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Fantaisies

[Chronique portant à la fois sur Fantaisies et sur Le Chat Murr.]

Hoffmann est un auteur que l'on ne présente plus. Ses œuvres ont inspiré tant les poètes que les romanciers et les musiciens. Cependant, comme trop d'auteurs que l'on croit connaître, et dont la renommée n'est plus à faire, son œuvre n'a vu que tardivement une parution française relativement complète, accessible à tous, dans une traduction soignée. Les éditions Phébus ont aujourd'hui entrepris de mettre un terme à cet état de fait, puisqu'elles nous proposent une réédition complète de ses « Contes et Récits » en quatorze volumes, dans la collection « Libretto », en choisissant les traductions les plus fidèles, à la fois à la lettre et à l'esprit de l'auteur. Disons-le dès maintenant : l'édition est attractive, avec un format « poche » amélioré, une belle impression et une très agréable absence de coquilles (denrée rare…). Par ailleurs, on y trouve de passionnantes introductions, préfaces et notes, nécessaires à une intelligence claire des textes. Bref, un outil tant de découverte que de travail.

Les deux premiers volumes qui initient cette collection sont aux deux extrêmes de l'œuvre hoffmannienne : les Fantaisies, publiés en 1812-1813, et son roman semi-testamentaire, Le Chat Murr. Deux œuvres d'un genre profondément différent, qui font à elles seules la preuve de l'éventail des styles d'Hoffmann, définitivement irréductible à un « type » d'écriture.

Les Fantaisies, autrement intitulées Fantaisies à la manière de Callot, sont un recueil de nouvelles fantastiques, parmi lesquelles se trouvent sans conteste les textes les plus célèbres du conteur allemand. La nouvelle d'ouverture, « Le Chevalier Gluck », fait partie des textes qui ont fait d'Hoffmann un des grands maîtres du fantastique. Dans la même veine, on retrouve le « Don Juan », et surtout les fameuses « Aventures de la Saint-Sylvestre », où ressurgit le personnage de Peter Schlemil, héros du roman éponyme de l'Allemand Adelbert Von Chamisso, toujours à la recherche de son ombre. À la faveur de cette nuit particulière, il partage une table de taverne avec Spicker qui, lui, a donné son reflet à la diabolique Giuletta, et que le flamboyant Docteur Dapertutto poursuit encore. À côté de ces textes proprement fantastiques, on redécouvre des contes nettement plus « merveilleux », comme « Le Vase d'Or », dans lequel Hoffmann laisse libre cours à son imagination. Les visions oniriques qu'il met en scène sont tour à tour fascinantes, inquiétantes, drôles, sombres, colorées, envoûtantes… mais toujours emplies d'une « vie » surprenante. La puissance évocatrice de l'auteur est tout simplement confondante. De nombreux passages feraient certainement envie aux tenants de l'écriture du rêve, tant ils semblent proches du fonctionnement effectif de notre inconscient, sans pourtant que la construction du récit soit jamais prise en défaut.

L'édition accorde également la place qui leur revient de droit aux « Kreisleriana », trop longtemps laissées de côté. Johannes Keisler, maître de chapelle et « double » avoué d'Hoffmann, est un homme en révolte contre ceux qui galvaudent la culture, se permettent des jugements d'ignorants, ou se targuent de dons artistiques ; personnages qu'on trouve alors tout particulièrement dans les salons mondains. Homme fantasque, parfois à la limite de la folie, ironique, mordant, Kreisler écorche sans remords toute une partie de la société qui se veut cultivée, et incarne à ses yeux le philistinisme. Loin du fantastique, ses écrits — sous forme de fragments compilés, écrits au hasard des partitions — sont aussi l'occasion de longs commentaires sur la musique, l'art et les mœurs de son temps. Les tableaux et les personnages qu'il y brosse font les frais de son humour ravageur, pour notre plus grand plaisir, même si, derrière cet humour, on sent une indignation à peine contenue, et parfois, au détour d'une phrase, la douleur d'un amour irréalisable.

Ce regard dévastateur sur la société n'est pas l'apanage exclusif de Kreisler. Hoffmann le place également dans la gueule du chien Berganza, qu'il emprunte pour l'occasion à Cervantès. Ce canidé, doué de la parole, entretient en effet une conversation prolongée avec le narrateur, au cours de laquelle il lui raconte ses expériences dans le monde des hommes « cultivés », et donne son point de vue plus particulièrement sur le théâtre de l'époque. Dans une veine très voltairienne, Hoffmann donne également la parole à un singe, admis, écouté et respecté dans les meilleurs salons, qui raconte comment il est passé du statut de primate à celui de « singe savant » en peu de temps et d'efforts. La lettre, adressée à son amie Pipi, tient en quelques pages, dont l'humour ravageur n'a pas pris une ride… Un grand moment d'anthologie de l'ironie.

Donner la parole aux animaux, Hoffmann le refera plus longuement dans son dernier ouvrage, le second qui nous intéresse : Le Chat Murr.

Dans ce roman, à la structure assez complexe, c'est plus précisément la plume que l'auteur donne au félin. Murr — qui était réellement le chat d'Hoffmann, soit dit en passant — , est un félin cultivé, un « honnête chat », dirait-on, qui, chez Maître Abraham, a appris seul à lire et à écrire, puis s'est découvert des talents de poète, d'essayiste, de moraliste…pour finalement se décider à écrire son autobiographie, aux fins d'élévation morale de tous les chatons qui la liront… Malheureusement, une fois l'ouvrage sorti des presses, l'imprimeur se rend compte que le texte a été entrelardé de passages appartenant à un autre ouvrage, vraisemblablement les « Mémoires » de Maître Abraham. La raison en est simple : Murr se servait de certaines feuilles déchirées comme support, ou comme buvard, et elles sont restées collées dans le « pattuscrit » — néologisme qui s'impose — remis à l'imprimerie.

Tout l'ouvrage repose donc sur l'alternance du récit de Murr et des aventures de Kreisler, racontées par son ami Abraham, dans un jeu d'oppositions et de parallélismes qui exige du lecteur une attention permanente pour en saisir toutes les finesses. Pour ne citer que quelques points, on opposera par exemple le lieu de vie de Murr, qui se limite aux immeubles avoisinant celui de son maître — et encore, pour de très rares sorties — à la vie errante de Kreisler. En revanche, ils ont en commun d'être confrontés au problème de la tentation de l'inceste. Mais autant Murr assume son être dans une écriture qui confine à la logorrhée, autant Kreisler — dont le moyen d'expression reste la musique — détruit presque systématiquement ses œuvres. De même, alors que le récit de Murr suit une structure linéaire, organisée en quatre parties claires, la vie de Kreisler est faite d'avancées et de retours en arrière, de hauts et de bas, de chemins divergents entre lesquels choisir… L'ensemble, dont la structure éclatée préfigure les romans contemporains, reste déconcertant, et parfois assez difficile à suivre, d'autant que le texte reste ouvert, inachevé, et laisse son lecteur quelque peu sur sa faim. La partie du récit consacré à Kreisler verse souvent dans le romanesque, touchant quelque fois à la mièvrerie dans les épisodes les plus « sentimentaux ». Les fantasmagories des Fantaisies sont bien loin. C'est certainement la partie de l'œuvre qui a le moins bien supporté le passage du temps… Mais on sent que l'auteur y investit davantage de son expérience personnelle, avec pudeur et retenue : l'intimité ainsi offerte nous fait largement oublier l'aspect un peu suranné.

Deux ouvrages donc, qui viennent ouvrir une longue série. Chacun à une extrémité du parcours créatif de leur auteur. L'un, fantastique, drôle, ironique, mordant, certainement le modèle même de ce que l'on conçoit comme l'Œuvre hoffmanienne… et le second, plus intime, plus éloigné de l'inspiration surnaturelle, et étrangement moderne. Deux volumes, donc, qui s'imposent tout simplement dans votre bibliothèque, en attendant de leur adjoindre les douze suivants.

Les Ombres de Peter Pan

Après l'ambitieuse mais inégale anthologie Icares 2004, voici que Richard Comballot embarque un nouvel équipage d'auteurs sur les flots tumultueux de l'Imaginaire, avec cette fois Peter Pan pour bannière. Peter Pan, le « chef-d'œuvre terrible » de Sir James Matthew Barrie, ainsi que le rappelle Fabrice Colin dans une belle préface qui relève plus, toutefois, de l'exercice littéraire que de l'analyse thématique proprement dite. Peter Pan, la Fée Clochette, le Capitaine Crochet et les Pirates, Wendy et ses frères, le Pays Imaginaire (je préfère « Neverland ») évoquent l'irrésistible magie et l'indomptable cruauté de l'enfance, ce mélange d'émerveillements et de peurs que, tous, nous voudrions n'avoir jamais perdu et qu'aucun, pourtant, n'a su retenir, parce que — Tic Tac, Tic Tac — c'est tout simplement impossible. L'enfance fait partie de ces choses qu'il faut perdre pour se rendre compte qu'on les a possédées et passer ensuite sa vie à les rechercher, par procuration. C'est tout l'Imaginaire, au sens le plus large du terme, qui se légitime ici. Rêver à tout prix, naviguer, quelques instants encore, sur les eaux de l'enfance. Et puisque le but, hélas, est à jamais inaccessible, les tentatives d'abordage se doivent d'avoir la splendeur de l'échec et la beauté de l'irréalisable. De ce point de vue, cette anthologie est des plus admirables. Vingt-et-un récits qui sont autant d'ombres de Peter Pan, virevoltantes, cousues avec le fil coruscant de l'imagination et l'aiguille malicieuse du talent.

Outre l'inclassable « Supercroc » de David Calvo, « Peter Pan ne meurt jamais » de Sylvie Denis joue la carte de la provocation macabre. Mais c'est surtout Claude Mamier qui se distingue, avec « Ces ailes que je n'ai jamais eues », l'histoire d'un enfant qui rêvait de voler et qui finira par plier le monde à ses volontés. La nouvelle d'Ayerdhal, que l'on est content de retrouver, sous un titre trompeusement anodin, « Le Réveil du Croco », joue sur la dialectique du conte de fées, avec juste ce qu'il faut d'insolence et de férocité et un prodigieux savoir-faire. Vous n'oublierez pas de sitôt Nap Retep. Pierre Stolze, lui, se fend d'une approche S-F et nous explique comment la naissance de Peter Pan procède du contournement de la deuxième loi de la thermodynamique. La nouvelle désopilante de cette anthologie nous est offerte par la plume impertinente de Catherine Dufour, qui se paie le luxe d'un procès avec James Matthew Barrie comme témoin à charge dans « La Perruque du juge ». Je vous laisse deviner de quel juge il s'agit…

Si tous les auteurs présents s'amusent, ou parfois s'évertuent, à replacer dans des univers qui leur sont propres les ressorts narratifs et les personnages-clefs de l'œuvre de Barrie, réinventant tour à tour Clochette et Wendy, Peter et le Captain Hook, ceux qui y réussissent le mieux sont, et de loin, Christian Léourier, Johan Heliot et Xavier Mauméjean. Le premier, de retour après une longue éclipse, nous propose une parabole sur la fin de l'innocence dans « Blues pour un garçon perdu ». Il y transpose l'histoire de Peter Pan dans les années soixante françaises, entre salles de concert bondées et guerre des gangs larvée. Du moins jusqu'à ce qu'un journaliste assez peu scrupuleux vienne faire basculer l'épique dans le drame. Retrouvant naturellement son cadre de prédilection, Johan Heliot nous entraîne en pleine première guerre mondiale pour une « Idylle du temps des ombres » dans laquelle, entre bombes et tranchées, se rejoue, sous les yeux de Wendy et de ses frères, l'éternelle querelle entre l'Enfant qui ne voulait pas grandir et le Capitaine qui ne voulait pas mourir. Enfin, c'est un Xavier Mauméjean virtuose qui, avec « Raven. K. », livre un texte remarquable dont l'univers se déploie bien au-delà des signes qui lui ont été alloués par l'anthologiste. L'horreur des camps de concentration de la Seconde Guerre Mondiale n'a pas été épargnée aux êtres féeriques. À Ravensbrück, les fées sont parquées et souffrent sous la coupe de tortionnaires mandatés par le Reich. Classées par catégories, les « Dames d'Ici et d'Ailleurs » vont se voir imposer une voie de sortie pire que la torture. Nous sommes bien loin, ici, de l'espièglerie enjouée de Peter Pan à l'égard des Pirates… et le traitement du thème n'a plus rien d'enfantin. Sans doute est-ce « l'échec » le plus talentueux de toute l'anthologie, qui aura approché les rivages de l'enfance, sans jamais franchir les brisants du monde des adultes. Les mots sont comme des radeaux : ils nous permettent d'entrevoir le Pays Imaginaire autant qu'ils nous en éloignent. Cette anthologie était impossible. Comme Peter. Mais quel rêveur refusera de courir après son ombre ?

L'avis de SciFi-Universe sur Zendegi

« Greg Egan s'humanise de plus en plus. Alors qu'il faisait partie des auteurs de hard-science les plus pointus de sa génération, il glisse petit à petit vers de la science fiction plus humaniste, politique et abordable par le grand public. »

SciFi-Universe

ITW Laurent Queyssi

Sur le blog Bifrost, retrouvez Laurent Queyssi, interviewé à l'occasion de la sortie de son recueil chez ActuSF, Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps !

Mise en ligne JHB

Retrouvez dès à présent sur le blog Bifrost l'ami Francis Valéry et son Journal d'un homme des bois, les chroniques journalières d'un écrivain écolo-SF !

Critiques Bifrost HS2

Redécouvrez sur l'onglet Critiques l'exhaustif guide de lecture du hors-série de Bifrost consacré à Jack Vance !

Extrait Zendegi

Téléchargez en PDF le premier chapitre de Zendegi, roman de Greg Egan à paraître le 15 mars !

BO S02E04

Au programme de la Bibliothèque Orbitale cette semaine, que du bonheur pour Philippe Boulier : Rétro-Futur !, ouvrage dirigé par Raphaël Colson, Doctor Who : L'Horloge nucléaire d'Oli Smith et l'anthologie Destination Univers concoctée par Jeanne-A Debats et Jean-Claude Dunyach !

MAJ Griaule

La version numérique du Dragon Griaule de Lucius Shepard a été mise à jour. Téléchargez gratuitement cette nouvelle version depuis votre bibliothèque !

Annonce JHB

À la fin de cette semaine, le blog Bifrost aura le grand plaisir d'accueillir les chroniques journalières d'un revenant de l'imaginaire : le Journal d'un homme des bois par Francis Valéry !

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