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Les Aventures de Jerry Cornelius

Avec une cinquantaine de livres traduits, Michael Moorcock est l’un des auteurs les plus connus du public, notamment pour son œuvre de fantasy. Mais, outre Elric et ses nombreux avatars alimentaires qui popularisèrent Moorcock — sur le tard, il est vrai —, il fut un précurseur du steampunk, donna dans l’uchronie baroque et, surtout, s’imposa comme l’acteur majeur de la New Wave britannique des années 60, en tant que rédacteur en chef de New World et en tant qu’auteur des aventures de Jerry Cornelius. Il prêta ensuite le personnage à d’autres auteurs dans la mouvance de New World, tels que Spinrad, Aldiss ou Hilary Bailey...

Jerry Cornelius a été présenté comme un James Bond pop et un dandy cynique vivant dans un monde en proie à l’entropie : le nôtre au milieu des sixties. C’est un brin superficiel et racoleur.

En premier lieu, à l’instar d’Elric dont il est un énième avatar, Jerry Cornelius est un agent du Chaos. Dans Le Programme final, le parallèle avec son modèle est particulièrement cultivé. Ainsi, Jerry Cornelius investissant le château faux Le Corbusier de son père faisant écho au sac de Melniboné par Elric, son amour pour sa sœur, Catherine, répondant à celui d’Elric pour sa cousine, Cymoril, de même que leurs morts respectives de la main de l’un et l’autre. Franck, son frère, endossant le rôle du prince Yrkoon. Le multivers moorcockien — on entend ici la manière dont se répondent les textes de Moorcock les uns aux autres à travers toute son œuvre en une construction conceptuelle devenue délibérée — commençait à prendre forme.

Jerry Cornelius, dont les initiales ne doivent rien au hasard, est un moderne messie hédoniste et dérisoire qui s’évertue à provoquer l’avènement d’un monde moins froid, moins faux. Ces aventures sont une farce, une comédie où l’humour vient conjurer l’horreur mise en images du monde postmoderne avant qu’elle ne nous anesthésie. Jerry Cornelius — né dans une réaction de colère à la guerre du Vietnam — déchiffre pour nous le labyrinthe discontinu de nos sociétés où l’on est voué, non seulement à se perdre, mais à s’évanouir.

Il expérimente diverses attitudes, cherche avant tout à se présenter en tant qu’être humain épris de sincérité et de sensibilité. Pour se faire, il lui faut lutter contre les systèmes, les organisations incarnées par la froide — et frigide — Miss Brunner. Jerry ne propose rien d’autre que d’introduire un brin de fantaisie dans la dérisoire rigidité de systèmes absurdes prétendant tout contrôler et réduire les gens au rôle déshumanisé d’agent d’un processus. Jerry Cornelius est un anti-héros, acteur de la farce, qui s’arme toujours d’un poignard de théâtre pour que seuls meurent les masques ou les rôles. Il ne faut pas davantage se laisser abuser par les oripeaux dont il se vêt, les artefacts dont il s’entoure ; à travers lui, Moorcock montre tout ce qu’ils ont de futiles et dérisoires. C’est un rêveur. Et l’imagination, moteur de tous les rêves, lui permet de détourner la technologie, de la réduire en gadgets... En tant que tel, fringues et gadgets ne sont là que pour donner l’illusion de la plénitude et combler la vacuité affective ; en fait de voie, ils aboutissent à une impasse. Tous ces artefacts ne sont qu’artifices incapables de produire du sens. Autant pour le consummérisme !

Datant des années 65/75, Les Aventures de Jerry Cornelius ont certes vu leur cadre vieillir ; le nec plus ultra du gadget high-tech d’alors a pris des allures de pièces de musée de province. Pourtant, comme un grand cru de Bourgogne, elles se sont bonifiées avec les années. La pertinence du propos moorcockien s’accroissant avec l’entropie, il n’en prend que davantage de saveur et de relief. Pour apprécier pleinement, il suffit de se restituer dans le contexte de l’époque, à la manière dont on lit du steampunk. Bien qu’écrit hier, Jerry Cornelius est plus que jamais au goût du jour.

La construction, de plus en plus fragmentée au fil des volumes, dans la mouvance du nouveau roman — atomisant la narration, recourant à des inclusions de coupures de presse, des commentaires « off » —, loin de parasiter le récit, en pose le contexte de l’unique manière possible. En effet, la narration la mieux aboutie s’avérerait désormais impuissante à restituer la complexité de l’époque d’une manière autre que parcellaire, impropre au propos de Moorcock. Cette construction ne facilite pas la tâche d’un lecteur habitué à une confortable linéarité mais, elle est indispensable pour créer une « impression du monde » suffisamment globale. Le monde de Jerry Cornelius, c’est ça, ça, ça, ça, ça, ça... ça, ça ! Tout ça ! Et c’est le nôtre ! Si le choix formel de Moorcock — encore exacerbé dans les nouvelles mettant Jerry Cornelius en scène — n’est pas exempt de difficultés, cela tient au fait que le monde n’est plus facile à appréhender. Marshall Mac Luhan n’a-t-il pas dit que le médium était le message ? Le sens ne réside nullement dans un hypothétique rassemblement des fragments épars dont l’auteur eut laissé le soin au lecteur. Il n’y a pas de cohérence à rechercher, rien à comprendre. Tous ces éclats de récit n’ont qu’une fonction sensitive. Le sens gît dans l’éclatement même de la forme. Peut-être n’est-ce pas facile, peut-être l’expérience est-elle étrange et laisse-t-elle le lecteur un instant désorienté, à l’instar du monde d’aujourd’hui où la falsification globale s’esquive dans la vitesse. Mais lire Les Aventure de Jerry Cornelius est bien plus facile que de se forger une bonne image du monde. En tout cas, ça y aide. Jerry Cornelius ne propose rien de moins qu’une grille de lecture du monde contemporain, une manière de le décoder pour y survivre et en tirer un minimum de bonheur. Les Aventures de Jerry Cornelius sont une lecture dont on tire d’autant plus profit que l’on éprouve le besoin de décrypter le monde actuel. Voici bien l’une des œuvres les plus essentielles de la S-F.

Billet sans titre

De retour à l'antenne de son podcast spatial, Philippe Boulier nous parle cette semaine dans la Bibliothèque Orbitale du roman d'Eric Holstein, D'Or et d'Émeraude !

Station solaire

Jusqu'il y a peu, la traduction de S-F allemande, outre Perry Rhodan, restait un épiphénomène ; pire, une rareté, une curiosité… On parlait alors de S-F exotique et ça n'a pas vraiment changé ; pas encore. C'est néanmoins le second roman d'Andreas Eschbach que l'Atalante nous propose après Des Milliards de tapis de cheveux. C'est moins que les huit livres italiens désormais disponibles (chez Payot/Rivages et au Fleuve Noir) mais déjà beaucoup dans le contexte désertique qui prévalait jusqu'alors. Des S-F autres que anglo-saxonne et indigène commencent à exister. D'autant plus qu'Eschbach et d'autres auteurs ou artistes venus d'outre-Rhin ont pu être vu à Utopia et aux Galaxiales ; des nouvelles ont également été traduites dans Utopia 1 et Cosmic Erotica. L'Europe de la S-F commencerait-elle à entrevoir le jour ? Va-t-on vers des conventions européennes dignes de ce nom ?

Station Solaire est un frileur, comme on dit à l'Atalante pour faire plaisir à Jacques Toubon.

Il n'existe pas pléthore de romans se passant intégralement en orbite basse dans un futur immédiat. L'une des références les plus proches est l'historique Apollo 13 ; sinon, ce sera Ascenseur pour l'infini de Lester Del Rey, roman et auteur aujourd'hui bien oubliés, écrit avant même que Gagarine ne fasse quelques petits tours en orbite. Alors que chez Del Rey on s'enthousiasmait à l'idée de ce qui allait pouvoir se faire, chez Eschbach on espère entretenir encore un peu ce qui n'est toujours qu'un rêve. Quarante ans ont passé. L'humanité n'a plus d'avenir.

2015. Le Japon entretient la station Nippon et a racheté les navettes spatiales américaines. À 400 km au-dessus de la Terre, neuf astronautes-chercheurs expérimentent la transmission au sol d'énergie solaire, captée au moyen d'une immense voile photo-électrique — hybride de panneau photo-électrique et de voile solaire — et transmise grâce à un faisceau de micro-ondes. En effet, le pétrole s'épuise et le nucléaire suivra… Mais la transmission ne fonctionne pas et un sabotage commence à être soupçonné.

Entre les pirates de l'espace qui veulent utiliser le faisceau de micro-ondes pour cuire tous les habitants de la Mecque et un éco-terroriste qui, soucieux de dissimuler son forfait, permettra à Khalid et ses sbires de perpétrer le leur en rendant le faisceau opérationnel, les autres occupants de la station auront fort à faire pour ne serait-ce que sauver leurs vies.

Station Solaire est un parfait huis-clos mené à cent à l'heure dans une ambiance étouffante. Du coup, on le dévore plus qu'on ne le lit. De plus, il ne faut que fort peu de pages à Eschbach pour brosser le tableau d'un XXIe siècle qui déchante. L'Islam à feu et à sang. Une Amérique en proie à l'obscurantisme qui s'est désinvestie de l'espace. Quant à la Russie : « dire qu'elle est plongée dans le chaos serait faire injure au chaos », selon la formule choc d'Eschbach lui-même. Reste l'Europe, qui a raté le coche et se trouve en voie de balkanisation. Le pétrole se tarit. Des écho-nihilistes font tout leur possible pour abattre la civilisation et priver l'humanité de ses ultimes chances de salut, telle la station solaire. Eschbach ne s'évertue pas sur les détails ; son évocation du monde a la force incisive de la caricature. Ce n'est pas son propos, c'est son contexte. Son propos, c'est un roman d'action.

L'intrigue repose certes sur quelques clichés du roman d'espionnage : les « méchants » qui ont malencontreusement pris pour cible le fils du héros, les femmes otages qui sont, au choix, menacées ou exécutées par l'inévitable sbire sadique et psychopathe, le héros qui s'évade et reconquiert la station, la seconde chance accordée au « méchant » par le destin d'accomplir son funeste dessein, les « méchants » qui meurent tous sans que les « bons » l'aient vraiment voulu, la fausse piste qui n'en est pas une… Jusqu'au Katana qui traîne à bord de la station qui n'aurait pu être japonaise sans cela ! Tout y passe. Dans un premier temps, on assiste à la mise en place de la situation assortie de perturbations. Dans un second, c'est l'irruption de la situation de crise qui va crescendo jusqu'à son paroxysme, puis survient le retournement de situation et l'ultime rebondissement. Le thriller type. Classique en diable mais diablement efficace. Station Solaire est aussi radical qu'épuré à l'extrême. Un modèle du genre. On en redemande.

Physiognomy

Pour ce roman, Jeffrey Ford, que l'on se gardera bien de confondre avec son presque homonyme, Jeffrey Lord — qui signera la série « Blade » chez Vauvenargue — a obtenu le World Fantasy Award 98. Roman incroyable, inclassable, Physiognomy est, au côté du Neverwhere de Neil Gaiman, l'un des must de la collection, mais infiniment plus étrange encore. Son originalité est aussi extrême que celle de L'Abîme de John Crowley il n'est pas moins difficile et, s'il est aussi dense et touffu en trouvailles que Le Roi sans visage de Hervé Jubert, le ton est autre. Ni fantasy ni S-F sa parenté est ailleurs.

Qui ? Où ? Quand ? Quoi ? Rien de tout cela n'est convenu. Qui ? Le physiognomiste Cley. Où ? D'Anamasobie à la Cité Impeccable en passant par le bagne de Doralice. Quand ? Lorsqu'a été volé un fruit sacré censé être la clef du paradis terrestre. Quoi ? Une fable moderne sur le pouvoir.

La Cité Impeccable est une utopie. Nulle part, hors le temps. Une dystopie plutôt, régie par le maître Drachton Below dont elle est le fantasme. Comme dans L'Abîme, il s'agit d'un microcosme ; un monde incomplet, limité, où voisinent mines, voitures hippomobiles, usinage du chrome et lance-flammes. On y mange de peu ragoûtants crémats et des démons cornus à souhait y courent les bois. C'est un monde hanté par le spectre de Lombroso. Quant à Cley, il apparaît comme un émule de Nicolas Eymerich qui serait disciple du précédent, pour en venir, au fil de l'affaire qui nous occupe ici, par acquérir son humanité. Ajoutez pour la mesure un psychotrope hallucinogène pas piqué des vers : la beauté. Tout ça assemblé de manière très solide, très cohérente…

S'il y a quelques traits dans l'élaboration des décors et la mise en scène qui rappellent Dino Buzzati, des moments de délicate et loufoque langueur, ils s'entretissent avec une violence intense et vibrante, viscéralement dystopique, qui se dénonce d'elle-même. Entre bise et simoun, un vent de folie souffle en bourrasques et ne s'apaise un instant que pour reprendre de plus belle. Difficile de dire si cette fable, à la dimension surréaliste mais complètement barrée, déjantée à froid, face sombre du Jonathan Lethem d'Un Homme nommé chaos, relève davantage de la fantasy que de la S-F.

Jeffrey Ford a instauré un décalage maximum entre la narration et la problématique, au point que certains vont se demander où il veut en venir. Interpréter Physiognomy est une gageure éminemment spéculative. Je crois que l'on peut proposer pour champ général une mise en garde contre les utopies et leurs inspirateurs, contre les tentations d'en finir avec l'Histoire. Réflexion qui rappelle à mon souvenir Le Maître du passé de R. A. Lafferty… Plus précisément, la physiognomie est une technique qui permet de connaître le caractère et le devenir de tout un chacun par la mesure du corps et du visage. Et ce d'une manière rigoureusement déterministe. C'est une extrapolation paroxystique de la théorie de Cesare Lombroso ; laquelle voulait que les gens, les criminels et les asociaux en particuliers, présentent des spécificités significatives. Autrement dit, qu'ils soient malades. Quel intérêt direz-vous ? La crâniométrie n'est plus au goût du jour. Certes, mais cela évite ces actes durs que sont le jugement moral et la sanction qui doit se limiter à une peine juste, mais doit-on limiter les soins ? Si on emprisonne en vue de l'expiation, on interne à dessein de guérison. La justice n'est plus de mise puisque l'on agit pour le bien du « malade ». Et si, comme dans ce roman, la « maladie » n'est pas métabolique mais physiologique, due non a des processus mais à son être même, alors peu importe ce qu'il fait, seul ce qu'il est compte. Ses yeux bleus ou son nez crochu ? Vous me suivez… ? Cette conception a la peau dure. Elle est toujours très en vogue… Un siècle après Lombroso, la physiologie est devenue intracellulaire et, aux dernières nouvelles, le génome humain a été décrypté. Entre des chercheurs qui cherchent avant tout de la finance, et des recruteurs, assureurs ou conjoints (oui !) prêts à payer pour juger en fonction de critères génétiques, il y a lieu de s'alarmer. C'est de génétique que parle Ford. La génétique. Voilà de quoi la physiognomie du roman est une métaphore pertinente. Cette problématique a déjà été soulevée dans des œuvres telles que Bienvenue à Gattaca ou Une Enquête philosophique de Philip Kerr, mais Ford est infiniment plus elliptique. Trop peut-être. En revanche, il donne toute son ampleur à la littérature.

Plus que livre de genre, c'est à la veine des grands romans dystopiques, de Kallocaïne à Nous autres, qu'appartient Physiognomy. L'argument commercial évoque à juste titre les ambiances oppressantes de Kafka ou l'univers paranoïaque d'Orwell, à quoi il faut ajouter une très grinçante ironie et des traits loufoques qui accentuent le relief du propos comme l'eau forte. Jeffrey Ford a écrit pour ceux qui apprécient K. Boye, F. Kafka, E. Zamiatine ou D. Buzzati, un roman sombre, difficile mais éblouissant, qu'il a su marquer de sa patte. Le roman qu'il vous faudra faire lire à vos proches qui détestent la S-F et plus encore la fantasy. Quand on a vu Brazil, on imagine très bien Terry Gilliam adaptant le roman de Jeffrey Ford… Touffu, riche, âpre, c'est de la littérature de haute intensité, très poétique, déroutante, fort elliptique qui ose un humour grinçant et rajeunit l'anti-utopie. C'est surtout exceptionnel. De nos jours où il y a beaucoup de gros livres, avec 248 pp. seulement, Physiognomy est un grand livre.

La Grande Séparation

Parue au début des années 70, sous la forme d'une trilogie comprenant Les Croisés de Mara, Les Monarques de Bi et Lazaret 3, voici la troisième édition de La Grande séparation complétée d'un quatrième tome inédit : Les Ganethiens. Cette nouvelle édition se présente sous la forme d'un fort volume de plus de 640 pages, que ponctue une postface de Roland C. Wagner, tout en affichant un prix attractif de 89 FF.

Plusieurs années avant qu'il ne s'impose au monde de la S-F francophone en lui donnant son œuvre la plus importante en volume (La Compagnie des glaces — environ vingt millions de signes et 62 tomes !), G. J. Arnaud, qui fut invité à la dernière convention nationale de S-F à Lodève (34), avait fait une première incursion dans le genre avec La Grande séparation. Avec 400 romans derrière lui, G. J. Arnaud est un stakhanoviste de l'écriture populaire qui a sévi dans la plupart des genres. Principalement d'ailleurs dans le policier et l'espionnage, où il a donné les aventures du Commander. Récemment, on a pu redécouvrir son œuvre fantastique avec La Dalle aux maudits dans « La Bibliothèque du Fantastique » du Fleuve Noir.

Près de 1000 ans après une terrible guerre galactique qui l'opposa à la Terre, la planète Mara végète dans un moyen-âge obscurantiste d'où la science et le savoir sont proscrits et conduisent au bûcher. Les Ganethiens sont une secte scientiste et prosélyte qui, dans l'ombre, attend son heure… Laur le Négociateur, héros du cycle, est manipulé par les diverses forces en présence. Mandé par les nobles de Vasa pour tuer Dorle le Prophète, chef des Ganethiens, ce dernier à tôt fait de le renvoyer à Vasa pour y soulever ses disciples et prendre la tête de l'insurrection. Mais Dorle n'est pas franc du collier et veut instaurer une théocratie après que les vestiges technologiques qu'il maîtrise lui aient assuré la victoire… Telles sont les bases d'une aventure échevelée qui se déroulera sur plus de 600 pages…

La Grande séparation n'est pas un space opera à proprement parler. Les quatre romans qui la composent sont en fait des romances planétaires. Ils sont typiques — y compris le quatrième — de la production standard du Fleuve Noir « Anticipation » de l'époque où le voyage spatial était un presque incontournable, de même que la guerre, interplanétaire ou pas. G. J. Arnaud, qui n'éprouvait pas le désir de traiter ce sujet, l'a relégué à l'arrière-plan pour s'intéresser à ses conséquences, en trois puis quatre tableaux.

Notons que pour ce livre — et les suivants — le Fleuve Noir a enfin renoué avec le principe de la bande titre qui fut à « Anticipation » ce que les trois bandes sont à Adidas, comme si les commerciaux de la maison venaient soudain de saisir ce qu'est une marque ! Emblème de la collection du milieu des sixties au début des années 90, sa disparition en avait sonné le glas… Avec en prime une illustration de Caza pour le retour.

C'est un gros roman d'aventures, où le fond n'a pas été négligé, que nous tenons là ; un bon représentant de ce qu'était la collection « Anticipation » d'alors, qui a plutôt bien vieilli. Typique tout en comptant parmi les meilleurs.

Rupture dans le réel 2/2

Impressionnant pavé que cette épopée qui ne constitue que le premier volet d'une trilogie, L'Aube de la nuit. Peter F. Hamilton renouvelle avec bonheur le space opera : intrigue foisonnante, d'où le romanesque n'est pas absent, humour discret se moquant des conventions du genre.

Il est difficile de résumer un roman d'une telle ampleur et d'une telle richesse. Au troisième millénaire, la Confédération galactique de Hamilton se compose de quelques races extraterrestres (qu'on voit peu) et de deux types d'humanité : d'un côté les Edénistes, génétiquement modifiés, qui ont entre eux un lien d'affinité proche de la télépathie, de l'autre les Adamistes qui ont tenu à préserver leur patrimoine tout en améliorant leur corps à l'aide d'implants nanoniques.

Le premier volume développe plusieurs intrigues a priori séparées. Sur Tranquillité, un habitat spatial conscient dirigé par la séduisante Ione Soldana, Joshua Calvert, un aventurier, explore comme d'autres ce qui reste des Laymils, une race extraterrestre qui s'est collectivement suicidée bien avant l'expansion humaine. Il récupère des artefacts qui sont ensuite vendus aux enchères aux archéologues qui espèrent connaître la raison de cette disparition soudaine. Devenu riche pour avoir découvert des archives Laymils enregistrées sur une mémoire, Joshua, que Ione aime passionnément, se lance dans le commerce interplanétaire.

On suit parallèlement la colonisation d'une nouvelle planète, Lalonde, monde pluvieux et peu hospitalier, par des colons guère différents des pionniers de la conquête de l'Ouest et des Déps, délinquants utilisés comme main d'oeuvre. L'un d'eux, Quinn Dexter, appartenant à une secte satanique plutôt meurtrière, manipule la communauté et fait des autres délinquants des adeptes à sa cause. Se cache également sur Lalonde un Edéniste renégat, Laton, responsable de la disparition d'un habitat entier, qui prépare sa revanche en poursuivant des travaux visant à acquérir l'immortalité. Ses expériences ont-elles dérapé ou bien s'agit-il de l'invasion d'un virus extro comme il le prétend, ou encore d'un rite satanique qui provoque une catastrophe d'envergure sur Lalonde ? Les colons se transforment en zombis meurtriers, insensibles à la douleur, capables de se régénérer et de projeter des boules de foudre à distance.

Très vite, il s'avère que les morts échappent à leur purgatoire pour prendre possession du corps des vivants. Après la longue mise en place du premier volume, où l'intérêt est parfois affaibli par la complexité de l'intrigue et le foisonnement des personnages, on assiste à la terrifiante expansion des possédés à travers quelques scènes dantesques véritablement palpitantes. C'est la panique. Les militaires envoyés sur Lalonde échouent à enrayer la menace qui se répand sur d'autres mondes. Ce premier volet s'achève sur un véritable désastre qui augure mal de la pérennité de la race humaine.

Quelques espoirs subsistent puisqu'il est possible de les combattre, à grand renfort d'armes, voire de les dominer par la prière ! Bien des questions restent posées : les mémoires Laymils parlent d'une rupture dans le réel. Leur monde, qu'on n'a pas retrouvé, aurait été transféré là où se trouve la planète Lalonde. Il manque de faire le lien avec cette invasion de l'au-delà, de délivrer les explications concernant celle-ci et de trouver les moyens de s'en préserver. Les prochains volets, L'Alchimiste du neutronium et Le Dieu nu sont d'ores et déjà attendus avec impatience. L'Aube de la nuit figurera parmi les monuments de la science-fiction.

[Lire également l'avis de Pascal J. Thomas sur le premier tome.]

Mainline

Les personnages de ce roman d'aventures rappellent les comics books des super-héros : Reva, tueuse à gages, est poursuivie par Yavobo, le terrifiant garde du corps extraterrestre de sa dernière victime, « qui met un point d'honneur à venger son employeur. Son amitié avec Lish, une contrebandière qui fait de l'ombre à son puissant rival Karuu, l'amène à prendre des risques et à se faire des ennemis. Surtout quand elle accepte un contrat avant de prendre connaissance du nom de la victime, Lish en l'occurrence. Autour de cette pègre sans pitié gravite un agent de la Sécurité Intérieure qui se mêle au groupe de Lish pour enquêter sur Reva. Rebondissements et scènes d'action garantis.

Ce roman n'éveillerait pas la curiosité si Reva n'avait le pouvoir de visualiser le futur proche et de choisir parmi les probabilités celle qui lui convient le mieux, Ce pouvoir est une arme à double tranchant : c'est ainsi qu'elle a perdu ses proches dans des univers parallèles qu'elle ne parvient plus à rejoindre. Quand un choix urgent s'impose, il n'est pas forcément le meilleur sur le long terme. Voici donc que, pour se tirer d'un mauvais pas, Reva débouche dans une réalité où Lish cesse d'être une amie…

Il est regrettable que cette intéressante idée se noie parfois dans les détours d'une intrigue BD au découpage très haché (145 chapitres !). Deborah Christian fait ses premières armes en littérature (après avoir scénarisé des jeux vidéo, tiens tiens !) et, de peur de décevoir, a mis le paquet sur l'action. On ne s'ennuie donc pas une seconde et on apprécie ses idées, mais on espère qu'à l'avenir elle se montrera plus ambitieuse.

Le Gardien de l'ange

Futur proche. La narratrice de ce roman, Kahlili bint Munadi Soliman, américaine d'origine arabe, est une journaliste spécialiste du Moyen-Orient, qui eut son heure de gloire lors de la guerre du Khuruchabja. Kay dicte à présent le texte des potiches qui apparaissent aux informations télévisées. Bien que se sachant moche, elle n'apprécie pas le contact ni la compagnie du séduisant John Halton qui lui est pourtant tout dévoué. Et pour cause : John Halton est un fabriqué ; son ADN a été recombiné par le génie génétique. Plus performant, plus puissant, il n'est qu'un androïde de la série John Halton, obéissant servilement à son propriétaire.

Les services secrets demandent à Kay de livrer Halton au jeune dirigeant du Khuruchabja qui a besoin d'un garde du corps pour se préserver de ses opposants. La journaliste ignore cependant que tous deux sont les instruments d'un complot politico-religieux particulièrement machiavélique.

L'intrigue, complexe, fait intervenir de multiples personnages qui, comme dans tous les récits d'espionnage, jouent double voire triple jeu. Nathalie Lee Wood se sort admirablement bien des pièges de cet exercice : elle connaît son sujet sur le bout des doigts et ne craint pas d'exposer ses virulents partis pris politiques. L'avenir qu'elle campe n'est pas joyeux. Mais l'analyse qu'elle en fait est intelligente sans jamais se départir d'une causticité et d'un humour décapants.

Car l'intelligence du propos ne le cède en rien à la qualité de l'écriture. Le ton est alerte, vivant. Wood a de l'esprit et du style, un sens de la narration achevé. La psychologie de son personnage est riche et fouillée, son évolution finement maîtrisée. Autant dire que pour un premier roman, c'est un coup de maître. Nathalie Lee Wood a d'emblée un ton bien à elle. Son roman dégage une énergie surprenante, même s'il cède parfois au pessimisme devant tant de problèmes imbriqués. On sera plus réservé sur le final, happy end politique peu crédible, auquel on préférera la conclusion ultime concernant le destin du couple Kay/Halton : sensible et romantique, sa dimension humaine ne laisse pas indifférent.

Précisons, pour l'anecdote, que Nathalie Lee Wood, qu'on a pu rencontrer du temps de son séjour en France, avant qu'elle ne s'établisse en Angleterre, ne dédaigne pas non plus les clins d'œil, à l'adresse de Roland C. Wagner par exemple, puisque le souverain du Khuruchabja arbore un « tee shirt décoré d'une photo du chanteur du groupe de rock français bien connu Brain Damage, un type à l'air passablement dérangé ».

Avatars

Second recueil des nouvelles d'Orson Scott Card, auto-commentées, qui porte le titre générique de Portulans de l'Imaginaire, Avatars reprend les tous premiers textes de science-fiction de l'auteur. On s'aperçoit que l'humain est dès le départ au centre de ses intrigues ; les technologies futures ou les avenirs que dessinent nos sociétés préoccupent peu Card : il les invente pour illustrer ses propos. Ainsi, à la question de savoir jusqu'à quel point peut-on soumettre un individu, il crée une société ressuscitant ses condamnés jusqu'à l'obtention d'un repentir sincère (« Mille morts »). Des regrets au souvenir de rencontres qui ne se sont pas faites, une réflexion sur les petits tracas de la vie quotidienne (suis-je à ce point unique que rien n'est jamais à mon goût ?) débouchent sur un troublant voyage temporel ou sur le spectre de la classification systématique de l'individu par une société se voulant efficiente. Réfractaire au cyberpunk, Card, en le parodiant, en tire des effets inédits, qui ont bien peu de rapports avec ce courant (« Trottecaniche »).

Le clou du recueil reste cependant la novella située dans l'univers de Fondation, « L'Originiste », déjà publiée dans Les Fils de Fondation chez Pocket. Card pense s'être rapproché le plus possible du style d'Asimov tout en respectant son univers ; pourtant il a tant et si bien fait qu'il a dépassé le maître… et proposé du pur Orson Scott Card dans un récit magique qui traite à la fois de l'origine et du sens du langage, de ce qui définit l'humain et rapproche les hommes entre eux, de la façon d'établir des liens et des relations entre des concepts apparemment éloignés, questions philosophiques incluses et non annexées à l'intrigue, au point d'en être centrales tout en étant magnifiquement déclinées et illustrées à travers la relation amoureuse d'un couple. Du grand art !

Toons

II ne faut pas craindre de l'écrire haut et fort, Sanctuaire Révéré poursuit ses affabulations quasi diffamatoires dans le dernier tome de ses mémoires, Toons, complaisamment éditées par le Ruisseau Blanc. Évidemment, sa profession de détective privé ne lui laissant pas le temps de se colleter lui-même avec l'écriture, il a recouru pour cette tâche ingrate à un nègre bien connu des maisons parisiennes, un certain Robert V. Beethoven. Inutile de préciser que le résultat de la collaboration entre un membre de la tribu des Acidulés et un Classique ne manque pas de sel ; pour ainsi dire, ça plonge dans le pittoresque… sans jamais refaire surface.

Frappe en premier lieu l'inconsistance du style, mal dissimulée par une ruse vieille comme le Ruisseau Blanc, qui consiste à employer une très petite police de caractère, afin de donner l'illusion d'un texte riche. Hélas, on aura beau chercher la fulgurance proustienne, une imagination malsaine tient lieu de discours à notre privé ainsi qu'à son complice. Probablement né Augustin Duschmoll ou Hyppolite Nomhacouchédehors, Sanctuaire Révéré se prétend fils de millénariste, affligé du don parapsychique de transparence. Si donc il porte la tenue aussi discrète que de bon goût des Baby boomers des années 1960, ce n'est point parce que sa tribu affectionne le psychédélique, mais par souci de se faire remarquer de ses interlocuteurs, tout autre choix vestimentaire le condamnant à une forme d'invisibilité sociale. Affirme-t-il par là que les Acidulés ne sont en fait que des Anonymes incapables de s'assumer ? Il donne un élément de réponse en esquivant le sujet, tout comme nombre d'autres questions dérangeantes.

En revanche, sa capacité digne du baron de Münchausen de broder les récits les plus aberrants lui permet sans problèmes d'étaler sa mégalomanie délirante. Se comparer aux plus grands scientifiques ne lui fait pas peur, pas plus que Couche de Bolgenstein et la Grande Terreur primitive de 2010 ne représentent pour lui de mystères. Ainsi plaque-t-il sur les événements un peu bizarres, mais pour lesquels une explication rationnelle fut trouvée, les pires fantasmagories nées d'un esprit malade. Toons constitue à ce titre un exemple édifiant de cette démarche : récemment, l'inspecteur Trovallec a brillamment résolu l'affaire des hologrammes de personnages de dessins animés du siècle dernier, lesquels avaient semé le désordre dans Paris en un bref rappel de la Terreur, en arrêtant le gang terroriste des Holographistes de la Dernière Heure ; or, non sans ternir la réputation du policier au passage, Sanctuaire Révéré s'attribue le mérite de la disparition des hologrammes en donnant une version des faits très artistique, pour ne pas dire fantastique, festonnée de termes scientifiques incongrus. Naturellement, une personne de l'importance de notre détective ne peut qu'être constamment mêlée aux complots échafaudés à l'échelle mondiale par les Technotrans. Ces dernières, pourvues de services secrets antéterrifiants, l'auraient confronté rien de moins qu'à des créatures venues de mondes parallèles ainsi qu'à des démons issus du passé. La police devrait s'intéresser à sa part de responsabilité dans les cadavres qui s'amoncellent au fil de ses enquêtes, tant son profil suggère le tueur en série, un individu assez froid et insensible pour se vanter à demi-mots de ses crimes. Espérons cependant qu'il ne s'agit là encore qu'invention de sa part. Que les multinationales, dont on pourrait penser que l'objectif, à notre époque si stable et pacifique, consiste surtout à vendre des produits, emploient des « cyber-ninjas », n'est que routine pour Sanctuaire Révéré, accoutumé à tenir d'intéressantes discussions avec des ayas immatérielles ainsi que des phénomènes culturels tels que le Rock n'roll (une danse du XXe siècle qui ressemble beaucoup à la Salsa). Last but not least, précisons que, si Sanctuaire Révéré fait de nombreuses références à un détective de fiction, Nestor Burma, son nègre, quant à lui, n'a pas hésité un seul instant a s'inspirer lourdement de l'œuvre de Léo Malet, en pensant sans doute que ce dernier avait sombré dans l'oubli depuis un siècle, et que l'on y verrait goutte. Ceci, quoique d'une manière maladroite, rattache évidemment ces mémoires, où s'imbriquent si étroitement réel et fiction, au genre du roman gris, même si par bien des aspects, un lecteur de 1970, lui, aurait sans doute constaté une fusion entre la fantasy, le polar et la science-fiction. Toons constitue donc le gag tonitruant qu'attendait la rentrée littéraire pour se détendre avant de passer à des choses plus sérieuses, tant il lui sera difficile de se remettre de la sortie l'an dernier des Particules alimentaires, l'œuvre d'un véritable écrivain cette fois, le prodigieux Edgar Zyviec.

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