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Espace lointain

Un beau jour, Gabr se découvre un sens inédit. Il peut voir ! Pour le jeune étudiant brillant, promis à une union heureuse avec Lioz, la découverte de l’espace lointain se révèle un véritable traumatisme. Jusque-là confiné à l’environnement apaisant de l’espace proche, autrement dit ce que son ouïe et son sens du toucher lui révélaient, le voilà livré à l’inconnu. Son appartement confortable ressemble désormais à un bunker sombre et poussiéreux, au plafond sillonné par un réseau inextricable de câbles, et la Mégapole elle-même apparaît comme un univers carcéral, composé de multiples niveaux métalliques parcourus par une foule de pauvres hères habillés de guenilles. Terrifié par ces visions, Gabr consulte immédiatement un médecin qui lui propose un traitement pour soigner ses hallucinations. Mais, au lieu de prendre son remède et de respecter les prescriptions du praticien, il persévère dans son observation du monde, aiguillé en cela par son ancien professeur et mentor. Il découvre ainsi une cabale d’anciens voyants, aveuglés par le pouvoir (euphémisme), qui a décidé de l’utiliser comme arme pour détruire la Mégapole.

Après le perturbant Refuge 3/9 de Anna Starobinets, le délirant Bagdad, la grande évasion ! de Saad Z. Hossain et L’Installation de la peur de Rui Zink, récemment auréolé du prix Utopiales, la collection « fiction » des éditions Agullo peut s’enorgueillir d’avoir déniché avec Espace lointain une nouvelle pépite. Un titre aussi insolite qu’inconfortable, du moins pour nos certitudes confites dans la doxa sécuritaire.

Le roman de Jaroslav Melnik n’est en effet pas seulement le récit désespéré d’un individu lambda dont les repères volent en éclat devant l’affreuse vérité de son univers. Derrière la dystopie se dessine une réflexion profonde sur la liberté et le sens donné à cette notion. Le propos interpelle et éveille la conscience. Il dévoile la fausseté des évidences et suscite quelques échos dans un monde de plus en plus obsédé par le confort et la sécurité. Quelle dose de contrôle est-on prêt à accepter sur nos existences ? À partir de quel seuil passe-t-on du tout sécuritaire au tout totalitaire ? Sur ces questions cruciales et finalement actuelles, Jaroslav Melnik n’apporte pas une réponse toute faite. Il se contente de mettre en scène et de pousser la logique de sa Mégapole en multipliant les points de vue. Des coupures de presse, des extraits de journaux intimes, d’interviews, d’essais ou de recueils de poésie censurés par les autorités entrecoupent un récit à la troisième personne. On se détache ainsi de la linéarité de l’intrigue, appréhendant la Mégapole dans tous les aspects de son architecture sociale.

Espace lointain se distingue également de ses illustres prédécesseurs dystopiques en proposant un totalitarisme collectif, accepté et intégré par tous, dont le fonctionnement n’a même plus besoin du talon de fer d’une quelconque figure autoritaire. L’existence toute entière des habitants prend sens dans la Mégapole, la contrainte y étant remplacée par l’obéissance et l’émancipation par le refus de l’inconfort. Milgram n’est pas loin, mais également Orwell, puisque l’absence de la vue supprime les sources de distraction ou de révolte.

Bref, on s’empressera de recommander la lecture de ce roman qui pousse l’élégance jusqu’à éviter de nous faire la leçon. Une qualité précieuse pour une œuvre politique, dans la meilleure acception du terme.

La Cinquième Saison

Connu sous le nom de The Stillness (alias le Fixe en francophonie), le monde de La Cinquième saison ressemble à un mélange de Moyen âge et de société préindustrielle. Les saisons normales s’y succèdent, entrecoupées de périodes cataclysmiques, la fameuse cinquième saison du titre, où tremblements de terre et éruptions volcaniques géantes ravagent paysage et communautés humaines. Ironie cruelle de la toponymie, le Fixe n’a pas grand chose de stable à offrir à Essun, Damaya et Syénite, trois femmes qui essaient de survivre en dépit de l’acharnement du destin. Un trio ne se distinguant pas seulement par son sexe mais également par sa condition d’orogène, autrement dit par sa faculté à agir sur l’environnement pour en contrôler certaines manifestations, comme les tremblements de terre. Exposée à la vindicte populaire des normaux, elles n’ont d’autre choix que de se cacher, de se fondre dans le paysage, ou de se soumettre au Fulcrum, l’ordre paramilitaire fondé par l’Empire de Sanze afin d’encadrer le don d’orogénie pour en faire une arme. Mais au prix de combien de sacrifices pour ses élèves, grains de poussière éduqués sans pitié et privés de tout libre-arbitre ?

Avec La Cinquième saison, tous les indicateurs de satisfaction s’affichent en vert. Alors que The Obelisk Gate, sa suite, vient de recevoir le Prix Hugo, nous découvrons dans nos contrées le premier volet de la trilogie, lui-même auréolé du prestigieux trophée. Avec ce premier tome des « Livres de la Terre fracturée », N. K. Jemisin propose une fantasy originale se démarquant des schémas classiques et des conventions du genre. Plus proche de Ursula Le Guin pour ses préoccupations que d’un G. R. R. Martin, l’autrice américaine nous immerge dans un monde cohérent et violent dont elle révèle petit à petit les contours géographiques, l’histoire et les différents aspects sociétaux. Un worldbuilding assez impressionnant qui ne paraît indigeste à aucun moment tant N. K. Jemisin distille les informations avec pondération, ménageant au passage la suspension d’incrédulité de son lectorat. Mais surtout, elle met en scène une définition de la magie stimulante, flirtant avec la science, du moins avec une apparence d’explication scientifique, qui n’est pas sans rappeler la magie éthique de Terremer. Elle dépouille également sa fantasy des oripeaux du merveilleux pour livrer une vision brute et âpre, abordant sans détours les thèmes de la différence, du féminisme et de l’identité. Enfin, dans ce monde ambivalent où la duplicité et la violence règnent en maître, N. K. Jemisin s’avance masquée, dévoilant progressivement l’astuce narrative sur laquelle repose le récit, même si l’on devine son dénouement, passée la première révélation.

Alors, certes, si tout n’est pas parfait, si l’on peut déplorer quelques longueurs, le récit accusant même un sacré coup de mou, et si l’on peut regretter le traitement parfois froid, voire artificiel des émotions, La Cinquième saison se révèle au final une réussite. Le premier tome d’une trilogie prometteuse dont on attend maintenant avec impatience la suite, d’ores et déjà annoncée dans la collection « Nouveaux millénaires ». Ouf !

Où sont-ils ?

La science s’intéresse à l’espace. Ce n’est pas nouveau. Les lecteurs de l’Imaginaire aussi, beaucoup. Bifrost ne peut donc pas être indifférent à ces questions. Récemment, cet intérêt s’est manifesté dans deux petits livres, aussi intéressants que distrayants, auxquels a collaboré, avec quelques corédacteurs, notre collègue chroniqueur Roland Lehoucq. Astrophysicien féru d’Imaginaire au point d’être devenu le président des Utopiales, l’énorme Roland réfléchit à la plausibilité scientifique de Star Wars dans Faire des sciences avec Star Wars, et aux mystères du Paradoxe de Fermi, en compagnie de Mathieu Agelou, Gabriel Charon, Jean Duprat et Alexandre Delaigue, dans Où sont-ils ?

First thing first, Où sont-ils ? Les Extra-terrestres et le Paradoxe de Fermi s’attaque au célèbre paradoxe énoncé par le grand physicien Enrico Fermi en 1950 (et popularisé depuis auprès du grand public par Alexandre Astier). En quelques mots : étant donné le nombre purement colossal d’étoiles dans l’univers, le nombre de civilisations spatiopérégrines devrait être très élevé aussi. Alors, comment se fait-il qu’aucune ne nous ait jamais contactés ? Sur cette question lancinante, le petit ouvrage du CNRS éditions apporte cinq éclairages.

Agelou commence par poser le problème en y ajoutant les termes de l’équation de Drake avant de balayer les trois hypothèses (car toute réponse ne peut être que fortement hypothétique) crédibles : nous sommes seuls dans l’univers, nous ne sommes pas seuls mais personne n’a encore réussi à nous contacter, nous avons déjà été contactés.

Duprat explique ensuite à quel point il est difficile de passer du milieu interstellaire à une planète habitée. Comment se forment les étoiles ? Comment se développent les systèmes planétaires dans leur diversité ? Que dire des particularités de notre propre système solaire ? Quels rôles ont joué les astéroïdes et comètes dans l’apparition de la vie ? Autant de questions qu’aborde un auteur qui nous montre que rien n’est écrit de manière déterministe.

Vient ensuite un article de Lehoucq sur l’écoute radio de la galaxie. Des balbutiements de la radioastronomie au programme SETI en passant par le mystère du signal WoW ! Lehoucq dépeint la complexité d’un projet qui implique de savoir où écouter, comment, et quoi, sans parler de savoir si même on pourrait identifier un signal comme signal. Il aborde ensuite les tentatives bien timides de l’humanité de se signaler auprès d’éventuels extraterrestres, de Voyager aux émissions ciblées plus récentes. Il termine en proposant l’hypothèse de la bulle informationnelle (les signaux vagabonds sont lents et transitoires, des flashes trop éphémères pour être repérés) comme solution au paradoxe du silence des espaces infinis.

Delaigue aborde la question sous un autre angle, celui de l’économie. Si une croissance économique infinie est impossible dans un monde fini, alors peut-être que les civilisations qui nous ont précédés, ailleurs, ont toutes fini par s’éteindre, s’effondrer (cf. Tainter ou Diamond), par excès de complexité, épuisement des ressources – notamment énergétiques –, ou destruction environnementale. Terreur malthusienne ou réalité d’expérience, le débat n’est pas tranché. Il est sous-tendu par les questions de la substituabilité des capitaux et de la gouvernance mondiale, dans un monde en croissance insoutenable. Les extraterrestres sont-ils parvenus à le résoudre ? Si c’est le cas, ils ne nous ont toujours pas dit comment.

Chardin, enfin, revient sur l’équation de Drake à la lumière des nouvelles découvertes d’exoplanètes. Et si la première partie de l’équation est plutôt confortée par les observations récentes, il s’interroge néanmoins sur les probabilités d’apparition de la vie, de la civilisation, ou la visibilité d’éventuelles civilisations contemporaines ou disparues. Invoquant ensuite la classification de Kardachev, il pose les hypothèses d’une quarantaine galactique pour nous ou celle de civilisations si lointaines qu’elles n’auraient pu avoir encore aucun contact avec nous, avant de résumer l’ensemble des hypothèses explicatives, des robots à l’effondrement en passant par la sublimation vers d’autres états de conscience. Sont-ils là, se sont-ils éteints, ont-ils quitté le monde physique, ou n’y a-t-il jamais eu personne ? Chardin laisse toutes les hypothèses ouvertes, et si le lecteur n’a pas de réponse, il a au moins les termes du débat.

[Critique de Faire des sciences avec Star Wars par ici.]

Bilan : deux livres intéressants, enrichissants et distrayants, qui montrent que science et plaisir font bon ménage.

Faire des sciences avec Star Wars

La science s’intéresse à l’espace. Ce n’est pas nouveau. Les lecteurs de l’Imaginaire aussi, beaucoup. Bifrost ne peut donc pas être indifférent à ces questions. Récemment, cet intérêt s’est manifesté dans deux petits livres, aussi intéressants que distrayants, auxquels a collaboré, avec quelques corédacteurs, notre collègue chroniqueur Roland Lehoucq. Astrophysicien féru d’Imaginaire au point d’être devenu le président des Utopiales, l’énorme Roland réfléchit à la plausibilité scientifique de Star Wars dans Faire des sciences avec Star Wars, et aux mystères du Paradoxe de Fermi, en compagnie de Mathieu Agelou, Gabriel Charon, Jean Duprat et Alexandre Delaigue, dans Où sont-ils ?

[Critique de Où sont-ils ? par ici.]

Sujet plus léger maintenant avec Faire des sciences avec Star Wars de Roland Lehoucq en solo. Le physicien y revient sur un sujet qu’il avait déjà abordé en 2005 : la plausibilité scientifique de Star Wars et les connaissances scientifiques qu’on peut transmettre en discutant des films. Chapitre après chapitre, Lehoucq balaie les éléments marquants de l’univers SW pour les soumettre à l’examen scientifique.

La Force, la mystérieuse source du pouvoir des Jedi, est la première passée au crible. L’occasion de discuter gravitation, champs, éther et vide quantique. Quant aux midichloriens qui la véhiculent, ils permettent de parler mitochondries, superorganismes, et LUCA (Last Universal Common Ancestor, dont il était déjà question dans Où sont-ils ?).

Quid du sabre-laser ? Presque impossible en version laser tant en raison de la chose en soi que de son alimentation en énergie, il pourrait être en fait un sabre-plasma, ce qui ne règle pas la question de la source d’énergie.

Les blasters de Star Wars, ces fameux pistolets dont le rayon lumineux se traîne et que Kylo Ren parvient même à arrêter, amènent Lehoucq sur la nature de la lumière et le prodige de son ralentissement dans un condensat de Bose-Einstein. Mais comment les Jedi font-ils sans condensat ? Mystère.

Et puis il y a les stations. L’Étoile de la mort : taille, masse, énergie. Lehoucq évalue tout. Le problème ici est encore l’énergie, plus de 10 38 joules pour faire exploser Alderande. Mis à part un trou noir captif, Lehoucq ne voit pas ce qui pourrait la fournir. On étudiera donc l’énergie des trous noirs et sa récolte. En théorie ok, mais compliqué en pratique.

Le problème est le même en pire pour la station Starkiller. Plus grosse, plus puissante, elle doit « siphonner » une étoile pour fonctionner. C’est cela, oui. Et comment dissiper l’énergie thermique ?

Les vaisseaux spatiaux et leur hyperespace. Si une telle chose devait exister, ce serait sous forme de bulle d’univers déformé. Problème : de telles bulles sont impossibles à contrôler. Ennuyeux pour ce qui se veut un moteur. Déformer l’espace, alors, en creusant un « tunnel » dans l’espace-temps ? Difficile sans matière exotique.

Le Landspeeder de Luke, un véhicule à anti-gravité ? Mais comment l’alimenter ? Et ne parlons même pas de la crédibilité des quadripodes impériaux ou de l’utilité pratique de robots sphériques.

Les planètes enfin sont passées en revue par Lehoucq. De Tatooine à Naboo en passant par Hoth, entre autres, Lehoucq tente de comprendre et d’expliquer les caractéristiques et la genèse des mondes merveilleux imaginés par George Lucas, « crédibles » en dépit de leurs défauts mineurs de plausibilité.

On conclut sur la difficulté centrale qui est l’énergie mobilisable par l’Empire, ce qui nous ramène à Kardashev.

Bilan : deux livres intéressants, enrichissants et distrayants, qui montrent que science et plaisir font bon ménage.

La Bibliothèque de Mount Char

La Bibliothèque de Mount Char est le premier roman de Scott Hawkins. Et, pour un coup d’essai, c’est un sacré coup de maître. Entre fantastique et horreur, LBDMC est un roman qui n’aurait pas dû fonctionner. Trop barré, trop violent, trop graphique, trop cruel, trop tortueux. Trop tout, en fait. Qu’on en juge !

Carolyn est une jeune femme qui vit dans la petite ville américaine de Garrisson Oaks. Elle y partage une maison avec onze autres jeunes adultes, adoptés comme elle il y a bien longtemps par « le Père ». Il les sauva d’une mort certaine, les conduisit dans la Bibliothèque, puis s’occupa d’eux, à sa manière. Par des années d’un entraînement impitoyable, il fit des douze orphelins des armes mortelles à son service. Mais aujourd’hui, le Père a disparu. Est-il mort ou vivant ? S’il est mort, qui l’a tué ? Et que vont faire ses ennemis de la place qu’il laisse vacante ? Ses « enfants » — chacun maître d’un domaine, du meurtre à la prédiction en passant par la résurrection ou l’interrogation des morts – vont devoir le découvrir.

Ça pourrait être un simple polar fantastique, bonifié par le rôle trouble d’une Carolyn qui est la seule des douze à sembler avoir un agenda propre. Ça fonctionnerait peut-être, et ça serait oubliable. Mais Hawkins, qui n’a ni limite, ni surmoi, rend son histoire inoubliable en tissant un récit proprement incroyable, aux dimensions mythiques et aux développements résolument pyrotechniques. Qui, ici, peut citer un autre roman dans lequel l’auteur a fait tenir entre deux couvertures : une échelle de temps se comptant en dizaine de milliers d’années, un ennemi antédiluvien, une apocalypse qui surviendra peut-être sous peu, un (ou deux) complot(s) s’étalant sur la longueur d’une vie, un garçon qui parle aux animaux, un tigre et un calmar ancestraux, deux lions père et fille aidant un humain contre molosses et morts-vivants, une vieille femme ressuscitée qui fait des pâtisseries, des punitions d’une telle cruauté qu’on doit parfois relire pour être sûr d’avoir bien lu, une légende vivante des forces spéciales US, un tueur quasi invincible, une fille qui ne ressuscite que pour mourir encore et encore, un Président des USA sous influence, des héros si déconnectés du réel qu’ils se sapent comme des clowns, des opérations de police à la bombe atomique, une pyramide clairement non-euclidienne, sans oublier, bien sûr, du guacamole.

Ça ne devrait pas tenir. Ça devrait sombrer dans le grand guignol ou le ridicule. Et pourtant, ça n’est jamais le cas, bien au contraire. Hawkins réussit le tour de force de lier tous ces éléments dans la trame d’une histoire aussi vive que captivante, d’en faire les facettes incontestables d’un récit cohérent, mystérieux, dur et caustique à la fois. Il capture son lecteur dès les premières lignes, et ne le lâche plus avant de l’avoir conduit à une conclusion aussi rassurante qu’inattendue. Épuisé, pantelant, le lecteur sort de LBDMC aussi époustouflé que ravi. De tels romans, on n’en lit pas tous les jours, on n’en lit même pas tous les ans.

American War

« La seconde guerre de Sécession a eu lieu entre 2074 et 2093, opposant l’Union aux États séparatistes du Mississippi, de l’Alabama, de la Géorgie et de la Caroline du Sud (ainsi que du Texas, avant l’annexion mexicaine). La cause principale de cette guerre était la résistance du Sud à l’Amendement pour un futur durable, visant à prohiber l’utilisation d’énergie fossile aux États-Unis. » (p. 37) Les énergies fossiles à la place de la ségrégation, en somme, pour postulat de cette nouvelle guerre de Sécession… postulat qui nécessitera, même chez le plus motivé des lecteurs, une dose de « suspension d’incrédulité » assez soutenue. Pour le reste…

Dans soixante ans. Le climat a achevé de mettre à bas le monde tel qu’on le connaît, à grands coups d’ouragans et de montée des eaux, dessinant une géographie inédite en même temps qu’une géopolitique nouvelle émerge : la vieille Europe n’est plus que l’ombre d’elle-même ; l’Union russe fait ce qu’elle peut ; l’Empire Bouazizi, né du cinquième printemps arabe et réunissant sous sa bannière unique les actuelles nations du Maghreb et de l’Orient, fait figure d’Eldorado et s’échine à foutre le bordel aux quatre coins du monde, histoire d’assurer sa suprématie – un monde qui n’a pas besoin de ça –, les États-Unis sont la Syrie d’aujourd’hui, balkanisés, déchirés, en ruine, et bientôt ravagés par une peste qui fera cent millions de morts… American War est un récit de politique fiction. Omar El Akkad, grand reporter d’origine égyptienne, nationalisé américain, pratique dans ce qui est ici son premier roman, cette science-fiction de l’inversion, du pas de côté, du changement de point de vue. Il explore un demain hypothétique pour nous parler d’aujourd’hui.

« Si jamais tu vas n’importe où sur cette côte – disons, à la Nouvelle Alger –, tu verras s’approcher des tas de petits bateaux miteux en provenance d’Europe. Des bateaux pleins de migrants des vieux pays de l’Union, en quête de vies meilleures. Voilà ce que c’est, un empire : un centre de gravité, un soleil autour duquel tournent toutes les choses faibles. »

American War est le récit d’une trajectoire familiale. Celle de Sarat Chestnut, celle de ses parents, et celle de sa descendance, au sein de cette Amérique future déchirée. C’est une histoire d’amour, puis de haine, de manipulation, de résistance et, in fine, de terrorisme. C’est un récit d’apprentissage. L’apprentissage de l’horreur et de ce qui grossi en son sein – à commencer par l’idée de vengeance. Les questions qui le traversent sont celles du monde d’aujourd’hui : le terrorisme, ses origines et ses mécanismes, les populations déplacées, le droit d’ingérence, les conséquences des changements climatiques, etc. Le monde d’aujourd’hui, on l’a dit, mis en perspective dans un hypothétique demain proprement effrayant pour nous, Occidentaux privilégiés et protégés (jusqu’à quand ?), mais qui est déjà un aujourd’hui on ne peut plus concret pour toute une partie du monde… Un roman politique, donc, mais aussi un roman qui se lit d’une traite, porté par l’appétit de vie de ses protagonistes (quand bien même on émettra quelques doutes sur certains choix de traductions – le passé composé, c’est casse-gueule) et un personnage central, Sarat Chestnut, proprement ébouriffant.

Au final, Omar El Akkad signe ici un premier roman saisissant, une politique-fiction implacable dont la réussite définit elle-même la limite : il faut avoir envie de s’immerger dans pareille horreur. Qui franchit le pas déroulera les 450 pages d’un seul tenant ou presque, pas de doute, pour en ressortir ébranlé jusque dans l’intime. N’est-ce pas là le propre de la littérature, et tout particulièrement celle de science-fiction ?

Sous le soleil de cendres

En ce XXIIIe siècle, l’humanité semble avoir enfin trouvé un équilibre. Ainsi, après les guerres et catastrophes climatiques du Siècle Noir ayant failli la conduire à l’annihilation, est née l’Instance, une société stable, pacifiée, plus égalitaire et respectueuse de l’environnement. Pour la majorité de ses habitants, du moins. Afin de résoudre les conflits et autres survivances d’un passé violent, un corps d’élite a vu le jour, celui des Enquêteurs. Lyla Tran-Dinh est l’une d’entre eux. Particulièrement efficace, parce que précise dans son travail et dotée d’une intuition hors pair. Appelée en Haute-Occitanie, dans la charmante ville de Teixat, elle va devoir faire appel à tous ses talents pour trouver le responsable de quatre meurtres, évènement rarissime depuis l’avènement de l’Instance. Sans parler de l’apparition d’un mystérieux soleil de cendres, cause de perturbations violentes, aussi bien au niveau climatique que dans les esprits de chacun. Ses recherches vont la mener loin, très loin. Jusqu’à remettre en cause les bases mêmes de son éducation, les fondations de ce monde pourtant si juste, si droit.

Sous le soleil de cendres aurait dû faire partir d’un cycle romanesque initié par Jean-Marc Ligny, «  Les Voies de l’utopie ». Le projet, dont Lyla devait être le personnage central, n’a pas abouti. Ce roman paraît donc de façon tout à fait indépendante, et signe de fait le retour du couple Belmas après les trois volumes du cycle des « Terres mortes », paru chez trois (micro)éditeurs différents sur près d’une quinzaine d’années (un recueil, deux romans), et Mars Heretica (roman paru en 2002 chez les défuntes éditions Imaginaires sans Frontières). Et c’est une chance, car Claire et Robert Belmas ont rendu une copie de qualité. Le récit se divise en trois grandes parties. L’enquête, d’abord, essentielle pour permettre au lecteur de se familiariser avec l’héroïne et les principaux protagonistes, mais aussi avec cet univers présenté comme idyllique. La deuxième étape, plus brutale, plus cruelle, conduit Lyla à découvrir la face cachée de l’Instance : le sort réservé aux parias, incapables de respecter les normes, de contenir leurs pulsions destructrices. Enfin, le dernier mouvement, plein d’actions et de rebondissements, qui clôt l’ensemble.

Certaines scènes, surtout sur la fin, sont parfois convenues. Et si certains personnages s’avèrent un poil stéréotypés (à l’image de Van Zern, la grosse brute bodybuildée, ou Axel, victime (trop) vite devenue bourreau), d’autres déploient en revanche une profondeur tantôt touchante (Gert et ses emportements), tantôt inquiétante, détestable ou appréciable. De plus le paysage, une entité en soi, est joliment décrit et compense la faiblesse de certains protagonistes : l’Orri, l’Himalaya des zones grises et ses pentes vertigineuses marquent le lecteur par leur noirceur. De fait, l’ensemble est convaincant : tant les postulats de base de cette société que les questions en découlant. Est-il possible de maintenir un groupe de femmes et d’hommes dans une communauté sur un pied d’égalité ? Tous les individus peuvent-ils se contenter d’une vie raisonnable sans céder à la démesure, à une volonté de s’affirmer comme plus fort, plus méritant que les autres ? Et, sur un autre plan, est-il possible de revenir à la normalité quand on a franchi le miroir, quand on a vu et réellement appréhendé la noirceur de certains esprits ? Autant d’interrogations qui traversent un récit somme toute bien mené, agréable à lire et poussant le curseur finalement au-delà de la simple lecture « de distraction ». Bref, un retour convaincant pour le couple Belmas.

On est bien seul dans l’Univers

Avec plus de soixante ans de carrière, Philippe Curval est un des géants français de la SF. Il publie toujours, pour notre bonheur, des romans : Juste à temps en 2013 ou, en 2016, un récit en partie autobiographique, Les Nuits de l’aviateur (tous chez La Volte, éditeur fidèle s’il en est). Mais les nouvelles sont plus rares. Aussi, la parution de ce fort volume de vingt-et-un textes, plus toujours disponibles, dont un inédit, est une chance à ne pas laisser passer pour l’amateur. Simon Bréan ouvre le bal avec une préface savante, mais abordable et pertinente. Le fidèle et précieux anthologiste, Richard Comballot, le clôt dans une brève postface expliquant ses choix. Sans oublier un court texte de l’auteur intitulé « Écrire » : deux pages remplies d’enseignements sur les techniques de Philippe Curval et son rapport à l’écriture.

On est bien seul dans l’univers nous offre un panorama, sinon complet, du moins très vaste (de 1975 à nos jours) et très riche de la dimension nouvelliste de l’auteur : les thèmes qui lui sont chers, mais aussi son goût pour la forme, la belle phrase. Car Philippe Curval est un écrivain à part entière, soucieux, non seulement de la conduite d’un récit, mais aussi de la manière de nous entrainer dans ses rêveries. Convaincu que les mots importent par leur sens mais aussi par leurs sonorités, il se régale d’allitérations et d’assonances, créant ainsi un univers sonore propice à la plongée narrative. Il hypnotise, en quelque sorte, son lecteur et l’embarque dans un monde où les sens sont mis à contribution, exacerbés.

La vue, par exemple, est questionnée dans « Un voyage objectif » par l’intermédiaire de la photographie (avec le petit parfum suranné des pellicules photo et de leur développement). Mais aussi quand Decroux, le personnage central de « Regarde, fiston, s’il n’y a pas un extraterrestre derrière la bouteille de vin », se trouve obligé de flirter avec le coma éthylique pour voir et donc dialoguer avec un être venu d’une autre planète (au passage, dans cette nouvelle à la version initiale datant de 1975, Betamax et magnétoscopes sont devenus DVD et lecteur-graveur). L’odorat, le toucher et le goût, surtout, sont à la base des relations avec les autres, humains ou extraterrestres : l’œil est impuissant à réellement les comprendre. Il faut plutôt les sentir, les effleurer, les goûter, voire les ingérer. Ainsi seulement, on peut entrer en communication avec ses semblables ou de parfaits étrangers, comme l’expérimentent Phil Wagner dans« Le Sourire du chauve » ou le narrateur de « La Nécropole enracinée ».

D’où l’importance de la sexualité dans l’œuvre de Curval. Le corps est parole, le corps est lien avec l’autre. «  Parlez-moi d’amour » sublime les fantasmes jusqu’à la mort, tandis que les relations sexuelles sont sources de tensions meurtrières parce que limitées dans le temps pour les protagonistes de« Passion sous les tropiques ». Quant aux narrateurs de « L’Arc tendu du désir » et de « L’Enfant-sexe », aimer implique se donner entièrement, pleinement, totalement.

Mais se limiter à cet aspect charnel serait oublier bien des richesses chez un auteur curieux de découvertes, curieux de l’autre sous toutes ses formes. Le rapport au temps, par exemple, traverse plusieurs nouvelles. Tandis que « L’Homme qui s’arrêta » l’utilise comme simple dimension, « Perdre son temps » et « Au tirage et au grattage » interrogent sur la relation à la mort, le côté fini de l’existence, le désir d’immortalité. Et « Deathbook » et « Debout, les morts ! Le train fantôme entre en gare » envisagent même, de manière différente, la vie après la mort : que devenons-nous ? Pouvons-nous encore communiquer (toujours ce lien à l’autre) avec les vivants ?

Aux connaisseurs de l’œuvre de Philippe Curval, ce gros recueil sera une piqûre de rappel bienvenue. Aux autres, passés à côté, On est bien seul dans l’univers s’impose comme une nécessité, tant cet auteur offre une palette colorée, odorante, sensuelle, en un mot, enthousiasmante.

2312

Dans trois cents ans, l’humanité aura domestiqué le système solaire. Certaines planètes (Mars) seront terraformées, d’autres (Mercure) seront habitées de façon atypique : une ville mobile glissant sur des rails pour échapper à la fournaise du soleil. Pour se déplacer entre ces mondes ? Rien de plus simple : des astéroïdes forés, transformés en terrariums, vous permettent de vous occuper pendant le voyage – paysage arctique, savane, mais aussi vaste lupanar offrant des expériences sexuelles débridées. Vous trouverez votre bonheur dans la diversité de ces vaisseaux de pierre. Quant à l’apparence physique, faites votre choix. Vous êtes un homme, mais ce sexe ne vous convient pas tout à fait ? Aucun problème ! Devenez une femme, ou faites-vous greffer des organes des deux sexes. Votre corps est un champ d’expérimentation à part entière, dont vous pourrez qui plus est profiter longtemps : l’espérance de vie se compte en siècles.

Un tableau en apparence idyllique. Mais à l’équilibre soudain remis en question : un meurtre a été commis. Alex n’est pas réellement morte d’une maladie, comme on le prétendait. Et les conséquences de cette découverte prennent des proportions gigantesques, incalculables. Est-ce un complot à une échelle insoupçonnée ? Swan veut comprendre pourquoi sa parente a disparu ainsi… et se lance donc à la poursuite d’indices à travers le système solaire, sautant de monde en monde.

Kim Stanley Robinson est connu pour la qualité de ses recherches, pour la précision des mondes imaginés, pour la pertinence de ses réflexions sur notre avenir : bouleversements climatiques dus à l’homme, envol pour l’espace. Le « Cycle de Mars » a marqué, par sa richesse et sa puissance évocatrice, nombre de lecteurs. C’est dire l’attente créée par 2312, présenté comme son grand œuvre, et qui paraît chez nous six ans après son dernier bouquin, Le Rêve de Galilée. C’est dire la déception devant ce pavé indigeste. Mais que lui a-t-il donc pris ? Si l’univers décrit est enivrant, si certains passages nous projettent avec force sur Mercure ou sur une Terre en perdition, le roman en lui-même est une torture, tant le rythme est bancal, voire inexistant. Une série de scènes, même enchanteresses, ne fait pas un livre. Il faut un souffle, ou, au minimum, une histoire. Et Kim Stanley Robinson semble se moquer totalement de son propre récit. Il met toute sa force dans le portrait de son monde, mais oublie la narration. Et avec elle ses personnages : Swan, malgré son exubérance, laisse totalement froid. Tout comme le Titanien Wahram ou l’inspectrice Jean Genette. Et les pauses insérées entre les chapitres, telles les listes à la Dos Passos, ne font que rajouter à cette impression de grand fourre-tout.

Le résultat est une sensation d’immense gâchis. On aurait tant aimé pouvoir se laisser embarquer dans cette évocation d’un avenir si pensée, si maitrisée. On peut toujours piocher quelques passages magiques, trouver quelques sujets de réflexion sur la direction prise par nos gouvernants et nous-mêmes. Mais se lancer dans la lecture in extenso de 2312, franchement, non.

Le Sultan des nuages

Dans ce lointain futur, des consortiums privés régissant les transports spatiaux ont colonisé le système solaire. Malgré la chaleur et l’atmosphère acide, l’humanité prospère sur Vénus à bord de villes flottantes positionnées à une idéale distance de la surface. Plusieurs milliers d’entre elles appartiennent au même empire industriel de Nordwald-Gruenbaum, fruit de l’association de deux familles qui avaient trouvé dans le mariage le moyen d’empêcher une concurrence néfaste à leurs intérêts. C’est la raison pour laquelle l’actuel descendant, encore adolescent, Carlos Fernando Delacroix Ortega de la Jolla y Nordwald-Gruenbaum, ne jouira de son héritage que s’il se marie, perspective qui suscite les convoitises des autres familles.

Répondant à une invitation de sa part, Léa Hamakawa, belle et froide écologiste de retour d’une mission sur Mars, et David Tinkerman, le technicien et pilote secrètement amoureux d’elle qui l’accompagne, ignorent tout de ces obligations, de même qu’ils méconnaissent les us et coutumes de cette société qui s’est développée à l’écart du reste du système solaire. Personne ne s’empresse non plus de les en informer, pas plus que Carlos ne daigne expliquer à Léa pourquoi il s’intéresse à la terraformation, inenvisageable sur le sol vénusien. C’est du reste la principale question qui intéresse les cités libres, peu désireuses de tomber sous la domination de la puissante famille.

Les dômes et les minarets donnent à la ville une coloration orientale, mais ce qui fascine surtout sont les aspects de cette société aérienne. Il est évident que Geoffrey A. Landis, spécialiste à la NASA de l’exploration de Mars et Vénus, et des technologies qui lui sont liées, notamment dans le photovoltaïque, a soigné les détails de son univers. On assiste ainsi à une sortie en kayak qui se déplace au milieu des nuages comme un surf sur les vagues.

En comparaison, l’intrigue a un côté naïf et désuet, qui rappelle les récits de Jack Vance pour la présentation de cultures exotiques, ou les intrigues de Poul Anderson menées au pas de charge. Le ton alerte et l’absence de temps mort détournent d’ailleurs l’attention de quelques problèmes de crédibilité, comme l’absence de guerres, impensables en raison de la fragilité de l’habitat, alors même que des intrigues de palais et des projets hors normes les justifieraient. Il est également difficile de croire que les visiteurs soient à ce point ignorants et indifférents de la société vénusienne (c’est par ennui, lors du voyage, que David entreprend de lire une histoire de la colonisation de la planète) et que personne ne les informe de ce à quoi ils s’engagent en raison de cette méconnaissance des usages. Cette petite réserve n’impacte nullement l’ouvrage, par ailleurs lauréat du prix Sturgeon 2011, mais fait simplement regretter que la brillance et l’originalité des idées n’ait pas été davantage développé.

Est-il besoin d’encore signaler que les couvertures d’Aurélien Police sont de toute beauté ? Non, mais il convient de signaler qu’elles contribuent grandement à l’identité de la collection « Une heure-lumière ».

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