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This is not America

[Critique commune à This is not America et La Maison aux fenêtres de papier.]

Actualité chargée, en ce début 2009, pour notre éminent collaborateur Thomas Day. Deux ouvrages ont en effet tout récemment enrichi sa bibliographie : le court recueil de nouvelles This is not America, publié par ActuSF dans sa décidément sympathique collection des « Trois Souhaits », et le roman La Maison aux fenêtres de papier, publié directement en poche en Folio « SF » — une fois n'est pas coutume, mais la coutume est régulièrement violée chez cet éditeur et c'est tant mieux. Deux ouvrages très différents, donc, et présentant diverses facettes d'un auteur qui, on le sait, a plus d'un tour dans son sac ; mais deux publications finalement très proches, revendiquant toutes deux l'influence de Quentin Tarantino (pas forcément pour ce qu'il a fait de mieux, d'ailleurs), au milieu d'autres références plus ou moins cryptiques, et marquées par un goût prononcé pour le voyage et l'exotisme.

Ce qui est petit étant joli, commençons donc par évoquer This is not America. Derrière ce titre musical et connoté (une habitude ?) se cachent trois nouvelles dépeignant une Amérique « qui n'est tellement plus elle-même qu'on a déjà l'impression de la connaître », pour citer la belle formule de la quatrième de couverture. Nul anti-américanisme de bas étage à craindre pour autant : ce qui intéresse ici Thomas Day, c'est le rêve américain, avec ses idoles et ses tares, trituré jusqu'à la moelle par un auteur qui connaît son sujet.

Le recueil s'ouvre sur « Cette année-là, l'hiver commença le 22 novembre », nouvelle façon road movie qui nous explique à demi-mots ce qui s'est vraiment passé le 22 novembre 1963 à Dallas, en jouant plus ou moins sérieusement de l'inévitable histoire secrète, avec des vrais morceaux de l'inévitable théorie du complot. Un texte rondement mené, palpitant de bout en bout et d'une efficacité certaine. Dommage, toutefois — mais cela faisait évidemment partie du jeu — qu'on ait plus ou moins déjà lu ça cent fois…

On préférera sans doute « American Drug Trip », nouvelle burlesque et déjantée reposant sur une variation dickienne à base d'univers parallèles, avec plein de choses réjouissantes et improbables dedans. Une autre vision de l'Amérique, effectivement, bourrée de références et pour le moins jubilatoire. Probablement le meilleur texte de ce bref recueil — que les lecteurs de Bifrost auront toutefois déjà lu dans notre vingt-sixième livraison…

La dernière nouvelle, « Eloge du sacrifice », est plus grave en apparence — s'y pose un terrible dilemme —, mais les références, et plus largement les bonnes idées, abondent à nouveau — on notera au passage quelques très belles scènes de bataille… tout en regrettant, peut-être, que ce texte se montre un peu artificiel et n'aille pas forcément jusqu'au bout de ses idées, le tout pouvant laisser un brin perplexe.

This is not America se révèle être au final un agréable petit recueil, savoureux et efficace. Rien de transcendant, certes, mais le fait est que cela se lit tout seul et qu'on en redemande volontiers.

Ça tombe bien, La Maison aux fenêtres de papiers est là pour ça. Sous une belle couverture de Daylon, Thomas Day y retrouve son Japon chéri après La Voie du sabre (Folio « SF ») et L'Homme qui voulait tuer l'Empereur (roman publié dans le Bifrost n° 32 et réédité chez Folio « SF »), mais versant contemporain, cette fois. Le sous-titre est parlant : « Hommage à Fukasaku Kinji, Takashi Miike et Quentin Tarantino ». L'influence des trois réalisateurs se sent en effet dans cette histoire débordant de yakuzas, de giclées d'hémoglobine et de sodomie à sec (pas de doute, on lit bien du Thomas Day). Mais on pourrait également y rajouter Takeshi Kitano, largement cité dans la filmographie en fin de volume, et dont l'influence se retrouve essentiellement dans de très réjouissants intermèdes ludiques (« paroles de yakuzas ») évoquant furieusement Sonatine (surtout), Hana-Bi et Aniki. Plein de bonnes choses, donc, et un programme tout ce qu'il y a d'attrayant.

L'essentiel de l'histoire repose sur la rivalité entre deux puissants clans de yakuzas, dirigés par deux frères, deux démons nés des cendres d'Hiroshima et de Nagasaki. Le chef du clan Nagasaki a élevé à sa manière (pour le moins rude) la troublante Sadako, une femme-panthère muée en irrésistible machine à tuer. Un jour, cependant, la destinée déjà étonnante de la jeune femme prend un brusque virage, quand Nagasaki Oni lui confie la terrible Oni No Shi, une épée légendaire et tueuse de démons. Un héritage difficile à porter et qui, très vite, jouera son rôle dans la guerre impitoyable que se livreront les deux clans yakuzas.

Cette fantasy urbaine crue et violente nous vaut un roman d'action efficace de bout en bout, et tout à fait distrayant. L'hommage est réussi, et les amateurs ne pourront que s'en trouver comblés. Mais le meilleur ne réside pourtant peut-être pas dans cet aspect du roman, qui n'est par ailleurs pas exempt de menus défauts : on peut ainsi regretter que cette trame, outre son côté passablement bourrin, se montre parfois un peu trop didactique, et que les éléments relevant proprement de l'imaginaire donnent en fin de compte une impression d'artifice, voire de superflu…

Mais l'aventure de Sadako est encadrée par un prologue et un épilogue cambodgiens narrant, le premier du point de vue de Nagasaki Oni, le dernier de celui de son frère démoniaque, les origines de l'Oni No Shi. Ce qui nous donne, dans un sens, deux nouvelles de fantasy à la fois plus classiques de par leur côté « archaïque », et plus étonnantes et séduisantes en raison de leur cadre original, entourant le récit contemporain. La plume de l'auteur s'y fait plus fine, plus travaillée, sans que le récit ne s'en trouve édulcoré pour autant. Il s'en dégage une belle puissance narrative et un souffle remarquable, qui rendent cette Maison aux fenêtres de papier plus convaincante encore.

En somme, Thomas Day nous a gâtés avec ces deux ouvrages, certes pas parfaits, mais témoignant assurément tant du talent de l'auteur que de la cohérence dans la variété de son œuvre.

Gagner la guerre

Jean-Philippe Jaworski avait gagné le prix du Cafard cosmique 2008 pour son premier ouvrage, Janua Vera, excellent recueil de nouvelles de fantasy réaliste publié aux Moutons électriques (et récemment repris en Folio « SF »). Le volume, d'une richesse impressionnante et d'une qualité d'écriture remarquable pour une première parution, nous contait quelques récits du Vieux Royaume, un univers mâtiné d'Europe médiévale et de Renaissance qui autorisait bien des développements ultérieurs. Aussi est-ce donc sans déplaisir aucun que l'on retrouve aujourd'hui, avec Gagner la guerre, ce cadre fascinant et, mieux encore, un héros singulier et attachant en la personne de Don Benvenuto Gesufal, assassin de son état, superbe fripouille déjà croisée dans la longue nouvelle intitulée « Mauvaise donne », dont le roman constitue une suite (quand bien même il se lit fort bien de manière indépendante).

Et pour son premier roman, raconté à la première personne par ladite canaille, Jean-Philippe Jaworski et les Moutons électriques ont vu les choses en grand : Gagner la guerre est un énorme pavé de près de 700 pages denses et resserrées ; pas exactement le genre de roman que l'on plie en une soirée… Notons au passage que c'est un très bel objet, orné d'une superbe couverture d'Arnaud Cremet… mais qu'il n'est guère d'un maniement aisé.

Nous y retrouvons le très beau cadre de Ciudalia, cité-état faisant irrésistiblement penser à Venise, et plus largement à l'Italie de la Renaissance, celle de Machiavel et de Guichardin, avec quelques emprunts à la Rome antique à l'occasion. Il s'agit bien d'un monde de fantasy, mais notons d'ores et déjà que, comme dans Janua Vera, le surnaturel et le fantastique y sont rares ; les sorciers, s'il y en a, ne courent pas les rues ; quant aux elfes et aux nains, s'ils existent, ils sont peu nombreux et on ne les évoque qu'en passant, ou presque. Gagner la guerre relève de la fantasy la plus réaliste, et aussi, d'une certaine manière, de la « fantasy de mœurs », à l'instar du très bon À la pointe de l'épée d'Ellen Kushner.

Mais posons le point de départ. Depuis « Mauvaise donne », Don Benvenuto est devenu l'assassin personnel et le chef des renseignements de la plus puissante autorité politique de Ciudalia, le podestat Leonide Ducatore. Belle ascension, pour cet homme de la plus basse extraction. Alors que Ciudalia vient de remporter une victoire décisive dans la guerre contre Ressine (royaume qui évoque tout naturellement l'Empire ottoman, quand bien même son « Sublime Souverain » porte le titre persan de Chah), Don Benvenuto, qui n'a guère le pied marin, se voit confier une mission de la plus haute importance… Mais l'on n'en dira pas davantage, de peur de déflorer prématurément l'intrigue haute en couleurs et riche en rebondissements de ce passionnant pavé…

Les complots politiques capillotractés abondent en effet tout au long de ce roman exigeant mais irrésistiblement prenant ; c'est qu'il s'agit, au-delà des seules batailles navales, de gagner enfin la guerre contre Ressine, mais aussi celle, plus feutrée en apparence, qui sévit à Ciudalia même, entre les différentes familles sénatoriales, désireuses de s'emparer du pouvoir suprême. Bref, Don Benvenuto, l'assassin devenu peu ou prou personnage public, aura du pain sur la planche, et les ennuis ne cesseront de l'accabler ; il est vrai que ce zélé serviteur, le cas échéant, ferait un bouc émissaire adéquat…

Si la trame est d'une complexité rare, elle reste cependant toujours lisible, servie par le style à la fois coloré et fluide de l'auteur, qui fait preuve d'une maîtrise impressionnante pour un premier roman. En effet, si l'on peut bien tiquer ici ou là sur quelques brutaux changements de registre (les insultes et jurons, notamment, sonnent très « modernes », ce que l'on peut regretter), la plume de Jean-Philippe Jaworski est le plus souvent délicieuse de cynisme et d'efficacité, et emporte facilement le lecteur dans son univers intriguant et dans les ramifications les plus obscures de la politique ciudalienne. Les morceaux de bravoure, par ailleurs, ne manquent pas, et l'auteur se montre aussi à l'aise dans les scènes d'action débridées que dans les tractations politiques les plus complexes, dans les descriptions savoureuses que dans les méditations introspectives.

Quel plaisir, enfin, de lire un pavé de fantasy dans lequel rien, absolument rien, ne se montre gratuit ! Là où la mode est hélas à la « big commercial fantasy » s'étendant sur des tomes et des tomes en dilatant excessivement l'action et en faisant du tirage à la ligne un art, Jean-Philippe Jaworski, pour sa part, nous livre en un roman unique et prenant (à peine si l'on peut noter une brève baisse de régime passée environ la moitié du récit) une saga entière dans laquelle rien n'est laissé au hasard, et tout se trouve à sa juste place (presque trop, à la limite…). Impossible de s'ennuyer dans ce pavé qui requiert — mais obtient sans souci — une concentration de tous les instants. L'auteur a su puiser aux meilleures sources de la fantasy et du roman-feuilleton une puissance et une efficacité narratives tout simplement bluffantes.

On peut bien le dire : avec Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski a franchi haut la main la délicate épreuve du premier roman. Surpassant toutes les attentes, pourtant élevées, que l'on pouvait placer en lui depuis Janua Vera, il nous fournit tout simplement, et de loin, un des meilleurs romans de ce début d'année 2009. Aussi ne saurait-on véritablement le qualifier, comme il est d'usage, d'auteur « prometteur » : avec Janua Vera et Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski a déjà tenu bien des promesses et se pose d'entrée de jeu comme l'un des meilleurs auteurs français de fantasy à l'heure actuelle. Rien de moins, et peut-être plus encore

Des choses fragiles

Après l'indispensable Miroirs et fumée, Neil Gaiman, que l'on ne présente plus, nous revient aujourd'hui avec un second recueil de nouvelles, poèmes et autres expérimentations diverses et variées, dont bon nombre de textes primés. Et l'auteur britannique, à n'en pas douter, a choisi pour son ouvrage à la fois dense et volumineux le meilleur des titres. Ce sont bien, en effet, « des choses fragiles » que ces trente-deux textes de taille variable, et bien souvent des « merveilles ». Une succession d'instants précieux, de petites histoires enchâssées les unes dans les autres, de fragments plus ou moins hermétiques, de saynètes tantôt drôles, tantôt cauchemardesques, alternant gravité et légèreté, quelque part entre l'enfance de tous les possibles et les tristes réalités de l'âge adulte. Des petits bijoux, camées fourmillant de détails, gravés avec délicatesse et méticulosité. La confirmation, s'il en était besoin, de l'art de l'auteur, tout particulièrement pour ce qui est de la forme courte.

Difficile, ceci étant, d'en dire beaucoup plus : dans bien des cas, en dire quelques mots, c'est déjà en dire trop. Et détailler par le menu ce recueil confinerait à l'absurde…

Il faudra donc bien se contenter ici d'impressions, de survol, de souvenirs plus particulièrement saillants : évoquer par exemple la confrontation des univers de Lovecraft et de Conan Doyle dans « Une étude en vert », la nouvelle qui ouvre ce recueil (prix Hugo 2004).

Ou mentionner parallèlement la novella (on préférera ce terme à celui de « court roman » employé un peu abusivement par la quatrième de couverture…) intitulée « Le Monarque de la vallée », qui clôt le volume et rappelle à notre bon souvenir Ombre, le héros du roman sur-primé American Gods ; Ombre, ici amené à participer à d'étranges festivités au cœur de l'Ecosse la plus embrumée et la moins touristique, où il croisera les inquiétants et fascinants personnages que sont Smith et son employeur M. Alice, que l'on avait déjà suivis auparavant dans « Souvenirs et trésors », une nouvelle particulièrement glauque.

C'est qu'il y eut, entre temps, bien des « nouvelles et merveilles », expérimentations plus ou moins anecdotiques, poèmes épars et, surtout, petits bijoux de nouvelles. « La Présidence d'Octobre », par exemple (prix Locus 2003) ; ou « Amères moutures » et ses filles-café ; ou « Les Bons garçons méritent des récompenses » et son merveilleux souvenir d'enfance ; ou encore « L'Oiseau-soleil », avec ses fins gourmets en quête du plus précieux des repas… Mais on pourrait en citer bien d'autres : « La Vérité sur le cas du départ de Mlle Finch », « Comment parler aux filles pendant les fêtes »…

Il y eut aussi, régulièrement, des univers accaparés et/ou revisités (dont, dans un sens, celui de Matrix avec « Goliath »), des histoires et archétypes renouvelés, de Boucles d'or à Arlequin. Un texte de jeunesse au titre à coucher dehors, également (« Les Épouses interdites des esclaves sans visage dans le manoir secret de la nuit du désir redoutable »). Et nombre de bizarreries souvent savoureuses, et en tout cas largement rétives à la classification comme au commentaire.

Bien des choses, tout ce qui, en somme, fait de Neil Gaiman un des meilleurs auteurs du genre, a fortiori en tant que nouvelliste. Ce n'est sûrement pas un hasard si le volume est dédié à Ray Bradbury, Harlan Ellison et Robert Sheckley, « grands maîtres de l'art ». Et le fait est qu'il se montre ici à son meilleur, particulièrement convaincant quand il se livre au travail de précision. Des choses fragiles le confirme, s'il en était encore besoin après Miroirs et fumée : Neil Gaiman est bel et bien un des meilleurs nouvellistes de sa génération.

Le Bouclier du Temps

Enfin ! On aura mis le temps (aha), mais, avec la publication de ce Bouclier du temps, le cycle, majeur, de La Patrouille du temps est enfin disponible intégralement en français. Louons donc le Bélial' et Jean-Daniel Brèque pour leur édition de ce monument de la science-fiction, très justement récompensée aux dernières Utopiales par un Grand Prix de l'Imaginaire. Une injustice est réparée, et le lecteur français ne saurait s'en plaindre.

Poul Anderson est régulièrement revenu sur ce cycle pendant une quarantaine d'années, ce qui suffit déjà à lui conférer un caractère exceptionnel ; à bien des égards, La Patrouille du temps est l'œuvre d'une vie. Rappelons-en l'essentiel : Manse Everard, Américain du XXe siècle, passe un jour une série d'entretiens mystérieux qui l'amènent à intégrer la Patrouille du temps. L'institution a été fondée par nos lointains descendants post-humains, les Danelliens, après la découverte du voyage dans le temps, afin de lutter contre l'éventualité de toute modification de l'histoire susceptible d'empêcher leur apparition. Manse Everard devient vite un agent non-attaché, et remplit nombre de missions à travers le temps, mais essentiellement dans notre passé, qu'il s'agit pour lui de préserver. La Patrouille du temps s'avère donc avant tout être un cycle prenant l'histoire pour base : si les paradoxes du voyage dans le temps sont bien entendu régulièrement évoqués, l'essentiel est cependant de faire vivre à Manse Everard et à ses collègues de palpitantes aventures dans le passé, appuyées généralement sur une solide documentation (quand bien même on peut renâcler ici ou là devant quelques simplifications abusives, ou, en sens inverse, devant le didactisme old school de certaines aventures — c'est tout aussi vrai pour ce dernier volume).

Le Bouclier du temps, dernier récit de la Patrouille, est un long roman, le plus long texte que Poul Anderson ait consacré au cycle. Et il se pose très vite en apothéose sous forme de bilan, recoupant tous les principaux éléments de la série. Il est cependant possible de le découper en trois parties, reliées par de brèves séquences de transition.

Dans la première, « Les femmes et les chevaux, le pouvoir et la guerre », on retrouve le versant le plus aventureux du cycle : Manse Everard y poursuit en effet la lutte (entamée dans les deux précédents volumes) contre les Exaltationnistes, sortes de terroristes temporels, cette fois dans la Bactriane du IIIe siècle av. J.-C, un cadre superbe et brillamment utilisé.

Dans la deuxième partie, « Béringie », prenant pour cadre une terre préhistorique depuis longtemps disparue, nous suivons cette fois Wanda May Tamberly, la charmante jeune fille dont on avait pu faire la rencontre essentiellement dans « L'Année de la rançon », court roman initialement destiné à la jeunesse repris dans le troisième volume du cycle, La Rançon du temps. Pourtant, il ne s'agit pas cette fois d'une aventure débridée : avec cette très belle séquence, où le dilemme posé par les interventions de la Patrouille ressurgit, Poul Anderson explore à nouveau avec talent le versant le plus intimiste et psychologique de La Patrouille du temps, celui du chef-d'œuvre « Le Chagrin d'Odin le Goth » (tome 2 — Le Patrouilleur temps) et de « Stella Maris » (dans le tome 3).

Enfin, la troisième partie, « Stupor Mundi », réunit Manse Everard et Wanda May Tamberly pour une saisissante variation de « L'Autre Univers » (tome 1 — La Patrouille du temps) : l'histoire a été modifiée, suscitant l'apparition d'un futur uchronique. Il s'agit dès lors pour nos héros de rétablir l'histoire telle que nous la connaissons, le point de divergence se situant en Sicile au XIIe siècle ; mais cela s'annonce plus difficile que jamais, à tous les points de vue… et peut-être tout simplement vain, l'entropie étant de la partie.

Les amateurs ne seront pas déçus du voyage : on retrouve bien dans Le Bouclier du temps tout ce qui faisait la saveur des trois précédents volumes. Poul Anderson, quand bien même il sombre parfois dans le travers du didactisme — mais ces passages se lisent malgré tout fort bien —, nous rappelle ici qu'il était un conteur d'exception. Et si ce dernier roman n'atteint pas la perfection de la novella « Le Chagrin d'Odin le Goth », si l'on peut bien en critiquer quelques aspects (la lourdeur des passages amoureux, s'il ne fallait en citer qu'un), il ne s'en révèle pas moins efficace et passionnant. L'auteur y fait preuve d'une maestria tout à fait remarquable dans l'usage du thème classique du voyage dans le temps, multipliant les sauts en arrière et en avant sans jamais perdre le lecteur pour autant, ni achopper sur l'écueil des paradoxes insurmontables. Poul Anderson rassemble ici tous les éléments de son cycle, dont la cohérence éclate au grand jour, tout en en révélant de nouveaux aspects plus ou moins perceptibles jusqu'alors : on ne saurait imaginer meilleure conclusion à l'ensemble.

Ajoutons que la traduction de Jean-Daniel Brèque est comme il se doit irréprochable, et que cette édition se voit complétée par une intéressante postface de Xavier Mauméjean. Les lecteurs des trois premiers tomes ne sauraient donc faire l'impasse sur ce dernier volume ; quant aux autres, on ne saurait trop les engager à la lecture de ce cycle majeur de la science-fiction. Il est heureux que les lecteurs français puissent enfin redécouvrir aujourd'hui l'œuvre de cet immense auteur du genre, et l'on ne peut que souhaiter de nouvelles parutions de semblable qualité.

Sommaire Bifrost 67

Découvrez le sommaire détaillé du Bifrost 67 spécial George R. R. Martin, à paraître le 19 juillet !

Planète de Simak

Il y a un an paraissait Frères lointains. À cette occasion, embarquons à destination de la Planète de Simak, hommage-exégèse de Pierre Gruaz à La Planète de Shakespeare, roman méconnu et mal-aimé de l'auteur de Demains les chiens

Critiques Bifrost 44

Retrouvez toutes les chroniques de livres du Bifrost 44 spécial Joëlle Wintrebert sur l'onglet Critiques !

BO S02E09

Cette semaine dans la Bibliothèque Orbitale, Philippe Boulier nous fait une orgie de bières et de pages, et célèbre Féerie pour les ténèbres de Jérôme Noirez, sans oublier de rendre hommage à Ray Bradbury !…

Miel des lunes

Oubliez le titre, Miel des lunes, qui fait un peu peur et qui n'aurait pas déparé chez Harlequin. Car ce roman — le premier de Michèle Sébal — est beaucoup moins gnangnan que le laisse supposer ledit titre, et même s'il ne s'agit pas là d'un chef-d'œuvre, gageons qu'il saura procurer quelques moments intéressants.

Janice est une jeune femme renfermée sur elle-même qui se rend tous les jours à son travail insignifiant, discute à peine avec ses collègues et semble dépourvue de toute vie sociale. Dans ce désert, sa seule amie est Tarita, sa gouvernante, aux petits soins pour elle.

Miel est quant à elle en perpétuelle volupté au sein d'un aréopage exotique : il y a une géante, une femme-serpent, une femme-félin et un Maître au sexe démesuré. Tout ce beau monde se croise et se décroise au sein de jeux érotiques aux configurations multiples.

Ces deux jeunes femmes, Janice et Miel, n'ont apparemment rien à voir. Pourtant, un lien les unit, on le suspecte très rapidement — Raoul Alcan, un psychanalyste, va d'ailleurs essayer de déterminer la nature de leur relation.

Les deux premières parties du roman reposent sur un intéressant mélange de narrations des scènes tristes de la vie de Janice, des expériences de Miel, et des séances de psychanalyse conduites par Raoul sur Janice. Ceci permet à Michèle Sébal (elle-même psychanalyste de profession) de nous dévoiler peu à peu le mystère sur l'identité de Miel, au travers de personnages fort bien campés. La fascination de Raoul Alcan, qui tombe peu à peu sous le charme de la jeune femme, mais qui tente de résister à ses pulsions, est admirablement décrite.

Toutefois, cette belle construction s'écroule quelque peu dans la troisième partie, à l'hôpital. Si l'auteur introduit de nouveaux personnages, un groupe de chercheurs en psychiatrie très fortement caractérisés (le connaisseur du vaudou, le juif introverti et besogneux…), leurs réactions en face du phénomène créé par Janice les rendent quasiment interchangeables. Et comme tout est désormais décrit par Alcan, sans balance par d'autres points de vue, on perd ce qui faisait l'intérêt de ce qui précède. Quant à la conclusion de l'histoire, bien qu'intrinsèquement satisfaisante, elle est loin de cette fin traumatique annoncée à grands renforts de trompette lors des passages situés après le déroulement des événements…

Bref, un roman intéressant dans sa première moitié et qui ne tient pas ses promesses dans la seconde. Mais un roman qui montre néanmoins qu'on peut logiquement attendre de Michèle Sébal des œuvres tout aussi personnelles et, à n'en pas douter, plus accomplies.

Espaces insécables

Espaces insécables est le deuxième recueil de nouvelles publié par les éditions ActuSF de la trop rare prose de Sylvie Lainé. Son univers très personnel, son humour subtil et son style limpide trouvent ici leur incarnation dans six nouvelles, la plupart d'entre elles datant de 1985-1986, avec deux textes plus récents (2000 et 2008).

Comme le dit Catherine Dufour dans sa très éclairante préface, les nouvelles de Lainé sont de la science-fiction pure, en ce sens qu'elles ne mettent pas simplement en place un décor et un attirail S-F pour parler de sujets qui auraient pu être abordés dans la littérature générale. Non, l'auteur brasse ici des thématiques entièrement S-F, au premier point desquelles l'altérité. Altérité de l'autre, l'extraterrestre, dans toutes ses incarnations, métabolique, sociétale, cognitive (« Le Chemin de la rencontre »), mais aussi altérité de l'être humain, qui évoluera fatalement dans ses processus de pensée si la société autour de lui évolue (« Le Passe-plaisir »). Et si jamais certains sont réticents, il « suffira » de les forcer à changer, et la société s'en chargera, en leur redéfinissant à intervalles réguliers leurs vie, métier, connaissances, centres d'intérêts (« Carte Blanche »)…

Ce qui intéresse Sylvie Lainé, c'est bien de décrire ces mécanismes de pensée différents ; mais elle ne verse pas pour ce faire dans la théorisation absconse, elle préfère un côté plus « ludique », sans sacrifier pour autant à la rigueur scientifique. Il ressort ainsi de ces nouvelles une profonde ouverture d'esprit, une intime compréhension des protagonistes de ces nouvelles. C'est ce qui fait la force principale des textes présentés ici, mais on aurait tort de croire que c'est leur seul intérêt. Sylvie Lainé sait à merveille varier les thèmes (y compris des problématiques purement hard science) et les traitements, tantôt drolatiques, tantôt dramatiques. Et toujours avec un style précis mais évocateur, et une grande concision qui font de ces nouvelles des petits bijoux finement ciselés, et de Sylvie Lainé l'une des nouvellistes françaises les plus exigeant(e)s et intéressant(e)s.

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