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La Trilogie climatique

Nous pourrions, comme il est d’usage, parler de chaque volume de la « Trilogie climatique » (ou Science in the Capital en VO, initialement « traduite » en Capital code en VF), mais les volumes qui la composent, parus à un an d’écart, ne peuvent s’apprécier individuellement.

De quoi s’agit-il ? Tout simplement d’une uchronie où le dérèglement climatique multiplie les catastrophes, et où le problème finit par être pris à bras le corps par la présidence des États-Unis, les organisations internationales, et jusqu’aux sociétés privées (dont les compagnies d’assurance et pétrolifères). Alors que les États-Unis sortent tout juste d’une présidence Trump qualifiable de folklorique, pour être indulgents, et que les différentes réponses à la pandémie mondiale de Covid-19 manquent de coordination et de logique (encore une fois, avec indulgence), cette trilogie semble relever d’une utopie optimiste plus que d’un récit catastrophique réaliste.

Elle représente en tout cas la quintessence de ce que Kim Stanley Robinson sait faire de mieux… et de pire. Le pire : ses personnages, souvent caricaturaux et définis par une ou deux caractéristiques dont ils ne varieront jamais, qu’importent les événements. En particulier Frank Vanderwal, biomathématicien misogyne à souhait qui ne mesure l’attraction des femmes qu’à l’aune de leur fertilité et qui – pour un scientifique – a un talent certain pour prendre toutes les mauvaises décisions possibles. Jugez-en : détaché à la NSF à Washington de son université de Californie pour un an, il va préférer vivre entre son van et une cabane dans un parc plutôt que louer un appartement ou habiter chez des collègues alors que la capitale américaine se remet d’une inondation gigantesque et connaît son hiver le plus rude et le plus long depuis la fondation des USA. Il se trouve embarqué dans une histoire d’espionnage et de guerre entre agences fédérales pour les beaux yeux d’une femme avec qui il a été coincé une demi-heure dans l’ascenseur. Et, malheureusement pour les lecteurs, ses déboires, qui pourraient fournir la matière à un Tom Clancy de bonne facture, n’ont que peu à voir avec l’intrigue principale de la trilogie. Si vous êtes allergique aux manœuvres politiciennes, vous allez également souffrir. Que ce soit pour l’élection de Phil Chase, sénateur démocrate de Californie et futur président, et pour l’installation de son administration, ou pour les différentes négociations entre les agences fédérales et internationales ou avec les universités ou acteurs du lobbying, Kim Stanley Robinson n’épargne aucun détail. En revanche, pour qui s’est régalé avec House of Cards, c’est un plaisir de suivre ces intrigues et ces retournements.

La réelle puissance de cette trilogie climatique est avant tout la science. Que ce soit les différentes conséquences du dérèglement climatique (à commencer par les Khembalais, réfugiés tibétains sur une île au large du Sri Lanka menacée par les eaux venus chercher de l’aide à Washington) ou les montages public/privé des différentes solutions envisagées pour en atténuer la vitesse, voire en inverser le cours, tout est détaillé et clairement expliqué. Jusqu’aux solutions d’apparence les plus fantasques (une flotte de super-tankers pour redémarrer le Gulf Stream), qui en acquièrent une certaine logique. La science va également se trouver dans les à-côtés : le sort des animaux du zoo de Washington, évadés avec l’inondation, et qui doivent désormais survivre dans une ville aux changements météorologiques marqués ; la psychologie de la petite enfance  ; ou les différentes méthodes de traçage des personnes et des biens. L’action et le souffle épique, tant dans l’ampleur des catastrophes que dans les résolutions du troisième volume, sont également au rendez-vous. KSR sait à la perfection mêler son discours politique et scientifique à ce qui reste d’abord une série de romans de science-fiction ayant pour but premier de distraire le lecteur, avant de l’amener à réfléchir sur le monde qui l’entoure, tout en gardant un point de vue très américano-centré. L’histoire seule dira si l’optimisme de 60 jours et après misant sur l’intelligence collective avait vu juste. Réponse dans une petite vingtaine d’années ?

A? noter que l’auteur a publie? en 2015 Green Earth, pre?sente? comme une version de la trilogie « mise a? jour et condense?e en un seul roman ». [NdRC]

Chroniques des années noires

« Dark Ages » : l’expression anglaise, désignant le plus souvent le Moyen-Âge, est d’une non-neutralité maintenant reconnue, les années qui séparent l’Antiquité tardive de la Renaissance en Europe n’ayant rien de sombre, au contraire de ce que l’on pensait volontiers jusqu’au début du XXe siècle. On s’étonnera donc ici du titre français du présent roman : après tout, The Years of Rice and Salt – « Les années de riz et de sel » — a pour qualité de ne pas évoquer d’emblée un récit au contenu sinistre…

Point de divergence de cette uchronie, l’Europe n’y a pas surmonté l’épidémie de peste bubonique, dite « noire », des années 1340, les États s’y effondrent et disparaissent, et les populations elles-mêmes s’éteignent. L’or des Amériques ne vient pas nourrir la puissance européenne – en alimentant son économie par le truchement des guerres espagnoles contre la Réforme protestante et la France au XVIe siècle. À la place, les civilisations maintenant dominantes du Vieux Monde – l’une organisée par une loi religieuse, celle de l’Islam, l’autre par une bureaucratie tentaculaire, celle de la Chine – ont le champ libre pour leur propre confrontation. Écrit en 2003 (sept ans après Le Choc des civilisations de Samuel Huntington, donc, et deux après les attentats contre le World Trade Center), Chroniques… pourrait se laisser interpréter de prime abord comme un roman à thèse apportant par quelque bizarre moyen sa contribution à un édifice controversé.

Au deuxième abord, toutefois, la construction littéraire de cette uchronie vient montrer que cette conclusion triviale ne serait pas la bonne. Ces Chroniques… ne constituent en aucun cas des textes autonomes, puisque leurs personnages majeurs, malgré les six siècles de temps qu’elles couvrent, sont à chaque fois les mêmes : B. tout d’abord, l’individu prudent et routinier ; mais aussi et surtout K., son partenaire ambitieux et brillant jusqu’à l’incandescence. Représentés à chaque époque visitée par des incarnations différentes, changeant de nom (mais jamais d’initiale) comme de sexe ou de condition, ces deux personnages portent en réalité la vision de l’auteur pour qui l’Histoire est pétrie d’humanité plus que de grands hommes. L’un des arguments de ce roman est le sort fait aux femmes, en terre d’islam comme en terre chinoise, et le mouvement irrésistible qu’elles font vers une libération de la tutelle patriarcale ; son schéma consiste à montrer que les idées de démocratie représentative et de gestion internationale ne sont pas l’apanage de la pensée européenne, mais plutôt la conséquence des conflits entre cultures. À ce titre, on pourrait presque entendre Chroniques des années noires comme un anti-Choc des civilisations !

Si l’uchronie questionne toujours l’Histoire (et révèle aussi le profond désir de l’être humain d’y trouver un sens), le présent roman le fait en construisant un système cohérent dans les trois dimensions : géographique, ce qui transparaît par exemple avec les cartes qui introduisent chaque nouvelle chronique ; temporelle, où la chronologie réelle finit par se paralléliser avec celle des chroniques – au prix, parfois, de quelques libertés littéraires telles que la présence d’un seul très long conflit mondial plutôt que deux plus courts ; et humaine, enfin. On pourra regretter que cette dernière dimension soit soutenue par l’irruption d’une forme de transcendance, dont les implications spirituelles sont susceptibles d’agacer le lecteur – que l’on croie ou non à la réincarnation, sa répétition en tant qu’argument littéraire finit par ressembler d’un peu trop près à un procédé – mais cela ne remet pas en question la solidité de l’ensemble. À ce titre, Chroniques des années noires est un roman important : de ceux qui portent une certaine idée de l’humanité.

Trois Californies

Publiée aux États-Unis entre 1984 et 1990, la trilogie californienne de Kim Stanley Robinson (KSR) a pour particularité de proposer trois visions radicalement différentes d’un même lieu : le comté d’Orange, cette région de la Californie où l’auteur a grandi dans les années 50 et 60, et qu’il a vue se transformer au fil des ans, renonçant progressivement à ses terres agricoles pour accueillir une population citadine sans cesse croissante. Situés une cinquantaine d’années dans le futur, ces trois romans appartiennent chacun à un genre différent : post-apocalyptique pour Le Rivage oublié, ultra-technologique avec La Côte dorée, utopique, enfin, dans Lisière du Pacifique.

Dans Le Rivage oublié, les USA n’existent plus. Toutes ses grandes villes ont été rasées lors d’une attaque nucléaire, et le pays, ou ce qu’il en reste, est isolé du reste du monde, ses frontières surveillées par des forces armées dont on devine la présence sans – presque – jamais les voir. Ne subsistent désormais que de petites communautés revenues à un âge pré-industriel, comme dans la vallée d’Onofre, située en bord de mer au sud du comté d’Orange, quelques dizaines de personnes vivant de la pêche, de l’agriculture et du troc, notamment avec les récupérateurs, qui cherchent parmi les ruines radioactives de l’ancien monde tout ce qui peut encore avoir de la valeur. Tel est le monde où Henry et ses amis grandissent, un monde leur offrant peu de perspectives de changement. Jusqu’au jour où arrivent dans leur village des envoyés de San Diego, ville qui, petit à petit, a su se reconstruire, et offre désormais à ses voisins de s’unir pour enfin lutter contre leurs ennemis invisibles et faire renaître la grandeur légendaire des États-Unis d’Amérique.

Le Rivage oublié est un roman lent, dans lequel Kim Stanley Robinson prend le temps de donner corps à son univers et à ses personnages qu’il accompagne dans leur quotidien le plus banal. À travers leur histoire, dont celle de Tom, le doyen du village, centenaire qui a connu le monde d’avant, il s’interroge sur son pays, ce qui a pu le conduire à une fin aussi terrible, et donne à voir différentes voies possibles dans lesquelles s’engager. Aucun des personnages adolescents qu’il met en scène n’envisage les choses de la même manière, qu’ils souhaitent passer à l’action coûte que coûte ou au contraire optent pour une position plus pondérée, mais tous ont en commun ce besoin de changement propre à leur âge. Pour Henry, le protagoniste, ce besoin passera in fine par le biais de l’écriture, comme en écho aux motivations du jeune romancier qu’est encore Kim Stanley Robinson à cette époque.

Le parcours de Jim McPherson, le héros de La Côte dorée, est par certains côtés assez similaire à celui de Henry, quand bien même le monde dans lequel il vit se situe aux antipodes du précédent. Le comté d’Orange s’est ici transformé en une mégapole grouillante de vie, s’étalant dans toutes les directions, y compris en altitude, dans une superposition démente de voies autoroutières. Issu d’une famille aisée, Jim semble avoir tout pour être heureux. Il ne l’est pas. Professeur d’anglais à temps partiel pour des étudiants qui s’ennuient autant que lui, il passe ses nuits à effacer ses journées dans des fêtes répétitives où se mêlent sexe, drogue et alcool. Ce mouvement perpétuel ne peut au mieux que lui faire oublier pour un temps la vacuité de sa vie, jusqu’au jour où il entre en contact avec un mouvement politique contestataire qui propose de mener des actions de sabotage contre le complexe militaro-industriel – dans ce roman, la guerre froide entre USA et URSS est au moins aussi vivace qu’au moment de sa rédaction. S’agit-il pour Jim d’une manière légitime de transformer le monde, ou n’est-il qu’un pion dans un affrontement dont il n’est pas apte à mesurer les enjeux ?

Sur la forme, La Côte dorée est un roman plus ambitieux que le linéaire Rivage oublié. Robinson suit en parallèle le parcours de différents protagonistes, lesquels vont se croiser plus ou moins régulièrement, et boucle son récit par un événement qui aura des répercussions sur tous les personnages, quand bien même aucun d’entre eux, contrairement au lecteur, n’est en mesure d’appréhender la situation dans sa globalité. Il est à noter que les deux romans ont un personnage en commun, ou du moins deux incarnations différentes d’un même individu : Tom, le vieux sage, devenu ici le résident d’une maison de retraite où sont envoyés pour y être oubliés tous ceux qui ont passé l’âge d’être utiles à la société. Un double destin qui vient souligner davantage tout ce qui oppose les deux univers. Notons au passage qu’on rencontrera une troisième itération du personnage dans le roman suivant, cette fois pour souligner combien, dans ce monde utopique, les différences d’âge entre individus n’ont plus lieu d’être.

Une fois encore, comme dans Le Rivage oublié, c’est de l’écriture, et plus encore de la redécouverte de l’histoire du monde dans lequel il vit, que viendra la rédemption du héros. Ce besoin essentiel de raconter d’où nous venons pour comprendre où nous sommes aujourd’hui, et vers quel avenir nous nous dirigeons.

Dans l’idéal, cet avenir serait celui de Lisière du Pacifique, ultime volet de cette trilogie, et le plus enthousiasmant des trois futurs que nous propose Kim Stanley Robinson. L’action se situe à El Modena, toujours dans le comté d’Orange, et donne à voir une société harmonieuse basée sur le recyclage, l’économie collaborative et la sobriété énergétique. Aux marges, on retrouve certes quelques nostalgiques de l’ancien monde, toujours prêts à chercher dans les failles du système le moyen de le contourner, mais cette société offre à ses citoyens les armes pour les affronter.

On suit donc le parcours de Kevin Clairborne, architecte nouvellement élu à la municipalité d’El Modena, et qui va déceler dans la volonté du maire de remettre en question le statut d’une zone protégée des motivations moins innocentes qu’elles n’en ont l’air. Une intrigue qui laisse toute la place au romancier pour développer son univers et raconter le quotidien de ses protagonistes, fait de balades dans la nature, de matchs de softball et de relations amoureuses plus ou moins heureuses.

KSR sait à quel point il est difficile, voire impossible, de donner à une utopie une dynamique dramatique. Plutôt que de remettre en question les fondements de cet univers, ce qui n’est pas son objet, il choisit de mettre son récit en parallèle avec un second, un futur proche cauchemardesque qui pourtant, comme on le découvrira en fin de compte, contient les germes de cet avenir rêvé.

D’un point de vue romanesque, Lisière du Pacifique reste la plus faible des trois œuvres, ce qui explique sans doute qu’il aura fallu attendre plus de trente ans avant de la lire en France. Conscient de ses faiblesses, Kim Stanley Robinson choisit de s’en amuser dans une scène finale qui finit, si c’était nécessaire, de nous rendre ce livre aussi attachant que précieux.

Escape from Kathmandu

Mysticisme, cryptozoologie, royaumes souterrains… Voilà bien des thèmes qu’on n’imaginait guère retrouver dans l’œuvre du très sérieux Kim Stanley Robinson, et qui figurent pourtant en bonne place dans Escape from Kathmandu, roman composé de quatre novellas (les trois premières ont été publiées entre 1986 et 1989 dans Asimov’s Science Fiction Magazine) dont l’action se déroule au Népal. C’est là, et plus précisément à Katmandou, que se rencontrent deux expatriés américains, George Fergusson et George « Freds » Fredericks, deux personnalités qui n’ont pas grand-chose en commun mais se retrouvent embringués dans une aventure rocambolesque… avec un yeti. Car oui, l’abominable homme des neiges existe, sauf qu’il n’est pas abominable pour un sou, il est même fort aimable, et qu’il serait dommage qu’une expédition scientifique mette en danger son mode de vie champêtre en révélant son existence au monde entier. Par la suite, George et Freds ne vont plus se quitter (au grand désespoir du premier, victime collatérale systématique des enthousiasmes forcenés et des idées pas toujours lumineuses du second), partant à la recherche des corps de deux alpinistes ayant tenté l’ascension de l’Everest dans les années 20, essayant d’empêcher la construction d’une route dont le tracé passe par la légendaire vallée de Shangri-La, et celle d’un réseau d’égouts à Katmandou qui mettrait à jour l’existence d’un réseau souterrain secret.

On le voit, Escape from Kathmandu est avant tout une comédie, registre plutôt inhabituel pour son auteur. Dans un premier temps, on ne le sent d’ailleurs pas très à l’aise dans cet exercice, et certaines scènes au potentiel comique évident, comme cette improbable rencontre entre le yeti et l’ancien président US Jimmy Carter, ne fonctionnent guère. Il faut attendre la seconde moitié du livre pour que l’auteur exploite pleinement le potentiel humoristique de ses récits, en particulier grâce à des dialogues savoureux.

L’autre intérêt de ce roman est le regard que porte l’auteur sur le Népal, pays qu’il a eu l’occasion de visiter quelques années plus tôt. Là encore, l’évolution est nette au fil des récits. Si dans un premier temps il en donne une vision qu’on qualifiera de touristique, il s’intéresse ensuite de plus près à la société népalaise, le mode de vie de ses habitants, sa culture, mais aussi ses éléments moins glorieux, qu’il s’agisse de la pauvreté dans laquelle vit une grande partie de la population ou de la corruption endémique de son administration.

On pourra sans doute qualifier Escape from Kathmandu de roman mineur dans l’œuvre de Robinson. Il ne s’en dégage pas moins un charme évident, et il permet de découvrir une facette inattendue mais attachante de son auteur.

A Short, Sharp Shock

Écrit entre ses trilogies californienne et martienne, A Short, Sharp Shock est un texte atypique dans l’œuvre de Kim Stanley Robinson, son unique (court) roman de fantasy. Une fantasy qui ne doit rien aux stéréotypes du genre et qui accumule les visions incongrues, surréalistes, mais qui ne parvient jamais à offrir davantage au lecteur que son étrangeté.

L’histoire est celle d’un homme sans nom, amnésique, rejeté par les vagues sur les rives d’un monde dont il ne sait rien. Il n’est pas seul : une femme, anonyme elle aussi (et jamais appelée autrement que « la nageuse »), se trouve à ses côtés. Mais elle disparaît très vite, capturée par une tribu de guerriers et promise à être sacrifiée. L’homme se lance alors à sa recherche, avec l’aide de créatures à l’apparence presque normale, si l’on fait abstraction des arbustes fruitiers poussant sur leurs épaules. Ce ne sont que les premiers d’une série de personnages plus ou moins bizarroïdes dont notre homme va croiser le chemin au fil de ses pérégrinations.

On ne peut pas dire qu’on s’ennuie à la lecture de A Short, Sharp Shock. En perpétuel mouvement, le récit nous conduit d’une découverte et d’une rencontre à l’autre, au milieu d’un décor de bord de mer sauvage, grandement inspiré à Robinson par un voyage qu’il fit dans les îles grecques quelques années plus tôt. Pourtant, malgré la beauté des descriptions, toute cette animation s’avère bientôt assez vaine. La faute, en premier lieu, à un personnage principal falot, creux, qui se laisse porter par les événements tout du long sans jamais faire montre d’une once de personnalité, et n’affichant guère plus de motivations perceptibles à son périple permanent. De même, le regard qu’il porte sur ce monde inconnu et ses habitants ne parvient pas à faire naître chez le lecteur le moindre émerveillement, la moindre émotion. Surtout, le récit souffre d’une absence de cohérence et d’enjeux forts. Robinson semble avoir écrit son roman au fil de l’eau, sans jamais réussir à en faire autre chose qu’une collection d’images à l’agencement aléatoire et à la signification nébuleuse, faisant finalement de A Short, Sharp Shock un récit aussi singulier que raté.

Le Rêve de Galilée

1609 : un étranger informe Galilée de l’existence, loin au Nord, d’une lunette à deux lentilles qui grossit les objets. Cet événement sera le déclencheur d’une épopée dont les échos résonnent encore aujourd’hui.

3020 : des hommes occupent plusieurs lunes de Jupiter ; l’exploration des profondeurs d’Europe conduit à une lutte sans merci entre différentes factions.

Ici, KSR nous projette avant tout dans la vie du savant italien. Il en présente, avec beaucoup de rigueur, le contexte compliqué – scientifique, politique et historique. Le roman entremêle une ligne science-fictionnelle plus classique, riche de descriptions majestueuses du système jovien et d’aventures trépidantes au cœur de ses lunes, mais non sans quelques infodumps et analyses psychologiques, épistémologiques et historiques. C’est bien entendu en regardant à travers une lunette que Galilée passe d’un univers à l’autre.

En nous faisant entrer dans l’intimité de l’astronome, Robinson livre une vision du personnage bien éloignée du mythe – et peu sympathique. Pour obtenir ce qu’il estime lui être dû, le grand homme n’hésite pas à sacrifier ses deux filles, qu’il contraint à une vie de misère comme nonnes dans un couvent sans terre – ce qui conduira d’ailleurs l’une d’elles à la folie. De même, à son départ de Padoue, il abandonne à son sort Mazzoleni, l’artisan aux doigts d’or à qui il doit tant de dispositifs. Rien ne compte que ses grands projets, peu importe les dommages collatéraux.

Il n’en demeure pas moins que l’on s’attache à ce Galilée certes imbu de lui-même (« Si j’ai vu moins loin que d’autres, c’est que j’étais debout sur les épaules de nains »), mais animé par une sincère et profonde volonté de comprendre le monde. KSR excelle dans la reconstitution des expériences menées par Galilée et la démarche novatrice qu’il utilise dans son atelier. À un détail près toutefois, mais de taille : la restitution du moment où une nouvelle compréhension d’un phénomène surgit, rendue par un simple son de cloche dans la tête, façon Tex Avery. Les aventures joviennes du physicien apparaissent alors avant tout comme un prétexte à un guidage du lecteur dans sa compréhension des enjeux épistémologiques et politiques. Que se joue-t-il avec sa revendication de la démarche expérimentale et des mathématiques comme outils pour explorer le monde ?

Et ça marche, même si Robinson passe à côté de l’apport essentiel de Galilée à la physique, le principe de relativité du mouvement, assimilant même physiques newtonienne et galiléenne (alors même qu’en posant un temps et un espace absolu, Newton balaye le principe galiléen de relativité ; il faudra attendre Mach, Poincaré, et finalement Einstein, pour qu’un principe de relativité plus général soit enfin de nouveau formulé). À sa décharge, c’est là un aspect de l’histoire des sciences trop peu connu et encore moins enseigné.

En dépit d’épisodes SF qui sonnent parfois un peu creux, les rencontres de Galilée sur les lunes de Jupiter avec deux femmes fortes, Aurore et Héra, sont autant de moments réjouissants de confrontation de modes de pensée différents et de réflexion sur la condition féminine. L’affection évidente de Robinson pour son astronome un peu dépassé par ces personnalités marquantes est contagieuse.

Ce roman offre un remarquable aperçu, très documenté, de la vie de Galilée comme de son époque. Il nous invite à ne pas oublier que « Nous sommes des créatures culturelles, et ce que nous prenons pour des émotions spontanées et naturelles est en réalité formé par un système culturel qui évolue avec le temps ». Quoi de mieux pour cela, après s’être plongé dans Le Rêve de Galilée, qu’une lecture de ses textes originaux, encore très accessibles et surtout très beaux ?

The Ministry for the future

Alors que KSR était déjà considéré comme le roi de la climate fiction, il manquait à sa couronne un joyau, l’équivalent de ce qu’est la « Trilogie martienne » au planet opera. Puis vint The Ministry for the Future : l’œuvre ultime, indépassable. Parfaite ? Pas si sûr…

Le roman s’ouvre au début des années 2020, alors qu’une vague de chaleur hors-normes cause vingt millions de morts en Inde – autant que la Première Guerre mondiale en à peine une semaine. Frank, un humanitaire US, n’y survit que de justesse, et en ressort traumatisé et radicalisé, décidé à refuser l’inaction des instances internationales. Et justement, alors que l’Accord de Paris a brassé beaucoup d’air mais produit peu d’action, il est décidé d’en créer une branche « exécutive », surnommée le Ministère pour le Futur, dirigé par Mary, qui doit tout mettre en œuvre pour inverser le changement climatique et une extinction de masse comme on n’en a plus vu depuis le Permien. Sur le plan légal et diplomatique, mais pas seulement. Car il existe un ministère à l’intérieur du ministère, qui n’hésite pas à recourir aux attentats sous faux pavillon, aux assassinats ciblés et à l’écoterrorisme s’il le faut.

Alors que la majorité de la cli-fi est post-apocalyptique, KSR part du futur très proche et montre les efforts faits pour stabiliser puis inverser le changement climatique. Son approche est réaliste sur le plan scientifique, plus contestable sur le plan sociétal : si Robinson se prénomme Kim et pas Greta, et qu’il comprend donc bien que l’industrie ou les banques centrales ne peuvent être écartées d’un revers de la main, même avec le recours massif à l’écoterrorisme et une juteuse carotte (une monnaie carbone garantie cent ans, dans laquelle il est pertinent d’investir), il faut avouer que sa lecture des trente années à venir frôle parfois l’utopie, tant certains changements s’opèrent avec une rapidité et une absence de résistance (notamment dans une société aussi rigide que celle de l’Inde) qui nécessitent une certaine suspension d’incrédulité.

Et le fond n’est pas le seul à poser un problème potentiel : si le récit est en partie un roman classique suivant Mary et Frank, il est aussi éclaté en une multitude de points de vue ponctuels (anonymes, à la première personne, et pour la plupart non-récurrents) donnant une vision internationale et à hauteur d’homme des problèmes et de leurs solutions. Aussi, certains points de vue, d’un photon ou d’un atome de carbone, sont vraiment très… particuliers. Si on ajoute à cela une variété, disons sauvage, de styles (du poème au compte-rendu de réunion en style télégraphique), un déballage d’infos massif sur l’Histoire et la théorie de l’économie, un rythme très fluctuant, et une alternance de passages très arides avec ce qui est sans doute à ce jour le roman de l’auteur générant le plus d’empathie pour ses personnages, force est de conclure que, si l’érudition de l’ensemble est, comme toujours chez KSR, admirable, oui, clairement, The Ministry for the Future est le roman cli-fi ultime, oui, c’est un chef-d’œuvre, mais il ne s’agit certainement pas d’un livre apte à plaire à tous les publics.

Les Menhirs de glace

Deuxième roman publié par Kim Stanley Robinson, Les Menhirs de glace est en fait un fix-up composé de deux novellas antérieures, « To Leave a Mark » (qui correspond à la première de ses trois parties), et « On the North Pole of Pluto » (qui forme la troisième). On peut remarquer que cette œuvre précoce de KSR préfigure certains des joyaux de sa bibliographie : la partie centrale ressemble beaucoup à ce qui sera bien plus développé dans la « Trilogie martienne » dix ans plus tard, tandis que la première s’interroge sur les équilibres chimiques et écologiques que devra atteindre un vaisseau interstellaire pour réussir son voyage, thématique abordée plus amplement dans Aurora, trente ans après Les Menhirs de glace.

KSR part du principe que l’Homme a développé un traitement lui permettant de vivre mille ans, mais que le cerveau ne suit pas : ne sont accessibles que les souvenirs correspondant à l’espérance de vie naturelle, ceux du dernier siècle, en gros. Les autres sont soit effacés, soit enfouis, et ne ressurgissent qu’occasionnellement et involontairement. Les gens rédigent donc des autobiographies, s’adressant à leur « Moi » futur qui a tout d’une autre personne. Le roman nous présente trois de ces récits : le premier concerne Emma Weil, spécialiste en systèmes de support de vie, à qui deux anciens amis demandent son aide pour les aider à rendre viable leur astronef interstellaire (le premier de son genre) secret. Réticente, elle finit par accepter puis rentre sur Mars, où une Révolution éclate contre les Corporations et l’État policier inféodé à la Terre qui les chapeaute. Avant son départ de la nef interstellaire, elle aperçoit les plans d’une structure circulaire. Étrangement, bien qu’écrite après la troisième partie, cette ouverture souffre d’un style moins abouti.

Le second récit, trois siècles plus tard, met en scène Hjalmar Nederland, archéologue martien qui vient enfin d’obtenir l’autorisation gouvernementale de fouiller les sites des villes rasées pendant la Sédition. Sauf que ses découvertes contredisent le récit officiel selon lequel ces cités auraient été détruites par les rebelles. Lors de ses fouilles, il exhume le journal d’Emma, et quand un cercle de « menhirs » de glace, surnommé Icehenge, est découvert au pôle nord de Pluton, il fait le lien avec la structure circulaire mentionnée dans l’auto- biographie. Cette partie pré- sente de si nombreux points communs avec la « Trilogie martienne » qu’on peut presque la considérer comme un brouillon du cycle.

L’ultime récit est celui d’Edmond Doya, arrière-petit-fils de Hjalmar, qui remet en cause non seulement certaines des découvertes et théories de son ancêtre, mais qui jette aussi le doute sur le caractère fiable des narrateurs ou des événements relatés dans les deux parties précédentes, pensant qu’il s’agit en fait d’une mystification. Tout comme le récit de Hjalmar, celui d’Edmond s’interroge sur la manipulation et la réécriture de l’Histoire, que ce soit par des gouvernements ou de riches individus, et sur notre tendance à ne voir que les « faits » que nous désirons voir.

En cette époque d’infox et de narratif plaqué artificiellement sur la réalité objective, Les Menhirs de glace reste un roman fort pertinent et intéressant, malgré ses presque quarante ans d’âge.

Lune Rouge

Lorsque l’auteur de la « Trilogie martienne » sort un roman consacré à la Lune, les attentes ne peuvent être qu’élevées…

Si Robinson met au centre de cette colonisation la Chine, qui domine le pôle Sud de l’astre alors que toutes les autres nations, Américains y compris, s’entassent au pôle Nord, la colonie sélène n’est pas vraiment le point focal du récit. Car c’est en fait d’une anticipation du futur proche (2047) de la Chine dont il s’agit, et pas vraiment d’un planet opera comme Mars la rouge et ses suites. L’intrigue est centrée sur une nouvelle révolution chinoise, révolution qui vise à changer une nation introvertie, autoritaire, mono-culturelle, patriarcale, à la faire passer sous le règne de la Loi et pas du Parti. Un bouleversement concomitant à une crise financière aux États-Unis qui impulse un de ces nouveaux modes de gouvernement dont KSR est friand (ici, la notion de gouvernance par blockchain, sorte de démocratie hyper-directe où toute action officielle est contrôlable en permanence par le peuple). L’auteur montre d’ailleurs toute l’interdépendance économique entre les deux pays.

Et en profite pour décrire une Chine avec une citoyenneté à points, 500 millions de « migrants internes » illégaux horriblement exploités (vous êtes supposé travailler là où vous êtes né), une société de l’hyper-surveillance et de la dénonciation omniprésente, mais où le grand œil est à facettes, chacune étant contrôlée par un groupe militaro-sécuritaire différent, dans une balkanisation obscène de la « sécurité ». D’ailleurs, même au sein du Politburo, et alors que la succession du Président actuel est devenue inévitable, les factions sont innombrables, et en lutte d’influence féroce entre elles. Le conflit s’exportant sur la Lune, où, malgré le traité en vigueur, les militaires ont de plus en plus d’influence, et où les revendications territoriales, elles aussi interdites, pointent leur nez quand un vaisseau américain installe une base provisoire au pôle Sud.

Sur le papier, tout cela est alléchant, surtout connaissant l’intelligence et l’érudition de KSR. Hélas, on ne peut qu’être déçu : ce qui est décrit de la colonisation est assez maigre, peu crédible en termes de calendrier, même sachant la puissance de production chinoise, capable de faire sortir de terre d’énormes infrastructures en un temps ridiculement court, et même avec des robots et des imprimantes 3D. De plus, certaines solutions techniques posent question. Enfin, on a le net sentiment que le propos n’est pas centré sur les Chinois sur la Lune en 2047, mais sur les Chinois en 2047 tout court.

Ensuite, sur le plan littéraire, Lune rouge est à l’image de la production récente de KSR (sans atteindre le niveau catastrophique de 2312), c’est-à-dire grevé de multiples problèmes : lourd déballage d’infos, longueurs excessives, rythme mal maîtrisé, fin abrupte, soucis de crédibilité, deux des trois protagonistes qui sont ou falot, ou monodimensionnel, multiplicité de thématiques pas toujours assez développées, etc.

Ces deux aspects cumulés font que Lune rouge n’est pas à la hauteur de ce que KSR a jadis proposé. Surtout, sur un aspect strictement lunaire, le roman n’est pas non plus au niveau de ce que d’autres écrivains ont récemment produit, à commencer par Ian McDonald et son cycle « Luna », qui, tant sur le plan SF que littéraire, bat en l’espèce Robinson à plate couture.

L'Enterrement des étoiles

Les éditions Mnémos se font fort de bichonner leurs primo-romanciers et de dénicher des textes à l’atmosphère rare et à la plume singulière. L’Enterrement des étoiles est conforme à cette ambition : un titre poétique et une incroyable illustration de couverture signée Felix Abel Klaer.

Christophe Guillemain propose ici un récit de fantasy plutôt sombre et présente un univers à la cosmogonie soigneusement élaborée. Les étoiles n’illuminent plus le ciel nocturne de ce monde à l’agonie, même la Lune et le Soleil ont perdu de leur éclat. Dans cette ambiance de fin des temps, seul le sentiment religieux parvient encore à maintenir un semblant d’ordre au sein des populations désœuvrées. Tout est ainsi réuni pour mettre en scène un thème récurrent au genre, celui de la prophétie. D’où la crainte d’une certaine redondance, mais Christophe Guillemain s’en joue allègrement. Car si tout semble avoir été orchestré par avance, l’auteur ne tranche jamais réellement les questionnements de ces personnages sur le caractère irrésistible de ce qui leur arrive. Le mystère est par ailleurs bien aménagé par la répartition de la narration entre les différents protagonistes, dont les parcours convergent vers le théâtre d’évènements décisifs censé leur apporter des réponses. Ainsi l’auteur propose une trame sans ambition démesurée, mais tout à fait efficace : chaque étape apporte au lecteur une pièce supplémentaire de l’ensemble, et le fait cheminer sans encombre vers son dénouement.

On regrettera une certaine faiblesse dans l’écriture des personnages, défaut que l’auteur doit en partie à la volonté d’en mettre plusieurs sur le même plan. Un choix défendable, si l’on estime que ce que Christophe Guillemain perd en empathie pour ses protagonistes, il le gagne en équilibre dans le développement de l’intrigue, au sein de laquelle tous ont un rôle décisif à jouer. Et force est d’admettre qu’il tire pleinement partie de ce dernier aspect en faisant valoir et se confronter des points de vue fort différents, sans être nécessairement concurrents. Guillemain délaisse donc la sempiternelle dichotomie opposant gentils et méchants pour exposer les divers intérêts que chacun s’évertue à défendre.

Le final, fidèle au souci d’efficacité, apporte toutes les réponses aux questions posées. L’Enterrement des étoiles fait ainsi partie de ces récits au terme desquels aucun mystère majeur ne demeure. D’aucuns, amateurs de la sensation de ne faire qu’effleurer quelque chose de beaucoup plus grand que ce qu’on leur donne à voir, resteront sur leur faim ; d’autres apprécieront au contraire le voyage pour ce qu’il est, une lecture sans prétention mais à l’atmosphère tout à fait unique qui mérite que l’on s’y attarde.

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