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L'Ère du Dragon

Lord Kraven et sa ligue de gentilshommes extraordinaires sont de retour, épaulés par Peter Pan (le grand méchant), Crochet, Sindbad le marin (une sorte de Nemo arabisant), l'ingénieur Cavor, Lily la tigresse, Lord Africa et j'en passe tant les personnages de ce roman sont nombreux, franchement trop nombreux. Tout commence en Chine, où Xavier Mauméjean réécrit Les 55 jours de Pékin avec Charlton Heston Bud Colt, le Baron Rouge, des dragons, les diables étrangers, etc. C'est la guerre entre l'Internationale Féerique et le Monde Libre, Alamo façon canard laqué aux mille saveurs, un affrontement total sur fond de xénophobie chinoise et d'intrigues tordues au cœur de la Cité interdite. L'histoire, pyrotechnique pour le moins, se poursuivra à Moscou, à Londres (inévitable) et ailleurs.

Fin du résumé en ce qui me concerne, ce feu d'artifices ne pouvant en aucun cas être résumé par un critique de Bifrost désireux de garder tous ses points de santé mentale.

Pour le reste, imaginez un film de deux heures vingt minutes compilant toutes les scènes d'action et les cascades les plus improbables des quinze derniers James Bond. Les dix premières minutes sont époustouflantes, le spectateur est comblé. Au bout d'une demi-heure d'explosions et de saltos arrières « même pas mal », il sue, il a mal au crâne. Après une heure dix minutes, ses gencives saignent, ses oreilles bourdonnent et il est allé deux fois aux toilettes alors qu'il n'avait aucune envie de pisser. Avant la fin du film, ses intestins le trahissent, son estomac se rompt, ses yeux explosent dans leurs orbites ; ça éclabousse droit devant, notamment les rares spectateurs survivants qui — les doigts enfoncés dans les oreilles par-delà les tympans — copulaient bruyamment sur les sièges du premier rang en évitant autant que faire se peut de regarder l'écran. Vous voyez le tableau ? Ben, L'Ère du dragon c'est la même chose en livre : un truc improbable, léger comme la brique en uranium enrichi qui vient de vous tomber sur le pied ; une sorte de récit-kaléidoscope fabriqué à coups de morceaux de bravoure (bien souvent jubilatoires) ; un flot d'actions si hystérique, si épileptique qu'à la fin tout cela ne rime plus à rien.

Mauméjean s'amuse comme un fou avec les pulps, Jules Verne, H.G. Wells, les personnages de la littérature merveilleuse, mais il mène son récit comme une formule 1 dans les rues de Monaco, se perdant en chemin, écrasant quelques badauds au passage et oubliant surtout qu'un roman n'est pas une suite d'épisodes délirants, il faut une trame, des enjeux, d'autant plus si on y meurt à toutes les pages en foutant de l'hémoglobine partout. J'avais bien aimé La Ligue des Héros (malgré sa fin ratée)… j'ai souffert, sué sang et eau pour finir cet Ere du dragon où il y a entre deux et trente idées par page, mais aucune tension, aucun horizon d'attente, aucune plage de calme (d'amour ?) où souffler un peu. Le monde décrit pourrait être détruit par Peter Pan, dominé par Bush Junior Bud Colt, transformé en gigantesque Ile de la Tortue par Crochet, rien à foutre, rien à péter, que le rhum coule à flots, moussaillon ! De toute façon, on le sait depuis La Ligue des héros, tout ça n'est qu'une série de simulations, des aventures virtuelles qui se mélangent et s'interpénètrent. Malgré sa belle couverture de Manchu, sa pub géniale pages 406-407, ses innombrables trouvailles, ce roman est un pudding steampunk confectionné avec trop de fruits confits de toutes les couleurs. Indigeste en ce qui me concerne, mais qui plaira sans doute aux spécialistes de Fu Manchu, Tarzan et autres Doc Savage. Dommage, car Mauméjean a du talent, beaucoup de talent, et son style s'est considérablement affirmé/épuré avec ce livre. Ne reste plus qu'à attendre son prochain roman, un polar babylonien au Masque.

Les Enfants de Darwin

Dans L'Échelle de Darwin, Greg Bear avait relooké le vieux thème des mutants en s'inspirant de théories audacieuses sur l'évolution. Des virus, eux-mêmes fragments de code génétique, répandent une nouvelle forme du génome dans la race humaine, à la vitesse foudroyante d'une épidémie. Un rétrovirus, le SHEVA, engendre donc une épidémie, puis des milliers de naissances atypiques sous les regards horrifiés de la plupart des humains, qui les identifient à la maladie. Rares sont ceux qui ont compris ce qui se passait, et parmi eux le préhistorien Mitch Rafelson et la biologiste Kaye Lang, parents d'une fille mutante, qui prennent la fuite avec elle.

Au début des Enfants de Darwin, douze ans ont passé depuis l'irruption du SHEVA, les enfants mutants sont des milliers aux Etats-Unis seulement, où tout une administration s'est développée pour les surveiller, et les envoyer dans des « écoles » qui sont en fait des camps de détention. Des chasseurs de primes enlèvent les enfants imprudents, et bien peu sont ceux qui, à Washington, défendent les droits de l'Homme. Mitch et Kaye protègent férocement leur Stella, mais elle a besoin de retrouver ses semblables — ce qu'elle fera, dans des circonstances dramatiques. L'instinct était trop fort : les enfants du SHEVA communiquent par les odeurs, par des taches évanescentes sur les joues, par la capacité d'émettre simultanément deux flots verbaux, toutes choses inaccessibles aux humains « ancien modèle », toutes choses qui les poussent aussi à créer entre eux des structures sociales et familiales nouvelles.

Un hiatus de trois ans sépare les deux parties principales du roman (une troisième, beaucoup plus courte, se fond dans l'épilogue) ; la première est la plus haletante, tandis que la deuxième construit la société des mutants, et remet les protagonistes principaux dans l'environnement qui était le leur lors du premier roman (Mitch Rafelson repart pour une campagne de fouilles, Christopher Dicken fait face à une maladie nouvelle, Kaye Lang prend un emploi dans un laboratoire pharmaceutique…).

Facilité ? La plupart des personnages principaux de L'Échelle de Darwin sont réutilisés dans le deuxième livre. Parfois dans un rôle différent, cependant. Ainsi Mark Augustine, fonctionnaire épris du pouvoir, trouve-t-il ici sa rédemption morale ; de façon générale, chacun est forcé à un positionnement moins cognitif et plus moral. Le SHEVA n'est plus un mystère scientifique, c'est un phénomène politique qui révèle une société américaine prête à se transformer en état policier, bien plus intolérant (note le roman en passant) que le Pakistan. Mitch Rafelson, lui, a subi une version radicale des changements que la paternité peut apporter dans une vie : « Il ne restait plus grand chose du Mitch d'antan. Il avait subi l'épreuve du feu, s'était réduit à un squelette de pierre et d'acier que Stella appelait papa. Il ne savait même plus si sa femme l'aimait. Ça faisait des mois qu'ils n'avaient pas fait l'amour. Ils n'avaient pas le temps de penser à ce genre de choses. Ni l'un ni l'autre ne se plaignaient ; ainsi allait la vie, tout simplement, le stress et l'inquiétude les privaient d'énergie comme de passion. » (p. 96-97).

Si L'Échelle de Darwin était fondé sur une idée originale et une documentation fouillée (bien dans la manière de Bear), Les Enfants de Darwin n'apporte pas de concept nouveau. Mais c'est un livre chargé d'émotion, beaucoup plus tragique et pessimiste dans sa vision de la nature humaine, qu'on ne peut pas lâcher une fois qu'on l'a commencé. L'œuvre d'un maître de la S-F, que les lecteurs de L'Échelle de Darwin ne voudront pas manquer.

Le Système Valentine

Sparky Valentine était un acteur renommé aux quatre coins de la galaxie. Acclamé par tous, public et critiques, il interprétait avec une rare réussite des dizaines de rôles très différents dans des théâtres prestigieux. Pourtant, quand commence le roman, il fait partie d'une troupe de second ordre, qu'il quitte d'ailleurs très rapidement pour s'enfuir sur une autre planète, où personne ne pourra le trouver. Quelles sont donc les raisons qui l'ont poussé — forcé — à renoncer à la gloire ? Et qu'est-il arrivé à son père, grand acteur, comme lui, qui semble avoir disparu de la circulation ?

Ce sont ces questions qui constitueront le moteur du roman, à travers des flash-backs qui, lointains au début, se rapprochent peu à peu de l'époque de la narration. Un procédé efficace qui permet de tenir le lecteur en haleine durant ces six cents pages, même si parfois sa vaillance faiblit. En effet, Sparky Valentine décrit par le menu détail tout ce qui lui arrive, du plus futile au plus sérieux, avec force digressions. Cela nous le rend sympathique au plus haut point, mais ne fait pas nécessairement progresser l'intrigue. Heureusement, le style de Sparky est vivant et imagé, et les péripéties suffisamment improbables et cocasses pour éviter l'ennui. De plus, il s'adresse régulièrement au lecteur, à travers de nombreux clins d'œil qui sont autant de considérations de Varley sur son métier d'auteur.

 Le roman est également un hommage à Shakespeare. Le répertoire du dramaturge de Stafford-on-Avon est fréquemment sollicité ici : Sparky et ses amis interprètent des pièces du grand William, et les références aux personnages et situations qu'il a créés abondent. Varley a même découpé son livre en cinq actes, bien que ceux-ci soient assez artificiels au regard des règles d'unité de temps, de lieu et d'action. C'est même tout le contraire, le roman se déroulant sur plusieurs planètes, et sur une durée de vingt ans. Bref, l'ombre de Shakespeare s'étend sur tout le livre ; mais pouvait-il en être autrement pour un roman sur le théâtre ? On pense ici inévitablement à Fritz Leiber, et à son cycle de la Guerre Modificatrice, qui se déroule pour bonne partie au sein d'une troupe itinérante (cf. par exemple Les Racines du passé). Précisons pour terminer que le titre original est The Golden Globe, référence beaucoup plus évidente à Shakespeare que Le Système Valentine, titre plus fade.

 Avec ce roman, qui fait partie du cycle « Eight Worlds » (« Huit Mondes ») mais peut se lire indépendamment, John Varley nous gratifie d'un ouvrage original qui, à défaut d'être inoubliable, se lit avec plaisir. On lui préférera toutefois ses nouvelles (notamment celles de Persistance de la vision — Folio « SF » n°17), qui sont de véritables chefs-d'œuvre.

La Belle aux bleus d’argent

Premier tome d'une série de fantasy humoristique, La Belle aux bleus d'argent met en scène Garrett, un privé qui travaille dans un monde peuplé de créatures de fantasy, elfes, trolls… et métis de ces différentes races. On le charge d'une mission : retrouver une femme, qu'un ami de Garrett a désignée comme sa seule héritière. Personne ne savait qu'ils entretenaient une relation suivie ; en outre, Garrett découvre qu'il s'agit d'une de ses anciennes compagnes. Il accepte donc de se charger de l'enquête, même si celle-ci comporte de nombreux risques, le moindre d'entre eux n'étant pas de pénétrer dans le Cantard, un territoire ravagé par la guerre entre les différentes espèces. Heureusement pour lui, Garrett sera secondé par un elfe noir et trois grolls — métis de trolls et d'humains, entre autres — athlétiques, ce qui lui permettra de se sortir de nombreuses mauvaises passes. Mais réussira-t-il à retrouver la disparue, dont le caractère semble s'être mystérieusement modifié depuis sa rupture avec le détective ?

De Glen Cook, on connaissait surtout sa série de La Compagnie Noire, chef-d'œuvre de la fantasy moderne, plongée sombre et cynique dans le monde militaire raconté par le médecin-chef d'une unité. Même si on en retrouve parfois le même ton dans La Belle aux bleus d'argent (notamment les scènes se déroulant dans le Cantard, très proche de l'univers où évoluent Toubib et les siens), on est ici dans un registre beaucoup plus léger. Il s'agit d'un récit d'aventures mené tambour battant, sans temps mort, sans passage introspectif comme il peut y en avoir dans La Compagnie, et conté avec drôlerie. Les personnages sont croqués avec bonhomie, et Glen Cook s'est amusé à injecter des clichés, tout en jouant avec. D'où, par exemple, cette idée d'êtres hybrides, qui pullulent littéralement, au détriment des êtres « pure race » qui sont finalement peu nombreux. Parmi les personnages, on retiendra notamment les grolls triplés, deux costauds imperturbables et quasiment muets, du nom de Doris et Marsha, et un nabot comme troisième larron.

Bref, l'humour de Glen Cook, déjà présent dans La Compagnie Noire mais contrebalancé par l'horreur de ce à quoi celle-ci était confrontée, se révèle ici dans toute son étendue. Pas une lecture impérissable, mais un bon moment de détente.

Poussière de lune

C'était fatal. Ça devait arriver. Il fallait bien qu'un jour ou l'autre la nouvelle génération d'auteurs de S-F britanniques assume la tradition. Qu'après des auteurs tels que John Wyndham ou Jim G. Ballard, après des romans comme Le Vent de Nulle Part, Les Furies ou Les Triffides, l'actuelle génération ajoute sa pierre à l'édifice et vienne compléter un corpus déjà riche de romans catastrophes.

 Mais imaginer de nouveaux cataclysmes n'est nullement chose aisée. En littérature, tout est déjà tombé sur le râble de cette pauvre humanité, de son fait ou non. De l'ouragan absolu à la révolte végétale, de l'invasion de guêpes à la montée des eaux… Et l'Amérique a adopté le genre à défaut du ton, tant en lettres qu'en images. Génocides (Disch), Shiva le Destructeur (G. Benford & W. Rotsler), La Mère des Tempêtes (Barnes). Au cinéma, le plus improbable est coutumier. Des astéroïdes qui pleuvent comme des missiles (Meteor, Armageddon, etc.), des guerres atomiques à foison, des invasions de tout et n'importe quoi, de l'inénarrable Independence Day aux araignées, escargots, tomates, et surtout des navets où la terre tremble comme si elle avait chopé la danse de Saint Guy !

Tremblements de Terre et méga volcans seront cette fois encore au programme, mais pour cause de nanotechnologie, alien, bien sûr… Du « tout en un » pour une belle apocalypse. Il s'agit d'être à la page.

L'examen d'une pierre lunaire qui était restée 30 années durant à prendre le moisi dans un buffet de la NASA, à Houston, initie la calamité. Quelques grammes répandus sur le basalte des vieux volcans éteints d'Ecosse et les voilà qui se réveillent, rongés jusqu'au magma. Vénus vient juste d'exploser, se transformant en un générateur de trous noirs et c'est ce qui guette la Terre. Au moins, c'est radical.

Baxter s'y entend à merveille avec les laboratoires et les fusées, l'astronautique. Après Voyage et Titan, la démonstration n'est plus à faire. Aller sur Mars, atteindre Titan avec les moyens actuels, retourner sur la Lune tout de suite ? Quand on veut, on peut. C'est une histoire de paire de couilles. De l'audace, de l'imagination, du risque. Parce que sur la Lune, on va y aller en décapotable !… Et il arrive à rendre tout cela plausible, crédible…

Les relations humaines atteignent par contre certains sommets. Baxter y fait preuve d'une impressionnante finesse et il aurait dû appeler son roman « La femme, son amant et le cocu sauvent le monde », parce que ce sont ces trois-là qui s'en vont terraformer la Lune… Dans le Soyouz — c'est que ce n'est pas très grand, un Soyouz — Geena dirige la mission à laquelle participe son ex-mari, Harry Meacher, géologue et héros patenté du sauvetage de l'humanité, et son amant russe. Liaison dont Meacher ignore tout. Il est bien connu que le cocu est toujours le dernier informé de sa situation. Aussi quand, dans la promiscuité du Soyouz, il tombe sur les deux tourtereaux en plein chantier, on sombre dans le vaudeville. Et tout ça ne sert strictement à rien. Meacher ayant intégré la libération de la femme, il s'en fout et ne manifeste aucune jalousie. Ça n'influe en rien sur l'intrigue, alors à quoi bon ? Pour rallonger davantage encore la sauce ? Pour « faire » S-F moderne avec des personnages qui « vivent » hors de l'intrigue ? Certains auteurs, Tchékhov ou Mansfield par exemple, s'entendent fort bien à dépeindre de manière réaliste les sentiments et états d'âmes en des moments ordinaires de la vie courante. Mais pourquoi inclure ce type d'éléments sous forme pachydermique dans un roman catastrophe ?

Autre délayage, les nombreuses scènes, inspirées d'une syntaxe cinématographique, où apparaissent des personnages aussitôt vus, aussitôt morts, sans rapport avec l'intrigue. Il s'agit bien sûr de faire dans le larmoyant afin que l'on pleure dans les chaumières à la manière hollywoodienne. Dans le même ordre d'idée, par manque de chance, Jane, la nouvelle femme de Meacher, se fait irradier par l'explosion d'une centrale nucléaire en quittant Edimbourg…

Outre qu'il est infesté de coquilles, voilà encore un livre frappé d'obésité romanesque et contaminé par une sirupeuse sentimentalité à deux balles qui aurait tout gagné à maigrir de moitié, à se focaliser sur la catastrophe et la mission spatiale. Il y a des écrivains — la plupart en fait — qui sont plus doués que Baxter pour mettre en scène des rapports humains et on sait où les trouver, si c'est ce que l'on souhaite lire. Baxter sait par contre nous faire croire que l'on pourrait retourner sur la Lune sur le champ si seulement on le voulait et il sait rendre cela vraisemblable comme peu. Si on lit de la hard science ou du roman catastrophe, c'est peut-être pour le voir déployer son talent là où il en a. Ce n'est pas parce qu'il y parle de volcanisme que l'auteur doit se laisser enterrer sous les scories… On passe.

Noirs Complots

Pour ce sujet hétéroclite, Pierre Lagrange a réuni une belle brochette d'auteurs qui ne l'est pas moins. Des auteurs de S-F qui n'en écrivent plus guère (Andrevon et Walther), d'autres déjà bien établis (Dunyach et Wagner) et un nouveau (Héliot) ; des journalistes du Figaro (Leroy, D'estienne D'Orve, Lapaque et Delcroix) ; un ancien pilier du Fleuve Noir « Espionnage » (Alain Page) ; un créateur du « Poulpe » (Quadruppani) ; un spécialiste de la littérature de genre (François Rivière) ; un journaliste scientifique (De Pracontal) ; un ténor de la littérature générale qui ne répugne pas à bouffer au râtelier des genres (Martin Winckler) et Maurice G. Dantec. De l'hétéroclisme en veux-tu en voilà ; des complots à foison.

Les premiers, les Nazis sont allés sur la Lune grâce à la soucoupe V7 mise au point par Wernher von Braun qui la livra ensuite aux Américains pour négocier son passage à l'Ouest où elle s'est écrasée deux ans plus tard, en 47, près d'une petite localité nommée Roswell (Johan Héliot — « Opération Münchhausen »).

Jolie mise en abîme du complot, « Le Mensonge est ici » dénonce la série X-files comme un complot destiné à faire croire au véritable agent Mulder qu'elle est une action de propagande de la CIA en vue de la nouvelle croisade irakienne de W, alors que c'est un complot extraterrestre. Le meilleur texte de l'anthologie, celui où l'on s'amuse le plus (Martin Winckler — « Le Mensonge est ici »).

« Abattez Karl Marx » est de la pure S-F et hors sujet. C'est un paradoxe temporel digne du Galaxie des années 50 (Jérôme Leroy — « Abattez Carl Marx ! »).

Après le Village, le bistrot de la plage où l'on parque les comploteurs sur le retour. Bonjour chez vous (Serge Quadruppani — « Matinée tranquille au café de l'oncle Peppino »)…

N'importe qui ayant le minimum de culture scientifique peut réfuter les objections élevées par les tenants de la théorie qui veut que l'on n'ait jamais marché sur la Lune (voire que la Lune n'existe pas). Et ça, c'est bien la preuve de l'existence d'un complot. S'ils ont les compétences de monter un canular qu'on est incapable de réfuter bien qu'en connaissance de cause, c'est que ce sont des extraterrestres ! CQFD. Cela justifie qu'on se la joue American Psycho (Michel De Pracontal — « Vous avez demandez la Lune ? »)…

Le Petit Gregory ne serait pas mort ou la théorie du complot familial (François Rivière — « Un Ange vous parle »).

Le 11 septembre 2001 ne pouvait ni ne devait davantage échapper au traitement conspirationniste que le symbole phallique du capital triomphant à un attentat. Attentat qui ne doit rien à Ben Laden et tout à Dick Cheney. À mi-chemin entre la version officielle et la thèse de Thierry Meyssan. L'Attentat était fictif (Jean-Pierre Andrevon — « Incertain 11 septembre »)…

La France a aussi connu ses heures sombres et ses noirs complots, en 58 par exemple (Sébastien Lapaque — « Le Jeu de l'Hombre »)…

Bien avant Chris Carter (créateur d'X-Files), Orson Welles s'est aussi évertué à dissimuler l'invasion des martiens (Jean-Claude Dunyach — « Le Jour où Orson Welles a vraiment sauvé le monde »)…

Les Beatles devaient aussi être d'un complot. Agent de l'Intelligence Service, ils ont vu Paul travailler pour les Rouges et ont enregistré avec lui un album secret en Inde, The Marxist Album, avant son assassinat. Deux espions assassins de Beatles essaient de mettre la main sur ses fameuses bandes qui pourraient passer à l'Est (Olivier Delcroix — « Le Beatles Gate »)…

Dieu aussi est dans les coups de Jarnac. Il complote contre vous, se fait passer pour le Père Noël qui est une ordure. Censé être drôle, c'est plat (Nicolas D'estienne D'Orve — « Plaisir d'offrir »).

Les avenirs radieux se construisent sur des catacombes. La Paix Universelle comme les autres. Au nom du Christ, elle se fera sur l'éradication des vampires dont bien sûr Jésus était. Huis clos en cave avec amour. Franchement réussi (Alain Page — « Les Vents pires de l'Orient »).

Et voilà qu'une société secrète mitonne l'apocalypse depuis quelques siècles, l'avènement du chaos, bien gore et sanguinolent à souhait, grand spectacle de Grand Guignol avec un peu de cul bien cru bien glauque. Bien, quoi ! Du Walther (Daniel Walther — « Le Protocole des mages de Lyon »).

Et pour conclure, une mise en scène de Jimmy (Guieu), auteur soucoupiste bien connu, réputé croire à un complot extraterrestre. Vu à travers les yeux d'un fan septique qui s'interroge et gamberge. Private joke à l'adresse du milieu S-F et conclusion habile pour cette anthologie (Roland C. Wagner — « La Chanson de Jimmy »).

Peut-être l'exercice n'était-il pas aussi facile qu'il y paraît de prime abord. Il y a beaucoup d'extraterrestres et de marches lunaires dans ces textes, mais finalement peu ont osé aborder l'histoire consensuelle selon un angle conspirationniste et Andrevon seul a osé défaire le 11 septembre 2001, par exemple…

Quant à l'entretien avec Maurice G. Dantec, il relève d'un triste baragouin pseudo intello dont on aurait pu se passer avec bonheur. Il ne vaut que par les questions de Pierre Lagrange, auxquelles Dantec ne comprenait rien (sic.) et dont il ressort qu'il croit à un complot autour de Roswell tout en se révélant incapable d'argumenter.

Penser le complot aurait mérité mieux que les affligeantes élucubrations de Dantec. La pratique du secret est incompatible avec la démocratie. On vit dans un monde en grande partie intelligible et il appartient à chacun de faire l'effort de s'interroger sur les zones d'ombres qui peuvent subsister en appliquant le principe du rasoir d'Occam. Les zones d'ombres ne doivent pas devenir l'arbre masquant la forêt. Voilà qui devrait apporter un contrepoint au sabir de Maurice G. Dantec, qui se laisse emporter dans une conception délirante et paranoïaque de la réalité.

Demeure une anthologie moyenne, dénuée de chef-d'œuvre mais au sujet séduisant.

Lord Gamma

Ceux qui auraient espéré se retrouver hors des sentiers battus pour cette première traduction de l'Allemand Michael Marrak s'en verront bien marris. Au contraire. On va pouvoir le juger à l'aune de ses pairs, notamment de Robert Charles Wilson.

Lord Gamma s'inscrit dans la mouvance post-cyberpunk, aux côtés d'un film comme Matrix, ou d'un roman comme Darwinia, en dépit de décors différents. Si le tableau initial avec sa route, son désert, ses robots et ses bunkers où des clones qui se croient les survivants de l'apocalypse nucléaire vivent cloîtrés rappelle le Philip K. Dick de La Vérité avant-dernière, la remise en cause de la réalité est désormais moins radicale que chez le californien. Il subsiste toujours un fond de réalité, une vérité première — ou dernière — à laquelle se raccrocher et qui correspond à la quête d'authenticité très en vogue aujourd'hui. À l'instar de Wilson, Marrak n'y échappe pas. Le but du roman est d'ailleurs de la retrouver, de la restaurer. En fait, on pourrait dire que ce roman est anti-dickien ; la trajectoire de Stan Terkasy suit une courbe inverse de ce que l'on trouverait chez Dick. D'emblée, l'univers qui lui est proposé est appréhendé comme divergent de la réalité consensuelle ; petit à petit, il va devoir le maîtriser pour restaurer cette dernière là où un personnage de Dick verrait la réalité se dissoudre progressivement jusqu'à sombrer dans un total relativisme. Homme d'action, Stan n'est pas non plus le portrait type de l'anti-héros dickien effacé qui perd pied, métaphore de l'aliénation contemporaine. Pas très scrupuleux, pas vraiment en conformité avec ce que l'on apprendra de son passé qui n'aurait nullement déparé chez Dick, et bien que dépassé par le contexte où il évolue, Stan ne cesse de lutter pour comprendre et reconquérir la maîtrise de son univers. Le refus de Gamma de lui exposer la situation, ne lui fournissant que des bribes d'information nécessaires à faire ce qu'il attend de lui, est un procédé par lequel Marrak retarde la conclusion.

Stan passe son temps à rouler en Pontiac sur une route perpétuellement déclive et rectiligne d'un bunker au suivant, guidé par Radio Gamma, pour y enlever sa femme, Prill, lui essayer une clé cérébrale avant de la flinguer clone après clone. Il sait que la réalité qu'il connaît n'est pas conforme à ce que croient les résidents des bunkers. Il sait qu'il n'y a pas eu de guerre atomique. Il ignore les desseins de Radio Gamma mais comprend que ceux-ci contrarient les Lords qui dirigent les bunkers.

Ça se complique encore quand, pour récupérer un des clones de Prill, il doit descendre dans Babalone, un univers virtuel peuplé des fantasmes de ceux qui le traversent. Là, il triomphe au mépris des règles.

Parallèlement à cette principale ligne narrative, le lecteur en a deux autres à suivre. Dans la première, Naos, on voit un clone de Stan au prise avec un avion — celui où lui et Prill avaient pris place en compagnie de tous les autres modèles de clones — qui émerge progressivement du néant. L'autre, Isadom, montre Prill évoluant au sein du Sublime — forme quasi divine, bien qu'engendrée par l'homme.

Où la chute de Darwinia s'avérait trop mince et insuffisante, celle de Lord Gamma se révèle pachydermique. L'exposition des tenants et des aboutissants d'une hypercivilisation a toujours été une gageure pour les auteurs de science-fiction décidés à la mettre en scène. Il y a toujours difficulté à représenter ce que l'on est incapable de concevoir. Soit, comme Wilson, il faut largement « shunter » le concept, soit on le noie de lourdeurs comme ici, ce qui ne se fait qu'au détriment de l'action et de la fluidité du récit. Michael Marrak réussit à entraîner son lecteur dans la démarche de Stan pour comprendre le monde où il se retrouve. C'est un moteur puissant pour le récit qui lui permet même de surmonter les lourdeurs finales. L'action est rapide dans les deux premiers tiers du roman, les interrogations foisonnantes et jamais le texte ne paraît s'essouffler.

Face à un tel livre cependant, il faut s'interroger sur la possibilité pour un lecteur novice d'entrer en S-F par le biais de Lord Gamma. À force que les générations successives d'écrivains de S-F créent de nouvelles strates à leur genre, celui-ci en devient un concept global si élaboré qu'il cesse d'être accessible à tout un chacun et se circonscrit à un public d'initiés qui lui se régale, certes, mais confine le genre dans un ghetto peut-être plus profond et à terme plus risqué pour la S-F qu'on ne le pense de prime abord.

Si ce livre n'apportera pas grand-chose en matière de connaissance du monde et des gens, si toute sa problématique est plus que lointaine et diffuse, il n'en reste pas moins un divertissement de S-F de tout premier choix.

Les Enchantements d’Ambremer

Début du siècle dernier, le Paris de la Belle Époque revu et corrigé par la magie… Contaminé par l'Outre Monde, celui des fées, dragons et licornes… Un univers sympathique mais menacé.

Louis Denizard Hyppolyte Griffont, mage du Cercle de Cyan et personnage principal, va se retrouver au cœur d'un faisceau d'événements majeurs. Emprunter un livre pour une amie et enquêter sur un tricheur de carte recourant à la magie vont le propulser dans les intrigues qui menacent le trône d'Ambremer, le royaume magique. Des aventures où il retrouvera sa femme, Isabel de Saint Gil, aventurière et cambrioleuse, espionne à ses heures…

Inutile de vous conter ici par le menu le roman dont l'intérêt tient dans les péripéties et autres rebondissements enchaînés avec un zeste d'humour.

Pierre Pevel, dont le Cycle du Sang (signé Jacq) fut ici chroniqué naguère par mes soins, se veut l'héritier des feuilletonistes du XIXe, Zévaco, Ponson Du Terrail et surtout Alexandre Dumas en qui il voit un maître. Griffont se joindra volontiers aux Pardaillan, Rocambole, Arsène Lupin et compagnie. En terme d'écriture, Pevel gagne son pari haut la main ; l'action se déroule toute seule, sans temps mort même si l'on n'assiste à aucune course poursuite en De Dion Bouton. Par contre se pose la question de savoir si l'introduction massive de fantasy dans le récit ne le boutera pas hors de la tradition du roman-feuilleton à laquelle il aspire. Ces éléments ne priveront-ils pas ce livre de la reconnaissance des amateurs nostalgiques des feuilletonistes ? Ce serait dommage…

Au chapitre des défauts, il faut reconnaître que l'intrigue de base, les rivalités pour la couronne d'Ambremer qui agitent l'Outre Monde et constituent la trame de fond du récit, sont très convenues. Au-delà des menaces sur le trône de la reine des fées que fait planer sa maléfique sœur jumelle, du thème manichéen ô combien rebattu du double maléfique, l'habillage est bien plus plaisant. La fin souffre aussi, et cruellement, d'un excès de conventions « fantasystes », avec des bons à la merci des méchants qui triomphent et le deus ex machina qui sauve la mise in extremis. Mais insistons sur le fait que ce sont les péripéties qui font de ce roman une indéniable réussite.

Dans la tradition du roman feuilleton, Les Enchantements d'Ambremer est un pur divertissement où la fluidité de l'écriture concourt à un réel plaisir.

La Maison muette

Les éditions Métailié réservent parfois de bonnes surprises pour les adeptes de la littérature « bizarre », décalée ou même franchement expérimentale. Après les très réussis Pizzeria Inferno de Serio et Le Faiseur d’histoire de Gray, on découvre le premier roman d’un jeune poète écossais (sous une couverture élégante et sobre), résolument orienté vers la description clinique de la folie et de l’horreur. De S-F, il n’est donc pas question, ni même de fantastique, mais La Maison muette est un roman suffisamment en marge pour se passer d’étiquette et entrer pleinement dans la « littérature de l’imaginaire ».

Par bien des aspects, le texte de Burnside rappelle Enfer clos de Claude Ecken (aux éditions du Bélial’). On y suit l’évolution et l’installation du délire comme inquiétante quotidienneté. Mais là où le roman d’Ecken se positionne à l’extérieur et reste principalement descriptif, Burnside raconte son histoire à la première personne, livrant ainsi une intimité des plus dérangeante avec son héros. Le procédé est utilisé avec brio par Robert Merle dans La Mort est mon métier, terrible roman racontant la vie du directeur du camp d’Auschwitz, où le lecteur horrifié se surprend à comprendre le point de vue du narrateur. On ne pouvait trouver plus belle dénonciation de la mécanique de l’horreur, de sa fausse fatalité, et de la somme de petites lâchetés individuelles qui la fabriquent. Burnside ne dénonce rien dans La Maison muette, mais son roman évite heureusement le piège de la gratuité et de la vacuité, grâce à son excellente tenue littéraire (la traduction est d’ailleurs impeccable), la mise en place progressive de la folie et l’observation clinique de la logique interne d’un malade mental. Dès lors, le trouble est total, gênant et presque malsain, dans la mesure où il est difficile de ne pas s’identifier  au  personnage principal. La Maison muette est donc une réussite, doublée d’un vrai plaisir de lecture, Burnside maîtrisant évidemment l’anglais avec une précision et une simplicité toute chirurgicale. Pas d’effets, pas de « truc » narratif visant à maintenir le suspense, aucun procédé classique, juste un esprit mis à nu et raconté sans jugement ni morale. Le récit est d’ailleurs amoral et non immoral, la morale n’étant jamais combattue ni dénigrée, mais tout simplement (et c’est le plus terrible) inexistante.

Installé dans une lecture sourde et dérangeante, on suit le parcours mental d’un homme apparemment normal, mais obsédé par une idée qui le poussera au pire : Quelle est la nature du langage ? Quel moyen de communication peut développer un être coupé de toute parole et élevé dans un environnement non-communiquant ? Le cas des enfants sauvages illustre le problème, mais les comptes-rendus semblent incomplets ou franchement farfelus. Le narrateur franchit alors la ligne en tentant lui-même l’expérience sur ses deux enfants, mis au monde dans le plus grand secret et enfermés dans une cave sans aucun contact avec la parole humaine. Avant d’en arriver là, le narrateur raconte son enfance, ses difficultés de communication avec son père, sa relation privilégiée avec sa mère, sa pratique de la dissection sur des animaux vivants (après avoir reçu comme cadeau un coffret de chirurgien), ainsi que ses relations sexuelles avec Karen et Lillian, deux femmes qui occupent une place centrale dans le roman. L’autobiographie est tout sauf classique, les souvenirs se mêlant au présent, tout en évitant le ridicule de l’explication (« il est méchant parce qu’il tue des animaux »). Aucune justification n’est donnée, aucune « raison » avancée, la chose allant d’elle-même et ne nécessitant pas de précision supplémentaire. L’univers mental du narrateur n’est donc pas jugé, mais décrit et vécu de l’intérieur. C’est au lecteur de se faire une opinion, seul face à cette lente montée vers l’abominable. La Maison muette implique donc un certain engagement et une réflexion saine sur la nature de la folie, de l’autorité paternelle, de la recherche scientifique et de la communication. Sombre, inquiétant, horrifique, malsain et révoltant, le roman n’est pourtant pas complaisant, d’où sa valeur indéniable, malgré parfois (et c’est son seul défaut) un certain manque de crédibilité dans les situations décrites.

Roman monstre, texte à part d’une grande originalité, La Maison muette ouvre le débat et suscitera sans doute beaucoup de réactions.

Ilium

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Simmons est attendu au tournant avec Ilium, premier opus d'un diptyque dont la séquelle s'intitule tout naturellement Olympos. On n'est pas responsable du carton éditorial que l'on sait avec Hypérion sans en assumer les conséquences. Fera mieux ? Fera pas mieux ?

Écrivain talentueux et polymorphe, Dan Simmons a eu l'intelligence de laisser filer quelques années entre son cycle fétiche et son retour à la S-F. Les amateurs de polar ont pu en lire un ou deux (médiocres, admettons-le), et Simmons s'est même offert le luxe d'écrire son propre hommage à Hemingway avec Les Forbans de Cuba, roman qui mettait en scène le vieux maître lui-même, très occupé à chasser les éventuels sous-marins nazis hantant les fonds du Golfe du Mexique.

En France, on redécouvrait chez Folio « SF » les excellentes nouvelles composant Le Styx coule à l'envers (dont la dernière, « À la recherche de Kelly Dahl », confine tout simplement au chef-d'œuvre), et l'édition définitive en « Lunes d'encre » (Denoël) de L'Échiquier du mal, texte fantastique traditionnel du plus bel effet.

Avec Ilium, prévu en 2004 chez Laffont, Simmons confirme qu'il est un grand raconteur d'histoires, mais se perd parfois en chemin en confrontant des éléments trop disparates pour être véritablement crédibles.

Au départ, il y a cette folle idée : reprendre le thème de l'Iliade et le décliner à la sauce S-F. En parallèle, on trouve les interrogations de l'auteur sur l'évolution humaine à très (mais alors très) long terme. La prospective de l'auteur rappelle celle d'Hypérion (notamment le principe des « faxnods », calqués sur les « farcasters », qui permet de se rendre d'un lieu à l'autre instantanément, et qui n'est pas non plus sans conséquences funestes), mais développe également des thèmes qu'on avait déjà pu voir chez Sterling (cf. Schismatrice + en Folio « SF ») ou, plus récemment, l'Écossais Ken MacLeod (La Division Cassini en J'ai Lu « Millénaires »). Ainsi, Simmons décrit une histoire « possible » étalée sur quelques dizaines de siècles. L'âge perdu que nous vivons aujourd'hui, l'avènement des post-humains qui trafiquent un peu trop l'ADN (chouette, repeuplons donc la terre de dinosaures) et la manipulation quantique de trous de vers. Badabling ! il fallait bien que ça foire quelque part, et voilà nos post-humains qui quittent la Terre pour s'installer en orbite dans des anneaux confortables, avant de foutre définitivement le camp on ne sait où. En parallèle, les intelligences artificielles semi organiques (baptisées Moravecs) disséminées sur les lunes de Jupiter ont eu le temps d'évoluer à part, formant une société agréable et industrieuse, forte de quelques membres dont les banques de données regorgent de documents sur ces bons vieux humains dont ils n'ont plus franchement de nouvelles. Enfin, si la terre n'est pas dépeuplée complètement, on ne trouve plus que quelques dizaines de milliers d'humains « traditionnels », mais tellement bourrés de nanotechnologies diverses et variées qu'ils en ont oublié l'écriture, et plus généralement Histoire, Technique, Géographie et, bien entendu, Révolte. Ils vivent d'ailleurs sous la bienveillante surveillance des Voynix, bestioles métalliques à mi-chemin entre la sentinelle et le serviteur, manifestement extraterrestres, dont l'origine exacte n'est pas claire. Bref, difficile d'inclure en plus un panthéon grec au complet, installé sur le mont Olympe, mais sur une Mars terraformée et non sur la Terre (il existe bel et bien un gigantesque volcan sur Mars judicieusement nommée Olympe, que voulez-vous, c'est comme ça). Vous suivez ?

Reprenons.

Simmons sait raconter une histoire et distille savamment un récit à trois voix, alternant les chapitres au moment culminant. Le procédé n'est pas vraiment nouveau, mais il a le mérite de tenir le lecteur en haleine et d'être efficace. Pour le reste, résumer Ilium est un exercice douteux que l'on tentera ici avec beaucoup de difficultés. Ilium commence donc lors du siège de Troie, alors que la guerre s'enlise depuis neuf ans et que l'entrée d'Achille dans la bataille précipitera la mort d'Hector et la prise de la ville. Goguenards, suprêmes d'arrogance et de mépris, les dieux grecs se livrent au délicat jeu d'échec par humains interposés (qui se soucie du sang des mortels ?), tout en pratiquant leurs sports favoris : intrigues, coups bas et trahisons formant l'ordinaire d'une vie immortelle de dieu moyen. La surprise, c'est que ces braves gens sont décrits avec humour et minutie. Leur présence et leurs dialogues sont incroyablement crédibles, et Simmons en profite pour casser le mythe en nous exposant sans pudeur les moyens techniques qui les font justement passer pour des dieux auprès de ces pauvres humains ignorants (téléportation quantique, chariots tirés par des chevaux holographiques, champs de force, nanotechnologie etc.). Leurs frasques sont vues à travers les yeux de Thomas Hockenberry, érudit spécialiste d'Homère de la fin du XXe siècle, ressuscité (re-créé ?) par Zeus en personne et doté de moyens hallucinants (morphing, téléportation) pour observer le siège de la ville et vérifier que l'Histoire correspond bien à celle raconté plus tard par Homère. Oui, l'Olympe est sur Mars, et re-oui, Hockenberry fait régulièrement l'aller-retour entre la Terre et la planète rouge (via la téléportation quantique, on le saura), mais ça n'est pas dérangeant, tant cette partie d'Ilium est réussie. On suit avec intérêt le dégoût croissant d'Hockenberry à l'égard de ces saloperies d'immortels obscènes, puis sa révolte et son combat. Les scènes de bataille entre achéens et troyens sont littéralement hallucinantes, pleines de bruit et de fureur, très éloignées des habituelles descriptions glorieuses de la guerre. On y est, ça saigne, ça pue, ça meurt et c'est sale, autant le savoir…

En parallèle, Simmons raconte la lente prise de conscience des Moravecs à l'égard de la situation martienne. En gros, on se rend compte que la planète a été terraformée en un temps record (à peine quelques dizaines de milliers d'années), et que les relevés scientifiques attestent d'une anormale quantité de bordel quantique autour du mont Olympe. Il est donc grand temps d'y envoyer une petite expédition, histoire de découvrir de quoi il retourne. C'est la deuxième très grande réussite d'Ilium : rendre avec humour et humanité les interrogations des deux Moravecs échoués sur Mars (après le très bref échec de leur mission), l'un éclopé à mort et l'autre à peu près entier. Leurs dialogues sur Proust et Shakespeare valent à eux seuls le détour, et Simmons prend manifestement beaucoup de plaisir à décrire ces deux personnages sympathiques et essentiels.

Malheureusement, le troisième récit enchevêtré est plutôt boiteux. Cela se passe sur Terre, chez ces « Old style Humans » nanotechnologisés jusqu'aux dents, et si la description de leur vie quotidienne est intéressante, la quête de plusieurs d'entre eux prend des allures de fatras anachronique décevant. On y croise une sorte de Juif (en l'occurrence, une juive) Errant, un Ulysse 31 équipé d'un presque sabre laser, un vieillard dont l'obsession est de se rendre sur les anneaux orbitaux pour y gagner quelques années de vie supplémentaire, et un jeune homme qui n'en a pas grand-chose à foutre (entre autres). C'est donc cette partie qui se révèle la plus faible, un point d'autant plus douloureux que les nombreuses questions que se posent les lecteurs au fil des pages trouveront leur réponse ici même. Bref, on reste dubitatif et l'on se prend à rêver que Simmons ait autant peaufiné ces personnages que les Moravecs ou Thomas Hockenberry.

Pas de panique toutefois, Ilium reste un texte de très haute tenue, même s'il n'atteint jamais la stature poétique d'Hypérion. La bonne surprise d'Ilium, c'est que Simmons s'essaie à l'humour avec une ironie mordante qui n'est pas sans rappeler celle de Banks. Et comme l'animal manie la plume avec talent, légèreté et précision, on se dit que le temps risque d'être bien long avant la sortie d'Olympos… D'autant que, comme de juste, Ilium se termine exactement « at the turn of the tide ».

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