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La Jeune Fille et les Clones

Le titre américain (Glory season) était certainement moins niais que celui de la traduction, mais il était aussi moins évocateur car, si les événements qui nous sont contés se déroulent durant la dite saison de Gloire — l'hiver — celle-ci influe peu sur ceux-là. Dans ce gros pavé de 630 pages agrémenté d'une postface, David Brin, avec le talent dont il est coutumier et qui fait de lui l'un des tous meilleurs conteurs de la S-F, nous raconte la tumultueuse entrée dans la vie de Maïa et la venue sur Stratos de Renna, l'envoyé du Phylum humain, personnages dont les destins vont, évidemment, se croiser.

Stratos est un monde où s'est établi une colonie féministe et conservatrice qui a coupé les ponts avec le Phylum progressiste. Par manipulations génétiques, les femmes de Stratos ont acquis la faculté de se cloner sans pour autant perdre celle de se reproduire par fécondation — les mâles restant nécessaires à la fécondation mais aussi à l'amorce du processus de clonage. Les fondatrices de la société stratoïne ont programmé les périodes d'activité sexuelle masculine et féminine en opposition : elles en hiver, saison de la gloire et du clonage, eux en été. En été, les hommes sont interdits de séjour en ville et confinés dans des sanctuaires. Ils ne sont les bienvenus qu'en hiver, quand on a besoin d'eux pour produire des clones. Quant aux estiviennes ou vars, nées du brassage génétique, elles ne sont guère mieux loties. Chassées de leur clan à l'adolescence, elles doivent se débrouiller seules pour survivre et, pour les meilleures, fonder un clan. Le darwinisme social règne ici sans partage…

Maïa et Leie, sa sœur jumelle, en sont là, naïves, pleines d'espoirs et d'illusions, jurant de ne jamais se séparer. La mort aura tôt fait de se charger de Leie. Seule au monde, Maïa découvre l'entreprise criminelle de l'izbé Bellère… et l'aventure s'ouvre à elle ! C'est le début d'une suite d'événements rocambolesques, des péripéties au cours lesquelles Maïa découvrira le monde, apprendra l'amour mais aussi la trahison…

David Brin a écrit là un roman d'aventures maritimes, plein de pirates, d'îles aux trésors high tech, de bases et de passages secrets, d'évasions, de trahisons et de codes mystérieux. L'action et le romanesque en sont les maîtres mots. Mais, bien que la narration soit fort mouvementée, la violence est plutôt restreinte et les principaux personnages la perçoivent comme choquante. Ainsi La jeune fille et les clones ressemble à s'y méprendre à un roman juvénile, à ceci près que la problématique qui sous-tend l'ensemble est on ne peut plus adulte.

Brin dépeint une société féministe qui est également une utopie agreste où les mâles sont maintenus à l'écart et confinés dans leur utilitarisme sexuel. A l'instar de leur nombre, leur rôle social est des plus restreint. La première différence entre le livre de Brin et les utopies de la S-F féministe est qu'il impute aux femmes la volonté de disparité démographique — il n'est point ici question de l'habituelle catastrophe, due à quelque tare congénitale masculine, qui masque en fait un fantasme d'androcide. Implicitement, il pose la question du devenir de la gente masculine dans un monde où la technique permet de s'affranchir de son rôle biologique. Plus subtil encore, il demande s'il est bon, comme y aspirent les Perkinistes, une fratrie extrémiste du monde de Stratos, que la technique suppléée totalement aux mâles.

Telle qu'il la dépeint, la société stratoïne déplaira aux féministes et ce d'autant plus qu'elle est remarquablement cohérente. Elles démentiront Stratos comme pouvant ressembler à un de leur projet, que le sexe de l'auteur ne l'autorise pas, etc. Il n'empêche que David Brin a posé les postulats techniques d'une telle utopie et en a tiré les conséquences. Ce n'est pas bien sûr une démocratie, mais une aristocratie darwinienne ; ce qui découle du clonage. C'est aussi une société d'apartheid où mâles et vars sont rejetés, une société loin d'être exempte de violence et de conflit, particularités qui, aux dires des féministes, seraient l'apanage de l'homme. En fait d'utopie agreste, on découvre un monde au milieu du XIX° siècle, une économie du charbon et de l'acier, offrant tous les inconvénients de l'industrialisation mais aucun des avantages. Allusion est même faite à la première grève et le révisionnisme est à l'honneur, le passé voilé, effacé. Les vars se voient exploitées et confinées dans les tâches les plus ingrates, ni plus ni moins une forme d'esclavage. Leur unique perspective d'avenir est l'illusion qu'elles pourront un jour fonder leur clan, variation sur le thème du rêve américain. Ce qui est pour le moins douteux puisque les jeunes stratoïnes ne peuvent se reproduire pour la première fois que par clonage, or, une amorce hivernale, saison où les mâles sont presque impuissants, est fort coûteuse et représente un investissement qui n'est guère qu'à la porté d'un clan. Si une femme devait débourser un million de francs pour être fécondée, combien en aurait les moyens ? À moins que leur entreprise ne le leur offre…

David Brin met en scène la victoire des réactionnaires et donc l'échec du Phylum humain, non par prédilection politique de sa part mais parce que c'est dans la logique de la société stratoine. Hommes et vars sont en minorités et l'histoire a enseigné que les révolutions minoritaires sont vouées à l'échec. Il voulait enfin conclure son livre par une note optimiste quand à l'avenir de son héroïne en nous laissant croire que bien qu'elle soit encore une va-nu-pieds, elle réussira à fonder un clan dans la navigation aérienne qui vient de s'ouvrir aux hommes. Mais cette niche économique est déjà occupée. Le mythe américain est encore vivace. Maïa est-elle devenue, au terme de ce périple initiatique, une femme adulte et indépendante ? Oui, si l'on entend par là qu'elle a perdu toutes ses illusions et abandonné tout espoir d'un monde meilleur pour les vars et les hommes. Lui reste en guise d'avenir sa culpabilité dans la mort de l'homme qu'elle a aimé, sa trahison au profit d'Odo et la vacuité d'une vie de var devant elle. Même si l'héroïne est sympathique, tant les péripéties que l'arrière-plan du roman ne laissent la place à une interprétation optimiste.

Outre qu'il est un roman d'aventure trépidant, La jeune fille et les clones, bien que d'une lecture des plus faciles, est un des livres majeurs de cette rentrée S-F. À travers une action de chaque instant, David Brin a su dépeindre dans toute sa richesse une société étrangère et complexe. On pourra enfin comparer la société de Brin à celle proposé par Pamela Sargent dans Le rivage des femmes qui vient d'être réédité en Poche, les trajets de Maïa et Renna à celui de Christie, l'héroïne des Fils de la sorcière de Mary Gentle, qui cumulait les deux rôles, ou encore avec certains des ouvrages d'Elisabeth Vonarburg ou d'Ursula K. Le Guin. D'une lecture essentielle.

Iceflyer

 

Cipango, nouvelle Atlantic City artificielle en plein Pacifique, constitue l'héritage laissé par Fausto Luciano III, pape de la Mano, descendant putatif de Lucky mais peut-être moins chanceux car ses accointances avec la Synarchie ressemblent fort à un marché de dupes, ainsi que le voudrait son prénom. Héritage que vont se disputer Icks LaMotta — suivez mon regard — et Lotta Meinhof, créature qui a plus à voir avec un hybride de Pablo Escobar et de Marilyn Monroe qu'avec une certaine Ulricke du même nom. Ces deux ont chacun leur champion : Erica Janssen, pouliche Scandinave masochiste pour LaMotta, et Mat Katkov, tocard fini, pour Meinhof. Meinhof et LaMotta n'étant eux-mêmes que des pions dans la partie opposant les Hommes aux Intelligences Artificielles. Sur Waller Martin, maître flic, et sa secrétaire Natassia Gorki ( !), le président Wun et le directeur du CIRCO Asmessian, ex-gladiateur, et son adjointe, Tania Orloff — mais oui, vous l'avez reconnue, la nièce de l'Ombre Jaune chère à Bob Morane herself — repose la survie de l'humanité. Décidément, Christian Vilà semble ici beaucoup s'amuser avec les noms de ses personnages…

En ce XXIe siècle, l'essentiel de l'humanité est oisive et il faut lui fournir du pain et des jeux. Les IA et la Synarchie ne voient là que des bouches inutiles, comme le Capital avant elles. Christian Vilà met ici en scène les craintes que Viviane Forester a pu exprimer dans son livre, L'horreur économique, quant à l'existence d'une population dénuée de rôle social.

Tout au long du roman, on voit Icks LaMotta et ses séides, Horesco Referens ( !) et Luigi Moltobello, assurer la victoire de la Synarchie à grands coups d'assassinats. Toutefois celui de Roxane, la soeur de Katkov qui lui prête ses pouvoirs psi, échoue car son esprit se trouve sur l'Infini Boulevard Virtuel où elle écrasera l'Identité synthétique commune aux informatés, des gens dont les IA ont reconfiguré le psychisme à leurs fins. Les méchants seront mis à mal, la Synarchie déboulonnée et le VIB ouvert à l'humanité.

L'action est menée tambours battants ; le gros de l'histoire exhibant les « méchants » occupés à sabrer les appuis du tandem Katkov/Meinhof, un retournement de situation fort attendu intervenant à la fin, comme il se doit. La construction est un peu bancale ; notamment, on aimerait mieux comprendre l'interaction entre le VIB et la réalité.

D'autre part, des personnages tels que Tania Orloff ou Appolinaire Johnson disparaissent soudain sans avoir vraiment joué le rôle que le lecteur pouvait attendre d'eux. Ce roman, que l'on rapprochera du Jeu du monde de Michel Jeury dont il est une variante cyberpunk, n'est pas exempt de défauts. Mais pour peu que l'on joue le jeu — ce qui, vu le thème, est la moindre des choses — et que l'on se laisse porter par l'histoire, il se révélera un bon petit bouquin d'action nourri d'une problématique intéressante, sinon originale.

L'Ange des profondeurs

 

L'espion de l'étrange court toujours. Il s'appelle désormais Martin Dirac et est toujours en butte aux activités de la DATEX. Quand son ami est retrouvé à moitié dévoré en forêt de Fontainebleau, il se doit d'éclaircir le mystère. Et voilà ce professeur en Sorbonne lancé, en compagnie d'une femme flic, à la chasse à l'ummenk — l'ours-garou — au fin fond de la Pologne. Amateurs d'X-Files, passez votre chemin. Myriam Klein et Dirac ne sont pas un couple d'émules de Scully et Mulders. Au contraire. Serge Lehman ne fait que s'ingénier à prendre le contre-pied de cette série… Il n'y a pas le moindre complot gouvernemental visant à dissimuler des phénomènes paranormaux. Le gouvernement aimerait bien plutôt savoir pourquoi ses fonctionnaires à l'Agence Pour le Développement Européen ou professeur d'ethnologie finissent à demi-dévorés. Il n'y évidement pas d'ummenks ni de Terre Creuse. Il y a cependant bien un complot, et d'envergure planétaire. Pour y faire croire. S'il est difficile de comprendre pourquoi les états démocratiques nieraient avec autant d'énergie l'existence d'OVNI, etc., chacun peut par contre comprendre pourquoi les intérêts privés chercheraient à dissimuler les détournements de fonds chiffrés en centaines de milliards de francs. Le rasoir d'Occam tranchant en ce sens que, toute chose étant égale par ailleurs, l'on retienne comme vraie l'explication la plus simple ; que l'existence d'un détournement de fond, fut-il colossal, est plus probable que l'existence d'ours-garous courant de la Silésie à Paris pour y étriper des fonctionnaires. Au niveau macro-économique, les sommes en jeu sont énormes et permettent de mobiliser des moyens à leur échelle. La DATEX détourne ces sommes et met en ouvre une gigantesque entreprise de mystification jouant à plusieurs niveaux. Au plus bas, elle fournit aux Centurions — ses pions — des néo-nazis en place dans les milieux politiques et financiers, une mystique à leurs convenances, faisant d'eux des initiés dans un univers mystérieux et incompréhensible. S. Lehman montre que le monde d'aujourd'hui n'a rien de cryptique et que le croire comme y invite X-Files, c'est se jeter dans les bras de qui entend exploiter cette crédulité. C'est là le second niveau de l'entreprise de la DATEX, dont le responsable, Carlo Pietri, est également un patron de presse. C'est une entreprise globale de désinformation visant à pousser les populations dans la postmodernité en sapant leurs repères afin qu'elles se jettent dans les bras d'initiés charismatiques. Quoi de mieux pour détourner des populations instruites — aspirant à la démocratie et à décider de leur sort par elles-mêmes — de la méthode scientifique qui conduit à rendre le monde intelligible au commun, que des phénomènes surnaturels ne pouvant être expliqués (autrement que comme Lehman le fait, cela s'entend). Pour se déterminer politiquement, le citoyen a besoin que le monde lui soit compréhensible.

Enfin, souvenons-nous que l’œuvre de Serge Lehman est intertextuelle et constitue une histoire du futur. Donc, le roman explique le réel marasme économique que connaissent les anciennes républiques communistes, malgré l'afflux considérable de capitaux occidentaux dont elles ont été abreuvées par les détournements de fonds très massifs opérés par la DATEX. Tout cet argent ne pourrait s'écouler… dans la Terre Creuse, sans que la DATEX ne soit une émanation du capitalisme mondial. Et pour que l'ensemble des transnationales parties prenantes de la DATEX y consentent, il leur faut une perspective de retour sur investissements plus alléchant que la remise à flot des ex-économies socialistes. Ces gigantesques flux de capitaux, on l'aura deviné — si on a lu tout Lehman — sont destinés à l'acquisition du Veld par l'Instance dans la série F.A.U.S.T.

Comme celle des autres livres de l'auteur, la lecture politique de L'ange des profondeurs occupe bien sûr le premier plan. Mais Lehman n'en est pas moins un conteur qui, non content d'avoir à dire, raconte en plus une véritable histoire.

C'est Serge Lehman qui, depuis dix ans, comme un répétiteur, rabâche que la S-F hexagonale a de l'avenir pour peu que l'on raconte des histoires ; la méthode Coué et le prêche par l'exemple ont fini par porter leurs fruits. Son influence sur le renouveau actuel de la S-F française fut prépondérante. Néanmoins, lire Lehman pour seulement se divertir, ce serait donner de la confiture aux cochons. De plus, sa propre formation d'historien enrichit notablement le récit de détails, sans parler des apports d'érudits, tels que Michel Murger et Joseph Altairac, en matière de paranormal et de mythologie nazie, qui, finement distillés par l'auteur au fil du roman, constituent une richesse supplémentaire. On arrive ainsi à produire une littérature populaire de qualité… Voilà donc une démystification en règles du paranormal autrement passionnante que tous ces complots qui émaillent la S-F de Jimmy Guieu à X-Files en passant par Hubbard.

Pollen

[Chronique de l'édition anglaise parue chez Ringpull en 1995]

Pollen fait suite à Vurt (publié en France chez Flammarion en mai dernier et critiqué dans Bifrost 06) et confirme l'immense talent de Jeff Noon. On y retrouve une voix sombre et fascinante que l'on a du mal à quitter et qui nous conte les obsessions de l'auteur : Manchester, les labyrinthes, Alice au pays des merveilles et encore et toujours le rêve.

Manchester est peuplée des enfants de Fertilité 10 : la réponse des autorités à la stérilité causée par l'air noir de Thanatos. Fertilité 10 a permis la naissance de dizaines de milliers de bébés en brisant les barrières cellulaires entre les êtres. Les humains se prennent de désir pour les chiens, les machines, les êtres du Vurt et même les cadavres. De ces unions naissent une pléiade de créatures : hommes purs, hommes-vurt, ombres, hommes-machines, hommes-chiens, chiens-machines et zombies.

La narratrice de Pollen est une ombre et un flic. Dans un monde où les rêves sont devenus des lieux que tous peuvent visiter, elle souffre d'un manque génétique qui l'empêche de rêver mais lui permet de lire les pensées. Dans une ville ravagée par une épidémie mortelle de rhume des foins elle cherche à trouver l'origine du nuage de Pollen qui augmente en intensité au fil des heures.

L'histoire qu'elle nous raconte a de multiples facettes. C'est la quête d'une mère pour retrouver sa fille, la fuite d'une fille-taxi pour échapper à ceux qui la tiennent responsable de la mort de l'homme-chien qu'elle aimait, le retour du printemps sur la terre lorsque Proserpine quitte son époux et les Enfers pour retrouver sa mère Demeter. Tous se croisent et se rejoignent, s'allient ou se déchirent et nous entraînent à leur suite, de Manchester aux Limbes et plus loin encore, par delà les portes gardées par Cerbère, jusqu'aux Enfers pour y défier celui qui y règne.

Le livre commence par un éternuement de trois pages qui donne le rythme. On l'entend résonner tout au long du récit. L'atmosphère a le parfum entêtant d'une multitude de fleurs et la viscosité de la morve d'un chien atteint de rhume des foins. Pollen est une fable sombre et magnifique, la prose de Noon, poétique et envoûtante, fait corps avec son récit et nous engloutit tout entier. Au point que lorsque l'on en sort le bout du nez, on s'étonne de ne pas voir plus de monde éternuer.

L'Éveil d'Endymion

[Chronique de l'édition originale américaine parue chez Bantam Spectra en septembre 1997]

The Rise of Endymion poursuit et conclut la saga commencée par Hypérion, énorme et incontournable best-seller S-F de la décennie. On y retrouve les personnages centraux d'Endymion : Enée, fille de Brawne Lamia et du cybride John Keats ; A. Bettik, l'androïde à la peau bleue ; Raul Endymion, héros malgré lui et narrateur du récit.

Raul est emprisonné dans une boite de Schrödinger et attend la mort sans savoir à quel moment elle frappera. Dans sa solitude il se rappelle les aventures qu'il a partagées avec ses compagnons. Après nous avoir entraîné le long du fleuve Thétys pour fuir les envoyés de la Pax, il nous raconte ici son amour pour Enée, devenue femme, et leur voyage à travers l'univers pour répandre la parole de « Celle qui enseigne ». Face à une église catholique pervertie qui offre l'immortalité du corps et a vendu son âme au Technocentre et ces machines, Enée lutte pour promouvoir l'immortalité de l'âme, l'amour et l'empathie. Le récit de Raul nous emporte et s'interrompt parfois pour nous ramener à sa triste condition et à sa fin que l'on imagine sinistre et inexorable. Après le rythme effréné du tome précédent, on retrouve ici un récit plus posé et un retour aux spéculations théologiques. L'avènement d'Endymion — The Rise of Endymion — , est en fait celui du Christ dont Enée est la nouvelle incarnation. La venue du messie sonne la fin des Dieux anciens. Les idoles tombent une à une. Les Cantos d'Hypérion sont des histoires auxquelles personne ne croit plus, Simmons détruit de sa propre main le monde qu'il a créé. L'existence du Gritche est commentée, rationalisée jusqu'à ce que rien ne subsiste de son mystère.

Les héros d'Hypérion ont pâli ou sont devenus les apôtres du nouveau messie. Simmons en fait des personnages de second rang qui apparaissent ou disparaissent dans un monde qu'ils ne tiennent plus et qui ne tient plus à eux. Seule la lumière du Messie est maintenant digne d'éclairer les choses.

Telle est l'histoire de grandeur et de décadence qui transparaît dans le récit que nous raconte Raul enfermé dans sa chambre où la mort peut s'abattre à chaque instant, où l'effroyable précarité de la vie n'est soutenable que dans la foi.

Et nous sommes prêts à y croire jusqu'à ce que Simmons se joue de nous une dernière fois. Il efface tout et dans une ultime pirouette, nous dit qu'à l'immortalité de l'âme, il préfère la brièveté d'une tranche de vie pleine du bonheur simple des êtres mortels.

Sacré Simmons.

Alice automate

[Chronique de l'édition anglaise parue chez Doubleday en 1996]

Réjouissons-nous car il semble que Flammarion soit décidé à nous faire découvrir l'intégrale de Jeff Noon. Automated Alice, le troisième roman de ce jeune auteur, nous entraîne à la poursuite d'une petite fille bien connue qui, après avoir voyagé au Pays des merveilles et être passée À travers le miroir se retrouve projetée dans le futur, à Manchester en 1998.

La petite Alice, de visite chez sa tante Ermintrude, s'ennuie. Elle a pour seuls compagnons de jeu sa poupée Celia, un puzzle du zoo de Londres auquel il manque des pièces et Whippoorwill, un perroquet facétieux et désobéissant.

Lorsque Whippoorwill s'enfuit, Alice part à sa recherche, comme jadis à la poursuite d'un curieux lapin. Elle est une fois encore projetée dans un monde étrange et plein de surprises. Les habitants de Manchester sont mi-hommes mi-animaux et ils se déplacent sur des chevaux mécaniques. Une horde de serpents fait régner la terreur sur la ville et Alice ne peut compter que sur l'aide d'une, jumelle mécanique : sa poupée Celia devenue une petite fille de porcelaine.

Alice va-t-elle pouvoir récupérer Whippoorwill et retrouver son époque et la maison de sa tante à temps pour sa leçon de grammaire ? Va-t-elle découvrir à quoi sert une ellipse et comment expliquer à sa tante la disparition de Celia qui choisit de rester en 1998 ?

Automated Alice est l'hommage le plus flagrant rendu par Jeff Noon à un auteur, Lewis Carroll, qui inspire toute son œuvre. C'est une transcription des préoccupations de Noon dans le monde onirique et le style parsemé de jeux de mots et de non-sens de Carroll. C'est le reflet joyeux des ambiances sombres du reste de l'oeuvre de Noon. Les animaux doués de parole d'Automated Alice sont une traduction dans le langage de l'enfance des hommes-animaux de Pollen. La recherche du rêve est ici un parcours poétique.

L'auteur profite également de sa visite dans l'univers de Lewis Carroll pour y apporter sa contribution. Il ajoute à la double nature d'Alice (Alice Liddell, la vraie Alice, et Alice au pays des merveilles, l'Alice imaginaire) une troisième personnalité, Celia Hobart, l'Alice noonesque dont le prénom est l'anagramme de son modèle et qui n'est ni réelle ni imaginaire, mais entre les deux.

Jeff Noon poursuit sa quête du rêve en version conte de fée et Automated Alice est une bouffée d'air frais, une gourmandise.

La Résolution Andromède

 

La collection « Polar - SF » déploie et conjugue depuis plusieurs mois une série de héros et d'univers dont les aventures passent allégrement de la plume de l'un à celle de l'autre. Ainsi Alien World, ou les enquêtes du jeune inspecteur Alex Green sur une Terre mise au banc de la Fédération des mondes extraterrestres unis — qui depuis considèrent notre belle planète comme une sorte de protectorat touristique de seconde zone. Avec G.J. Ranne (auteur du premier tome — La mâchoire du dragon), cela donnait une enquête efficace, avec un zeste d'amertume, de l'espoir et du merveilleux scientifique. Avec Morrisset aux commandes, cela donne une espèce de pogrom à l'échelle planétaire avec tueur psychopathe d'extraterrestres, héros nageant dans la déprime et bloqué à l'hôpital pendant 90% du roman, concours de massacre de victimes innocentes et de duplicité, et une conclusion des plus morne (devinez ce qu'il arrive au petit garçon incurable dont la mère a été gratuitement violée et dépecée ?).

Bref, un roman de plus signé Morrisset à déconseiller aux âmes sensibles, aux maniacodépressifs et aux lecteurs qui voudraient juste lire un bon roman de S-F pour passer le temps et s'évader de cette réalité parfois si morne et si injuste…

Maintenant que le ton est donné, il faut à présent souligner plusieurs aspects du récit de notre auteur très bien vus l'hypothèse des extraterrestres bouc-émissaires, de la décomposition de la société humaine au contact des mêmes ET, la nécropole virtuelle, la déprime du héros et les doutes qui l'accompagnent (pas constructif mais pertinent) en vis à vis de l'analyse psychologique fouillée du tueur, la cohérence générale du monde qui l'ancre comme une réalité vraisemblable dans l'esprit du lecteur. Sans oublier les points noirs qui émaillent cet univers, comme la mor suspecte d'un savant qui était à deux doigts d'offrir la propulsion interstellaire à l’humanité juste avant l'arrivée des extraterrestres, et l'énigme de la résolution Andromède. Donc de quoi nourrir votre imagination enfiévrée.

Bien sûr, il y a les sempiternels « cadavres qui se vident » dont Morrisset se fait une spécialité (auquel il faudra désormais ajouter les « pendaisons grossièrement érotiques » et un troisième délice du même genre), une conclusion trop rapide, le cliché du tueur conditionné, une quête de Green sur l'identité d'un collègue décédé sous ordres qui fait un tantinet rallonge et, surtout, des extraterrestres pas suffisamment malins pour consulter le chapitre criminologie et psychologie des tueurs psychopathes pour capturer un assassin dans leurs propres installations (mais ce n'est peut-être qu’une manœuvre politique de plus…).

Au total, je reste plutôt admiratif devant la qualité de l'écriture de Morrisset, même si plusieurs de ses motifs récurrents rendent l'immersion dans son imaginaire déplaisant sauf à se délecter (à la brussolienne) de la noirceur et de la misère de l'âme humaine.

Yanis, déesse de la mort

La saga des Bannis de Loubet à peine parue, Fleuve Noir embraye sur un second diptyque, Arkem, la pierre des ténèbres — cette fois l'œuvre d'une pure jeune fille. Jamais le contraste Fantasy pour Hommes I Fantasy pour Dames n'a été si frappant dans cette collection. Là encore, je conseillerai vigoureusement la lecture intégrale de ces deux cycles pour l'apprenti sociologue.

Autant l'avouer de suite, les premiers chapitres sont, pour le lecteur mâle, à grimper au mur. J'ignore l'effet sur mes consœurs, mais en ce qui me concerne, lorsqu'après trois pages passées à se mirer dans une mare, la diaphane héroïne aperçoit « un être assis sur une souche, grand de silhouette, indéniablement viril de morphologie… », — je ne peux m'empêcher de me demander quel est le détail dans la silhouette de ce démon à même de révéler une morphologie qu'on ne pourra nier !

Heureusement, les choses s'améliorent peu à peu (ce qu'on pourrait presque regretter parce que tout cela aurait pu donner une superbe parodie d'Heroic-Fantasy fleur bleue!) — et le récit retombe dans le classique très lisible, sans jamais se délester de cette indéniable touche féminine : romantique en diable, plein de mâles idéalisés donnant dans le véritable catalogue fantasmatique (domination d'une femme par une autre femme avec la première prêtresse ; domination de l'homme par une femme avec le magicien voleur prisonnier du souterrain pour ne citer que les plus évidents). Cela me semble désigner d'emblée Arkem comme l'équivalent du cycle de Gor de John Norman (J'ai Lu), pour les femmes.

Ceci mis à part, c'est encore l'histoire d'un bâtard — d'une bâtarde — promis à un grand avenir et doté d'un objet magique (la pierre) sans lequel elle ne vaudrait tripette.

Bref, si chacun se doit d'applaudir à l’arrivée d'un nouvel auteur féminin francophone, il convient de conseiller ce roman à l’exclusif usage de nos chères lectrices… et de nos étudiants en quête de thèses ! Ce n'empêchera pas tout lecteur masculin de jeter un coup d'œil aux aventures de Yanis, ne serait-ce que pour savoir ce qu'attendent ces dames de leurs chevaliers servants…

Ethan d'Athos

 

La perfection est-elle de ce monde ? En space opera, oui, et elle a pour nom LoisMcMaster Bujold. Sans être transcendant, ce nouveau roman (de 1986…) démontre la parfaite maîtrise de l'intrigue, de la psychologie du personnage, de l'humour, du message, de l'extrapolation scientifique et simplement de l'écriture. C'est simple, c'est clair, c'est distrayant, prenant et tolérant.

Ethan d'Athos, contrairement à ce qu’affirme l'éditeur (une fois de plus…) fait partie intégrante du cycle de Miles Vorkosigan (Barrayar). En effet, je ne vois comment un lecteur qui n'aurait pas lu un roman mettant en scène les aventures de ce nain qui voulait être un grand militaire, pourrait comprendre l'échange de répliques suivant : « Oh… je vois. C'est à cause de ça — Un seul mot sur ça et j'organise pour vous un accident que même l'esprit malade d'Okita n'aurait pas pu imaginer. » (p. 163). De même, Quinn, sorte de James Bond au féminin dans cet épisode, n’est autre que la jeune mercenaire défigurée dans L'apprentissage du guerrier, à laquelle Miles offrait une régénération faciale. Bref et une fois pour toutes : Ethan d’Athos s'intègre totalement dans le cycle de Miles Vorkosigan. Point.

Le marivaudage est un des leviers principaux des romans de Bujold : jouer sur les attirances, les répulsions, les perversions sexuelles sont aussi bien l'occasion d'un feu d’artifices de bons mots et de situations hilarantes que d'abîmes psychologiques douloureux, tragiques, voire pénibles. On se souviendra pour l'exemple des scènes de torture du frère jumeau de Miles (La danse du miroir). Dans Ethan d’Athos, Bujold s'attaque front à l'homophobie de ses protagonistes — et du lecteur en prenant pour héros le représentant jeune et naïf d'une culture monosexuelle utopiste. En effet, Ethan est un médecin accoucheur génétiquement parfait. Accoucheur, ça signifie sur Athos : suivre depuis la fécondation de l’œuf la gestation du fœtus dans ce qu'il est usage d'appeler une « culture ovarienne ». Parce que sur Athos, les femmes n'existent pas Elles sont tabous, interdites, physiquement et même en image. C'est dire la peur quasi panique d'Ethan à l'idée d'en rencontrer une, lorsqu'il est chargé par son peuple de racheter un lot de cultures ovariennes pour remplacer celles qui s'épuisent, chez lui, depuis deux cents ans. Il va non seulement fréquenter assidûment et bien malgré lui la superbe mercenaire Eli Quinn, mais aussi tomber de Charybde en Scylla au fil d'une sombre histoire de manipulations génétiques.

Brillant, tirant totalement partie de ses décors (une station spatiale) et de ses prémisses scientifiques (la génération artificielle d'êtres humains) pour orchestrer une action sans temps mort ni remplissage, Bujold signe avec Ethan d'Athos un lumineux modèle de space opera d'action.

Relic

 

Oubliez le film. Réjouissez-vous de l’avoir raté : adapter (trahir) aussi médiocrement un tel roman est un crime, et une preuve évidente d'incompétence de la part des scénaristes et du réalisateur. Car Relic est un pur joyau: un roman d'épouvante à vous glacer le sang, un thriller à vous cramponner à la reliure (l'édition originale avait la texture d'une peau écailleuse !) et un véritable roman de Science-Fiction. Celui-ci a beau être classique dans ses prémisses et son intrigue, il est si bien monté, si bien raconté, qu'il constitue une expérience à ne manquer à aucun prix.

Relic ouvre le feu par un double meurtre d'enfants commis sur la personne de deux « Indiana Jones » amateurs en goguette dans le Musée d'Histoire Naturelle de York. La vie routinière de Margo Green, jeune assistante d'un chercheur aux théories évolutionnistes fumeuses, s'en trouve un peu dérangée par quelques complications policières (des questions, des inspections, du sang maculant les chaussures d'un collègue). Un meurtre barbare de plus et l'ambiance vire à l'hystérie collective. Le tout à la veille d'une exposition tapageuse et voyeuriste sur les superstitions du monde entier. Le problème, c'est que si on ferme le musée pour cause de tueur en série, financièrement ce dernier coule. De plus en plus mal à l'aise (et surtout dépassé), l'inspecteur D'Agosta est ravi de voir débarquer le FBI en la personne de l'Agent Spécial (Kyle MacLachlan dans Twin Peaks, en blond) pour faire avancer l'enquête.

L’atmosphère fantastique est renforcée par la connaissance intime des auteurs de la réalité des lieux qu'ils décrivent (Douglas Preston a travaillé au Muséum d'Histoire Naturelle de New-York). L'humour noir allié à la quantité de ficelles bien tirées (ah la pure jeune fille attirée dans les corridors ténébreux d'une exposition de cadavres…) distille une angoisse délicieuse. Et de constater à l'arrivée que les théories scientifiques à l'appui se tiennent (pour autant qu'on puisse en juger) et que les auteurs nous ont bien piégés avec leurs pistes multiples, jusqu'au jeu de massacre final.

Alors surtout ne louez pas le film Relic en vidéo, ne le regardez pas lorsqu'il passera à télé. Laissez tomber X-Files pendant quelques heures et allez voir ce que deux auteurs aguerris de Science-Fiction et Épouvante sont capables de faire quand ils s'y mettent vraiment et bichonnent leur sujet.

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