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Autoportrait en vert

« Me revient alors l’inquiétant souvenir d’une femme en vert, au temps de l’école maternelle. Cette grande femme brutale et carrée nous promet à tous la prison si nous mangeons trop lentement, si nous salissons nos vêtements, si nous ne levons pas les yeux vers les siens. Elle a les yeux verts, elle leur assortit ses longues jupes à carreaux et ses chandails à col roulé. Elle faisait planer dans l’école une atmosphère d’épouvante. Elle emporte quelques enfants vers un couloir sombre en jurant qu’au bout se trouve la prison, et des cris de terreur résonnent tandis que s’éloignent la femme massive et ses petits prisonniers coincés sous ses manches vertes. On ne revoit jamais les enfants. » (Page 15.)

Objet littéraire non identifiable, histoire de fantôme(s) dans une France des années 2002-2003 où l’eau monte, où les gens ne sont plus ceux qu’ils étaient et où on compte un nombre visiblement anormal de bananiers, Autoportrait en vert est une réussite stylistique indéniable, un de ces livres meublés de quotidien inquiétant que l’on a envie de définir comme « kafkaïens ». Autoportrait en vert n’est peut-être pas le meilleur ouvrage pour aborder l’univers décalé de Marie Ndiaye (notamment très remarquée en 1996 suite à la parution de son excellent roman La Sorcière aux éditions de Minuit), néanmoins voilà un texte foncièrement déconcertant, à la confluence brutale de la « grande » littérature et des littératures de l’imaginaire. Si Henry James avait vécu de nos jours, il aurait probablement écrit Autoportrait en vert ou quelque chose d’approchant. Et par la grâce du commentaire de Patrick Kéchichian du Monde, je me permets de mettre un point final à cette notule : « C’est d’un doigt de fée que Marie Ndiaye désigne le désastre. »

Le Phénix vert

« Pour Mellone la dryade, la vie s'annonçait paisible : son arbre, ses abeilles, un jour sans doute, un enfant après une nuit passée dans l'Arbre divin. Mais la forêt bruisse soudain d'une terrible nouvelle : Énée, le tueur de femmes, le parjure, le monstre assoiffé de sang, vient de débarquer sur les côtes. Comme toutes ses sœurs, Mellone a juré devant sa reine la perte de l'envahisseur… » Voilà un début de quatrième de couverture qui pose tout à fait l'histoire du Phénix vert, à une exception près, Mellone est une sacrée coquine qui est fort attirée par ceux qu'elle devrait haïr : Enée, le père, et son fils, Phénix, qui pour le malheur de tous a tué par erreur le centaure Caracole en le confondant avec un daim.

J'avais découvert Thomas Burnett Swann en lisant son inoubliable novella « Le Manoir des roses » (version roman à paraître au Bélial') ; puis je l'avais redécouvert avec sa fort recommandable Trilogie du minotaure (le Bélial' — récemment réédité en poche chez Folio « SF »). Le Phénix vert rappelle beaucoup cette dernière œuvre ; il s'agit d'une jolie fantasy, cruelle, un brin érotique (mais aucunement pornographique), mettant en scène les Hommes, toujours prêts à tuer et chasser, et nombre de créatures du folklore méditerranéen : dryades, faunes, centaures, harpies… Le roman (pages 7 à 166) est suivi d'une novella, d'un article de l'auteur et d'une postface d'André-François Ruaud (le tout de très bonne tenue). À noter la jolie traduction de Patrick Marcel, qui rend très bien le style doré et argenté de ce grand monsieur de la fantasy américaine qu'était Thomas Burnett Swann (malheureusement décédé en 1976). Remarquons pour finir que l'objet-livre est inattendu mais plutôt séduisant (à dire vrai, trop pour être commercial) ; ce qui est de plus en plus rare de nos jours…

Enchanteur.

Fiction T1

Le moins que je puisse confesser, pour commencer cette recension que j'espère la plus sincère et la plus complète possible, c'est que j'ai été plutôt étonné et très déçu quand j'ai ouvert l'enveloppe des Moutons électriques éditeur qui contenait le nouveau Fiction, c'est à dire l'exemplaire number one de la résurrection de la plus mythique des revues d'imaginaire du paysage français. En quelques secondes à peine, nombre d'adjectifs me sont venus à l'esprit : marron, carré, austère, anti-commercial, hideux… Rien de très positif, d'autant plus que la carte kraft utilisée pour la couverture me rappelait furieusement celle de la littérature blanche chez Denoël (à juste titre, c'est exactement la même) et que le motif d'engrenages de la première de couverture n'avait de cesse de m'évoquer la propagande marxiste-léniniste de la fin des années vingt, ce qui est pour le moins peu flatteur (mais qui a dû pas mal faire marrer Fritz Lang, le papa de Métropolis, où qu'il se trouve). Mais bon, quand on achète une boîte de foie gras, on ne mange pas l'emballage métallique… Ouvrons donc l'objet, si vous le voulez bien, et intéressons-nous — aaaargh ! — à la mise en page intérieure. Une ligne veuve page 5, des lignes trop longues pour les fictions, des marges trop étroites, des caractères parfois trop petits (pour mes yeux de trentenaire DVDphage), des photos « sans rapport avec l'objet » pour illustrer les textes, des dialogues où les guillemets s'ouvrent et se ferment n'importe comment… Bon, ça ressemble plus à une revue d'architecture des années cinquante qu'à une revue de SF/fantasy moderne… La Poste se serait-elle fourvoyée, acheminant jusqu'à ma boîte aux lettres par mégarde « Intérieurs postmodernes ; pour en finir avec les appartements haussmanniens » à la place de Fiction ? Rapidement, l'introduction, fort bonne au demeurant, empêche tout doute de planer.

« … Nous désirons que Fiction soit une revue ouverte, qui publie certes de la science-fiction et de la fantasy, mais aussi du fantastique, de l'étrange, de l'inquiétant, de l'insolite et beaucoup d'autres textes plus ou moins classables. En tâchant d'éviter l'orthodoxie et l'intégrisme qui, comme le crime, ne paient jamais. Parce que l'orthodoxie est mauvaise conseillère, parce que l'intégrisme est le censeur des plaisirs. » pages 6-7.

Après cette profession de foi, tout à fait sympathique et par moments brillante, je me suis plongé dans le premier texte du volume : « Jusqu'à la pleine lune » de Sean McMullen, un auteur qui jusque-là avait eu tendance à me hérisser le poil, et qui, à ma grande surprise, s'en sort ici admirablement bien en nous proposant une histoire d'amour entre une jeune femme préhistorique tombée d'on ne sait où, Els, et un linguiste espagnol engagée pour communiquer avec elle. Très bon texte, très bonne traduction de Laurent Queyssi. Suivent trois vignettes de Jim Dedieu (un pseudo de David Calvo ?) dont le seul intérêt est la résonance toute burroughsienne de leur rhétorique, ainsi que deux nouvelles francophones et souterraines de Roland Fuentès et Alex Nikolavitch qui, à mon humble avis, sont certes bien écrites mais ne racontent absolument rien de palpitant. Avec « Création » de Jeffrey Ford, on change complètement de registre, pour s'intéresser à un enfant qui se crée de toutes pièces un homme d'argile, une sorte de golem des bois. Le texte est plaisant, évoquant « The Fetch » de Robert Holdstock et certains textes d'Elizabeth Hand, mais il n'y a pas de quoi sauter au plafond, surtout si on regarde d'un peu trop près la traduction qui nous est proposée, un travail à géométrie variable signé Thierry Chantraine. Après Jeffrey Ford, arrive le gros morceau de ce numéro de Fiction : un faux dossier Ursula K. Le Guin, composé de deux nouvelles de l'autrice californienne, d'un article de Margaret Atwood et d'un hommage d’Ellen Kushner. N'étant pas un grand fan d'Ursula Le Guin, c'est avec appréhension pour le moins que j'attaque ces textes d'ethno-SF… Pas de surprises en ce qui me concerne, ils sont d'un ennui phénoménal, et de plus traduits au casse-noix par une jeune femme qui n'est pas tombée d'un arbre-à-style. Bon, à ce stade de ma lecture, je suis à peu près convaincu que cette revue ne s'adresse pas à moi, mais plutôt aux lecteurs restés bloqués sur la S-F des années soixante/soixante-dix. Et ce n'est pas la nouvelle bavarde et très Gay&Lesbian de Ellen Kushner qui ravive ma curiosité. Ni le faux dossier Jules Verne, dans lequel la nouvelle intello-chiante de Juan-Miguel Aguilera se lit sans plaisir ni déplaisir. Mais le pire reste à venir, en l'occurrence le texte interminablo-comico-chiant de Jean-Jacques Régnier et le truc mal raconté et incompréhensible de Marie-Pierre Najman, où il est question de clodos-extraterrestres qui sont en fait des clodos-faunes lyonnais. Le meilleur texte du volume se trouve sur la fin, « Presque chez soi » de Terry Bisson ; une très belle novelette où l'on suit le voyage en avion de fortune de trois gamins jusqu'à une ville qui ressemble beaucoup à la leur, mais qui n'est pas la leur (une fois de plus un texte extrêmement chargé de nostalgie ; on n'a de cesse de penser au Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry). La dernière fiction du numéro est un des fameux contes siluriens de Steven Utley, en l'occurrence un faux article sur l'existence d'un rocher couvert de graffitis situé sur le « site principal des expéditions paléozoïques ». Certains trouveront cet Objet Littéraire Non Identifiable génial ; il me semble surtout verbeux et vain, tout en étant d'une stupéfiante originalité.

On l'aura compris, ici les fictions n'ont pas pour but d'être de « dangereuses visions », rien n'est choisi/publié pour vous foutre les tripes à l'air (à part quelques concepts sociaux très forts noyés dans les textes de Le Guin) et, par voie de conséquence, les deux belles nouvelles humanistes de Terry Bisson et Sean McMullen ne trouvent aucun contrepoint.

Pour tout arranger, le premier numéro de ce Fiction « New Deal » se finit de la pire façon qui soit, avec un article de Francis Valéry qui aurait pu être passionnant si ledit Francis Valéry ne parasitait pas sans cesse ses « critiques littéraires » par des relents d'aigreur éditoriale destinés à nous faire croire, entre autre, que CyberDreams a eu un rôle majeur dans la pénible survie de la science-fiction en France. Quand on se souvient de ce qu'était CyberDreams et quand on connaît les ventes réelles de ladite et défunte revue, on ne peut que ricaner.

Si Fiction renaît dans la continuité, de Fiction évidemment, de Yellow Submarine avec la novella de Jean-Jacques Régnier, de CyberDreams et Ténèbres par l'entremise de l'article (à la fois passionnant et grotesque) de Francis Valéry, reste qu'au-delà de cet héritage qui me semble plus handicapant qu'autre chose, ce nouveau premier numéro échoue à livrer un texte choc, de ceux dont on se souvient toute sa vie. Poussés par leur fibre nostalgique, les aficionados quarantenaires suivront sans doute le mouvement, mais il est à craindre que le gros des lecteurs actuels de SF/fantasy — qui veut de l'aventure et de l'action (réalité du marché, s'il en est) — reste à la porte, celle-ci étant désespérément marron, peu engageante.

« I see a brown door and I want it painted black… »

L’année du caméléon

Bangkok, 1963. Parce que ses parents ne peuvent pas s'occuper de lui (ils sont en fait en mission d'espionnage au Viêt-nam), Justin, douze ans, est confié à ses tantes Nit-nit, Noi-noi et Ning-nong qu'il surnomme « les trois Parques ». La vie pourrait être magnifique dans leur immense demeure bourgeoise, mais Justin a toujours vécu en Angleterre, si bien qu'il ne parle pas bien thaïlandais et lit/écrit encore moins cette langue ardue. Pour résumer, le voilà piégé dans une famille, mais aussi dans un pays, celui de son sang, qui lui sont totalement étrangers. Alors qu'il se trouve à un banquet de deuil, Justin « Petite Grenouille » perd son caméléon, transpercé par le talon aiguille d'une dame. Se trouvant à quatre pattes sous la grande table afin de récupérer sa pauvre bestiole morte, il aperçoit sa nourrice, Samlee, elle aussi à quatre pattes, occupée à téter « l'aubergine » de son oncle (qui exerce la mystérieuse profession de gynécologue). Ignorant tout du sexe et notamment de cette gâterie fort prisée qu'est la fellation, Justin en déduit que sa nourrice est une sorcière et qu'elle est donc en train d'envoûter son oncle qui, d'ailleurs, ne s'aperçoit de rien, préférant disserter sur la beauté des grottes féminines (sujet de conversation que Justin ne maîtrise aucunement, comme de juste). Samlee, une sorcière ? Bien sûr ! D'ailleurs, comment pourrait-il réagir autrement puisque toute sa famille ne cesse de lui parler de fantômes, d'esprits tutélaires et de mauvais sorts ? Fou amoureux de sa nourrice, et donc jaloux des ensorcellements qu'elle prodigue à son oncle, Justin va commencer à espionner la demoiselle, et un soir l'apercevoir en grande discussion avec un magicien au masque d'or. Voilà, en quarante pages à peine, la grande aventure de la préadolescence a bel et bien commencé. Elle sera épicée et pleine de moiteurs humaines et tropicales, constamment étonnante et envoûtante, d'autant plus que Justin a un don : il fait des rêves prémonitoires, des rêves qui lui permettront de sauver pour un temps la vie de son arrière-grand-mère.

En France et à peu près partout ailleurs, S. P. Somtow (Somtow Papinian Sucharitkul, de son vrai nom) n'a jamais été considéré comme un auteur majeur (alors qu'il est un chef d'orchestre de renommée internationale). Pourtant, cet écrivain prolifique, tant dans le domaine de la littérature adulte que de la littérature jeunesse, ne manque pas de talent, ni d'humour. La trilogie vampirique qui l'a rendu célèbre, Vampire Junction, Valentine, Vanitas est plaisante, sans plus ; mais son roman de loup-garou, La Danse de la lune, est excellent ; son recueil Mallworld est du même niveau et sa tétralogie de space opera Les Chroniques de l'inquisition s'impose comme un must du dépaysement à la Jack Vance, non sans former un ensemble un tantinet répétitif. Dans cette production abondante (on l'a déjà dit), L'Année du caméléon fait figure de socle et répond formidablement au meilleur ouvrage de l'auteur : Dragon's fin soup, un recueil de nouvelles « siamoises » malheureusement inédit en langue française.

Prototype thaïlandais de cette formidable littérature de l'altérité qu'est le réalisme magique, L'Année du caméléon s'impose tout simplement comme un roman magnifique ; la magie de l'enfance y règne dans chaque épisode et jusque dans les titres des chapitres, un onirisme bien souvent teinté de pragmatisme boiteux (ou borgne) dans lequel se diluent admirablement bien les mythologies siamoises et grecques, car Justin est un gros lecteur de classiques, un apprenti poète, un futur écrivain. Fausse autobiographie, roman initiatique hilarant, magnifique ode à la tolérance et aux plaisirs de la chair (Justin se pose décidément beaucoup de questions au sujet de son aubergine…), L'Année du caméléon nous rappelle que la lecture est un plaisir avant tout. Ici, un plaisir magique, jouissif et admirable d'un point de vue politique (Somtow n'a pas peur d'afficher ses valeurs : respect de la différence, raciale ou sexuelle, refus de la logique de classes/castes des sociétés asiatiques traditionnelles…). Peut-être la plus belle surprise de ce début d'année 2005, en tout cas un livre à lire si vous êtes un tantinet attiré par l'Asie et ses mystères.

Le Voyage d’Hawkwood

Je ne me souviens plus de l'identité exacte de la personne qui m'a dit que Le Voyage d'Hawkmoon d'Hawkwood c'est « super, de la bonne fantasy enfin », mais si j'avais ledit individu en face de moi, je me ferais un plaisir particulier de lui tirer l'oreille et de lui mettre le nez dans le caca la citation suivante : « L'ombre de l'eau, lumineuse, se gondolait dans ses orbites » (page 11), avant de lui faire démettre les quatre membres en place de Grève.

À dire vrai, si on fait abstraction des perles de traduction (seize incarnations du verbe être dans la seule page 125) et d'un début relativement foireux, ce roman est tout à fait lisible à défaut d'être passionnant. Tout commence par une pseudo Saint Barthélemy. Le clergé (méchant, forcément) prend en partie le pouvoir dans le royaume d'Hebrion (Hébrion aurait été plus heureux en français), les magiciens et autres rebouteux sont ainsi condamnés à disparaître (mort violente ou exil) ; à peu près au même moment, le cousin du roi, sorte de Christophe Colomb alcoolique frénétique, réussit à arracher à son souverain et néanmoins parent deux bateaux pour explorer le continent qui se trouve à l'ouest et dont personne n'est (évidemment) jamais revenu. Un de ces bateaux sera commandé par le noble Hawkmoon Hawkwood. L'équipage sera, par la force des choses, composé en grande partie de sorcières et de jeteurs de sort (avec une louve-garou en guise de cerise sur le bateau).

En fait, le plus plaisant avec ce magnifique ouvrage, et je ne m'en lasse pas, se trouve bien en évidence ; il s'agit de l'illustration de couverture (tout de même finaliste des Razzies 2005) et du quatrième de couverture, où l'on peut lire des phrases promotionnelles vraiment touchantes comme : « Une nouvelle voix forte et audacieuse dans le monde de la fantasy », Robert Silverberg ; et « Fresque épique en cinq volumes, écrite d'une plume particulièrement raffinée, Les Monarchies divines raviront tous les amateurs d'une fantasy mature, puissante et ténébreuse », l'éditeur (du moins le supposé-je).

Mégalo, comme d'habitude, j'aurais aimé qu'on me laisse un peu de place, ce qui aurait donné : « Vous adorez les quatre premiers Elric de Michael Moorcock, vous aimez La Compagnie noire de Glen Cook, et bien… vous n'aimerez probablement pas Les Monarchies divines de Paul Kearney. » Bon, il ne me reste plus qu'à demander un devis pour un sticker ou un beau bandeau rouge et faire le tour des trois Fnac parisiennes où survivent quelques exemplaires esseulés de l'ouvrage.

Terres perdues

[Chronique commune à Le pistolero, Trois cartes et Terres perdues.]

Hosanna ! Hosanna ! Chant de joie pour ses fans inconditionnels, Stephen King a enfin achevé son cycle de La Tour Sombre (sept volumes, de plus en plus gros), en profitant pour déclarer qu'il s'agissait de « la Jupiter de son Système imaginaire ».

[petite pensée polémique pour les anglophiles :]

Jupiter ? oh no, it's just shit from Uranus.

Hélas, trois fois hélas, aimant bien l'œuvre du géant du Maine, je me suis porté volontaire pour suivre Roland de Gilead, le dernier pistolero, dans la longue quête qui finira par l'amener jusqu'à la Tour Sombre.

Dans le premier volume — western post-apocalyptique très marqué par la Bible, Le Seigneur des anneaux et les films de Sergio Leone —, Roland poursuit l'Homme en Noir, massacre les habitants d'une petite ville (scène hallucinante), rencontre le jeune Jake avant de le laisser mourir dans un monde souterrain — une fin qui ressemble un peu trop à mon goût à la chute de Gandalf dans la Moria. À la fin du volume, bien entendu, le dernier pistolero retrouve l'Homme en Noir sur le Golgotha. Et ils ont beaucoup de choses à se dire…

Dans le second volume, Roland — attaqué par une « homarstruosité » — perd trois doigts, chope une sale infection, récupère (dans notre monde) Eddie et Susannah, ses futurs compagnons de route — Eddie étant un ancien junky, Susannah une femme de couleur schizophrène privée de ses deux jambes à la suite d'une tentative de meurtre.

Dans le troisième volume, Roland et ses compagnons décident de ramener Jake d'entre les morts. Pour ce, le trio devra se rendre à Lud, une étrange cité. Mais avant ils affronteront et vaincront un des « douze gardiens » — un ours gigantesque (format King Kong, pour tout dire) portant une antenne radar sur le sommet du crâne…

Soyons clairs, La Tour Sombre — inspiré d'un poème de Robert Browning, « Le Chevalier Roland s'en vient à la tour noire » — est un navet, et pas un petit, planté au beau milieu de l'œuvre d'un écrivain qui avait souvent réussi à passionner (Shining, Dead Zone, Misery, Simetierre…). Tout y est trop. C'est trop gros car trop long (ou l'inverse), c'est régulièrement trop con (l'auteur, très fier de lui, il suffit de lire ses postfaces, préfaces, avant-propos, semble croire que ses lecteurs sont capables de gober n'importe quoi et donc écrit n'importe quoi), trop américain (comme si on avait besoin de ça en ce moment), trop amateur d'un point de vue purement stylistique, trop puéril (bonjour l'humour caca-boudin, et donc cauchemardesque, du deuxième tome).

Le premier volume est quasi incompréhensible (ce que n'arrange pas une « nouvelle traduction » plus mauvaise que la précédente), le second volume, avec ses va-et-vient entre le monde de Roland et notre monde (ah, que c'est beau New York !), est pénible à cause de sa longueur, son côté répétitif, son autosatisfaction permanente. Quant à Terres Perdues, c'est certes le meilleur du lot, mais je l'ai fini aux forceps, à la rame et dans l'unique but d'achever mon papier pour Bifrost.

Ce navet de comices agricoles qui promettait pourtant moult plaisirs de lecture est surtout un gâchis monumental (il n'y a pas d'autre mot) car durant les rares moments où King se réveille, et donc réveille ses lecteurs, il se révèle brillant, hallucinant de justesse… ces étincelles créatives apparaissant généralement au détour d'un dialogue, d'une description ou d'une scène d'action. Toujours au détour du récit, et non au cœur du problème…

Au final, La Tour Sombre, où en tout cas ses trois premiers opus, est l'œuvre d'un auteur qui refuse son sujet comme un cheval refuse l'obstacle. Sans doute trop ignorant des règles du monde de Roland, Stephen King n'a pas su affronter (construire ?) cet univers à bras-le-corps. Il a écrit La Tour Sombre au fil de la plume, sans plan véritable, sans horizon précis ; résultat, il passe plus de temps à réparer les incohérences flagrantes de son récit-fleuve qu'à s'y consacrer vraiment. Reste que cette œuvre tend à ses lecteurs — même ceux qui ne l'ont pas appréciée —, un piège intéressant, car j'ai beau bougonner, pester comme un balai à chiottes qui vient de survivre à la fête de la bière de Munich, je ne peux m'empêcher de me demander, en français dans le texte : « Putain, mais c'est quoi cette Tour Sombre ? ! ».

Trois Cartes

[Chronique commune à Le pistolero, Trois cartes et Terres perdues.]

Hosanna ! Hosanna ! Chant de joie pour ses fans inconditionnels, Stephen King a enfin achevé son cycle de La Tour Sombre (sept volumes, de plus en plus gros), en profitant pour déclarer qu'il s'agissait de « la Jupiter de son Système imaginaire ».

[petite pensée polémique pour les anglophiles :]

Jupiter ? oh no, it's just shit from Uranus.

Hélas, trois fois hélas, aimant bien l'œuvre du géant du Maine, je me suis porté volontaire pour suivre Roland de Gilead, le dernier pistolero, dans la longue quête qui finira par l'amener jusqu'à la Tour Sombre.

Dans le premier volume — western post-apocalyptique très marqué par la Bible, Le Seigneur des anneaux et les films de Sergio Leone —, Roland poursuit l'Homme en Noir, massacre les habitants d'une petite ville (scène hallucinante), rencontre le jeune Jake avant de le laisser mourir dans un monde souterrain — une fin qui ressemble un peu trop à mon goût à la chute de Gandalf dans la Moria. À la fin du volume, bien entendu, le dernier pistolero retrouve l'Homme en Noir sur le Golgotha. Et ils ont beaucoup de choses à se dire…

Dans le second volume, Roland — attaqué par une « homarstruosité » — perd trois doigts, chope une sale infection, récupère (dans notre monde) Eddie et Susannah, ses futurs compagnons de route — Eddie étant un ancien junky, Susannah une femme de couleur schizophrène privée de ses deux jambes à la suite d'une tentative de meurtre.

Dans le troisième volume, Roland et ses compagnons décident de ramener Jake d'entre les morts. Pour ce, le trio devra se rendre à Lud, une étrange cité. Mais avant ils affronteront et vaincront un des « douze gardiens » — un ours gigantesque (format King Kong, pour tout dire) portant une antenne radar sur le sommet du crâne…

Soyons clairs, La Tour Sombre — inspiré d'un poème de Robert Browning, « Le Chevalier Roland s'en vient à la tour noire » — est un navet, et pas un petit, planté au beau milieu de l'œuvre d'un écrivain qui avait souvent réussi à passionner (Shining, Dead Zone, Misery, Simetierre…). Tout y est trop. C'est trop gros car trop long (ou l'inverse), c'est régulièrement trop con (l'auteur, très fier de lui, il suffit de lire ses postfaces, préfaces, avant-propos, semble croire que ses lecteurs sont capables de gober n'importe quoi et donc écrit n'importe quoi), trop américain (comme si on avait besoin de ça en ce moment), trop amateur d'un point de vue purement stylistique, trop puéril (bonjour l'humour caca-boudin, et donc cauchemardesque, du deuxième tome).

Le premier volume est quasi incompréhensible (ce que n'arrange pas une « nouvelle traduction » plus mauvaise que la précédente), le second volume, avec ses va-et-vient entre le monde de Roland et notre monde (ah, que c'est beau New York !), est pénible à cause de sa longueur, son côté répétitif, son autosatisfaction permanente. Quant à Terres Perdues, c'est certes le meilleur du lot, mais je l'ai fini aux forceps, à la rame et dans l'unique but d'achever mon papier pour Bifrost.

Ce navet de comices agricoles qui promettait pourtant moult plaisirs de lecture est surtout un gâchis monumental (il n'y a pas d'autre mot) car durant les rares moments où King se réveille, et donc réveille ses lecteurs, il se révèle brillant, hallucinant de justesse… ces étincelles créatives apparaissant généralement au détour d'un dialogue, d'une description ou d'une scène d'action. Toujours au détour du récit, et non au cœur du problème…

Au final, La Tour Sombre, où en tout cas ses trois premiers opus, est l'œuvre d'un auteur qui refuse son sujet comme un cheval refuse l'obstacle. Sans doute trop ignorant des règles du monde de Roland, Stephen King n'a pas su affronter (construire ?) cet univers à bras-le-corps. Il a écrit La Tour Sombre au fil de la plume, sans plan véritable, sans horizon précis ; résultat, il passe plus de temps à réparer les incohérences flagrantes de son récit-fleuve qu'à s'y consacrer vraiment. Reste que cette œuvre tend à ses lecteurs — même ceux qui ne l'ont pas appréciée —, un piège intéressant, car j'ai beau bougonner, pester comme un balai à chiottes qui vient de survivre à la fête de la bière de Munich, je ne peux m'empêcher de me demander, en français dans le texte : « Putain, mais c'est quoi cette Tour Sombre ? ! ».

Le Pistolero

[Chronique commune à Le pistolero, Trois cartes et Terres perdues.]

Hosanna ! Hosanna ! Chant de joie pour ses fans inconditionnels, Stephen King a enfin achevé son cycle de La Tour Sombre (sept volumes, de plus en plus gros), en profitant pour déclarer qu'il s'agissait de « la Jupiter de son Système imaginaire ».

[petite pensée polémique pour les anglophiles :]

Jupiter ? oh no, it's just shit from Uranus.

Hélas, trois fois hélas, aimant bien l'œuvre du géant du Maine, je me suis porté volontaire pour suivre Roland de Gilead, le dernier pistolero, dans la longue quête qui finira par l'amener jusqu'à la Tour Sombre.

Dans le premier volume — western post-apocalyptique très marqué par la Bible, Le Seigneur des anneaux et les films de Sergio Leone —, Roland poursuit l'Homme en Noir, massacre les habitants d'une petite ville (scène hallucinante), rencontre le jeune Jake avant de le laisser mourir dans un monde souterrain — une fin qui ressemble un peu trop à mon goût à la chute de Gandalf dans la Moria. À la fin du volume, bien entendu, le dernier pistolero retrouve l'Homme en Noir sur le Golgotha. Et ils ont beaucoup de choses à se dire…

Dans le second volume, Roland — attaqué par une « homarstruosité » — perd trois doigts, chope une sale infection, récupère (dans notre monde) Eddie et Susannah, ses futurs compagnons de route — Eddie étant un ancien junky, Susannah une femme de couleur schizophrène privée de ses deux jambes à la suite d'une tentative de meurtre.

Dans le troisième volume, Roland et ses compagnons décident de ramener Jake d'entre les morts. Pour ce, le trio devra se rendre à Lud, une étrange cité. Mais avant ils affronteront et vaincront un des « douze gardiens » — un ours gigantesque (format King Kong, pour tout dire) portant une antenne radar sur le sommet du crâne…

Soyons clairs, La Tour Sombre — inspiré d'un poème de Robert Browning, « Le Chevalier Roland s'en vient à la tour noire » — est un navet, et pas un petit, planté au beau milieu de l'œuvre d'un écrivain qui avait souvent réussi à passionner (Shining, Dead Zone, Misery, Simetierre…). Tout y est trop. C'est trop gros car trop long (ou l'inverse), c'est régulièrement trop con (l'auteur, très fier de lui, il suffit de lire ses postfaces, préfaces, avant-propos, semble croire que ses lecteurs sont capables de gober n'importe quoi et donc écrit n'importe quoi), trop américain (comme si on avait besoin de ça en ce moment), trop amateur d'un point de vue purement stylistique, trop puéril (bonjour l'humour caca-boudin, et donc cauchemardesque, du deuxième tome).

Le premier volume est quasi incompréhensible (ce que n'arrange pas une « nouvelle traduction » plus mauvaise que la précédente), le second volume, avec ses va-et-vient entre le monde de Roland et notre monde (ah, que c'est beau New York !), est pénible à cause de sa longueur, son côté répétitif, son autosatisfaction permanente. Quant à Terres Perdues, c'est certes le meilleur du lot, mais je l'ai fini aux forceps, à la rame et dans l'unique but d'achever mon papier pour Bifrost.

Ce navet de comices agricoles qui promettait pourtant moult plaisirs de lecture est surtout un gâchis monumental (il n'y a pas d'autre mot) car durant les rares moments où King se réveille, et donc réveille ses lecteurs, il se révèle brillant, hallucinant de justesse… ces étincelles créatives apparaissant généralement au détour d'un dialogue, d'une description ou d'une scène d'action. Toujours au détour du récit, et non au cœur du problème…

Au final, La Tour Sombre, où en tout cas ses trois premiers opus, est l'œuvre d'un auteur qui refuse son sujet comme un cheval refuse l'obstacle. Sans doute trop ignorant des règles du monde de Roland, Stephen King n'a pas su affronter (construire ?) cet univers à bras-le-corps. Il a écrit La Tour Sombre au fil de la plume, sans plan véritable, sans horizon précis ; résultat, il passe plus de temps à réparer les incohérences flagrantes de son récit-fleuve qu'à s'y consacrer vraiment. Reste que cette œuvre tend à ses lecteurs — même ceux qui ne l'ont pas appréciée —, un piège intéressant, car j'ai beau bougonner, pester comme un balai à chiottes qui vient de survivre à la fête de la bière de Munich, je ne peux m'empêcher de me demander, en français dans le texte : « Putain, mais c'est quoi cette Tour Sombre ? ! ».

Les loups de la pleine lune

Mouais… Voilà ce que j'ai envie de vous dire après avoir lu Les Loups de la pleine lune d'Edouard Brasey. Attention : je ne veux pas dire que ce n'est pas bon, hein ! Je veux juste signifier par là que la créativité développée dans le bouquin ne risque pas de vous mettre à genoux. Pourtant, l'auteur a à son actif un joli pedigree en matière d'ouvrages consacrés au fantastique et à la fantasy, dont Démons et merveilles et La Cuisine magique des fées et des sorcières, que certains d'entre vous connaissent probablement.

Comme le titre le laisse à penser, le roman traite de lycanthropie. En l'occurrence, celle d'un officier prussien, Hagen, qui a passé un pacte d'immortalité avec le Diable, et se voit chaque pleine lune devenir trois nuits durant un loup. Au fil des années, il perd même son aspect humain pour devenir uniquement loup.

Il est évidemment l'amant d'une belle jeune femme — la Baronne Clarimonde de Mortemare —, elle aussi, semble-t-il, dotée d'une jeunesse éternelle, qui vit recluse dans son manoir avec son mari impotent et le souvenir de son fils Jacques, décédé. Tous les deux sont servis par un majordome aussi fort qu'il est taciturne, Joseph. Le Baron semble n'avoir qu'une seule passion : les centaines de poupées qui ornent sa chambre, et qu'il dorlote comme ses filles. Bref, on est en pleine ambiance gothique. Et ce n'est sans doute pas un hasard si les deux exergues du roman sont respectivement tirés de Nosferatu et de L'Invité de Dracula

C'est dans ce petit monde clos que débarque un jour, par hasard — perdu en pleine nuit dans la forêt —, le jeune Raoul Follerand, dont le roman est en fait le journal intime. Attiré par la Baronne et les mystères qui l'entourent, il va s'efforcer de mettre au jour les secrets de la maison de Mortemare. Il devient l'amant de la belle Clarimonde, et la rejoint fréquemment dans la roulotte qui abrite ses amours secrètes, près du lac de l'Ecrevisse. On s'en tiendra là, parce que l'essentiel de l'intérêt du récit tient dans la révélation finale.

L'auteur utilise abondamment les récits enchâssés : récit de la Baronne dans le journal de Raoul, qui elle-même raconte l'histoire de Hagen ; transcription du journal de Jacques… Bref, récit dans le récit dans le récit, mais sans jamais que l'on s'y perde. Et mise en abyme supplémentaire : le texte est censé être un manuscrit trouvé dans un manoir du Loir-et-Cher — le roman est sous-titré « Carnet retrouvé dans un manoir en ruines ». Le « document » est envoyé au Préfet par une étude notariale — sise, comme par hasard, « rue du Meneur de Loups » — car ce dernier veut réquisitionner le domaine pour en faire un centre d'accueil. Technique narrative éculée, me direz-vous, mais qui n'est pas sans efficacité.

L'œuvre est très occupée d'érotisme, mais sans jamais tomber dans la vulgarité. Il faut reconnaître à Brasey un art d'écrire ces scènes en les rendant comme nécessaires à la psychologie des personnages et au déroulement de l'histoire, alors qu'elles ne sont, pour beaucoup d'autres textes, qu'une obligation d'éditeur ou un argument de vente. Ici, elles sont liées à la bestialité de la lycanthropie et au semi-vampirisme qui émane de la Baronne. Véritablement, c'est à un érotisme artistique qu'accède l'auteur. On reste en revanche dubitatif quant à l'intérêt des illustrations qui émaillent le texte. Je suis navrée, monsieur Alain Freytet, mais elles n'ont rien d'exceptionnel, et je ne vois vraiment pas ce qu'elles apportent ici…

On conclura en précisant qu'il s'agit-là d'un ouvrage réservé aux amateurs du genre, aux fans de Stoker et autre Sheridan Le Fanu. Les Loups de la pleine lune ne révolutionnera rien, surtout pas votre point de vue sur le genre, mais c'est un bon roman, soutenu par une révélation finale qui vaut pour le restant du récit. Pour un des premiers essais de Brasey dans le domaine proprement romanesque — l'auteur s'était jusque-là consacré davantage aux études sur le domaine fantastique —, voilà qui mérite d'être encouragé, même si l'ensemble reste un peu « scolaire »…

L’Enjomineur – 1792

Ce que j'aime chez l'Atalante, c'est qu'ils ne publient pas de « navets » ! Voilà, j'avais envie de le dire, parce que ça fait toujours plaisir d'ouvrir un bouquin en se disant que c'est forcément intéressant, même si ce n'est pas toujours ce qu'on en attendait, ou que ça n'a même carrément rien à voir avec la choucroute garnie…

Je dis ça — pour la choucroute garnie — parce que c'est un peu le cas pour L'Enjomineur de Pierre Bordage. Il est vrai que la plupart des auteurs de S-F ou de fantasy sont tentés par la « vraie » littérature. On le savait déjà pour Bordage, qui avait fait quelques incursions dans le domaine extra-imaginaire, ou tout au moins dans des contrées plus « respectables », avec des textes comme L'Evangile du serpent. Je ne jugerai pas de la réussite ou non de ces entreprises, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'il réitère. Seulement cette fois, c'est publié chez l'Atalante, donc sous le chapeau d'une maison d'édition bien spécialisée tout de même, ce qui peut paraître un peu dérangeant.

L'Enjomineur — comprenez « possédé », ou « issu du monde des fées » — est un roman historique, consacré à la période post-révolutionnaire. Sous-titré « 1792 », il est le premier volet d'une trilogie qui verra se succéder — dans un accès d'originalité qui laisse rêveur — 1793 et 1794. Il se veut également, comme le souligne l'auteur lui-même, un hommage à ses origines vendéennes, à travers un retour au patois régional de l'époque, et une importante part consacrée à la Chouannerie. Je me permets de citer l'auteur : « … une forme d'hommage aux miens, paysans depuis des siècles et semblant ployer sous le poids d'une malédiction. […] Mon propos [est] de les aimer, tout simplement, en saupoudrant le tout d'une pincée de légende. […] À chacun sa façon de rendre ses devoirs de mémoire. »

Le récit suit deux destins en particulier, en dehors des digressions plus historiques et des peintures d'époque, d'une précision sur laquelle on n'insistera pas, pour l'excellente raison qu'il n'y a rien à redire, surtout si vous êtes amoureux de cette période de l'Histoire.

Les deux personnages centraux sont deux « enjominés ». Le premier, Emile, est un jeune homme dont la naissance demeure un mystère, car il a été retrouvé devant l'église du village. Beaucoup de paysans le considèrent donc comme un enfant des fées. Elevé par le prêtre de la paroisse, il sait lire et écrire, ce qui fait de lui un être à part — comme le souligne le fait qu'il est le seul à ne pas parler en patois, mais dans un excellent français. Ayant volontairement choisi de rester ouvrier agricole, il porte sur les événements révolutionnaires un regard assez distant, teinté des Lumières. Son intérêt est plus porté sur Perrette, la jeune femme dont il est tombé amoureux, que sur le changement de Régime.

Le second « enjominé » est d'un tout autre genre. Cornuaud est un garçon de la ville. Engagé sur un négrier, il a violé, comme ses compagnons marins, les esclaves féminines, y compris un jour une enfant de dix ans (le viol en général et celui d'enfant en particulier est décidément un incontournable chez Bordage…), ce qui lui a valu la malédiction d'une des femmes, ancienne prêtresse, qui depuis lui impose régulièrement des pulsions meurtrières envers des hommes blancs, avec une préférence marquée pour les adolescents. De retour en France, il n'a de cesse d'être exorcisé. Il prend une part active à la Révolution, du côté des Sans Culotte, d'abord en Vendée, avec ses anciens compagnons de bande, puis à Paris. D'ailleurs, tout en vous disant qu'il est régulièrement emprisonné et libéré, je ne résiste pas à la tentation d'ajouter qu'il se retrouve une fois en cellule avec messieurs Fourme et d'Ambert. Quel fromage ! Mauvais jeu de mot, mais on ne peut s'empêcher d'y songer, et on se dit que l'auteur aurait pu l'éviter : ça fait désordre, en plein milieu d'un roman au demeurant fort sérieux…

Une troisième ligne directrice, plus ténue, est davantage historique : on voit régulièrement intervenir une secte, utilisant des références culturelles perses, appelée « Secte de Mithra », qui adore le « Père des Pères », et s'adonne à des sacrifices rituels sanglants dans une ambiance mystique. Ses prêtresses — telles des Cléopâtre ayant survécu à la mort — sont toujours entourées de deux aspics noirs destinés à punir les traîtres. Des nobles et des révolutionnaires se côtoient lors de ces réunions, dont le rôle exact reste assez flou. Cependant, il n'est évidemment pas innocent que ce soit sur l'une de ces assemblées que s'ouvre le roman…

« Mais pourquoi alors est-ce que l'Atalante a choisi de publier ça ? » Ne niez pas : je sais que vous vous posez la question. Tout simplement parce que quelques farfadets se promènent dans le texte. Ils servent surtout de moyen de transport à Emile, et viennent renforcer son image d' « enjominé ». Pour être honnête, il faut bien avouer qu'ils font figure de cheveu sur la soupe : le roman pourrait parfaitement se passer de leurs deux interventions. Et puis, pour renforcer un peu l'aspect « merveilleux », l'extrême fin du récit fait tout de même surgir des eaux Mélusine, venue confier à Emile une dague et l'investir de la lourde mission de tuer l'esprit du Mal sur la Terre. On suppose que la suite va tendre un peu plus vers la fantasy, puisque notre Mimile se trouve également pourvu d'une monture fabuleuse, qui le guidera vers son destin.

Petit point de détail encore, Bordage a souhaité rendre hommage à son patois. Il restitue donc l'accent et les termes vendéens dans l'écriture. C'est louable, mais très lourd. Il faut pratiquement lire à haute voix, phonétiquement, pour comprendre les dialogues. On s'y fait, mais ce n'est pas toujours facile. Cela dit, un tel procédé confère au roman une « couleur locale » et une authenticité saisissante, en même temps qu'il rend tous les personnages employant cette langue attachants. On doit admettre que l'auteur a parfaitement su rendre l'immense distance qui existait alors entre les parisiens, occupés par les manœuvres politiques et les pillages en tout genre, et ces gens simples, encore profondément enracinés dans leurs traditions et leur langue.

Au final, voilà un excellent roman « provincial », dans un style balzaco-hugolien très abouti. On pense surtout aux Chouans, pour des raisons historiques, mais il est impossible de ne pas voir dans les destins des personnages de Bordage ceux des Misérables : Marius, Javert, Enjolras et Valjean. Ça se lit d'une traite, et on attend impatiemment la suite. Seulement, et tenez-le vous pour dit : ce bouquin n'a rien à faire à côté des Guerriers du silence. Mais quoi : vous allez bien trouver une place ailleurs dans votre bibliothèque ?

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