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Sans parler du chien

[Chronique de l'édition originale américaine parue en février 1998 chez Bantam Spectra]

En 1958 Connie Willis découvre Trois hommes dans un bateau. Cette lecture la marque plus qu'un peu. Quarante ans plus tard, elle publie un roman dont le titre, To say nothing of the Dog, n'est autre que le sous-titre du chef d'œuvre de Jerome et dont l'action se déroule principalement en 1888 sur les bords de la Tamise.

Mais comme le maître à bord est ici Connie Willis, le mode de transport n'est pas la barque mais le voyage temporel. On part donc d'Oxford au XXIe siècle, pour faire étape à Coventry en pleine seconde guerre mondiale et enfin débarquer en 1888 avec un cas de décalage temporel aggravé. Beaucoup plus drôle que le décalage horaire dont il est le cousin éloigné, le décalage temporel affecte la vision, l'ouïe, le sens de l'orientation et provoque chez ceux qui en souffrent d'interminables envolées lyriques.

Peu importe, l'Angleterre victorienne est sans doute la période la plus reposante de l'histoire de l'humanité : promenades en barques sur la Tamise, parties de croquets sur l'herbe, valets obséquieux…

Bien évidemment ce serait oublier que Connie Willis aime faire un peu souffrir ses héros. N'envoyait-elle pas la pauvre Kivrin en pleine peste noire dans Le Grand Livre ? Elle fait toutefois preuve de plus de clémence cette fois-ci. Les héros de To say nothing of the Dog ne doivent affronter que quelques paradoxes temporels, les facéties d'une riche américaine, les caprices d'une héritière férue de spiritisme et de son chat, sans parler du chien.

Les influences de To say nothing of the Dog sont diverses, on y retrouve l'atmosphère de Trois hommes dans un bateau, bien sûr, mais aussi le suspense des intrigues policières des années 30 et un service à table digne de Jeeves.

Mais To say nothing of the Dog est plus qu'un divertissement, c'est également une remarquable étude du voyage temporel. En utilisant la théorie du Chaos — un petit chat perdu peut à lui seul bouleverser le devenir de l'humanité —, Connie Willis offre l'une des voies d'exploration des paradoxes temporels les plus satisfaisantes à ce jour.

Voyage au bout de l'esprit

Ce second recueil de romans et nouvelles de Silverberg chez Omnibus contient deux de ses chefs d'œuvre absolus, Le Livre des crânes et L'Oreille interne,qui adopte pour sa nouvelle traduction le titre original, Dying Inside. Les deux autres romans que sont Le Temps des changements et L'Homme programmé figurent parmi les livres majeurs de l'auteur. Quant aux huit nouvelles qui suivent, elles prouvent s'il en était encore besoin l'étendue du talent de Silverberg. Le plus étonnant est que les deux chefs d'œuvre cités ainsi que trois des nouvelles ont été écrits la même année, en 1972, et que tous les autres textes le furent entre 1971 et 1974 (ainsi que nombre des textes inclus dans le premier « Omnibus »).

De cette période féconde, on retient la similitude des thèmes, traitant de l'esprit comme l'indique le titre du recueil, mais aussi de spiritualité et de l'immortalité, et la façon dont Silverberg les décline inlassablement en les abordant sous divers angles. L'esprit est souvent considéré comme une prison. Nos manières de penser induisent des comportements qui peuvent être des chaînes : l'interdiction de s'exprimer à la première personne comme de parler de soi crée une civilisation handicapée sur le plan émotionnel dans Le Temps des changements où le narrateur constate que la pudeur qui consiste à ne pas se livrer empêche également de se connaître. C'est par contre au bout de la connaissance de soi que se rendent les quatre protagonistes du Livre des crânes, à la recherche de l'immortalité qui les attend au bout de leur quête, s'ils parviennent à contempler leur visage en face, l'échec signifiant la mort. Comme dans toute quête, la connaissance n'était pas tant délivrée au final qu'au cours du trajet. Il en va de même dans la nouvelle « Né avec les morts » où Klein, désespérément amoureux de Sybille, tente de la ramener parmi les vivants.

Il est question de connaissance aussi pour Sélig, le télépathe de Dying Inside, qui s'inquiète de voir disparaître progressivement son pouvoir qui, pourtant, est à l'origine de ce qu'il considère comme sa malédiction. À cause de lui, il ne se connaît pas plus que le narrateur du Temps des changements. Quand son pouvoir a disparu, identique à un nouveau-né, il va devoir apprendre à connaître les gens à partir de leur attitude, à entendre ce qu'ils disent entre leurs phrases…

Il est curieux de constater qu'un supplément de pouvoir, chez Silverberg, aliène l'homme plus qu'il ne l'enrichit. Ainsi Lissa, dans L'homme programmé, se perd dans les multiples voix qu'elle entend dans sa tête. Face à elle, l'affrontement des esprits prend un tour plus dramatique : Hamlin, condamné à la réhabilitation, est effacé pour que son corps puisse abriter une autre identité : malheureusement, son esprit est toujours présent et l'hôte qu'on a installé, Macy, est une personne artificielle et qui l'ignore. Alors qu'il considère son ancienne conquête, Lissa, comme un monstre, un vampire, Macy au contraire la trouve fragile et sans défense au point d'en tomber amoureux. Quelle est la vraie Lissa ? Peut-être les deux ou encore une option intermédiaire ?

Les deux protagonistes de « (MOI + n) (MOI — n) », l'homme qui a le don de correspondre avec son moi en avance dans le temps et son moi dans le passé (ce qui lui permet d'effectuer de fructueux bénéfices boursiers) et la femme qui oscille perpétuellement dans le temps, disparaissant un siècle ou une semaine dans l'avenir, ne peuvent, eux aussi, vivre leur amour que s'ils renoncent à leur pouvoir : l'amulette qui stabilise la femme annule en effet son don.

À l'inverse, une ablation ajoute de l'humanité : dans « La Maison des doubles esprits », on a séparé les cerveaux droit et gauche des enfants qui se découvrent ainsi de nouvelles dispositions et acquièrent un supplément d'âme.

D'autres nouvelles, au ton plaisant comme « Ce qu'il y avait dans le journal ce matin » (encore une histoire temporelle), ou plus cynique comme « Quand nous sommes allés voir la fin du monde », parsèment ce recueil plutôt homogène et qui s'orne de surcroît d'une excellente préface de Goimard englobant, autour de la mythologie et des thèmes précités, d'autres œuvres de l'auteur.

Ne serait-ce que pour ces préfaces éclairantes, la collection des « Omnibus » (van Vogt, Dick, Asimov…) méritent de figurer dans la bibliothèque de l'amateur de Science-Fiction.

La Mère des tempêtes

En représailles aux menaces de la Sibérie mafieuse, l'ONU envoie des missiles dont les explosions libèrent le méthane emprisonné dans les glaces du pôle, des millions de tonnes qui vont accélérer l'effet de serre et provoquer des tornades d'une ampleur inouïe. Roman catastrophe fort bien documenté, ce récit présente aussi avec réalisme le début du XXIe siècle, dans ses aspects techniques, géopolitiques et sociaux. Sa polyphonie permet de mettre en scène des personnages qui sont autant de clés pour comprendre cette époque : Jesse, jeune étudiant, dont le frère, Di Callare, est un météorologiste tentant de prévoir les cataclysmes à venir, est amoureux de Naomi, une unitariste préoccupée par la politique, dévouée à la cause de l'humanité, aussi altruiste que Jesse peut être égoïste ; Mary Ann Waterhouse, alias Synthi Venture, vedette porno du XV, ce média qui, par le biais d'un implant dans le crâne des acteurs, permet à ceux qui se branchent d'éprouver leurs émotions, participe à la transformation du journalisme en bouillie de fictions où l'actualité sert de trame narrative à des épisodes rehaussées de chaudes séquences ; Berlina Jameson, par ses investigations tenues pour obsolètes, tente de redonner au journalisme ses lettres de noblesse ; Caria Tynan, chercheuse émérite, aime la solitude et son indépendance autant que son mari Louis, astronaute en orbite autour de la Terre lequel, en tentant de réparer les programmes des robots lunaires, voit son cerveau infecté et amélioré par des logiciels d'optimisation qui rendent son esprit toujours plus performant, sa pensée augmentant à la cadence de onze cerveaux année par minute ; John Klieg, richissime homme d'affaires qui ne fabrique rien mais dépose des brevets obligeant les industriels à payer des droits de péage, caricature du patron de Microsoft (dont la société porte le nom transparent de GateTech), prévoyant la destruction des bases spatiales implantée près des côtes, profite de la catastrophe en proposant le lancement d'une voile géante dont l'ombre portée sur la terre refroidira suffisamment l'atmosphère pour dissiper les cyclones ; Britanny Hardshaw, présidente d'Etats-Unis bien affaiblis, conseillée par Harris Diem au jugement politique très sûr mais à la dépravation sexuelle exacerbée, essaye de sauver son pays particulièrement exposé…

Métaphore du cyclone provoqué par la violence humaine, Randy Householder traque les commanditaires de la cassette dont sa fille fut l'involontaire héroïne violée et assassinée. II devient à lui seul une tornade meurtrière s'abattant sur tous les auteurs du trafic.

Les ravages de l'ouragan bouleverseront pareillement les individus : alors que Jesse devient plus altruiste, Naomi apprend à penser et à exister aussi pour elle, Synthi Ventus retrouve son innocence et moralise le XV, Louis Tynan devient un pur esprit capable de contrer les visées hégémoniques de Klieg… Cette magnifique construction intellectuelle est malheureusement trop froide pour transmettre au lecteur les émotions de ses foisonnants personnages… à moins de se brancher sur le XV Mais on reste cependant impressionné par l'ampleur de ce livre, sa documentation précise : les émotions peuvent aussi être intellectuelles.

Kamikaze l'amour

« La pièce puait le moisi, une odeur d'un bleu acre, genre laine d'acier ». Ryder souffre de synesthésie : ses sens mélangés perçoivent les sons comme des volumes ou des couleurs, le goût comme des notes. Il est devenu une star du rock qui compose ses morceaux de musique comme des tableaux. « Découvrant enfin le piano avec netteté, je restais malgré tout incapable de dire où finissait l'instrument et où commençait la jungle : orchidées et gingembre sauvage avaient envahi le cadre de bois, l'affaiblissant à tel point que les lianes avaient pu s'y introduire, fondant piano et jungle en une unique masse organique. » Les bouleversements climatiques ont en effet permis à la jungle amazonienne de progresser jusqu'à la Californie. Dans ce paysage en pleine déliquescence, digne de La forêt de cristal de Ballard (J'ai Lu), Ryder, en pleine déprime, commence un parcours initiatique en compagnie de Catherine, une femme qui cherche à écrire la musique de la jungle. Les sons de la forêt sont pour elle le moyen de découvrir la Ligne d'esprit d'un lieu. Ryder, de son côté, cherche la Ligne d'esprit des villes, qu'il assimile à une danse fractale, un motif sans cesse recomposé, en perpétuel changement : « Nous réinventons mentalement nos villes en même temps qu'elles-mêmes se reconstituent à l'infini ».

Ayant simulé sa propre mort pour échapper aux mâchoires du show-biz, Ryder n'en est pas moins traqué par un reporter avide de sensationnel et par Virilio, son pourvoyeur en drogue et en faux papiers, à la solde de son imprésario qui souhaite le voir terminer Kamikaze l'amour, son dernier album, « une version millénariste de l'idéal d'André Breton : L'Amour fou ». Peut-être faut-il croire qu'il est resté inachevé car Ryder n'avait pas trouvé sa Nadja, l'inspiratrice capable de le mettre sur la voie de son univers intérieur.

La promenade parsemée de tableaux surréalistes sur fond de mathématiques fractales a les accents tourmentés d'un Joseph Conrad (explicitement cité) et la beauté des retours aux sources, où le chamanisme établit un lien avec la nature.

Richard Kadrey qui avait fourni un roman cyberpunk bourré d'images délirantes (Métrophage, dans la même collection) poursuit ici une recherche intellectuelle et lyrique à la croisée des genres et des cultures.

Étoiles, garde-à-vous !

Ceux qui se pencheront sur ce livre après avoir vu le film de Paul Verhoeven (Starship Troopers) risquent d'être surpris, déçus, choqués mais aussi admiratifs et intéressés… à titre documentaire.

Surpris, car le roman est somme toute assez différent du film : l'intrigue est resserrée autour de la formation militaire du fantassin Juan Rico et l'agressive civilisation arachnide n'apparaît que bien après ses armes. Ce n'est pas pour les combattre que Rico s'est engagé, mais bien par idéal !

Déçus, car les clins d'œil au second degré dont Verhoeven a truffé son film sont absents de cette ode au soldat (le roman est dédié « à tous les adjudants de tous les temps qui ont œuvré pour faire de jeunes garçons des hommes »).

Choqués, car ce roman initialement écrit pour la jeunesse distille au premier degré une idéologie suspecte et controversée, militariste voire fascisante. Les citoyens ordinaires ne sont pas vraiment des hommes, seuls les soldats, individus responsables pour qui l'idée de nation est prédominante, ont le droit de vote. L'éducation, pour être réussie, doit forcément être sévère, à condition qu'elle soit juste et que les châtiments soient appliqués sans état d'âme. Une idéologie qui ne détonne pas dans les années 50 (le livre est de 1959) mais qui dut surprendre les lecteurs français quand il fut traduit, en pleine période contestataire et antimilitariste, en 1974 (la presse spécialisée reste très silencieuse à son sujet alors que les critiques parleront plus tard de roman très contesté à sa sortie ! Dans les manifestations ! peut-être ?).

Admiratifs, car tout rétif et allergique qu'on puisse être devant les thèses défendues, on ne peut qu'apprécier l'étendue de la culture d'Heinlein, sa grande connaissance de l'art militaire et son art consommé de la narration qui sait rendre agréable cette lecture. Il n'en, est que plus dangereux car il lui est facile de communiquer ses convictions.

Intéressés, on l'est à ce titre. Heinlein n'affaiblit pas ses idées par des idées secondaires, ce qui lui permet de les mener jusqu'au bout et de faire parfois œuvre de visionnaire. En témoigne sa critique de la société de la fin du XXe siècle : « Les citoyens normaux (…) couraient le risque d'être attaqués par des bandes d'enfants armés de couteaux, de chaînes, de pistolets fabriqués à la maison. Le meurtre, la drogue, le viol et le vandalisme faisaient partie de la vie quotidienne. Dans les écoles, dans la rue aussi bien que dans les parcs. » Voilà une description assez précise de l'Amérique, bien avant les mouvements de contestation et le flower-power ! On cesse évidemment d'approuver l'auteur quand il préconise de remédier à cet état de fait par un châtiment juste, impliquant donc la souffrance (s'il n'y a pas souffrance, le châtiment n'est pas perçu comme tel), avant que les fautes ne deviennent trop graves, par une éducation à l'ancienne ensuite, sans « ces pseudo-scientifiques qui se donnaient le titre de psychopédiatres ou d'assistants sociaux ».

Une bien curieuse vision quand on sait qu'Henlein n'est pas seulement réductible à cette idéologie et qu'il a aussi écrit des livres généreux prêchant la tolérance et l'humanisme. Cette apparente contradiction est expliquée depuis longtemps : Heinlein est avant tout américain ! D'ailleurs, chassez la volonté de puissance, elle revient au galop ! On peut parier sans risque qu'il ne faudra pas attendre longtemps pour que sorte un jeu informatique adapté du film, un shoot them up d'enfer d'où sera absent tout second degré.

Les Conjurés de Florence

On ne peut qu'admirer, au premier abord, la reconstitution minutieuse de cette Florence du XVIe siècle, la justesse des détails concernant les mœurs de l'époque, les intrigues des puissants, qu'ils soient hommes de cour ou d'église, les techniques de fabrication des pigments et les règles de la peinture religieuse. Minutieuse ? Allons donc ! Fantaisiste plutôt puisqu'il s'agit d'une Florence parallèle où roulent des voitures à vapeur, où l'on fume des joints et où les Aztèques ont développé de fructueuses relations commerciales. En fait, Paul McAuley a trouvé le juste équilibre dans son collage d'éléments historiques et de décalages spéculatifs pour donner à cette fresque uchronique les couleurs de la crédibilité et le réalisme du détail. Reconstitution minutieuse, donc, car il faut une parfaite connaissance de la période pour la remodeler de la sorte et la restituer avec cette généreuse richesse qui transparaît également dans le style.

On apprécie tout d'abord les personnages historiques, depuis Léonard de Vinci qui a cessé de peindre pour devenir le Grand Ingénieur, dont les inventions ont changé la face du monde, jusqu'à Machiavel qui, en disgrâce depuis la chute des Médicis, est devenu, à la Gazette de Florence, un journaliste réputé pour ses déductions dignes d'un Sherlock Holmes ou du Guillaume de Baskerville du Nom de la rose.

Pasquale, apprenti peintre auprès de Rosso, artiste aigri, est le véritable héros de cette enquête qui commence par un meurtre commis dans l'entourage de Raphaël d'une façon que n'aurait pas reniée un Gaston Leroux ou un Edgar Poe, et qui se poursuit par l'empoisonnement de ce dernier. Son ennemi Michel-Ange en est-il le commanditaire ? Est-ce l'œuvre des savonarolistes qui conspirent et perpétuent l'intolérance de cet antihumaniste notoire ? Celle d'espions à la solde de l'Espagne ?

Roman policier dans la grande tradition du genre, où les indices sont dissimulés dès les premières pages, Les conjurés de Florence est aussi le récit d'une quête, celle de Pasquale à la recherche du visage de son ange, son chef d'œuvre pictural en gestation, en même temps qu'un roman d'apprentissage, qui conduira le jeune homme vers la maturité.

Réjouissant, astucieux, bourré de références, ce roman est une réussite à tous les points de vue capable de réconcilier les exigeants amateurs de littérature générale avec les spéculations audacieuses d'une Science-Fiction de qualité.

La Mémoire des étoiles

Contrairement à ce que pourrait laisser supposer son titre, et bien qu'il se déroule à l'intérieur de l'Aire Gaïane, cadre interstellaire d'une bonne partie des romans de Vance, La mémoire des étoiles n'est pas un space opera. De même, en dépit de l'intitulé de la collection1, qui pourrait inciter les esprits naïfs ou simplement distraits à se tromper quant à la nature de certains passages relevant de l'ethnologie-fiction chère à cet auteur — comme par exemple le séjour de Maihac chez les Loklors —, il s'agit encore moins d'un roman de Fantasy. J'insiste sur ce point, car il n'est pas question ici de pinailler sur l'appartenance du livre à tel ou tel genre ou sous-genre, mais bel et bien de souligner une différence de démarche. Enfin, puisque j'en suis à faire un sort aux étiquettes, cet ouvrage ne peut pas non plus être qualifié de « néo-classique » ; l'ajout du préfixe « néo » me paraît en effet impliquer une notion de rupture suivie d'un retour aux sources. Or, La mémoire des étoiles s'inscrit dans la parfaite continuité de l'œuvre de son auteur — et, donc, d'une certaine tradition de la S-F américaine, héritière de l'esprit qui régnait dans le Galaxy des années 50 sous l'égide de H. L. Gold.

Au cas où vous n'auriez pas compris, je veux dire par là que Jack Vance n'a jamais oublié ce qu'était le sense of wonder, et que, s'il paraissait avoir un tantinet perdu la main avec le laborieux Throy2, il semble avoir surmonté son handicap3 et nous revient plus en forme que jamais. À quatre-vingts ans. Parfaitement.

Au premier degré, La mémoire des étoiles suit à la lettre le schéma d'intrigue intitulé par Norman Spinrad The Emperor of Everything4 : un adolescent vivant au bord de la civilisation découvre qu'il a un rôle crucial à jouer dans la bataille qui se prépare entre le Bien et le Mal, en général grâce à sa naissance ou ses super-pouvoirs — voire les deux. Naturellement, une fois qu'il est sorti vainqueur du combat, la princesse lui tombe dans les bras. Quel(s) que soi(en)t le(s) ouvrage(s) que vous pensez avoir reconnu(s), vous avez gagné. « Il est donc clair que nous nous penchons sur quelque chose de bien plus profond qu'une simple formule de fiction commerciale, un récit archétypal transculturel qui semble jaillir de l'inconscient collectif de l'espèce, de la source de toutes les histoires — et qui, en effet, comme l'ont affirmé certains, est même l'histoire archétypale, point5. » Spinrad nuance un peu plus loin ce dernier point : non seulement le schéma de l'Héritier de l'Univers n'est que l'une des structures de base envisageables, mais il s'agit en outre d'une version « dégénérée » de la quête mystique du Héros aux Mille Visages. Je renvoie à son article ceux qui désirent en savoir plus à ce sujet.

La manière dont Vance va progressivement détourner ce schéma indique à l'évidence qu'il l'utilise en toute connaissance de cause, Jaro n'est pas le fils de l'Empereur de l'Univers, mais celui d'un simple agent secret, et le Grand Méchant de l'histoire — superposable à Darth Vador comme au baron Harkonnen, entre autres — a agi mû par le seul intérêt. L'intrigue archétypale de l'Héritier de l'Univers débouche ici sur la mesquinerie la plus vile. Pour Vance, il y aura toujours des êtres humains qui chercheront à voler, escroquer, spolier ou dépouiller leur prochain. L'ombre de Dickens pointe le bout de son nez, mais le tout se déroule sur un ton de comédie légère, que servent avec bonheur des dialogues percutants et pleins d'humour. Quant à la belle princesse, elle est le produit d'une culture reposant… disons sur une forme bien particulière de snobisme6 : Marie-Chantal dans le rôle de Leïa.

L'Héritier de l'Univers fournit à Vance une structure solide — qui lui autorise toutes les digressions —, mais aussi une galerie de situations et de personnages fondamentaux qu'un auteur pour le moins chevronné comme lui n'a aucun mal à transposer ; le sourire qui flotte sur les lèvres du lecteur tout au long du livre est entretenu avec soin par une accumulation de savants décalages. Ainsi, au cadre cosmique s'oppose la petitesse morale de nombre de personnages secondaires.

L'apparition et la disparition du frère de Jaro dans les dernières pages du livre, loin d'être un ultime rebondissement gratuit, constitue au contraire une concession directe au schéma de base ; il ne peut y avoir qu'un seul « Héritier de l'Univers », peut-être parce qu'il n'y a qu'une seule princesse à épouser. Tous ces détails — et bien d'autres que je n'ai pas la place de développer dans ces deux pages — montrent la lucidité avec laquelle le vieux maître manipule le récit à tous les niveaux, du plus profond au plus superficiel. Nous sommes ici en présence d'un écrivain au sommet de son art.

Avec La Mémoire des étoiles, Jack Vance prouve avec maestria que c'est dans les vieilles marmites que l'on fait les meilleures soupes7.

Notes :

1. Ce qui était également le cas des Pêcheurs du Ciel, objet de cette rubrique dans le numéro précédent.

2. Qui concluait d'assez terne manière les plutôt moyennes Chroniques de Cadwal (Pocket).

3. Frappé de cécité, il est obligé de dicter ses textes.

4. In Science Fiction in the Real World (Southern Illinois University Press). S'il faut un équivalent français, je suggère L'Héritier de l'Univers, par ailleurs traduction du sous-titre allemand de la série Perry Rhodan (Der Erbe des Umversum) qui, est-il nécessaire de le signaler, repose également sur le schéma en question.

5. « Clearly then, we are looking at something far deeper here than a commercial fiction formula, a cross-cultural archetypal tale that would seem to arise out of the collective unconscious of the species wherever stories are told, and that indeed, some have argued, is even the archetypal story, period. » Ibid. p, 151.

6. Les Clam Muffins, qui sont situés tout en haut de la pyramide sociale de Gallingale, le doivent à leur comporture — qui prend en compte les bonnes manières, une certaine forme de charisme, mais aussi le désir de s'élever socialement. Ce statut est indépendant de leur aisance financière. Vance décalque ici — en le détournant — le système indien des castes, où l'on peut être brahmane et pauvre.

7. À noter que cette chronique a été réditée quasi à l'identique en septembre 2003 dans le Bifrost HS Jack Vance.

L'Énigme de l'univers

Sur l'île artificielle d'Anarchia, située en plein Océan pacifique, se déroule un colloque durant lequel doit être présentée la Théorie du Tout, censée décrire et expliquer l'Univers à l'aide d'outils mathématiques. Un journaliste scientifique, envoyé pour couvrir l'événement, va se retrouver mêlé à une intrigue d'une grande complexité, riche en considérations philosophiques et métaphysiques, qui débouche, comme toujours chez Greg Egan, sur une vision mécaniste, une sorte de « behaviorisme quantique » aux implications vertigineuses.

Les quelques lignes qui précèdent le laissent sans doute deviner, il est impossible de résumer un tel livre, où chaque phrase, ou presque, possède une importance. Je ne m'avancerai pas non plus à essayer de donner une idée de la surprenante Théorie du Tout, par crainte d'en trahir le sens. L'Énigme de l'univers atteint par endroits un tel niveau d'abstraction que l'on peut se demander si l'on est encore en présence d'un roman, ou de quelque ovni scientifico-fictionnel.

Incontestablement, Greg Egan a su ouvrir une nouvelle voie dans le domaine de la hard science. Comme les écrivains gonzo évoqués dans la rubrique des « Rebonds » de notre dernier numéro, il fait feu de tout bois pour créer une véritable pyrotechnie imaginative, mais sans jamais s'écarter du cadre d'une stricte rationalité ; point de transcendance chez cet auteur1. J'avoue sans honte qu'une ou deux pages — au moins — du livre me sont largement passées au-dessus de la tête, malgré plusieurs relectures attentives ; cela dit, cela ne pose à mon sens aucun problème dans le cadre d'une œuvre de S-F, où l'on est prié de laisser son incrédulité au vestiaire. La hard science est un domaine où le lecteur, faute de posséder les connaissances nécessaires, se retrouve tôt ou tard obligé d'admettre que l'auteur a raison, point à la ligne. Chez Greg Egan, ce phénomène devient paroxystique, ce qui me paraît typique d'une attitude avant-gardiste.

À mon sens, toute littérature, tout courant de pensée a besoin d'une avant-garde pour ne point péricliter, et il est naturel que celle-ci ait recours à l'excès pour affirmer sa spécificité. L'exemple des cyberpunks est présent dans toutes les mémoires ; nul ne saurait aujourd'hui contester l'apport des neuromantiques à la thématique S-F. Et, bien que Greg Egan constitue à l'évidence une nouvelle tendance à lui tout seul, on peut néanmoins le rattacher au bouillonnement imaginatif agitant depuis quelques années la revue britannique Interzone, et plus généralement la S-F d'outre-Manche — bouillonnement qui n'est pas sans rappeler celui qui s'est emparé durant les années 60 d'un autre magazine insulaire, je veux bien entendu parler du New Worlds de Michael Moorcock. Au-delà des différences entre les acteurs de ce mouvement — et du fait qu'ils s'inscrivent dans une optique littéraire, alors qu'Egan n'accorde que peu d'importance à la forme — , tous partagent en effet le désir d'expérimenter de nouvelles manières d'aborder la S-F, de faire briller d'autres facettes du genre. Pour ne citer qu'un exemple, on pourrait être tenté d'opposer le matérialisme et le souci de plausibilité de Greg Egan aux envolées psychédéliques de Jeff Noon dans Vurt (chez Flammarion), alors qu'une mise en parallèle des deux démarches révèle une parenté plus proche que l'on pourrait le penser. Chez ces deux auteurs — ainsi que, par exemple, chez Paul J. McAuley, Eric Brown ou encore Iain M. Banks — , on trouve avant tout le désir d'aller plus loin, de repousser limites et possibilités du genre. Bien qu'Australien, Egan participe à cette formidable agitation de neurones, et si ses pairs admirent ses excès sans chercher à les imiter, nul doute qu'ils sont en train d'en tirer la leçon, et que l'influence de cet auteur est appelée à grandir au cours des années à venir.

Note :

1. Plutôt que de les paraphraser, je vous renvoie à l'interview de Greg Egan, ainsi qu'à l'article que lui consacre Sylvie Denis dans Galaxies n°6.

Les Zinzins d'Olive-Oued

 

Pratchett est partout. Si si ! Jeux vidéo, dessins animés (je vous parie qu'on va pas tarder à voir arriver la BD et le jeu de rôle), quant aux bouquins, alors là, c'est l'avalanche. Les Annales du Disque-monde semblent définitivement embarquées dans une ronde sans fin chez L'Atalante (Les zinzins… est le dixième tome, un volume paru en Angleterre en 1990, ce qui laisse imaginer ce qui suit…), sont en cours de rééditions en poche chez Pocket (les deux premiers volets, vraiment excellents, sont disponibles),

J'Ai Lu nous a récemment proposé le Cycle des Gnomes (en trois tomes — et vient tout juste de publier Le peuple du tapis, un écrit de jeunesse), L'Atalante toujours un autre cycle, celui des Johnny (trois tomes à ce jour), Pocket, enfin et encore, qui vient de publier Strate-à-gemmes dont on aura l'occasion de reparler. Ouf ! Aussi et puisqu'à Bifrost on a pas peur des mots, soyons clairs : qu'on le veuille ou pas la pratchettmania est là ! ! ! Et ça ce comprend. Parce que très franchement, mis à part un ou deux titres moyens, la plupart des bouquins de ce diable d'Anglais sont excellents.

Pour ceux qui auraient raté le début, c'est à dire neuf tomes, soit approximativement trois mille pages, le Disque-monde est… plat ! Sorte de grosse galette acrobatiquement posée sur le dos d'éléphants eux-mêmes arc-boutés sur la carapace d'une tortue stellaire en quête d'un compagnon, on y observe les tribulations de personnages loufoques, magiciens, sorcières, guerriers farouches ou effarouchés, dragons, bref tout ce qui fait d'un monde un univers de Fantasy, l'ensemble étant fortement saupoudré, voire carrément sauvagement assaisonné, d'humour et de dérision.

Aussi qu'on se rassure d'emblée, ce dixième tome ne déroge pas à la règle : Les Zinzins d'Olive-Oued est véritablement bien « barré », peut-être même plus que les autres. Il faut dire que Pratchett pousse ici le bouchon très loin : revisiter le mythe hollywoodien à la mode Heroic-Fantasy, il fallait le faire. Et pourtant… Car en effet, il y a un « pourtant ». Voyez-vous, les livres du Disque-monde fonctionnement généralement, pas toujours mais souvent, selon un schéma éprouvé qu'il est possible de résumer ainsi : un, deux ou trois personnages principaux vivent leur vie, bien tranquilles, à mille lieues de se douter qu'ils vont bientôt devenir les héros d'un bouquin de Pratchett ; dans le même temps un, deux ou trois autres types font quelque chose qui va provoquer un autre quelque chose, ce dernier quelque chose étant en principe l'intrigue de fond qui sous-tend les déboires des gus dont le rôle prochain de héros se précise à grands pas. Ce schéma est tout à fait celui des Zinzins d'Olive-Oued. Le problème, ici, c'est que l'intrigue de fond supposée sous-tendre le récit est très longue à ce mettre en place, trop longue, en fait. Alors bien sûr on s'esclaffe devant les merveilleux personnages de Pratchett, si radicaux, si détestablement humains dans leurs bassesses mais aussi leurs grandeurs. On s'amuse des références cinématographiques dont l'ouvrage est truffé, on note une ou deux réflexions très sérieuses de l'auteur sur la fatuité humaine, l'inanité du succès, le besoin de reconnaisse d'autrui… puis, brusquement, on se prend à trouver qu'après trois cent pages le temps est un peu long, d'autant qu'il y en a encore plus de cent à venir. Ainsi arrive-t-on à la conclusion, étonnante s'il en est pour un bouquin de Pratchett, que tout cela est un peu mou. Eh ouais… dommage… tant pis.

On résumera donc en affirmant que Les zinzins d'Olive-Oued n'est pas un mauvais bouquin (il y a eu plus décevant de la part de Pratchett, à l'image de Faust/Eric chez le même éditeur), mais l'auteur a tout simplement déjà fait bien mieux. Voilà qui ne nous empêchera pas, malgré tout, de nous laisser bercer par les échos de cette fresque abracadabrante, et ce même si le film, pardon le livre, nous laisse comme un arrière goût de déception. Et puis après tout, Olive-Oued reste Olive-Oued, non ?

Typhon

Quand l'une ou l'autre des multimondiales (entreprises-monstres assez puissantes pour faire terraformer des planètes entières à leur seul profit) a un problème sur l'un ou l'autre de ses mondes, quand les colons se font séditieux, indépendantistes ou menacent de grèves, bref quand ça merdouille à plein tube, la solution a pour noms Jeremee Althus et son fils Typhon. Le job de Jeremee ? Fabricant de religions ! Et croyez-le, rien de tel qu'un bon culte dogmatique pour ramener l'ordre là où le chaos règne. Ainsi Jeremee a-t-il fortement investi sur son fils Typhon, le dotant de petits « plus » nanotechnologiques lui permettant de réaliser miracle sur miracle. Le problème, c'est que sur un monde il n'y a de place que pour un seul et unique messie. Aussi quand le médium divin et son père prêcheur débarquent sur Rishèse, petite planète de seconde zone, il n'est pas question une seule seconde que Jeremee tolère la présence de ces deux femmes, Hada et sa fille Yami, des « sorcières » dotées de pouvoirs inexplicables. C'est le début de la croisade, une « guerre de religions » par miracles interposés, des démonstrations bien souvent meurtrières…

Typhon est un petit roman bâti sur une idée certes pas neuve mais néanmoins intéressante : la manipulation de masse par l'entremise du sentiment religieux, un canevas auquel l'aspect science-fictif, les nano-technologies en l'occurrence, confère un piment certain. A quoi l'auteur ajoute une dimension supplémentaire, celle de la lutte des croyances. L'erreur, sur ce type de sujet, aurait sans aucun doute été de résumer le combat entre les deux partis à une opposition Bien/Mal, un simple confit manichéen. Genefort a globalement évité l'écueil et c'est tant mieux. En effet, ici ce n'est pas tant Bien et Mal qui s'affrontent par l'entremise de Jeremee et Hada (bon, d'accord, un peu quand même…), mais plutôt Technologie et Nature. Certains pourraient même pousser plus loin le bouchon en affirmant que Genefort oppose les forces progressistes (capitalistes, colonialistes, etc), aux volontés sinon passéistes, pour le moins conservatrices (la tradition, l'état de nature, etc). Un propos qui n'est donc pas si simple qu'il y paraît.

Si Typhon est un roman à la lecture aisée qui atteint parfaitement son but, divertir le lecteur, on se permettra toutefois d'émettre un léger bémol. Le texte est court — sans toutefois parler de novella. Ce n'est évidemment pas un problème en soit quand une œuvre est conçue pour et possède une densité narrative en adéquation avec son format. Ce n'est que partiellement le cas de Typhon. Aussi certaines scènes, du fait d'une absence de profondeur (descriptive et narrative), manquent singulièrement de relief. On reste froid, certes attentif car l'histoire ne manque pas d'attrait, mais en aucun cas transporté, véritablement passionné. Idem pour les personnages qui, s'ils sont attachants, ne sont en définitives que grossièrement brossés. D'où un manque quasi total d'identification de la part du lecteur, une distanciation certaine (une particularité évoquée à maintes reprises en ces pages à propos de Laurent Genefort).

Reste un roman agréable à défaut d'être captivant (il aurait pu l'être !), certes plus réussi que Le continent déchiqueté (au Fleuve Noir et chroniqué plus haut), mais encore en dessous de ce que l'auteur a déjà fait et fera à coup sûr dans l'avenir.

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