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Les 40 signes de la pluie

Le titre est symbolique : les quarante signes renvoient aux quarante jours et quarante nuits du Déluge, avec une différence sensible néanmoins. Car où le châtiment divin marquait une rupture — la fin du Premier âge de l'humanité —, notre époque reste quant à elle suspendue à l'annonce de la pluie, comme figée dans l'attente de cet événement indicible. On en est là : Dieu est mort (remorqué par James Morrow, son cadavre croise au large des côtes néo-zélandaises, avec des morceaux de banquise gros comme dix cathédrales), homo sapiens travaille jour après jour à réunir les conditions pour s'auto-exterminer, les signes du désastre sont évidents, mais presque personne ne semble capable de les décrypter — ou pire, ne semble avoir la force d'en contrer les effets hypnotiques, lénifiants, paralysants. L'Occident est-il aveugle, simplement irresponsable, ou se sent-il si coupable que son inconscient collectif appelle un nouveau châtiment ? Las ! Le roman, en abordant de front le problème du réchauffement climatique, entend illustrer avec force cet inquiétant paradoxe.

En s'emparant d'un tel sujet d'actualité, Kim Stanley Robinson s'inscrit dans une longue lignée d'écrivains catastrophistes (ou visionnaires, c'est selon) qui va de Restif de la Bretonne à Norman Spinrad en passant par Lester Del Rey et James Ballard. Il le fait à sa manière habituelle, documentée et sérieuse. Contrairement au spectaculaire film Le Jour d'après, qui choisit de montrer les conséquences d'une chute rapide et radicale du thermomètre, l'histoire de Robinson s'articule autour du concept de « changement climatique soudain », au cours duquel le climat de la Terre bascule entre deux équilibres, passant en l'espace de quelques années d'un régime général tempéré à un autre, plus brûlant et plus humide (avant peut-être de devenir beaucoup, beaucoup plus froid). Les climatologues savent que cela s'est déjà produit, et qu'il s'agit très probablement d'une occurrence que l'activité humaine pourrait déclencher.

Le roman, donc, mêle crédibilité scientifique et message politique. L'histoire se déroule aux Etats-Unis, dans un avenir proche. On suit une poignée de personnages : Charlie Quibler, conseiller chargé des questions d'environnement d'un sénateur démocrate ; sa femme, Anne, chef de projet à la National Science Foundation (NSF), une agence qui attribue des budgets à des projets de recherche ; Frank, un sociobiologue détaché pour un an à la NSF ; Leo, qui travaille dans une start-up de biotechnologie ; et un groupe de tibétains ayant fondé une nouvelle nation dans une île à basse altitude, au large des côtes de l'Inde. Tous tentent de convaincre une administration réticente de lutter contre le réchauffement climatique, travaillant à créer, au cœur de la société civile et de la communauté politique, un environnement favorable qui permettrait d'adopter les mesures nécessaires pour prévenir un effondrement écologique global. Lobby contre lobby, science contre marché, intérêts supérieurs contre cause supérieure, Congrès contre Congrès, combat de l'homme contre lui-même. « Il combattait des menteurs, des gens qui mentaient sur la science pour le fric, occultant les signes manifestes de destruction du monde. » Le problème n'est pas tant de savoir décrypter les signes, mais de ne pas les instrumentaliser, de leur donner un sens juste (au sens de pratique, pertinent) ; partant, l'idée n'est plus d'adapter le monde aux besoins de l'homme, mais d'adapter les besoins de l'homme à un monde qui se modifie. L'urgence est là, la banquise se délite, empêchant l'action régulatrice de certains courants (dont le Gulf Stream), avec des conséquences incommensurables.

La dernière partie du roman décrit Washington DC englouti sous les flots, annonçant de manière prémonitoire (le roman a été publié en 2004 aux USA) la dévastation causée par Katrina à la Nouvelle-Orléans. Cette fin apocalyptique résonne comme un constat d'échec désabusé sur la capacité de la seule science à améliorer l'état du monde. Robinson (scientifique de formation) stigmatise la toute-puissance du capitalisme — plutôt que celle de la science — sur nos existences, l'obsession de la croissance économique. Il semble vouloir nous dire que les découvertes scientifiques sont dorénavant utilisées à des fins seulement mercantiles et non pour rendre la vie meilleure ; qu'entre la survie de l'espèce et le profit, le capitalisme choisira toujours le profit. Mais Robinson est un positiviste, un utopiste qui croit que les hommes peuvent s'amender, qu'avec un juste choix les choses peuvent toujours s'améliorer. C'est grâce à ce facteur humain — le capital et l'énergie prodigieuse qu'il représente — que l'intrigue trouve son équilibre, sa touche émotive. Ce n'est pas un hasard si l'auteur s'attarde longuement sur le quotidien des personnages, la routine fastidieuse de leur travail, leur cheminement intellectuel et/ou amoureux. En définitive, il s'agit autant d'un roman de désapprentissage que d'apprentissage, vers plus de solidarité (une solidarité active, agissante), de spiritualité (c'est la seconde fois que Robinson s'intéresse d'aussi près au bouddhisme), de démocratie participative, d'investissements sociaux. Vers un monde plus humain, en somme. Cette note d'espoir, cette lueur dans la tempête qui s'annonce restera comme la marque principale d'un roman de grande qualité, en attendant de lire la suite, intitulée Fifty degrees below.

Tout un programme…

Le manteau des étoiles

On a beau baigner dans les mers chaudes d'une antiquité mythique, avec dieux, héros musclés et prodiges de rigueur, Le Manteau des étoiles n'est pas ce qu'il parait. Oubliez Ithaque (quoique…), direction la Polynésie.

Au-delà de mers plus ignorées vivent les hommes du Peuple des vents, qui ne jurent que par les exploits guerriers (un peu) et les explorations (beaucoup). C'est par une de ces expéditions que s'ouvre le roman. Au bout d'une longue chasse au poulpe, des pêcheurs polynésiens tombent sur une île brumeuse où les hommes ont la peau blanche et les cheveux carmin. Les pêcheurs capturent deux spécimens — un homme, une femme —, qu'ils ramènent sur leur île paradisiaque de Raiatea. Dès lors, les deux étrangers, intégrés de force, n'auront de cesse de se mêler (volontairement ou non) aux affaires de la communauté…

La grande affaire du roman (de tous les romans ?), c'est la mort. Vicissitude classique : le roi défunt, deux fils se disputent l'héritage. Pour éviter un bain de sang, Tangiia, le cadet, s'exile avec une partie de la tribu. L'aîné, Tutapu, qui veut dormir tranquille, lève une flotte pour liquider le danger potentiel que représentent les fuyards. Au fil d'une navigation qu'on imagine ponctuée de nombreux écueils et merveilles, Tangiia, par sa passion et sa détermination, rend peu à peu possible, prégnante, son utopie d'un paradis lointain.

La plume fertile de Garry Kilworth s'est illustrée dans de nombreux ouvrages de S-F et fantasy, dont une part infime a été traduite en français. Récemment, on se souvient d'avoir lu La Compagnie des fées (réédité chez Terre de Brume) et surtout « L'Arbre aux épines » (un World Fantasy Award publié dans la petite anthologie Aventures lointaines n°2, chez Denoël en avril 2000), novella coécrite avec l'excellent Robert Holdstock (ne ratez pas La Chair et l'ombre, tout juste paru chez Denoël « Lunes d'encre », qui sera critiqué dans notre pochaine livraison). Dans ce dépaysant récit d'aventure mâtiné de tragédie, Kilworth applique ou anticipe la recette que Holdstock, justement, avait concoctée pour son Codex Merlin (le Pré aux clercs et Pocket) : le choc des cultures, la fusion des imaginaires. Celte et grec pour Holdstock ; celte, polynésien… et grec, pour Kilworth.

Le cycle des Rois navigateurs, c'est d'abord un background, avec juste ce qu'il faut d'ensoleillé, de sensuel, d'exotique ; c'est aussi la découverte progressive du peuple polynésien, ses mythes, ses mœurs, son folklore, le tout décrit et illustré minutieusement, de manière amusante et savante ; c'est surtout une galerie de personnages puissamment incarnés, figures humaines, divines, ou semi divines : Maui le rusé, Seumas le Picte, Maomao le Vent, Tangaroa l'Océan, Nangananga, déesse du Châtiment qui attend les célibataires à l'entrée du pays des morts pour les dévorer… On se croirait presque au seuil de l'Hadès, ou sous les portes de Troie, ou en quête de la Toison d'or. Le parallèle avec les équipées de Jason ou d'Ulysse est assez pertinent : comme chez Homère, les héros de Kilworth se retrouvent à caboter dans un univers aux contours troubles, entre des îles remplies de géants fous, d'oiseaux cannibales et de fées lubriques — jouets de forces qui les dépassent. Grâce à une intrigue convenue, Garry Kilworth mène sa barque sans peine : on se laisse entraîner plutôt de bonne grâce. Il faut juste passer outre les quelques longueurs du début, quelques fantaisies du traducteur (j'ai relevé notamment un « hypothermique » et un « kebab » !) ainsi que plusieurs temps faibles pas toujours très bien maîtrisés.

Sans avoir le charme d'un Corto Maltese, ou la petite musique d'un Le Clézio (voir le récent Raga, approche d'un continent invisible), voilà une fantasy qui affirme suffisamment sa différence pour mériter plus qu'un coup d'œil blasé. À suivre…

La Retraite maudite

Quarante années se sont écoulées dans le Fief depuis la quête du Bâton de la Loi, première aventure de Thomas Covenant (voir La Malédiction du Rogue). Quarante années de labeur et de préparatifs guerriers pour les défenseurs résignés d'un monde merveilleux en train de s'effilocher peu à peu. Quarante ans qui ne leur ont pas suffi pour retrouver la plénitude de l'ancien savoir, caché après le rite de la Profanation mené par le Haut Seigneur Kevin. Et pourtant, le temps presse, car à l'abri de leurs regards le Rogue rassemble ses forces afin de mener à terme la malédiction dont il les a frappés. Plus que jamais, un seul espoir demeure : la magie sauvage détenue par l'Incrédule. Mais bon, il faut rappeler le méprisable lépreux et espérer qu'il soit convaincu de l'urgence « réelle » de la situation.

Quelques mois se sont écoulés depuis la réédition dans une version véritablement intégrale du premier tome du cycle « mythique » de Stephen R. Donaldson. Quelques mois que le lecteur a mis à profit pour : 1/ oublier l'attente intolérable où il croupissait en détournant son attention vers d'autres lectures, 2/ faire le point sur « l'événement » éditorial — catégorie artillerie mercatique lourde — que constituait cette réédition. Oui, événement il y avait car le cycle des Chroniques de Thomas Covenant était devenu introuvable en France, ce qui n'était pas plus mal compte tenu du découpage assassin, pour ne pas dire le massacre, qu'il avait subi lors de sa première et partielle parution chez J'ai Lu. Cependant, l'assaut marketing auquel a donné lieu la sortie du premier volet de cette réédition peine désormais à masquer un fait que j'ai personnellement occulté, tout à ma joie de renouer avec une lecture marquante de ma folle jeunesse (je suis encore fou, puisque j'en ai entamé sa relecture). L'un des plus grands chefs-d'œuvre de la fantasy [dixit la quatrième de couverture] ne dépare finalement pas dans la production actuelle de fantasy. Certes, ces Chroniques remontent à 1977 (pour la première trilogie), mais il est douteux qu'une date de parution soit un argument suffisant pour distinguer une œuvre dans une masse, surtout lorsque celle-ci manie les mêmes matériaux et ressorts.

Mais, revenons à l'objet de notre attention, à savoir cette retraite maudite qui donne son titre au deuxième épisode des aventures subies par Thomas Covenant dans le Fief. Le lépreux y met en veilleuse ses obsessions et, aux côtés de ses anciens compagnons, fait la connaissance de quelques nouveaux personnages. Tout d'abord Hile Troy, l'Insigne de la Milice — comprendre, son commandant en chef —, un aveugle de naissance provenant lui aussi du monde « réel » et qui s'affirme d'entrée comme l'antithèse à tout point de vue de Covenant. Amoureux de cette terre d'adoption qui lui a restitué la vue, il s'y épanouit et prend fait et cause dans sa défense, poussant son action jusqu'au sacrifice ultime. Le lépreux est aussi confronté à sa fille Elea, née de ses œuvres criminelles dans le premier épisode. Elle est à la fois sa descendante et l'instigatrice de son invocation pour des raisons avouables — sauver le Fief — et d'autres, qui le sont beaucoup moins… Ça ressemble à une amorce de relations incestueuses, mais ça ne va pas jusqu'au bout. Et surtout, il y a le Fief, véritable personnage à lui tout seul, qui gagne un peu plus en épaisseur dans ce deuxième épisode. Les événements historiques qui ont précédé l'intrusion de Covenant se précisent, on arpente de nouvelles terres, on explore plus longuement des lieux déjà vus et on se pénètre de l'organisation sociale de ce monde où le merveilleux n'est pas encore dénaturé. Mais ce qui ressemble à une richesse supplémentaire contribue également fâcheusement à multiplier les points de convergence avec l'univers du Seigneur des anneaux. Les parallèles abondent pour nous rappeler que l'inspiration majeure de Stephen R. Donaldson, en dépit d'une coloration plus wagnérienne du récit, reste l'œuvre de Tolkien. Et ce ne sont pas les seules ressemblances, puisque le mode de narration (un embryon d'entrelacement) et l'intrigue (pendant que les uns attirent l'attaque de l'ennemi, les autres mènent une capitale mission secrète) viennent rendre la filiation encore plus évidente.

Alors quel intérêt reste-t-il à lire cette œuvre ? Pour le lectorat chenu non anglophone, essentiellement le plaisir de redécouvrir une œuvre dans sa dimension originale. Pour les autres, un cycle de plus dans une offre de fantasy stéréotypée et pléthorique.

La Cité de Satan

Certains romans posent de grandes difficultés au chroniqueur chargé d'en faire le compte-rendu argumenté. Il analyse ses impressions, opère le tri nécessaire dans celles-ci. Il pèse le pour et le contre parmi les voies qui s'offrent à lui afin de restituer sincèrement l'état d'exubérance ou d'accablement dans lequel il se trouve plongé. Il cherche ses mots pour donner envie ou déconseiller aux éventuels curieux de perdre leur argent et leur temps. Enfin, il se lance, tout en sachant qu'il ne sera pas écouté la plupart du temps. En ce qui concerne La Cité de Satan, il ne lui a cependant pas fallu des lustres pour se décider. Il est vain d'introduire une fausse impression de complexité sur un livre qui en est totalement dépourvu, aussi commencera-t-on par le plus évident : le début.

Fabien Clavel est gratifié d'une réputation pas franchement enthousiasmante pour des titres loin d'être considérés comme indispensables. Il est inutile de revenir sur Les Légions dangereuses, chroniqué précédemment dans ces pages, ni sur les autres titres de l'auteur qui contribuent à ladite réputation. Le chroniqueur ne s'aventurera pas davantage à émettre le moindre calembour douteux à partir du titre du présent ouvrage. Et pourtant, c'était tentant… De fait, c'est avec un esprit vierge qu'il confiera humblement — je sais, j'en rajoute —, ce qu'il a retiré de cet ouvrage d'un nouveau genre : le péplum uchronique (dixit la quatrième de couverture).

Evitons de perdre un temps infini à nous émerveiller sur l'aspect uchronique du récit qui, de toute façon, n'est qu'un prétexte qui fleure bon le carton-pâte. Il suffit juste de savoir que l'intrigue se déroule en 2614 après la fondation de Rome — comprendre, 1861 de notre calendrier — à Lutèce, au moment où l'édile Sergiolus s'apprête à célébrer une magistrale naumachie en l'honneur de l'empereur Julien (361-363), plus connu dans notre Histoire sous le surnom d'Apostat, et dont le règne constitue accessoirement le nœud de divergence de cette supposée uchronie. Inutile également de clamer que tout cela n'est pas vraisemblable un seul instant. Inutile, enfin, de mentionner que l'ensemble est bourré de clichés grotesques et d'inventions historiques fumeuses ; je pense en particulier à ces aqueducs transformés en ersatz de voie de circulation… Pardon ? Ah oui, vous avez raison. Je suis confus : je crains d'avoir déjà quelque peu vendu la mèche. Ceci n'est cependant pas catastrophique, puisque cela nous permet de cerner un contexte qui nous ramène au péplum évoqué plus haut. Tout le monde a sans doute en mémoire ces monuments cinématographiques hollywoodiens et leurs cousins nanardesques italiens. On ne dévoile pas grand-chose en révélant d'emblée que l'aspect péplum se réduit finalement au morceau de bravoure de la naumachie dans les arènes ennoyées de Lutèce. Pour le reste, Fabien Clavel lorgne surtout vers le roman feuilleton — comme le laisse deviner le sous-titre : « Les mystères de Lutèce » — et peut-être même, avec beaucoup moins de talent et de souffle quand même, vers un certain thriller babylonien publié auparavant chez le même éditeur. Le récit, une suite de rebondissements au mieux poussifs, met en scène une poignée de personnages archétypés, à savoir un édile gladiateur prêt à tout pour conserver le pouvoir, un fidèle décurion des vigiles, issu lui-même du milieu qu'il combat (Vidocq, vous avez dit Vidocq), un héros jeune, beau et amoureux d'une belle et déterminée inconnue avec laquelle il couchera au cours d'une nuit moite et besogneuse avant de la quitter, et, enfin, une multitude de seconds rôles faisant tapisserie pendant que la pègre s'agite et s'exprime en argot pour faire plus canaille, que les chrétiens sabotent et troublent la Pax lutecia en appliquant une variante de la propagande par le fait et qu'un insaisissable hors-la-loi à l'identité masquée (donc, ce n'est pas José Bové) joue des muscles face aux forces de l'ordre. Pour faire plus ludique, l'ensemble est agrémenté de clins d'œil fugitifs, notamment aux trois mousquetaires, mais aussi à l'œuvre d'autres écrivains hugolâtrés, d'un peu de mystère, de détails crus et crades, de magie druidique, de complots, d'une crue exceptionnelle et inexpliquée (colère des dieux ?) et d'une foule d'autres gauloiseries. Que demande le peuple… Panem et circenses, peut-être ?

Au terme de cette chronique, il faut donc se rendre à l'évidence. La Cité de Satan est un fourre-tout bordélique qui n'arrive pas à la cheville de ses illustres devanciers et s'achève mollement. Une œuvre plus anachronique qu'uchronique. Un texte qui emprunte plus qu'il ne créé. Aussitôt lu, aussitôt oublié.

Chasseurs de sorciers

Le royaume d'Île-Rien, que le lecteur a appris à connaître au travers des romans La Mort du nécromant et Le Feu primordial, tous deux disponibles chez l'Atalante (séance de rattrapage obligatoire pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce monde où se mêlent magie et industrialisation), va connaître la défaite. Incapable, depuis trois années, de faire face à la menace des Gardiers, le royaume est sur le point de s'effondrer, et sa capitale, Vienne, à la veille d'être investie par les forces ennemies. Face à cette avalanche de mauvaises nouvelles, un seul espoir demeure : détruire la base secrète à partir de laquelle agissent les Gardiers afin de briser leur élan victorieux. Une mission de la dernière chance est donc confiée à un commando improvisé. Hélas, ce ne sont même pas douze salopards qui sont rassemblés. Non, juste une jeune fille tourmentée (bâillement poli), nièce adoptive du très grand magicien Arisilde et fille du non moins célèbre Nicholas Valiarde (ça, c'est son côté people), accompagnée de son oncle, le magicien Gérard (plus facile à mémoriser que Gandalf), d'une apprentie sorcière (même pas glamour avec sa robe de chambre) et d'un militaire de service (bien entendu, le doigt sur la couture du pantalon). Evidemment pourvu d'une arme secrète — une sphère à la magie surpuissante mais au mode d'emploi et au fonctionnement mystérieux —, le groupe n'a pas anticipé (surprise !) une évolution imprévue de sa mission au cœur du monde parallèle où les Gardiers ont installé leur base. Les autochtones qui y vivent, certes primitifs, haïssent et tuent les sorciers…

Autant ne pas tergiverser : on s'ennuie ferme à la lecture de ce roman qui s'annonce de surcroît comme le premier volet d'une trilogie. S'il y a une magie qui fonctionne à plein régime dans Chasseurs de sorciers, c'est bien la faculté de l'auteur à rendre son récit interminable, ce qui énerve grandement. Certes, on peut affirmer de façon diplomatique que cette fantasy de Martha Wells n'est pas dépourvue, à l'occasion, de quelques idées qui suscitent, ponctuellement, un intérêt… aléatoire. On peut ajouter qu'il existe un potentiel non exploité et que, dans le doute, il faudrait peut-être lire le deuxième, puis le troisième volet (soyons fou) de cette trilogie pour émettre un avis définitif. Mais voilà, nous ne sommes pas diplomates, à Bifrost, et nous n'aimons pas gaspiller notre temps. Aussi nous permettra-t-on d'aller droit au but : ce roman est médiocre. L'intellect y est anesthésié par une intrigue désespérément molle, que dis-je, complètement amorphe, portée par une narration dénuée de souffle et des situations elles-mêmes avachies. Que reste-t-il pour réveiller l'intérêt ? Pas grand-chose à vrai dire, puisque l'émotion est tuée par des personnages insipides qui ne suscitent pas une once d'empathie de la part du lecteur. En fait, en dehors de cet ennui déjà évoqué, on n'éprouve aucun frisson en lisant ce roman, et la concentration cède inexorablement la place à l'agacement devant la banalité, la superficialité des états d'âme des personnages et des ressorts dramatiques. L'histoire ne fonctionne pas : on se regarde lire en espérant voir la fin arriver le plus vite possible.

Bref, un conseil : lisez Aquaforte de K. J. Bishop — la bonne pioche du moment, chez l'Atalante — si vous souhaitez une fantasy hors du commun (dixit la quatrième de couverture de Chasseurs de sorciers), ou si vous désirez vous immerger dans un monde dense et envoûtant, traversé par des personnages dotés d'une psychologie complexe. Une lecture qui génère une vraie émotion, celle qui vous empêche de lâcher le morceau et vous poursuit longtemps une fois la dernière page tournée. Tout ce que n'est pas Chasseurs de sorciers, en somme.

Un chœur d’enfants maudits

Vraie bonne surprise du côté des inédits Folio « SF », Tom Piccirilli fait une entrée fracassante sous nos longitudes. Malgré une fin artificielle qui semble plaquée sur le roman, Un Chœur d'enfants maudits reste un livre exceptionnel dont la petite musique (forcément poisseuse et empoisonnée) hante longtemps le lecteur. Les livres capables d'influer de manière radicale sur notre humeur sont rares, et celui-là en fait clairement partie. Via une écriture dont la densité et l'intelligence frisent le génie (on notera au passage la traduction de Michelle Charrier, à tomber), Tom Piccirilli plante son décor moite, un décor qui a tout d'une Louisiane à la Freaks revisitée par un Lucius Shepard défoncé au whisky (gare à Louisiana Breakdown, à paraître au Bélial' en septembre 2007 !). Une petite ville paumée dans les marais loin des autoroutes, des villes et de la civilisation. Des vieilles folles qui jouent aux sorcières et qui suivent des traditions curieuses en mijotant d'infâmes mixtures sensées protéger le bled du malheur. Un jeune homme, Thomas, beaucoup plus anti que héros qui fait office de seul narrateur et de seul oasis de santé mentale. Ses trois frères siamois reliés par le crâne et dont l'unique tête cyclopéenne parle avec trois bouches en suivant les lois anarchiques de trois personnalités entrelacées (avec une vie sexuelle exaltante qui, aussi étonnant soit-il, n'a rien du malsain, mais louche plutôt du côté de la bluette innocente et romantique). Et au milieu de tout ça, une suite de personnages malades, camés, bourrés, crétins et neurologiquement morts. Avec un Thomas obligé malgré lui d'assumer un héritage paternel encombrant (de l'argent, une fabrique, une intelligence douloureusement adéquate), des fantasmes sexuels plus ou moins oniriques, le souvenir d'une grand-mère clouée au mur de l'église par une faucille, sans oublier celui, récurrent, d'un tueur d'enfants qu'il a abandonné en plein marais pour laisser les crocodiles s'en occuper tout seuls comme des grands… Bref, la vie n'est pas simple, vraiment pas.

Malgré une histoire qui s'appuie sans doute trop sur le bon vieux principe de la révélation pour tenir le lecteur en haleine, Un Chœur d'enfants maudits est un incroyable roman d'ambiance que les personnages ne font somme toute que traverser. Ici, rien n'est évident et tout se mérite. Chaque micro-événement est porteur d'une signification profonde et ne sera pas sans conséquences. Chaque élément s'agence comme une pièce de puzzle, et au lecteur d'assister impuissant à la tragédie quotidienne qui se déroule sous ses yeux comme une mauvaise pièce de théâtre (écrite par un fou, jouée par des idiots et qui ne signifie rien, comme dirait l'autre).

Mais là où le bébé de Piccirilli touche de près l'étiquette chef-d'œuvre, c'est dans le traitement impeccable de son histoire. Le sérieux est de bon aloi, l'absurde maître et le second degré permanent. Vous croyez avoir affaire à un vague roman vaudou à l'ambiance humide ? Vous avez raison. Et vous ne pourriez pas vous tromper davantage.

De notre côté, nous avons choisi. Un Chœur d'enfants maudits est tout simplement indispensable. Tout comme l'urgente traduction des autres œuvres de Piccirilli. Qu'attend-on ?

Spin

Prix Hugo largement mérité et premier volume d'une trilogie en cours d'écriture, Spin est un roman impressionnant, maîtrisé de bout en bout et plutôt emblématique d'une génération vaguement larguée. Fidèle à ses habitudes, Robert Charles Wilson y déploie une science-fiction humaniste, via une histoire tourmentée dans laquelle des personnages attachants vont se confronter à un mystère d'envergure cosmique à l'aune de leur propre faiblesse.

Thème classique, on le voit, parfaitement représentatif des textes de Wilson, où des hommes comme les autres sont projetés malgré eux dans une longue suite d'événements dramatiques. Cette apparente simplicité autorise beaucoup de choses et l'auteur excelle dans la peinture d'antihéros dépassés, souvent paumés, affectivement instables et étonnamment touchant pour les lecteurs qui dépassent la trentaine en perdant peu à peu leurs illusions et en voyant leurs premiers amis mourir du cancer ou se planter bêtement contre un arbre après une soirée arrosée.

De ce sentiment de fin du monde, on retient la montée d'une incompréhension totale à l'égard d'une société devenue folle et la nostalgie assumée d'une jeunesse perdue à jamais, engloutie dans la glace du passé. Et science-fiction mise à part, c'est exactement de ça que Spin traite magistralement : la perte, l'inconnu, le vide d'une existence sans valeur ni sens et, tout au bout, la mort.

Dans un futur si proche qu'on pourrait allègrement l'appeler aujourd'hui, Spin traite à la fois du destin de trois enfants et de l'avenir de l'humanité en tant qu'espèce. C'est là que Wilson réussit son coup : décrire l'isolement de la planète Terre (placée dans une sorte de congélateur cosmique qui recrée les conditions climatiques actuelles et la fixe dans une temporalité réduite alors que le reste de l'univers file à une vitesse inimaginable — plusieurs millions d'années par années terrestres subjectives) et ses conséquences sociales à travers les yeux de trois gamins qui, devenus adultes, prendront chacun une voie différente.

D'un côté Jason et Diane, les deux enfants d'un riche couple (père influent et mère alcoolique), et de l'autre, Tyler, le fils de la bonne. Trois gamins qui assistent ensemble au Spin, la nuit où les étoiles disparaissent du ciel, la nuit où la Terre est recouverte d'une sorte de membrane artificielle, modifiant à jamais la destinée humaine.

De leur vie, de leur amour et de leur perte, Robert Charles Wilson dresse un portrait doux-amer, alors que Jason met son indéniable génie au service du gouvernement, que Diane s'embarque dans une vague quête mystique qui la conduit au sein d'une communauté d'allumés quasi millénaristes, et que Tyler (narrateur et personnage principal) trace sa route comme médecin sans jamais vraiment comprendre ce qui lui arrive et pourquoi on en est là.

Qui a bien pu isoler la Terre de cette façon ? Qui, et pourquoi ? Autre détail désagréable, si le temps au-delà de la membrane s'écoule en accéléré (ou le temps terrestre au ralenti, ce qui revient au même), la mort du soleil risque d'arriver bien plus tôt que prévu… D'ici peu, pour tout dire, une cinquantaine d'années… Et avec elle, la fin du monde…

C'est donc la chronique d'une condamnation à mort que s'offre un Robert Charles Wilson en grande forme, excellant à décrire la grande panique et ses conséquences à travers les yeux de protagonistes plus ou moins acteurs. Les efforts des terriens pour contrer l'isolement terrestre (par de mystérieuses entités joliment nommées les Hypothétiques) doivent-ils passer par la terraformation de Mars ? La fuite vers les étoiles ? Autant de scénarios aberrants qui prennent soudain un autre sens quand on réalise peu à peu qu'une échelle temporelle décalée permet beaucoup de choses.

Et si l'épée de Damoclès penche dangereusement, n'est-ce finalement pas le lot de toute existence ? C'est presque une forme de clin d'œil pour une humanité habituée d'entrée de jeu à l'idée d'une mort certaine, mais qui se réveille en sursaut le jour venu, se passe la main dans les cheveux, cherche un paquet de clopes et soupire : merde, déjà ?

Convaincant du début à la fin, Spin est la preuve éclatante (en fallait-il vraiment une ?) que Robert Charles Wilson a dépassé ses faiblesses récurrentes et donné à son talent d'auteur une direction plus cohérente, plus efficace et encore plus intelligente. De ce beau roman qui hante le lecteur longtemps après, on retiendra ce vague sentiment de tristesse un peu fataliste quand l'inéluctable disparition de ce qu'on aime devient réalité, le cabotinage en moins. Une résignation douloureuse, mais inspiratrice.

Le Sot de l’ange

Premier roman de Christopher Moore publié chez Calmann-Lévy (avec plusieurs autres dans les tuyaux, ce qui ne peut que nous réjouir), Le Sot de l'ange est une sorte d'hommage délirant à Georges Romero nappé de sauce Moore. Un mélange détonnant, donc, qui voit cohabiter un faux père Noël mort pour de vrai, un archange benêt, Dieu, une serveuse bionique, un flic amateur d'herbe, une armée de zombies fous de cervelle, un dîner de célibataires, Kendra l'ex-barbare-de-la-nuit-mutante-de-la-mort-du-désert-qui-tue et un petit garçon dégoûté parce que Noël, cette année, c'est foutu.

Risque énorme, donc, de basculer dans une grosse farce pétomane aussi grotesque qu'inoffensive, mais risque parfaitement contrôlé par un Christopher Moore en grande forme. Si le propos du Sot de l'ange est, certes, ouvertement délirant, l'auteur parvient à rester sur la corde raide en se cantonnant aux limites du crédible. Et rien ne fonctionne mieux qu'un humour bien barré rigoureusement possible, avec ses conséquences logiques et probables.

C'est la très grande force de ce roman iconoclaste : prendre un élément ouvertement impossible et le traiter jusqu'au bout, dans ses moindres détails. Avec un sens du dialogue qui doit autant à Tex Avery qu'à Matrix, Moore réutilise les personnages déjantés du Lézard lubrique de Melancholy Cove (et de quelques autres romans, un classique chez Moore) et les insère dans une très vague histoire où un ange un peu paumé est mandaté par Dieu pour faire une BA avant Noël. Il ressuscite donc un faux père Noël récemment dézingué par sa femme, mais oups, tout le cimetière avec… C'est alors toute une cohorte de zombies affamés qui sort de terre, bien décidée à niquer la cervelle de ces salauds de vivants qui font rien qu'à vivre, justement.

Prototype de ce qu'Orwell nomme avec justesse excellente mauvaise littérature, Le Sot de l'ange fait partie de ces romans qui font plaisir à leurs auteurs. De fait, le lecteur n'a pas franchement tendance à s'ennuyer. Et passer un bon moment avec un joli livre ni bête ni sérieux, c'est suffisamment rare pour être signalé. Profitez-en, Le Sot de l'ange est de ceux-là.

L’heure et l’ombre

Pierre Jourde aggrave son cas… Après le formidable Festins secrets, qui réconciliait allègrement les fantômes de Céline et de Poe, voilà que notre empêcheur de publier en rond s’attaque à Nerval… L’Heure et l’ombre vient brillamment nous titiller la fibre romantique et s’offre le luxe de convoquer Fournier, Kafka, Dick, Maupassant et quelques autres pour notre plus grand bonheur. Autant d’influences (de références) qui n’entament en rien l’originalité du propos et le sain énervement d’un auteur dont le style, le talent et l’intelligence ont tout de même tendance à nous calmer net. On notera au passage que tous ces jolis Noms Propres plombent le récit bien plus qu’ils ne le hantent… De fait, L’Heure et l’ombre n’a rien (mais vraiment rien) de l’inoffensif divertissement. Ici, chaque mot est pesé, taillé, ciselé. Chaque situation possède son double, son contraire, ses causes et ses conséquences. Rien qui soit laissé au hasard. Et si l’ennui pointe parfois le bout de son groin, c’est sans doute une manière polie (empruntée à Tarkovski et à Stalker ? le débat est ouvert) de nous rappeler qu’on n’est quand même pas là pour se marrer et qu’un bon livre, ça se mérite, bande de cons.

Fidèle à son habitude, Pierre Jourde rend impossible toute tentative de résumé. Le splendide néant de la quatrième de couverture nous rappelle d’ailleurs que l’éditeur n’est pas plus avancé que le lecteur. Soit.

En fait de roman naturaliste inversé (dans une perspective tout debordienne où le vrai, comme de juste, est un moment du faux), L’Heure et l’ombre s’articule le long d’un axe semi-rigide, une banale station balnéaire du nom de Saint-Savin. Danse macabre, danse de mort, danse échevelée autour du temps qui passe, de la jeunesse qui crève et des fantasmes jamais réalisés qui n’en finissent pas de pourrir, l’histoire est une merveilleuse suite de tiroirs poussiéreux et glauques, dans lesquels le lecteur paniqué trouve çà et là des bribes d’éléments rassurants. L’histoire d’un homme qui abandonne sa famille pour en fonder une autre après une amnésie sévère, et qui laisse sa petite fille livrée à elle-même dans une maison qui a tout du film d’horreur (un passage résolument lovecraftien à faire peur, pour de bon). L’histoire du narrateur dont l’amour impossible poussera une jeune fille à maquiller sa mort pour échapper à une révélation qui jamais ne cesse de disparaître. L’histoire d’une amitié amputée du cœur qui dévale les années en laissant la vie sur un trottoir plein de merde. L’histoire de la fille qui a vu l’homme qui a vu les enfants qui ont vu la maison qui… Qui ont vu quoi, au fait ?

Et dans ce pandémonium où un savant chaos règne dans l’ordre le plus strict, Jourde s’offre quelques passages d’anthologie (un dîner pourri par une nourriture immonde et un enfant hurleur, sans le moindre chasse-spleen salvateur, un vague dialogue avec une grognasse ordinaire dont les chiards écoutent du rap le corps engoncé dans leur uniforme de jeune — Pierre Jourde n’aime pas les jeunes, et c’est bien) littéralement hilarants, sortes d’oasis de vie dans un monde mort dont la réalité s’émiette au fil des pages.

Le vrai trait de génie de L’Heure et l’ombre, c’est de perdre son lecteur avec goût et de lui donner immédiatement envie de recommencer à zéro pour savoir où, exactement, il s’est fait niquer. Chapeau, Pierre Jourde. Sur le coup, respect. Power total, ajouterions-nous. Ça déchire.

On a marché sur Mars

En 2015, une expédition américaine s'apprête à se poser sur Mars pour la première fois. À son bord, cinq astronautes : un pilote d'élite, une mécanicienne de génie, un géologue, une brillante biologiste et un historien. Après un atterrissage mouvementé dû à une défaillance technique, l'exploration commence, et avec elle un vif débat entre ceux qui désirent rechercher des traces fossiles de chimie prébiotique et les adeptes de la géologie convaincus que la vie n'a jamais existé sur la planète rouge. La découverte d'une vie primitive met non seulement fin à la discussion, mais panique l'opinion publique. Les extrémistes brandissent la menace d'une contamination et de la fin de l'humanité si les astronautes reviennent sur Terre, et font pression sur le gouvernement à quelques mois des élections… L'équipage est abandonné, livré à lui-même, et il va désormais lui falloir survire…

Ingénieur à la NASA, auteur d'ouvrages de vulgarisation, militant pour la Mars Society, Robert Zubrin aborde la conquête de Mars sous l'angle du réalisme, comme en témoignent l'annexe technique (fort intéressante) et la préface de Gregory Benford. On songe à Stephen Baxter pour la description d'une mission spatiale par un spécialiste du domaine, à Kim Stanley Robinson pour l'exploration de Mars, et aussi à Arthur Clarke pour le récit de sauvetage dans l'espace. Mais le résultat n'est pas à la hauteur de la profession de foi de l'auteur, l'action et l'intrigue primant très largement sur la dimension hard science. Rien de déshonorant s'il n'y avait quelques détails qui dénotent un manque de rigueur : des incohérences dans le calendrier (p. 74) ; le module de survie désigné comme le « seul objet artificiel » sur la surface de Mars (dommage pour les nombreuses sondes déjà présentes et à venir d'ici 2015)… Surtout, il est totalement invraisemblable que, une fois sur place, l'équipage se pose la question de savoir qui va marcher le premier dans la poussière rouge, et si l'objet de la mission est la géologie martienne ou la recherche de vie fossile. Si l'on ajoute les imprudences commises par les membres d'équipage, on a en permanence l'impression d'avoir affaire à des amateurs.

OK, tant pis pour la rigueur… Mais quid du récit ? Las, Zubrin est peut-être un ingénieur brillant, mais c'est un piètre romancier. La psychologie des personnages relève de la littérature de gare : les protagonistes sont des poncifs sur pattes (le pilote chevronné est une tête brûlée, l'ingénieur mécanicien un garçon manqué, le Président est obsédé par sa réélection…) qui se réduisent à un ou deux traits de caractère. D'une manière générale, le style est plat (ainsi la description d'une émeute, expédiée en quelques paragraphes sans reliefs, à la manière d'un synopsis). Les phrases sont encombrées d'adverbes (« La biologiste surgit gracieusement du labo, […] puis retourna vivement à son travail »), d'adjectifs creux (Zubrin aime les « ravissantes jeunes femmes » aux « cheveux magnifiques » qui tapent sur leur clavier « à une vitesse fantastique » — sic). En ce qui me concerne, j'ai un faible pour le champagne qui « pétillait vigoureusement » (re-sic). Je n'ai pas consulté la version originale ; il est possible qu'une part de responsabilité incombe au traducteur, lequel a tout de même cru bon d'expliquer des termes tels que « Mach 30 », « 3 g », « MI-5 », « Gaïa », « holophotographie », voire des néologismes pourtant évidents comme « écogoth » (« écologiste tendance gothique, sans doute » — re-re-sic).

Si on commence à douter de l'intérêt du roman après une centaine de pages, On a marché sur Mars se barre complètement en sucette dans sa dernière partie, proposant simultanément ou presque une romance digne des éditions Harlequin, un happy-end dégoulinant (revenus sur Terre, trois des astronautes deviendront respectivement Président des USA, millionnaire et prix Nobel), ainsi qu'un hymne au drapeau américain et à l'esprit pionnier ayant donné naissance à la plus grande nation de la Terre (entre parenthèses, le récit USA-centriste n'aborde aucunement les réactions du reste du monde). Le fin du fin : l'équipage amerrit à… New York ! Au pied de la Statue de la Liberté ! !

Bref, on peut sans problème se passer de ce roman mal foutu à tous points de vue, à peu près du niveau des meilleurs bouquins de Robert J. Sawyer.

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