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Le Mur de Planck t1

Des atomes pensants, capables de se métamorphoser en n’importe quel être vivant, châtiant les mauvaises actions en plongeant leurs auteurs dans un état de prostration perpétuelle. Une invasion planétaire invisible, une stratégie de pacification de l’humanité conduite comme une offensive, contre la méchanceté et l’instinct de prédation, contre la pensée déviante, et bientôt contre l’inconscient, les rêves, les émotions trop vives. Partout, des populations frappées d’hébétude, réduites à l’état d’inoffensifs zombies. Mais aussi une traversée de la galaxie et du temps, une exploration des dimensions parallèles. Et puis ces insectes extraterrestres belliqueux, ces robots, ces monstres géants évoquant un genre de SF apocalyptique appartenant à la préhistoire, qui s’affichent en désaveu de la prémisse high-tech et comme aveu du va-et-vient incessant que Christophe Carpentier cultive entre passé et présent, résidus de mythologie et fragments de modernité. Certes, Le Mur de Planck bouffe à tous les râteliers, c’est sans doute sa raison d’être : comédie d’anticipation tantôt métaphysique, tantôt potache, recyclant aussi bien l’esprit du polar, les revues de vulgarisation scientifique, les fondations de la SF (Frankenstein dépassé par sa création…), les séries télé à la mode et le cinéma bis, ce livre tranche avec le reste de la production hexagonale, tels certains opus d’un certain M. G. Dantec.

Aussi insidieux mais plus cruels et plus caustiques que les profanateurs de Jack Finney, les envahisseurs de Christophe Carpentier, autrement nommés « particules baryoniques », semblent d’abord n’avoir d’autre but que de prendre en otage le destin des êtres qui les ont créés et de neutraliser parmi eux le maximum de nuisibles, présidents russe et syrien en tête… Entreprise de nettoyage du plus haut comique (même le président d’Amazon y passe), justice immanente vengeresse, foutoir dans les familles, bordel monstre partout dans la société, irréalisme libérateur. Tout le livre est une histoire de frontières : limites à ne pas franchir ou au contraire à dépasser pour les protagonistes, mixage de genres différents et d’aspirations contradictoires pour l’auteur, qui campe sur son monde un point de vue d’ado, espérant toujours qu’une force supérieure – petits hommes verts aux yeux globuleux ou intelligences angéliques – viendra modifier le cours mortel de la condition humaine (cette vieillerie).

Malgré la densité du livre et l’ampleur des thèmes brassés, Le Mur de Planck – à l’inverse proportion de ce que son titre annonce – ne se livre à aucune révélation, aucune extrapolation sur l’origine de l’univers, Carpentier affirmant la suprématie du questionnement et du romanesque sur la découverte d’une hypothétique cause non causée. L’emphase (parfois boursouflée) de la prose, l’inaction érigée en principe actif et une intrigue en roue libre (je ne résiste pas à citer ce passage p. 556 qui vaut profession de foi : « Disons que j’improvise, mon vieux, j’improvise au mieux, et je dois dire que ce n’est pas évident. ») suffisent à installer la singularité de l’auteur. Lequel bosse également à démonter les fantasmes foireux de notre civilisation hyper connectée, son goût du voyeurisme, de la vitesse et du bruit où tout acte, toute parole authentique est désormais impossible à cerner, son besoin d’ennemi mondial et de catastrophes pour se peupler l’imaginaire. Mais en bousillant, de manière ironique, l’espoir d’un outre-monde qui nous sortirait de notre microcosme vicié, Carpentier oblige tout le monde à ne puiser qu’en soi-même. Ce qui est bien plus difficile.

Critique de la suite, Le Temps imaginaire.

Ysabel

Les Marriner, père et fils, Canadiens bon teint (câlisse !), séjournent à Aix-en-Provence. Photographe professionnel, Edward tire le portrait des lieux pendant que son fils, Ned, tue le temps entre deux prises en faisant son jogging ou en approfondissant sa connaissance du pays. Pour son bonheur, la région fourmille de monuments anciens à découvrir, histoire de finir moins bête. Pour son malheur, il se découvre un talent pour sentir les événements passés. Alors qu’il visite la cathédrale d’Aix en compagnie d’une jeune touriste américaine rencontrée sur place, il assiste à une scène inquiétante qui l’interpelle (tabarnak !). Progressivement, de spectateur, il devient l’acteur d’un drame trouvant son origine dans l’Antiquité, autour des colonisations grecque et romaine. De quoi meubler la monotonie des vacances…

Entamons cette chronique par une précaution oratoire. Que les fans de Guy Gavriel Kay rengainent leurs armes, ce qui va suivre risque fort de leur déplaire. En dépit d’un prix (World Fantasy Award en 2008) et d’une ribambelle de critiques élogieuses outre-Atlantique, Ysabel se révèle, hélas, un roman poussif et médiocre n’offrant guère de surprises. L’auteur canadien délaye sur près de cinq cents pages une intrigue qui aurait pu tenir sur une centaine, contraignant le chroniqueur à sauter des passages entiers pour éviter de s’assoupir.

Avec Ysabel, Guy Gavriel Kay renoue avec la Provence, région qui avait déjà servi de décor pour La Chanson d’Arbonne. Délaissant la fantasy historique, sous-genre dans lequel il s’est taillé une solide réputation, il opte ici pour un récit contemporain saupoudré d’une touche de fantastique. À bien des égards, le roman s’apparente à une déclaration d’amour pour les environs d’Aix-en-Provence. Les Baux, Arles, Fontaine-de-Vaucluse, la Montagne Sainte-Victoire, l’oppidum d’Entremont servent de toile de fond à un récit puisant ses ressorts dans les mythes celtes. Hélas, on est bien loin de l’ampleur et de l’émotion des Lions d’Al-Rassan ou de Tigane. L’intrigue pointe même aux abonnés absents, se contentant d’un minimum où les références à l’Histoire se trouvent réduites à une notule digne de figurer dans un guide pour touristes pressés. À vrai dire, on s’ennuie beaucoup du rythme paresseux du récit et de sa légèreté dépourvue de toute tension dramatique. Et ne parlons même pas des échanges dont les lourdes saillies ne contribuent qu’à engluer les situations dans une impression de dilettantisme, voire de je-m’en-foutisme. Quant au personnage principal, le jeune Ned, son caractère falot et ses atermoiements agaçants plombent le récit, contribuant à donner l’impression de lire un roman d’apprentissage en pantoufles.

Bref, avec cette histoire de triangle amoureux mâtinée de magie celtique, Guy Gavriel Kay réussit le tour de force d’être complètement transparent (et ne parlons pas de la traduction…). À fuir pour ne pas être dégoûté de l’auteur.

Le Poids du cœur

Profitant de la réédition de Des Larmes sous la pluie, les excellentes éditions Métailié nous gratifient d’une suite intitulée Le Poids du cœur. L’occasion de retrouver le personnage de Bruna Husky, détective désabusé et réplicant obsédé par sa date de péremption. L’occasion aussi de s’immerger à nouveau dans le futur imaginé par l’auteure espagnole.

Le XXIIe siècle de Rosa Montero n’est finalement pas si éloigné de notre époque. Migrations massives, pollution de l’air, dégradation de l’écosystème, ségrégation spatiale et sociale, libéral-capitalisme poussé jusqu’à son terme logique, autrement dit une prédation ajustée aux besoins de l’utilitarisme, et bien d’autres maux dont nous connaissons les prémisses sont ici vécus comme l’ordre naturel des choses. Seules échappatoires à ce meilleur des mondes, des utopies inquiétantes, délocalisées dans l’espace, et des marges en proie à une guerre impitoyable dont les autorités s’emploient à taire les manifestations anxiogènes. On est bien loin des visions radieuses de la SF de l’âge d’or, plutôt dans un futur inspiré des cyberpunks. De retour d’une Zone Zéro, Bruna se trouve nantie d’une injonction à se faire suivre médicalement par un tripoteur, sous peine de se voir retirer sa licence de détective. Et comme si cela ne suffisait pas, elle doit s’occuper d’une fillette gravement irradiée qu’elle a prise sous sa protection. Pas de quoi contribuer à sa tranquillité d’esprit, d’autant plus qu’elle continue à égrainer le compte à rebours des jours qui lui restent à vivre. Pour se changer les idées, elle accepte d’enquêter sur la mort suspecte d’un capitaine d’industrie. Trafics, secrets d’État ne tardent pas à resurgir…

Le Poids du cœur montre, s’il est encore utile de le faire, que la dystopie est le roman noir de l’avenir. Sur ce point, Rosa Montero acquitte sa dette au genre policier avec talent. À l’instar du détective de roman noir, Bruna Husky se révèle un individu paradoxal, partagé entre son empathie pour autrui et un cynisme implacable dicté par sa condition de techno-humain à l’obsolescence programmée. D’aucuns pourraient reprocher l’aspect fleur bleue de sa personnalité, prompte à fondre devant un homme. Le personnage n’en demeure pas moins le point fort d’un roman qui ne manque pas d’autres atouts. Parmi lesquels on relèvera la crédibilité du décor. Montero ne se contente pas en effet du minimum. Elle imagine un futur cohérent qui, s’il emprunte beaucoup de ses éléments à notre époque, n’en demeure pas moins fouillé jusque dans son évolution historique et ses spéculations, ne cachant rien de l’impact des technosciences sur le quotidien, l’organisation sociale et les rapports humains.

Bref, Le Poids du cœur se révèle un retour gagnant, même s’il ne bénéficie plus de l’attrait de la nouveauté. Il va sans dire qu’on attend un troisième épisode des aventures de Bruna Husky.

Défaite des maîtres et possesseurs

Les extraterrestres ont gagné. Arrivés secrètement sur Terre après des années d’errance, ils ont fini par se révéler à l’Homme. S’en est suivi un conflit court et violent, conclu par la défaite de l’humanité, en grande partie exterminée par une épidémie provoquée par les envahisseurs. Une guerre des mondes à l’envers, en somme.

Malo Claeys appartient au camp des vainqueurs. Comme beaucoup des siens, il a adopté les mœurs et habitudes des vaincus, poussant le mimétisme jusqu’à les singer dans le moindre de leur défaut. Le bougre a pourtant développé de l’empathie pour ces pauvres créatures, en particulier pour Iris, une jeune femme qu’il a sauvée de l’abattoir. Dépourvu d’existence légale, elle habite clandestinement dans son appartement, suscitant l’angoisse de son possesseur lorsqu’elle sort. Un soir, l’hôpital téléphone. Renversée par un chauffard, Iris est gravement blessée et doit être opérée. Pour Malo, c’est la panique. L’accident arrive au pire moment. Ses adversaires politiques risquent en effet de l’utiliser contre lui, montant en épingle la transgression de la loi dont il s’est rendu coupable. Mais le fait lui remet également en mémoire la lente dissolution de ses certitudes éthiques.

La quatrième de couverture de Défaite des maîtres et possesseurs évoque l’univers de la fable, celui que l’on retrouve dans les contes philosophiques voltairiens ou, plus près de nous, chez James Morrow. L’amateur de science-fiction y retrouvera aussi le goût pour la spéculation, le « et si ? » ouvrant les possibles, ici incarné par une inversion de perspective qui n’est pas sans rappeler celle de Under the Skin de Michel Faber. Le roman de Vincent Message nous renvoie à notre faculté à dresser des barrières psychologiques pour rendre acceptable ce qui demeure insupportable quand on y réfléchit bien. Il nous confronte à notre exploitation du règne animal, voire de la planète, que l’on préfère taire en se cherchant des justifications morales, politiques ou économiques. En faisant descendre l’humanité de son piédestal, il bouscule cet ordre artificiel qu’elle a établi pour son unique profit, ravalant ses membres à la situation de simple travailleur, d’animal de compagnie ou de mets de choix pour les privilégiés. Par sa radicalité insoutenable, jusque dans sa description clinique de l’élevage et de l’abattage des hommes, le propos de Vincent Message interpelle et nous secoue dans notre confort personnel. Il nous interroge dans notre rapport à l’autre, l’être supposé inférieur, et dans notre emprise sur le vivant.

Bref, voici assurément une réussite, susceptible de réconcilier les lecteurs de SF et les amateurs de questionnements moraux et philosophiques.

Le Bassin d’Aphrodite

Troisième volet de la trilogie initiée par Gert Nygårdshaug, Le Bassin d’Aphrodite se place dans la continuation immédiate du Crépuscule de Niobé. D’une tournure plus apaisée, l’histoire s’apparente à une sorte de fly novel entre la Norvège et le Sahara, via le Lac de Garde en Italie, le tout saupoudrée d’allusions à Saint-Exupéry, à son Petit Prince et à la mythologie. Dans une Europe retournée à l’état de forêt primaire, où les rares humains meurent empoisonnés par une substance répandue dans l’eau par les racines des arbres, on suit un père et son fils dans leur quête du paradis perdu. Ayant poussé sa logique jusqu’à son terme fatidique, Mino Aquiles Portoguesa a en effet libéré les semences d’une plante mutante qui a colonisé l’ensemble du continent et du monde, réduisant les hommes et leurs réalisations à des vestiges appelés à disparaître.

Très lente, l’intrigue prend son temps pour démarrer, se focalisant au début sur l’existence retirée de Jonar Snefang et de son fils Erlan. Réfugiés dans une vallée isolée de Norvège pour échapper à la guerre civile européenne, ils vivent seuls dans une cabane, se nourrissant de poissons pêchés dans un étang proche. Rattrapés par la croissance de la forêt, ils ne doivent leur survie qu’à l’usage d’un poison végétal, l’atrazine, et à leur sens de l’observation. Perturbé par un rêve récurrent, Jonar finit par convaincre Erlan de rompre leur isolement. Ils improvisent une expédition à bord de l’hydravion laissé par Mino que la végétation a miraculeuse ment épargné. Le récit prend alors son envol, nous emmenant dans un périple au-dessus d’un vieux continent entièrement recouvert par la forêt. Jusqu’à ce que la réalité et le rêve se rejoignent…

En dépit de sa nature de roman post-apocalyptique, Le Bassin d’Aphrodite se révèle le tome le plus optimiste de la trilogie, si l’on considère que le salut de la planète passe par l’extermination de l’ensemble de l’Humanité. Il est également le volet le plus intime, centré sur le regard de Jonar. Un point de vue entre-coupé par les interventions d’un mystérieux écrivain dont on devine progressivement l’identité. Le roman offre une sorte de rédemption aux survivants, un échantillon idéalisé, prônant un retour à un Eden originel, débarrassé de ses pollutions religieuses, politiques et économiques. Une solution pour le moins radicale que d’aucuns trouveront sans doute trop nihiliste.

Malgré cela, on ne peut s’empêcher de penser que Gert Nygårdshaug trouve ici une conclusion idéale, empreinte d’une touche de féminisme (si si !). Bref, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Abîme du rêve

[Critique commune à Le Rêve du démiurge, intégrale 1/3 et Abîme du rêve.]

En 1994, fort de trois romans primés (La Lune noire d’Orion, Calmann-Lévy, 1980, Rivage des intouchables, Denoël, 1990, et La Ville au fond de l’œil, Denoël, 1996) et d’un essai (La Métamorphose généralisée, Nathan, 1993) en passe de l’être, ayant pris part à deux collectifs s’employant à abattre les frontières des genres, Limite et Nouvelle Fiction, Francis Berthelot publie le premier des neuf volumes que comptera « Le Rêve du Démiurge ». Vingt ans plus tard, voici l’ultime volet et le début de la réédition de cette œuvre magistrale aux allures de saga familiale fantastique.

1953. Olivier, sept ans, sent confusément le poids des années noires qui ont précédé sa naissance. Poussé à espionner ses parents par un pantin, un hussard en uniforme qui semble prendre la parole, il réalise que l’opulente chevelure de sa mère n’est qu’un postiche. Son monde se brise lentement sous le poids du passé, l’ombre de la guerre s’étend sur la scène où se joue la sinistre farce de la différence. Au fil d’une adolescence qui aurait dû le voir s’épanouir, seule la violence du regard des autres le façonne et nourrit ses sens – une violence à même de briser les êtres.

1966. Le cirque Algeiba arpente la Bretagne. Pétrel, adolescent épileptique en proie au constant traumatisme d’un corps qui lui échappe, contemple l’impossible grâce du jongleur Constantin. Rongé par la maladie, celui-ci veut avant de mourir toucher Anaon, l’île que ses livres d’enfant donnaient pour porte vers l’Au-delà. En attendant, malgré sa faiblesse, il se donne à son art qui tout à la fois masque son état et exprime son être. Fasciné, Pétrel s’éveille confusément à la sensualité, pour se heurter aux interdits et préjugés qui, creusant un peu plus encore sa différence, lui enseignent l’injustice – et bientôt la colère. Pour éviter que ces deux-là ne se consument trop vite, il faudra l’amour de Lily-Rhum, qui sous couvert de voyance fait tomber les masques. Et le secours de l’art (qu’il soit cirque ici, plus tard théâtre, peinture ou musique) pour attiser les âmes.

1970. Katri, comédienne hantée par des drames qu’elle refuse d’affronter, tombe sous le charme de Gus, artiste de rue amnésique, privé d’un passé qu’on devine tourmenté d’où n’émerge que la haine de l’Allemagne. Wilfried, le jeune directeur du théâtre, qui ne cache pas son homosexualité, est fasciné par Gus, en qui il discerne les échos de son enfance allemande. À l’amnésie du peintre répond le poids que l’héritage de la guerre fait peser sur les épaules du metteur en scène. Il ne reste qu’à frapper les trois coups. Mélusath, le génie aux allures de faune du trompe-l’œil que Gus a peint dans le hall du théâtre quitte sa fresque pour prendre en main la petite troupe. Plus question de mensonge ou d’oubli, de jouer l’illusion contre le vrai : le génie du théâtre rend les personnages du roman à la scène de leurs propres vies.

Berthelot écrit au présent comme une évidence, d’une plume dont la densité dépouille le réel de l’accessoire pour enluminer l’essentiel. Tout ici touche à l’intime. Pas un souffle d’air, pas un dialogue même qui n’éclaire les enjeux portés par les personnages. Sans cacher l’origine psychanalytique de son écriture, il investit chacun d’eux, jeu de masques qui ancre le cycle dans le terreau fertile de l’entre-mondes des transfictions, qu’il cartographiera plus tard (dans sa Bibliothèque de l’Entre-Mondes, « Folio SF », 2005). L’homosexualité, transgression première, est ici le prisme par lequel s’expriment les ravages de la différence, des tabous, du poids des figures parentales et du regard de l’autre, qui créent fêlures, brisures et ravines de l’âme. Seul remède, l’acceptation de soi est offerte aux personnages par l’expression artistique, qui ouvre la voie à l’irruption du fantastique, transgression littéraire à même de fouiller l’obscurité des êtres. La nature intime de ce merveilleux noir qui se développe de volume en volume se voit portée à son apogée avec Abîme du Rêve.

Tour à tour narrateur et personnage de sa propre fiction, Ferenc Bohr est l’auteur du Rêve arborescent. Depuis peu, il doute de sa raison : les personnages de ses romans semblent s’inviter dans la réalité. Olivier, Constantin et les autres, jusqu’à Bran Hadès, le pire d’entre eux, qui quitte les Limbes de la Fiction pour lui adresser des menaces à peine voilées. Là n’est pas le seul péril : les livres ne se vendent pas, et s’ils devaient être pilonnés, leurs personnages en mourraient. Ferenc lui-même ne survivrait pas à la dissolution de ses univers cathartiques. Dans les combats qui s’annoncent, il ne pour ra compter que sur son compagnon… et sur Mélusath. Dialogues alertes, didascalies, scènes jouées : une dernière fois le théâtre déploie ses masques miroirs. Thématique ou poétique, structurelle ou linguistique, la transgression est à son comble. L’auteur-démiurge, Berthelot et Bohr fondus l’un en l’autre, vit des mondes et dans les mondes qu’il offre à ses personnages – et au lecteur qui, démiurge à son tour, abrite les univers qui le nourrissent. Mélusath a joué son dernier tour : le quatrième mur vient de voler en éclats.

Le Rêve est achevé. L’auteur se veut posthume, la musique a quitté les pages de ses romans, le voici compositeur. Mais les personnages qui peuplent les Limbes de sa fiction méritent de vivre en vous. Accueillez-les : vous ne le regrettez pas.

Le Rêve du Démiurge, intégrale 1

[Critique commune à Le Rêve du démiurge, intégrale 1/3 et Abîme du rêve.]

En 1994, fort de trois romans primés (La Lune noire d’Orion, Calmann-Lévy, 1980, Rivage des intouchables, Denoël, 1990, et La Ville au fond de l’œil, Denoël, 1996) et d’un essai (La Métamorphose généralisée, Nathan, 1993) en passe de l’être, ayant pris part à deux collectifs s’employant à abattre les frontières des genres, Limite et Nouvelle Fiction, Francis Berthelot publie le premier des neuf volumes que comptera « Le Rêve du Démiurge ». Vingt ans plus tard, voici l’ultime volet et le début de la réédition de cette œuvre magistrale aux allures de saga familiale fantastique.

1953. Olivier, sept ans, sent confusément le poids des années noires qui ont précédé sa naissance. Poussé à espionner ses parents par un pantin, un hussard en uniforme qui semble prendre la parole, il réalise que l’opulente chevelure de sa mère n’est qu’un postiche. Son monde se brise lentement sous le poids du passé, l’ombre de la guerre s’étend sur la scène où se joue la sinistre farce de la différence. Au fil d’une adolescence qui aurait dû le voir s’épanouir, seule la violence du regard des autres le façonne et nourrit ses sens – une violence à même de briser les êtres.

1966. Le cirque Algeiba arpente la Bretagne. Pétrel, adolescent épileptique en proie au constant traumatisme d’un corps qui lui échappe, contemple l’impossible grâce du jongleur Constantin. Rongé par la maladie, celui-ci veut avant de mourir toucher Anaon, l’île que ses livres d’enfant donnaient pour porte vers l’Au-delà. En attendant, malgré sa faiblesse, il se donne à son art qui tout à la fois masque son état et exprime son être. Fasciné, Pétrel s’éveille confusément à la sensualité, pour se heurter aux interdits et préjugés qui, creusant un peu plus encore sa différence, lui enseignent l’injustice – et bientôt la colère. Pour éviter que ces deux-là ne se consument trop vite, il faudra l’amour de Lily-Rhum, qui sous couvert de voyance fait tomber les masques. Et le secours de l’art (qu’il soit cirque ici, plus tard théâtre, peinture ou musique) pour attiser les âmes.

1970. Katri, comédienne hantée par des drames qu’elle refuse d’affronter, tombe sous le charme de Gus, artiste de rue amnésique, privé d’un passé qu’on devine tourmenté d’où n’émerge que la haine de l’Allemagne. Wilfried, le jeune directeur du théâtre, qui ne cache pas son homosexualité, est fasciné par Gus, en qui il discerne les échos de son enfance allemande. À l’amnésie du peintre répond le poids que l’héritage de la guerre fait peser sur les épaules du metteur en scène. Il ne reste qu’à frapper les trois coups. Mélusath, le génie aux allures de faune du trompe-l’œil que Gus a peint dans le hall du théâtre quitte sa fresque pour prendre en main la petite troupe. Plus question de mensonge ou d’oubli, de jouer l’illusion contre le vrai : le génie du théâtre rend les personnages du roman à la scène de leurs propres vies.

Berthelot écrit au présent comme une évidence, d’une plume dont la densité dépouille le réel de l’accessoire pour enluminer l’essentiel. Tout ici touche à l’intime. Pas un souffle d’air, pas un dialogue même qui n’éclaire les enjeux portés par les personnages. Sans cacher l’origine psychanalytique de son écriture, il investit chacun d’eux, jeu de masques qui ancre le cycle dans le terreau fertile de l’entre-mondes des transfictions, qu’il cartographiera plus tard (dans sa Bibliothèque de l’Entre-Mondes, « Folio SF », 2005). L’homosexualité, transgression première, est ici le prisme par lequel s’expriment les ravages de la différence, des tabous, du poids des figures parentales et du regard de l’autre, qui créent fêlures, brisures et ravines de l’âme. Seul remède, l’acceptation de soi est offerte aux personnages par l’expression artistique, qui ouvre la voie à l’irruption du fantastique, transgression littéraire à même de fouiller l’obscurité des êtres. La nature intime de ce merveilleux noir qui se développe de volume en volume se voit portée à son apogée avec Abîme du Rêve.

Tour à tour narrateur et personnage de sa propre fiction, Ferenc Bohr est l’auteur du Rêve arborescent. Depuis peu, il doute de sa raison : les personnages de ses romans semblent s’inviter dans la réalité. Olivier, Constantin et les autres, jusqu’à Bran Hadès, le pire d’entre eux, qui quitte les Limbes de la Fiction pour lui adresser des menaces à peine voilées. Là n’est pas le seul péril : les livres ne se vendent pas, et s’ils devaient être pilonnés, leurs personnages en mourraient. Ferenc lui-même ne survivrait pas à la dissolution de ses univers cathartiques. Dans les combats qui s’annoncent, il ne pour ra compter que sur son compagnon… et sur Mélusath. Dialogues alertes, didascalies, scènes jouées : une dernière fois le théâtre déploie ses masques miroirs. Thématique ou poétique, structurelle ou linguistique, la transgression est à son comble. L’auteur-démiurge, Berthelot et Bohr fondus l’un en l’autre, vit des mondes et dans les mondes qu’il offre à ses personnages – et au lecteur qui, démiurge à son tour, abrite les univers qui le nourrissent. Mélusath a joué son dernier tour : le quatrième mur vient de voler en éclats.

Le Rêve est achevé. L’auteur se veut posthume, la musique a quitté les pages de ses romans, le voici compositeur. Mais les personnages qui peuplent les Limbes de sa fiction méritent de vivre en vous. Accueillez-les : vous ne le regrettez pas.

Les Voyages du fils

[Critique portant sur Les Voyages du fils, Les Chroniques scandaleuses de Terrèbre, La Grande Danse de la réconciliation, Le Monde des Contrées et Le Dépossédé, territoires de Jacques Abeille.]

Impossible ici de livrer une critique exhaustive de ce qui constitue le plus important moment éditorial de toute la carrière de Jacques Abeille. En effet, pas moins de sept ouvrages, de lui ou à lui consacrés, sortent en l’espace d’un mois : on y trouve un roman réédité (Les Jardins statuaires), d’autres révisés et augmentés (Les Voyages du Fils et Chroniques scandaleuses de Terrèbre), la parution d’un inédit sous le format beau-livre (La Grande danse de la réconciliation), un guide introductif à l’univers des Contrées (Le Monde des Contrées) et un volume d’études, le premier en son genre (Le Dépossédé, territoires de Jacques Abeille), le tout aux éditions du Tripode, sans oublier la réédition du recueil de nouvelles Celles qui viennent avec la nuit, épuisé à ce jour, aux éditions in8. Est-ce pour autant une surprise ? Bien sûr que non, quand on suit depuis 2010 l’aventure éditoriale de cette œuvre hors du commun qui trouve un lectorat de plus en plus large à mesure que sa vaste architecture apparaît plus clairement aux yeux de tous.

D’où un premier constat et non le moindre : c’est fait, le « Cycle des Contrées » est enfin publié chez un seul éditeur, le Tripode (anciennement Attila), dans une même maquette avec couverture de François Schuiten, carte des Contrées de P. Berneron mais aussi des peintures originales réalisées spécialement pour la réédition des Chroniques scandaleuses. Notons de suite également que tout un pan de l’œuvre d’Abeille se révèlera un peu plus précisément au lecteur, celui des textes brefs – pour ne pas dire nouvelles, car tous tissent une seule et même histoire, du fil de la vie d’un mystérieux scripteur qui se dérobe sans cesse aux confins de la fiction. Le lecteur en a déjà eu un bel aperçu l’année dernière avec le recueil Fins de carrière (éditions in8), et il en découvrira l’inspiration érotique dans la réédition augmentée des Chroniques et de Celles qui viennent avec la nuit.

Après la réédition en mars 2015 du Veilleur du jour, le roman d’Éros en Terrèbre, le lecteur attendait de pouvoir enfin redécouvrir Les Voyages du fils et les Chroniques scandaleuses de Terrèbre, qui sont en quelque sorte le cœur battant de l’ensemble romanesque, centré sur deux figures non sans liens : l’une purement fictionnelle qui a déjà fait une apparition dans La Barbarie, Ludovic Lindien, et l’autre à cheval sur notre monde et celui du récit, Léo Barthe. La quête de l’identité au cœur des grands romans se poursuit ici : on y découvre entre autres qui est vraiment le héros du Veilleur du jour, Barthélemy Lécriveur, ce qu’est devenu Felix, l’apprenti de Uen Ord dans Les Barbares, ou encore Licia, comment se sont aimés Barthélemy et Coralie, qui est Ludovic pour Léo, etc. On apprend surtout, par le récit et par l’exemple que constituent les Chroniques publiées sous son nom, qui est Léo Barthe, cet auteur à la réputation sulfureuse, ce frère de lettres qu’on ne saurait distinguer de son jumeau, Abeille. On l’aura compris, le réseau d’un roman à l’autre ne cesse de se faire de plus en plus dense, et le texte inédit ajouté dans chacun des deux volumes concourt un peu plus à construire la cohérence du Cycle. Il ne faudrait pas croire pour autant que Les Voyages et les Chroniques sont accessibles seuls aux initiés : le talent à conter l’aventure, le voyage et la merveille, le mystère et le charme de l’écriture, l’exquise sensibilité de l’érotisme vous emporteront quelle que soit votre connaissance préalable des « Contrées ».

La Grande danse de la réconciliation réunit avec bonheur en un volume unique de nombreux aspects énumérés ci-dessus : texte bref, érotisme, même narrateur en la personne de Ludovic Lindien qui se révèle une nouvelle fois un fin ethnographe (après les Carnets de l’explorateur perdu, Ombres, 1993), servi par les beaux dessins de Gérard Puel.

Celles et ceux qui entrent dans le Cycle par cette triple porte pourront se reporter utilement au Monde des Contrées, dans lequel Éric Darsan et un collectif de graphistes résument et illustrent les grands épisodes des « Contrées ». Quant aux plus avertis, ils trouveront dans le volume d’études réunies par votre serviteur, Le Dépossédé, de quoi découvrir plus intimement une œuvre multiforme et abyssale, en attendant d’en apprendre davantage sur l’écriture érotique d’Abeille/Barthe grâce aux actes à paraître d’un colloque qui s’est tenu sur ce sujet le 13 avril dernier à la bibliothèque de l’Arsenal, deuxième temps d’un triptyque qui se clora en 2017 sur une journée consacrée aux rapports entre arts et poésie chez Jacques Abeille.

Micron noir

2048 : la guerre est devenue un spectacle, un vrai, télévisé et mis en scène. Avec ses prétextes (un différend quelconque entre deux états) et ses vedettes. Dont Gros Luc, ami du narrateur. Un paquet de muscles sans trop de cervelle, dirigé par le micron noir, la drogue qu’il avale à longueur de temps. Sur le terrain de combat, une vraie bête. Dans la vie, un boulet phénoménal au pied de son ami. Malgré la gloire et l’argent, il saute d’une combine foireuse à une autre. La dernière en date : servir d’intermédiaire dans un trafic de micron noir. Le doigt dans un engrenage explosif. La Famille et une sorte de secte militaire sont à ses trousses. C’est parti pour une course-poursuite à multiples inconnues. Seule certitude : Gros Luc doit mourir.

Question classification, Micron noir n’est définitivement pas de la SF. Le choix de l’année et les premières pages ne sont qu’un prétexte. L’étude d’un monde dirigé par la télévision et ses spectacles sans morale n’intéresse par Michel Douard. Il nous brosse en quelques phrases le portrait d’une société déliquescente, simple toile de fond pour la descente aux enfers de ses héros. Et le roman plonge rapidement ses pas dans celui des polars à la papa, mais sous amphétamine. Un croisement entre les intrigues à la Audiard (pas dans sa meilleure période) et certains films américains de série B. On y retrouve, et c’est ce qui fait le sel du bouquin, une galerie de personnages hauts en couleur. À commencer par le copain porte-poisse, emmerdeur version allégée de Jacques Brel dans le film de Molinaro ; ou le méchant aux réactions imprévisibles déjà croisé cent fois, avec ses mimiques et ses exagérations (il va lui exploser la cervelle ou juste faire « bang » et éclater de rire ?) ; mais aussi l’ami du père qui vit dans une cabane immonde loin de toute civilisation et sans même une télévision digne de ce nom. Et la liste ne s’arrête pas là.

Des stéréotypes, donc, à tire-larigot, dans une histoire peu originale. Micron noir n’est pas une lecture ennuyeuse, loin de là. Arriver au bout n’a rien d’un pensum, mais il n’y a décidément pas de quoi casser trois pattes à un canard (même sauvage).

L'Abîme au-delà des rêves

Démarrage sur les chapeaux de roue pour ce nouvel ouvrage de Peter F. Hamilton : Laura Brandt est réveillée en urgence. Le Vermillion, l’un des vaisseaux en route pour une lointaine mission, s’est perdu, avalé par le Vide. Seule chance pour l’équipage : tenter de se poser sur une planète aux caractéristiques favorables. Mais il faudra également explorer une forêt spatiale aux propriétés surprenantes, histoire peut-être de comprendre ce qui leur est arrivé.

Dans la deuxième partie du roman, Nigel Sheldon, bien connu des lecteurs de Peter F. Hamilton, est chargé d’une mission phénoménale : pénétrer le Vide afin d’y découvrir ce qui a pu advenir de ces vaisseaux disparus depuis des centaines d’années.

Enfin, dans la troisième partie, la plus longue, Peter F. Hamilton nous conduit sur Bienvenido, planète sise dans le Vide, dont la société doit affronter une menace continue et terrible : les Fallers. Des œufs noirs tombent du ciel et cherchent à attirer des humains afin de les absorber et prendre leurs places. Le jeune Slvasta a perdu un bras lors d’une rencontre avec cet ennemi venu de la Forêt dans l’espace. Cette aventure lui a amené la gloire et l’a placé en situation de changer la destinée de son peuple. Mais Nigel Sheldon va venir mettre son grain de sel dans ses plans.

Avertissement à ceux qui n’ont pas encore lu « La Trilogie du Vide » : vous pouvez attaquer L’Abîme au-delà des rêves sans aucun souci, car l’auteur y donne tous les détails nécessaires à la bonne compréhension de cet univers et du Vide. Revers de la médaille : il y apporte aussi des informations et des réponses que vous préférerez ignorer si vous avez l’intention (et le courage) de vous plonger dans la trilogie initiale.

Abandonnant le thriller et les expéditions militaires, Peter F. Hamilton fait un retour gagnant dans son genre de prédilection avec « Les Naufragés du Commonwealth », dont le deuxième et dernier tome est annoncé en VO pour la fin de l’année. Ce qui signifie, en passant, que cet auteur parvient enfin à faire plus court (enfin, tout est relatif : 646 pages aux lignes bien remplies pour le premier opus du diptyque annoncé). Et c’est tant mieux. Le rythme y gagne en vigueur et en tempo. L’Abîme au-delà des rêves mêle avec réussite aventures spatiales et révolution ouvrière. En effet, les deux premières parties sont du pur space opera, avec ses races extraterrestres (alliées ou ennemies), ses technologies de pointe (voyage spatial, mais aussi clonage) et ses rapports de force fluctuants. Mais l’essentiel de l’ouvrage prend place sur Bienvenido, gouvernée par un monarque peu ouvert au dialogue social, le Capitaine. Sans parler d’Aothori, le Second, son fils sadique aux mœurs perverses. Face aux inégalités et à l’immobilisme, Slvasta va se retrouver, presque malgré lui, au centre d’une révolution digne de ses homologues français ou russe.

Pour narrer ces aventures, le ton est tour à tour sérieux ou léger, selon que l’on suit Slvasta, jeune homme tragique et habité par une obsession depuis la perte de son bras, ou Nigel Sheldon, dandy détaché de tout – en apparence –, sûr d’avoir tout vu, tout vécu. L’équilibre est habilement trouvé et l’on attend les rares rencontres des deux personnages avec gourmandise. Tout cela transforme L’Abîme au-delà des rêves en véritable page-turner qu’on se prend à regretter d’avoir déjà lu, sachant que la suite n’arrivera pas en France avant 2017. Monde cruel !

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