milhou pour dire du bien du texte d'Eric Boissau, « Chienne de vie ». Ça tire à la ligne, c'est construit en dépit du bon sens, mais c'est très agréable à lire et bien marrant par endroits, à la croisée de Terry Pratchett et Marcel Pagnol (fallait oser !). Quant aux textes de Raphaël Granier de Cassagnac et Nathalie Dau, forts longs tous les deux, il me fut impossible de les finir, tant ils contenaient d'éléments stylistiques impardonnables. Pour ce qui est de la postface de Stéphane Marsan, elle est à l'image du reste, d'un amateurisme redoutable, convenue et ennuyeuse. En conclusion : à force d'avoir cantonné son anthologie dans une fantasy classique, médiévale fantastique s'il est encore nécessaire de préciser, Stéphane Marsan rate son coup, nous offre un ouvrage médiocre et prouve que la relève des Calvo/Kloetzer/Colin n'est pas encore apparue.

Les Chemins de l'espace

Le père de Sophie Farthing lui a toujours dit que sa mère — un ange — était morte dans le naufrage de l'Hippolyte, un yacht stellaire. Mais la rencontre de Sophie (espèce de cendrillon steampunk) avec M. Cox, l'homme aux dents de fer, lui laisse entrevoir que son père lui a menti et que la bague qu'il lui a confiée est la clef de ses origines. S'ensuit une quête de la vérité à travers l'éther, sur de superbes voiliers spatiaux vers Mars, Io… Livre étonnant (ne vous laissez pas abuser par le démarrage laborieux), alchimie réussie de Dickens et de space opera archaïque, le tout agrémenté d'une faune complexe digne de la meilleure fantasy, ces Chemins de l'espace captivent sans mal. Reste que l'on préférera lire — malgré le prix exorbitant, 165 FF — Le Pays de Cocagne du même auteur chez Payot « SF », sans doute moins fusionnel, moins original, mais autrement plus ambitieux.

La Poupée à tout faire

[Critique commune à Intrusion et à La Poupée à tout faire.]

Suite de l'intégrale (ou peu s'en faut) des nouvelles de Richard Matheson — avec au total cinq volumes prévus. Francis Valéry s'étant longuement et patiemment intéressé aux textes composant le premier volume (cf. Bifrost 14), nous nous intéresserons aux suivants de façon plus succincte. Au sommaire de ces deux opus, 30 nouvelles, offrant une bonne perspective des différentes facettes de Matheson. Tout d'abord, il y a bien sûr ces récits ancrés dans la banalité du quotidien, que l'auteur va imperceptiblement faire dévier vers quelque chose d'autre : c'est un homme qui ne se souvient plus de l'endroit où il a garé sa voiture (« L'Enfant trop curieux »), c'est un enfant qui pleure dans le noir (« Tina a disparu »), quelqu'un dont soudain personne ne semble se souvenir (« Escamotage »), ou un coup de fil anonyme (« Appel longue distance »). Dans ce registre, popularisé au petit écran par la série Twilight Zone, Matheson passe pour un maître. Ce n'est pas le seul auquel il s'est essayé. Certes, lorsqu'il s'adonne à la nouvelle humoristique, les résultats sont plus mitigés. Tantôt il sort la cavalerie lourde (« Funérailles », où un employé des Pompes Funèbres reçoit la visite de divers personnages de la mythologie fantastique, ou « Une tripotée de donzelles », pochade sans grand intérêt mettant en scène une nouvelle forme de prostitution), tantôt il ressasse de vieilles plaisanteries éculées (« Cher journal », relatant les tracas de la vie quotidienne à diverses époques ; « L'homme qui avait créé le monde », le titre dit tout). Parfois, aussi, le résultat est plus convaincant, comme dans « Miss Poussière d'Étoiles », que n'aurait pas renié Robert Sheckley ou « Une Armée de conspirateurs », narrant les malheurs d'un paranoïaque.

D'autres textes, pas forcément les moins intéressants d'ailleurs, relèvent d'une S-F ou d'un fantastique des plus classiques : « Le Dernier jour » ou « Descendre », côté S-F symptomatiques des peurs des années cinquante, « La Maison du crime » ou « Paille humide » dans le registre fantastique. À l'inverse, un texte comme « Danse macabre » surprend, tant il s'apparente plus volontiers à la science-fiction de la décennie suivante. Enfin, plus anecdotique, on trouvera dans ces volumes une nouvelle policière, « Toilettes pour hommes seuls », ainsi qu'un western, « Le Conquérant ». Le résultat est aussi varié qu'intéressant.

Intrusion

[Critique commune à Intrusion et La Poupée à tout faire.]

Suite de l'intégrale (ou peu s'en faut) des nouvelles de Richard Matheson — avec au total cinq volumes prévus. Francis Valéry s'étant longuement et patiemment intéressé aux textes composant le premier volume (cf. Bifrost 14), nous nous intéresserons aux suivants de façon plus succincte. Au sommaire de ces deux opus, 30 nouvelles, offrant une bonne perspective des différentes facettes de Matheson. Tout d'abord, il y a bien sûr ces récits ancrés dans la banalité du quotidien, que l'auteur va imperceptiblement faire dévier vers quelque chose d'autre : c'est un homme qui ne se souvient plus de l'endroit où il a garé sa voiture (« L'Enfant trop curieux »), c'est un enfant qui pleure dans le noir (« Tina a disparu »), quelqu'un dont soudain personne ne semble se souvenir (« Escamotage »), ou un coup de fil anonyme (« Appel longue distance »). Dans ce registre, popularisé au petit écran par la série Twilight Zone, Matheson passe pour un maître. Ce n'est pas le seul auquel il s'est essayé. Certes, lorsqu'il s'adonne à la nouvelle humoristique, les résultats sont plus mitigés. Tantôt il sort la cavalerie lourde (« Funérailles », où un employé des Pompes Funèbres reçoit la visite de divers personnages de la mythologie fantastique, ou « Une tripotée de donzelles », pochade sans grand intérêt mettant en scène une nouvelle forme de prostitution), tantôt il ressasse de vieilles plaisanteries éculées (« Cher journal », relatant les tracas de la vie quotidienne à diverses époques ; « L'homme qui avait créé le monde », le titre dit tout). Parfois, aussi, le résultat est plus convaincant, comme dans « Miss Poussière d'Étoiles », que n'aurait pas renié Robert Sheckley ou « Une Armée de conspirateurs », narrant les malheurs d'un paranoïaque.

D'autres textes, pas forcément les moins intéressants d'ailleurs, relèvent d'une S-F ou d'un fantastique des plus classiques : « Le Dernier jour » ou « Descendre », côté S-F symptomatiques des peurs des années cinquante, « La Maison du crime » ou « Paille humide » dans le registre fantastique. À l'inverse, un texte comme « Danse macabre » surprend, tant il s'apparente plus volontiers à la science-fiction de la décennie suivante. Enfin, plus anecdotique, on trouvera dans ces volumes une nouvelle policière, « Toilettes pour hommes seuls », ainsi qu'un western, « Le Conquérant ». Le résultat est aussi varié qu'intéressant.

Aventures lointaines 02

Deuxième, et déjà dernière parution pour cette anthologie : décidément, les choses changent vite dans le petit monde de l'édition française, et pas forcément pour le meilleur. Au sommaire, quatre noms pour trois textes seulement, dont une assez longue novella. « Mittelwelt », uchronie signée Stephen Baxter, se déroule dans un univers proche, sinon identique, à celui de sa première nouvelle parue dans Aventures Lointaines n°1, « Tu ne toucheras plus jamais terre ». On y assiste au premier vol d'un bombardier révolutionnaire devant permettre à l'armée allemande d'asseoir sa supériorité militaire. L'histoire ne présente guère d'intérêt et, contrairement à la précédente, qui s'achevait sur la découverte d'un artefact assez stupéfiant, se révèle sans surprise.

Le texte co-signé Robert Holdstock et Garry Kilworth est d'une autre trempe. Présenté sous la forme d'un journal intime, et s'étendant sur une vingtaine d'années, il conte la quête d'un homme à la recherche de l'immortalité. Les auteurs font montre dans cette novella d'une érudition impressionnante, s'ingénient à mêler le vrai et le faux. Le résultat est passionnant.

Troisième et dernière nouvelle, « Nirvana, mode d'emploi », de Sylvie Denis, met en scène une jeune scientifique partageant sa vie entre ses recherches sur une maladie infantile détruisant la faculté de mémorisation de ses victimes, et sa passion pour « LE film », lequel n'est jamais cité, mais aisément reconnaissable. Parallèlement, un second récit décrit l'arrivée sur une planète sauvage de divers extraterrestres, réunis dans l'attente de l'arrivée de leur mentor. J'avoue que cette nouvelle m'a laissé perplexe, en particulier quant à sa résolution, qui me semble d'une gratuité totale.

Deux petits tours et puis s'en va, donc. Dommage, même si ce second volume s'avère inférieur au premier, nul doute que cette anthologie aurait pu nous proposer encore quelques beaux moments.

Billet sans titre

Retrouvez sur l'onglet Critiques les chroniques de livres du Bifrost n°18 ainsi que son guide de lecture Philip K. Dick !

Les Loups des étoiles

Edmond Hamilton est surtout connu pour Les Rois des étoiles, un space opera flamboyant datant de 1949 que l'on peut sans hésiter qualifier de classique de la S-F. La présente trilogie ici réunie en un volume, écrite à la fin des années 60, met en scène Morgan Chane, un enfant terrien élevé sur la planète des Loups des étoiles, de redoutables pirates galactiques. Pourchassé par ceux-ci parce qu'il a tué l'un d'eux, il est recueilli par un groupe de mercenaires en compagnie de qui — et notamment de leur chef, John Dilullo — il va vivre trois aventures dans la grande tradition du genre. Que le but de la quête soit une arme fabuleuse, un mode de transport révolutionnaire ou, tout simplement, un bijou merveilleux, il est avant tout prétexte à des aventures endiablées, pleines de bruit et de fureur, où le souffle épique de l'auteur entretient sans peine la suspension de l'incrédulité chère à la S-F en dépit de quelques approximations sur le plan scientifique. De plus, Hamilton trouve le moyen de coller à l'actualité sans en avoir l'air. Ainsi, l'Errance libre, que l'on découvre dans Les Mondes interdits, fait irrésistiblement penser, jusque et y compris dans les motifs employés par Chane pour la condamner, à une métaphore du voyage psychédélique. Et l'on ne sera pas surpris que cette inscription dans une réalité contemporaine de cette écriture fasse de ce titre le meilleur et le plus profond de la trilogie, puisque toute bonne S-F ne parle que du présent.

En attendant l'année dernière

Le docteur Eric Sweetscent est spécialiste des greffes d'organes, attaché au service personnel de Virgil Ackerman, PDG de la FCT. Mais tout son talent médical ne lui vaut pas un salaire aussi conséquent que celui de sa femme Kathy spécialisée dans la recherche d'antiquités destinées à la reconstitution du Washington de 1935, ou du moins des quelques rues qui furent le cadre de l'enfance du patron de la FCT. En théorie, pourtant, l'appareil de production terrien devrait être tourné vers l'effort de guerre, puisque la Terre livre bataille aux Reegs — des extraterrestres insectoïdes — pour satisfaire aux clauses d'un traité d'entraide avec les Lilistariens qui, eux, ont forme humanoïde.

Appelé aux côtés du secrétaire de l'ONU et dictateur de la planète, Gino Molinari, Eric découvre que ce dernier déploie toute son énergie à résister aux demandes des « alliés » de plus en plus autoritaires des Terriens, en utilisant des maladies psychosomatiques comme manœuvre dilatoire. Et surtout, il se retrouve intoxiqué au JJ-180, une drogue qui crée une accoutumance immédiate et handicapante, mais qui permet de voyager dans le temps, sans contrôle sur la date de destination (qui peut être le passé ou le futur), ni certitude que l'époque visitée est réelle et non hallucinatoire.

On peut au premier abord croire ce roman politique, le lire comme une dénonciation de la guerre du Vietnam, par exemple, avec la firme qui soutient l'effort de guerre produisant également des drogues à usage militaire potentiel, et surtout la conviction que l'on s'est trompé d'ennemi — en effet, les Reegs, pour monstrueux qu'ils paraissent, sont un peuple pacifique et ce sont les alliés Lilistariens qui représentent un véritable danger pour la Terre.

En fin de compte, pourtant, la vraie préoccupation du roman est personnelle. S'il a été réécrit et publié en 1966, ce roman datait au départ de 1963 — époque d'écriture intense pour Dick (dix romans en deux ans !), et de rapports mouvementés avec son épouse Anne, que l'on reconnaît dans Kathy Kathy est une femme possessive, qui ne perd jamais une occasion d'écraser son mari de sa supériorité, et pourtant, alors qu'il se perd dans les méandres d'univers parallèles, Eric ne l'oublie jamais et prend en conclusion du roman la décision de s'occuper d'elle, alors que le JJ-180 (qu'elle a pris avant son mari) lui a causé des dommages irréparables. Anne était artisan joaillier et, à un moment de leur disputes matrimoniales, Philip la fit interner pendant deux semaines dans une clinique psychiatrique : les parallèles sont évidents.

Mais le livre ne peut se réduire à l'un ou l'autre aspect, ni même à la somme des deux. Parfois décousu au niveau de l'intrigue, En Attendant l'année dernière fourmille de ces remarques philosophiques parfois déjantées qui étaient la marque de fabrique de Philip K. Dick, parfois émises par les personnages, parfois par des machines, comme ces taxis-robots qui prennent si souvent le rôle de confident dans le monde de l'auteur. Ici par exemple, Dick revient plusieurs fois sur le rôle des objets. La construction de Wash-35 (et d'autres villes du passé) est vécue comme une falsification, mais Dick défend le faux comme analogue de la création artistique, ou de sa reproduction. Je vois aussi les villes reconstituées comme des préfigurations grandeur nature des combinés qui apparaissent dans Le Dieu venu du Centaure, comme une moquerie ultime de la course à la consommation. Mais les objets deviennent brutalement hostiles lorsque Kathy éprouve pour la première fois les effets du manque de JJ-180, et se retrouve entourée d'un univers coupant et abrasif, privée de la capacité de toucher et manipuler. Pendant deux pages, on se croirait dans une première version de l'univers de Serge Brussolo. Bref, chaque lecture fait sortir quelque chose de plus des livres de Dick.

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