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Baroudeur

Ce recueil de Jack Vance reprend cinq nouvelles publiées précédemment dans divers livres parus aux éditions Pocket. Texte parmi les plus célèbres de l'auteur, c'est « Le Papillon de Lune » qui a l'honneur de la couverture, belle et parfaitement adéquate (quoique trop terne), signée Véronique Meignaud. « Le Papillon de Lune », c'est du Vance pur jus : un diplomate terrien résidant sur Sirène doit récupérer un dangereux criminel. Ce dernier lui donnera toutefois moins de fil à retordre que la société très codifiée de la planète : tous ses habitants portent en effet des masques très travaillés pour indiquer leur état d'esprit et ne communiquent qu'en chantant sur des instruments forts compliqués. La richesse d'imagination de Vance explose ici, de même que sa faculté à décrire cette société si différente et ses coutumes étranges. Beaucoup plus étonnant dans l'œuvre de l'auteur, « Personnes déplacées » (publié dans son « Livre d'Or » à l'époque et jamais réédité depuis, allez comprendre pourquoi) est un texte poignant narrant l'émergence soudaine d'un peuple depuis les profondeurs de la terre, dont on ne sait que faire et que tous les gouvernements rejettent. On y verra bien entendu une allusion directe et très transparente à la misère de certains peuples déplacés parce que jugés trop encombrants, problématique éternelle encore d'actualité aujourd'hui, et qui confère une force indéniable à ce récit. Dans « Le Bruit », un homme échoué sur une planète voit celle-ci se parer successivement de différentes couleurs dominantes donnant des atmosphères très variés, contraste rehaussé par les modifications de l'ambiance sonore — de la musique apportée par la brise — du lieu. Cette nouvelle est une merveille de poésie ; dommage que la fin, un peu vieillotte, ne soit pas à la hauteur. « La Princesse enchantée » est une jeune femme aveugle mais à l'imagination débordante, cruellement utilisée par un producteur de cinéma sans scrupule ; on retrouve le principe de l'enquête policière cher à Vance, pour un texte qui se laisse lire malgré là encore une fin particulièrement convenue. Reste « Le Temple de Han » qui, je l'avoue, m'est tombé des mains : il a très mal vieilli.

Au final, Baroudeur (clin d'œil évident à l'aventurier que fut Vance) est une réédition bienvenue de deux classiques vanciens agrémentés de trois récits plus ou moins intéressants, qui plaide nettement pour la publication d'une intégrale raisonnée des textes courts de l'auteur. À défaut, on se procurera en priorité le « Livre d'Or » de Jack Vance (plus disponible en neuf depuis des lustres), ses recueils parus dans la première moitié des années 90 (pas davantage disponibles) ainsi que ceux publiés depuis quelques années par le Bélial' (qui, eux, sont tous les trois disponibles, certains même en poche, chez Folio et Pocket).

Suprématie

Le pseudonyme de Laurent McAllister abrite deux auteurs canadiens francophones : Jean-Louis Trudel, astrophysicien, assez bien connu de ce côté-ci de l'Atlantique, et Yves Meynard, un peu moins connu sous nos longitudes mais jouissant d'une bonne réputation sur l'autre rive de l'océan. Quand on lit la quatrième de couverture, on en retire l'impression que Jean-Louis Trudel est le maître d'œuvre de cet énorme roman guère éloigné de ce que l'on a pu lire par ailleurs sous sa plume.

Suprématie est bien sûr frappé du défaut le plus répandu de nos jours, maladie plutôt anglo-saxonne : l'obésité littéraire. Un surpoids, au sens propre, qui finira par donner des tendinites aux lecteurs. Trop gros, trop long. Certes, mais ici à aucun moment ce n'est rédhibitoire. Rien n'est injustifié ni gratuit. Les péripéties sont bien intégrées dans une construction solide. Trop de batailles, trop de combats. Couler le Bismarck était-il si différent de couler le Yamato ? Suprématie est l'histoire d'une guerre, et une guerre est une suite de combats.

Cette histoire, c'est celle de la guerre menée par le Doukh / Harfang contre la Suprématie dans l'Amas, l'histoire d'un vaisseau presque invincible qui, seul, tient tête à toutes les forces suprémates de l'Amas. L'Amas, c'est le trou du cul de la galaxie, technologiquement inférieur mais pas forcément en retard car on est dans une situation de décadence. Le passé connaissait un niveau technique supérieur qui a produit le Harfang que pilote Mnémosyne, une intelligence artificielle avec laquelle Lynga, le second, entretient une relation de fusion, une sorte de symbiose.

C'est aussi, surtout, la guerre privée du capitaine Alcaino contre la Suprématie. Il est un ancien suprémate, déchu pour avoir douté, qui a été déporté dans une « nef des fous » dont il est parvenu à s'évader. Et c'est un homme rancunier qui n'a d'ailleurs nul autre choix que le camp d'en face car la Suprématie ne tolère aucune altérité.

L'équipage du Harfang est constitué de mercenaires censés se battre pour de l'argent et proposer leurs services au plus offrant. L'équipage ayant le plus souvent eu maille à partir avec la Suprématie, il s'agit plutôt de corsaires livrant une sorte de guerre de course qui se louent aux divers mondes indépendants de l'Amas en butte aux tentatives d'annexions suprémates. Le Harfang est une entreprise de combat économiquement indépendante mais clairement positionnée dans le camp des opposants à la Suprématie qu'il incarne pour une large part.

Le roman commence lorsqu'un de ces états, la Ville d'Art, en proie à une agression suprémate, engage Alcaino et son vaisseau pour faire sauter le blocus dont il est victime. En contrepoint à la victoire du Harfang, la Suprématie s'empare de Dorada, la planète de Pieter Blauw, compagnon d'évasion d'Alcaino — comme lui ancien suprémate —, et parvient à lui remettre la main dessus. Pour se venger du revers subit à la Ville d'Art, convaincre le reste de l'Amas de l'inanité de toute résistance et inciter Alcaino à une action irréfléchie sous l'empire de la colère devant le conduire à une erreur fatale qui permettrait la destruction du Harfang qui est comme une épine dans le pied de la Suprématie, cette dernière anéantit la Ville d'Art et extermine sa population (de toute façon inutile dans la conception suprémate). L'affrontement entre Alcaino et la Suprématie ne sera pas sans rappeler celui du capitaine Achab et de Moby Dick…

Les péripéties qui s'ensuivent sont entrelardées de flash-back qui montrent comment Alcaino (et Blauw) en sont arrivés là.

Le moment le plus intéressant du roman est situé au premier tiers, après la capture de Blauw. C'est à cette occasion que McAllister décrit la Suprématie comme système politique. Dictature sans dictateur, c'est le diktat de la pensée unique. Celle-ci n'est pas imposée par une quelconque tyrannie mais par un ensemble de techniques. Tous les suprémates ont le cerveau câblé et sont reliés en un réseau global de pensée. Tout le monde pense pour tout le monde. Tout le monde pense la même chose en ce sens que la réalité est unique. Il n'y a donc plus de possibilité de conflit interne. Tout le monde travaille au même Grand œuvre avec une efficience maximum qui est au cœur de la propagande suprémate : un monde meilleur parce que plus efficace, plus efficace parce sans conflit. Sans liberté, disent les opposants. La liberté et l'altérité engendrent des conflits, pourquoi les entretenir, rétorquent les suprémates. Il y a là une problématique très actuelle. La Suprématie ne fait rien d'autre que d'incarner l'inclinaison de la civilisation occidentale qui rêve d'un monde pacifié et ne répugne à aucun carnage pour l'imposer. En interne, la notion de sécurité s'est totalement imposée au détriment de celle de liberté. Dans Réalité partagée (Pocket « SF »), Nancy Kress nous avait déjà proposé une semblable société où toute pensée non conforme générait une épouvantable douleur, métaphore de l'angoisse de plus en plus aigüe qui saisit nos contemporains lorsqu'ils se sentent en situation de non-conformité. Taxer quelqu'un d'original est franchement péjoratif ; quant à l'individualisme, c'est une tare gravissime, une insulte, une maladie honteuse à psychiatriser d'urgence. Dans une œuvre plus récente, ZenCity (le Diable Vauvert), Grégoire Hervier nous donne à voir, en quelque sorte, la naissance de la Suprématie qui dérive directement des concepts behavioristes chers à Skinner, notamment la négation de la notion de for intérieur. Quand Alcaino se voit moralement choqué par les atrocités auxquelles il participe, qu'il en vient à douter du bien-fondé de la réalité unique, on l'envoie chez les fous. On regrettera que McAllister n'approfondisse pas davantage l'opposition entre les sociétés libres de l'Amas où subsiste cet espace intérieur qui constituait le territoire de prédilection de la S-F des années 60 / 70 et la Suprématie, plus actuelle mais terriblement superficielle.

Plutôt que des scories, des éléments finalement inexploités, il semblerait que McAllister ait posé des jalons en vue d'une suite. Ainsi le personnage de Bernabo qui est loin d'avoir donné tout ce qu'il a dans le ventre, les observatoires gravitationnels dont on ignore encore le rôle qu'on suppose important mais pas dans ce livre… Les auteurs s'étendent sur les bombes, sur l'accès aux hypervitesses, mais éludent la principale tactique mise en œuvre par le Harfang, comme si c'était trop en demander à la part astrophysicienne de McAllister.

Suprématie est un space opera moderne qui a tous les atouts pour ravir les amateurs du genre, et même un peu plus. C'est un roman bien construit qui, en dépit de sa taille conséquente, ne souffre pas vraiment de sa longueur bien que l'on eût apprécié davantage de concentration. Mais après tout, pourquoi bouder son plaisir ?

Les Héritiers d’Homère

Outre l'œuvre, dont on fait le point de départ de la littérature en Occident, la figure d'Homère continue de susciter des interrogations. Encore aujourd'hui, les spécialistes de la Grèce antique ne peuvent affirmer avec certitude s'il s'agissait d'un individu ou d'un collectif d'auteurs. Surfant sur cette ambiguïté primordiale, les toutes jeunes éditions Argemmios (créées par Nathalie Dau pour promouvoir ses propres écrits et qui s'ouvrent désormais à d'autres auteurs) étoffent leur catalogue d'une anthologie inspirée des grands thèmes et mythes popularisés par l'aède aveugle : au programme dix-huit textes (agrémentés d'un glossaire), dont la majorité de fantasy (héroïque et urbaine), plus quelques incursions dans l'inclassable, alors qu'on ne relève en tout et pour tout qu'un seul vrai texte de S-F.

Le détail, c'est ici :

Franck Ferric donne « La Bouteille, le barbu et le sens du monde » sans en donner la clé, ce qui expliquerait qu'on n'a pas vraiment réussi à pénétrer le sens de ce texte pourtant bien écrit. Déambulation alcoolique d'un manutentionnaire au trente-sixième dessous qui, fatalement, va finir par voir dans ses fonds de bouteilles des choses impossibles.

« La Caverne des centaures mâles », de Marie-Catherine Daniel, brode sur une histoire mille fois dite : le passage de l'enfance à l'âge adulte. L'imagerie pénètre bien la rétine (équidés, caverne primordiale, rut contrarié), mais la métaphore n'est pas d'une légèreté extrême et le texte non plus.

On reste dans la farce équine avec « La mort d'Héraclès », de Claire Jacquet, qui accommode le théâtre antique à la sauce vaudeville. Nessus, représentant en lessive qui lave plus blanc que blanc, joue le trouble-fête dans un triangle amoureux dont la résolution vire au Grand Guignol. Marrant.

« Le syndrome de Midas » transporte le mythe de l'homme aux doigts d'or dans la City des traders, au XXIe siècle. Racolé par un fond de gestion prestigieux, le narrateur goûte les joies du fric facile avant de subir un terrible revers qui, littéralement, le jette à l'égout. Convenu, mais Jess Kaan parvient à investir un sujet d'actualité (l'argent, les hommes qui le manipulent) d'une dimension surnaturelle assez prenante.

Sophie Dabat tente de dépoussiérer le mythe de Perséphone et la naissance des Erynies dans « Le Pacte d'Hécate ». Mais tout ça reste un peu paresseux.

« Aube » est une niaiserie romantique à haute densité lacrymale, signée Eliane Aberdam. Voilà un texte qui tient de la fanfic, mauvaise qui plus est, et qui se positionne d'ores et déjà pour le razzie de la pire nouvelle francophone.

« Cet éternel orgueil », de Nadège Lapouillez, propose une variation sur l'histoire d'Arachné, jeune fille punie parce qu'elle était trop talentueuse et trop orgueilleuse. L'héroïne, ici, ne finit pas en insecte velu mais en statue. Style sûr, classique, épuré. Pas mal du tout.

Si Elephant Man avait connu la chirurgie esthétique, il aurait peut-être épousé le destin du Narcisse imaginé par TK Ladlani dans « Prisonnier de son image » : avalé par son portrait, comme Dorian Gray. Belle réussite.

« Mayday » est une short short délicieusement cruelle où Jeanne-A Debats s'essaie à l'écholalie. Joli.

« L'Esprit de l'Hellespont », une fantasy historique d'Olivier Boile, nous explique les vraies raisons du désastre de Salamine. À moins qu'il ne s'agisse d'un plaidoyer écolo ? Au début, c'est mou ; à la fin, aussi. Entre les deux, on s'ennuie féroce.

« Nyctale de Samothrace » explore la psyché inquiète d'une petite fille qui voit dans le noir et veut s'initier aux mystères d'Artémis. Fabrice Chotin livre là une fable trop nébuleuse pour nous.

« Le Chêne et le tilleul » : c'est l'histoire d'un mec qui se coupe les burnes par amour, avant de se transformer en plante verte. Les mythes grecs sont parfois très très bizarres, comme l'avait relevé feu Robert Graves. Charlotte Bousquet nous raconte ça avec un naturel déconcertant.

« L'Hospitalier », théâtral, empesé, démonstratif, n'en reste pas moins l'un des textes forts de l'antho. Agathon est aimé et chéri de Zeus, tant et tant qu'il finit par susciter la jalousie des autres immortels, qui n'auront de cesse de le faire déchoir. Le montage est aussi radical qu'efficace. Yan Marchand met en scène une galerie de personnages cyniques, capricieux, cruels comme des enfants — ou bien agaçants dans leur perfection même — avec une réelle jubilation et un style qui mérite d'être revu.

On n'est en revanche pas parvenu au bout de « La Descente aux Enfers d'Orphée et Eurydice », d'Anthony Boulanger, réécriture contemporaine et ratée de la première ghost story du monde.

« Pierce's Track : the Maid and the Higway » ressemble à un road movie hard boiled plein de sueur et de poussière. Nicolas Eustache s'essaie à un mix improbable mais, ma foi, pas désagréable, entre diverses influences américano centrées (frères Coen, Carpenter).

Voici (enfin !) une fantasy historique qui ne se contente pas d'une simple transposition littéraire : « Les Sept derniers païens » raconte, sur un mode décontracté, la mort programmée du christianisme dans une antiquité finissante. Le jeu de piste mis en place par Romain Lucazeau est enlevé, érudit et haletant, même si l'écriture ne tient pas toujours la distance.

« Sémélé », seule vraie nouvelle de S-F de l'anthologie, remporte la palme de la noirceur. Philippe Guillaut donne une version désenchantée, voire carrément sordide, de la conquête des étoiles. On sort remué par tant de mauvais sentiments.

Enfin, « Firestarter » n'est pas un pare-feu pour Linux mais un trip musical inspiré par Dionysos (déguisé pour l'occasion en dieu-cerf façon celtique), rédigé dans une forme syncopée qui veut coller au fond mais ne décolle pas vraiment. Le texte de Céline Brenne ne laissera pas un souvenir inoubliable.

Comme on l'a vu, le souffle des muses a touché inégalement les auteurs (dont beaucoup sont totalement inconnus ou presque), comme il en va d'ordinaire pour de tels projets. Le principal reproche qu'on peut leur faire — ainsi qu'au deux maîtres d'œuvre, Nathalie Dau et Jean Millemann — est de s'être complu dans une sorte de timidité (voire, pour certaines plumes plus confirmées, dans une certaine facilité) : trop de textes se contentent d'une simple transposition et n'arrivent pas à s'affranchir des mythes dont ils s'inspirent, problème qu'une approche moins consensuelle aurait peut-être pu résoudre. Les anthologistes n'en sont pourtant pas à leur coup d'essai, puisqu'ils avaient déjà travaillé ensemble, l'un en tant qu'auteur et l'autre, déjà, comme anthologiste, sur un recueil du même calibre (L'Esprit des bardes, Nestivqnen). Ces quelques réserves ne sont toutefois pas de nature à entacher le bilan d'un ouvrage globalement satisfaisant, qui devrait être suivi dans le futur d'initiatives similaires (un recueil sur les mythes scandinaves est annoncé). Le travail des éditions Argemmios, comme celui de toutes les micro-structures qui sévissent dans nos genres préférés et les font vivre, mérite à ce titre d'être salué et encouragé — et ce même si leurs livres ne sont guère présents en librairies ; privilégiez donc le Net en l'occurrence : .

Trames

On ne présente plus Iain M. Banks au sein du cercle restreint des amateurs de S-F. L'écrivain britannique qui œuvre aussi en littérature générale (sans le « M »), est le créateur de la Culture, une vaste civilisation panhumaine futuriste (encore que la question puisse se poser) qui se définit comme étant tolérante, anarchiste et hédoniste. Il a ainsi contribué à dépoussiérer le space opera de grand-papa en prenant un malin plaisir à gauchir les figures imposées et les stéréotypes de ce sous-genre, tout en introduisant une bonne mesure d'ironie dans des intrigues qui, trop souvent, se cantonnaient à un premier degré simpliste. Et tout ceci sans renier ce qui fonde le space opera : le sense of wonder. Pour toutes ces raisons, nombreux sont ceux qui vouent à Banks un culte, que l'auteur de cette chronique n'est pas loin de partager entièrement, il le confesse.

La parution de Trames (Matter en anglais, déjà critiqué par Patrick Imbert dans le Bifrost 50 d'après VO, mais quand on aime, hein ?) est donc considérée comme un événement d'une ampleur quasi cosmique dans un milieu de la S-F sclérosé par les space operas militaristes et autres redites nostalgiques à peine relookées par le qualificatif « new » (cf. plus loin l'article de Sylvie Denis). Evidemment, reste à établir si ce nouvel opus est à la hauteur de l'attente qu'il a suscitée. C'est généralement à ce stade que les choses se gâtent…

Les prémisses de Trames sont engageantes. On retrouve d'entrée tous les éléments qui font de la Culture un univers hautement addictif : l'humour, des qualités d'écriture indéniables et de la démesure. Sur ce dernier point, Trames ne déçoit pas. Le nœud de l'intrigue prend en effet place dans un monde dont le gigantisme n'a rien à envier aux VSG et aux orbitales culturiennes. Sursamen est ce que l'on appelle un monde gigogne. Imaginez une succession de coques supportées par des piliers cyclopéens qui délimitent quatorze niveaux, éclairés par des Roulétoiles et des Fixétoiles, et qui englobent un noyau métallique de quatorze cents kilomètres de diamètre et une machinerie complexe. Tel est Sursamen, et c'est bien la seule chose certaine. Pour le reste, on en est réduit aux conjectures. Quid de la destination finale des mondes gigognes — car il en existe d'autres — et du devenir de leurs bâtisseurs, les Involucrae ? Les problèmes que posent ces questions demeurent insolubles. D'autant plus qu'entre-temps, une autre espèce, elle-même disparue, a détruit une grande partie de l'œuvre des Involucrae. Objet de fascination et de convoitise, les mondes gigognes sont aussi appelés les Mondes-Massacres en raison des pièges mortels qu'ils cachent en leur sein. Et ils recèlent sans doute de nombreux autres secrets.

Avec un tel canevas, Iain M. Banks aurait pu développer le récit d'un affrontement d'une ampleur cosmique entre plusieurs puissances stellaires, avec coups de théâtre et révélations à la clé. C'était d'autant plus aisé qu'il ajoute à Trames une profondeur de champ et un foisonnement qui n'existait pas dans ses précédents romans. Toutefois, s'il n'écarte pas totalement cet axe, Iain M. Banks le délaisse délibérément pour consacrer l'essentiel du récit à une dramaturgie de nature plus intime. L'enjeu du roman se focalise ainsi sur les niveaux 8 et 9 de Sursamen qui sont le théâtre d'une guerre entre deux peuples humanoïdes : les Sarles et les Deldeynes. Au début du roman, Hausk, le souverain bien aimé des Sarles, est assassiné avec cruauté, à l'issue d'une bataille victorieuse, par son fidèle ami, Tyl Loesp, pour le motif le plus ancien du monde : le pouvoir. Le fils aîné du monarque, Ferbin, donné pour mort pendant la bataille, assiste fortuitement à cette mise à mort. Ne se sentant pas de taille à s'opposer à Tyl Loesp, il entreprend un voyage qui doit le mener dans la Culture, auprès de sa sœur Anaplian, qui est devenue un agent de Circonstances Spéciales. Pendant ce temps, le régicide devient le régent et le tuteur d'Oramen, le fils cadet du roi, dont on se doute bien que l'espérance de vie ne sera pas très longue. Vengeance, hubris, manipulation, complot ; l'intrigue semble désormais toute tracée. Pourtant, Banks prend son temps pour la développer et il fait le choix de nous embarquer dans un périple mollasson, des tréfonds de Sursamen aux profondeurs de l'espace. Un voyage forcément initiatique qui va permettre à Ferbin de gagner en maturité, mais que Iain M. Banks surcharge de longues descriptions et de digressions en forme de flash-back. Il aligne une galerie impressionnante de personnages aux physionomies étranges qui apparaissent et disparaissent au gré de son bon vouloir, sans que l'on comprenne quel rôle ils jouent exactement dans le déroulement de l'histoire. Il peuple la galaxie d'une multitude d'espèces aliènes et en complexifie les hiérarchies sans pour autant s'attacher à leur donner de l'épaisseur. Il fait défiler des lieux grandioses — le Monde-Nid Morthanveldes est une autre merveille du roman — comme autant de clichés pris fugitivement entre deux étapes d'un voyage d'agrément. Bref, il ouvre de nombreuses pistes sans vraiment toutes les explorer. Malgré la profondeur de champ et le foisonnement, force est de constater que tout ceci n'apporte finalement pas grand-chose à une intrigue qui se dénoue au pas de charge dans les cent dernières pages. Certes, le dénouement est bouleversant. Cependant, cela ne suffit pas à faire oublier tout ce qui irrite auparavant, en particulier les longueurs et l'aspect superflu d'une grande partie du décor et des protagonistes.

Trames se révèle donc décevant au regard des précédents volumes du cycle. Toutefois, un roman de Iain M. Banks, même décevant, demeure un excellent moment de lecture. Pour cette raison, il sera beaucoup pardonné à l'écrivain britannique. Mais il ne faudrait pas qu'il abuse trop longtemps de notre mansuétude.

Plus morts que morts-vivants

« Bruckman découvrit, pour la première fois, que Wernecke était un vampire quand ils se rendirent à la carrière, ce matin-là. »

Dans un camp de concentration nazi, un déporté réalise que l'un de ses compagnons de souffrance est un vampire. À l'horreur quotidienne vient désormais s'ajouter une terreur indicible qui ébranle ses ultimes barrières mentales. Combien de temps tiendra-t-il à ce régime ?

À partir de ce synopsis minimaliste, Jack Dann et Gardner Dozois brodent une longue nouvelle dont l'atmosphère angoissante s'impose comme une évidence. Le texte, paru initialement dans la revue Fiction (pas l'anthologie d'André-François Ruaud, mais bien la revue d'origine), a figuré également au sommaire du second volume de l'anthologie Trois saigneurs de la nuit édité jadis chez Néo. Il ne s'agit donc en rien d'une nouveauté. En effet, comme à leur habitude, les éditions Baleine ont exhumé un texte tombé dans l'oubli ; travail qu'ils monnaient fort cher au passage. À force de tondre le mouton, cette maison que l'on a connue plus flamboyante ne risque-t-elle pas de lui entamer l'os ? À défaut d'une réponse satisfaisante, intéressons-nous au texte.

Plus morts que morts-vivants est une nouvelle qui laisse quelque peu dubitatif. Non pas que son sujet paraisse choquant ou nauséabond — sur ce point, le propos s'affranchit de toute complaisance. En fait, c'est l'effet recherché qui provoque irrésistiblement le scepticisme. Dans une postface brève et argumentée, le traducteur du texte, Jacques Finné, nous explique que Gardner Dozois et Jack Dann s'inscrivent dans un courant qui vise à réhabiliter le mythe vampirique en usant d'un biais : celui de la relativité des maux. Autrement dit, pour « revivifier » le mythe, les deux complices ont mis en place un dispositif tordu, plaçant sur le même plan deux créations mortifères de l'esprit humain : le camp de concentration et le vampire. Cependant, le procédé accuse deux faiblesses qui le disqualifient de manière rédhibitoire. D'une part, la comparaison s'avère d'emblée biaisée puisqu'elle met en parallèle les conséquences d'un fait réel, authentifié par de nombreux témoignages et faisant l'objet de débats d'historiens, et les effets d'une croyance ne reposant sur nul autre fondement que ceux de la superstition et du folklore. L'Histoire versus la fiction, en somme. De quoi atténuer sérieusement l'effet recherché et, par la même occasion, de quoi entamer le capital de crédulité du lecteur. D'autre part, le génocide est un événement trop proche de nous, trop présent dans les mémoires, pour faire l'objet de fantasmes d'une ampleur équivalente à ceux induits par l'Inquisition, par exemple. À l'instar de l'eau et de l'huile, les composantes de Plus morts que morts-vivants se côtoient sans vraiment bouleverser les frontières entre la réalité et la fiction.

Alors que reste-t-il à nous mettre sous la dent ? D'abord, un récit fantastique très classique dont il convient de saluer la chute inattendue, et le traitement assez convaincant de l'ambiance oppressive et oppressante d'un camp nazi. Une restitution qui ne soutient évidemment pas la comparaison, en matière de devoir de mémoire, avec la littérature de la Shoah. Pour terminer, on encouragera tout de même les éventuels lecteurs, attirés par ce genre de récit, à mettre à profit la liste d'auteurs suggérés par Jacques Finné en fin d'ouvrage. Un coup d'œil, ça ne coûte rien.

Les Fils de l'air

[Critique commune à Secret ADN, Steppe Rouge et Les Fils de l'air.]

Promotion sur le Heliot ! Derrière cette affirmation péremptoire, un tantinet provocante, se cache un constat : Johan Heliot se consacre de plus en plus à la littérature jeunesse. En dehors de quelques nouvelles lâchées ici ou là (voir l'anthologie Dragons au sommaire de ce numéro) et d'un roman noir édité au Rocher (Passé censuré), genre qui semble attirer incontestablement l'auteur lorrain, c'est un euphémisme de dire que Johan Heliot se fait rare pour les amateurs d'une littérature plus « adulte » (ceci étant, nos informateurs nous signalent qu'Heliot travaille en ce moment même sur un ambitieux roman pour la collection « Rendez-vous ailleurs » du Fleuve Noir, mais chut…). Pas moins de trois (courts) romans destinés à l'adolescence constituent son actualité dans le domaine qui nous intéresse. Et même si la mention « tout lecteur » apparaît sur la quatrième de couverture, il semble légitime de s'interroger sur l'intérêt de lire ces livres ou à défaut d'aiguiller d'éventuelles connaissances juvéniles / membres mineurs de sa famille / élèves (entourez la proposition qui vous convient) vers l'un d'entre eux.

Avec Secret ADN, nous sommes en terrain connu. Ce court roman renoue en effet avec le futur sécuritaire d'Ados sous contrôle (même éditeur, même collection, un livre qui doit bien fonctionner puisqu'il vient tout juste d'être réédité, deux ans après sa première édition). Il en reprend également les personnages principaux : Lou et Erwan. La science-fiction s'inscrit dans les codes de l'anticipation ; le léger décalage dans l'avenir ayant pour objectif de dénoncer les dérives qui sont en germe ici et maintenant. Amours adolescents, intrigue fléchée, psychologie à l'étiage, rythme survitaminé, sentimentalisme à fleur de peau, rebondissements prévisibles, Johan Heliot ne craint pas d'aligner les clichés les plus éculés et les procédés narratifs les plus conventionnels. En cela, il fait montre d'une indéniable connaissance de son cœur de cible. Et pourtant, cette routine finit par agacer, d'autant plus que le dénouement s'avère bâclé. À tout ceci vient s'ajouter un propos guère convaincant qui peut se résumer en une seule formule : le fichage génétique, c'est pas bien ! Le message manque singulièrement de subtilité. Certes, l'écrivain s'interroge à raison sur la restriction des libertés qui découle des pratiques sécuritaires de fichage et de traçabilité. Hélas, il opte pour une approche frontale qui vient plomber une intrigue déjà pataude. Ainsi, l'espace d'un livre, et ceci de manière inattendue, Johan Heliot fait resurgir ce défaut récurrent de la S-F française : le militantisme. Bref, passons…

Avec Steppe rouge, on aborde l'autre grand versant de l'Imaginaire : la fantasy. Même si l'histoire de la Russie fournit quelques éléments du décor de ce roman, le récit fait surtout son miel des contes slaves. Le synopsis est simple, pour ne pas dire simpliste : des chasseurs de monstres menés par un prince orgueilleux sont assiégés, le temps d'une nuit, dans une isba isolée en forêt. Le serviteur fidèle à son maître, la jeune fille aveugle (elle sait toutefois lire dans le secret de l'âme), le jeune garçon courageux et débrouillard, quelques seconds couteaux, un cosaque impétueux, une foultitude de monstres empruntés au folklore slave et Baba-Yaga en guest star, Johan Heliot use une nouvelle fois des clichés les plus évidents. Il le fait toutefois ici avec un professionnalisme éprouvé, mettant efficacement à profit toutes les opportunités qui s'ouvrent à lui, et trouvant le dosage idéal entre scènes d'action et de suspense. Bref, Steppe rouge est un roman rondement mené où l'écrivain fait montre de son savoir-faire avec panache.

Avec Les Fils de l'air, on se prend à espérer le meilleur, l'uchronie étant le point fort de l'auteur. Hélas, à la lecture de l'ouvrage, notre enthousiasme est vite refroidi. La fuite aux Etats-Unis du roi Louis XVI et de sa famille sert de divergence initiale à une intrigue légère qui prend comme narrateur la fille aînée de l'ancien monarque absolu. Cependant, que les choses soient claires : si Johan Heliot prend le parti de réécrire l'Histoire, c'est avec l'intention de distraire son lectorat. Il ne s'embarrasse guère de la vraisemblance historique (ce qui surprend, surtout de la part d'un ancien professeur d'histoire), et se cantonne strictement aux effets ludiques qu'il peut tirer du réagencement des événements. En conséquence, peu importe si la causalité historique alternative paraît tirée par les cheveux. Peu importe si l'évolution psychologique des personnages historiques ne convainc pas vraiment. L'essentiel demeure de s'amuser. À l'instar des Aventures du nomade du temps Oswald Bastable (sous la plume de Michael Moorcock), Les Fils de l'air se présente ainsi comme une friandise sans conséquence. Malheureusement, le roman souffre d'un grave déséquilibre ; un peu comme si Johan Heliot avait couru plusieurs lièvres à la fois. Ceci est surtout visible dans les quatrième et cinquième parties. Les événements s'y précipitent irrésistiblement et le propos de l'auteur se fait plus confus. Il hésite entre le récit utopique — la naissance de l'Acadia — et la charge anti-napoléonienne, pour en définitive opter pour un mélange des deux qui s'avère le pire des choix. Et ce n'est pas le dénouement précipité qui contredit cette fâcheuse impression. Dommage…

Au final, on ne retiendra de ces trois romans que Steppe rouge — tant pour son souffle épique que pour son mélange réussi de suspense et d'aventure. Et on attendra le grand retour de l'auteur dans le domaine « adulte », en espérant qu'il se donnera le temps nécessaire à l'élaboration d'un livre mené de bout en bout.

Steppe rouge

[Critique commune à Secret ADN, Steppe Rouge et Les Fils de l'air.]

Promotion sur le Heliot ! Derrière cette affirmation péremptoire, un tantinet provocante, se cache un constat : Johan Heliot se consacre de plus en plus à la littérature jeunesse. En dehors de quelques nouvelles lâchées ici ou là (voir l'anthologie Dragons au sommaire de ce numéro) et d'un roman noir édité au Rocher (Passé censuré), genre qui semble attirer incontestablement l'auteur lorrain, c'est un euphémisme de dire que Johan Heliot se fait rare pour les amateurs d'une littérature plus « adulte » (ceci étant, nos informateurs nous signalent qu'Heliot travaille en ce moment même sur un ambitieux roman pour la collection « Rendez-vous ailleurs » du Fleuve Noir, mais chut…). Pas moins de trois (courts) romans destinés à l'adolescence constituent son actualité dans le domaine qui nous intéresse. Et même si la mention « tout lecteur » apparaît sur la quatrième de couverture, il semble légitime de s'interroger sur l'intérêt de lire ces livres ou à défaut d'aiguiller d'éventuelles connaissances juvéniles / membres mineurs de sa famille / élèves (entourez la proposition qui vous convient) vers l'un d'entre eux.

Avec Secret ADN, nous sommes en terrain connu. Ce court roman renoue en effet avec le futur sécuritaire d'Ados sous contrôle (même éditeur, même collection, un livre qui doit bien fonctionner puisqu'il vient tout juste d'être réédité, deux ans après sa première édition). Il en reprend également les personnages principaux : Lou et Erwan. La science-fiction s'inscrit dans les codes de l'anticipation ; le léger décalage dans l'avenir ayant pour objectif de dénoncer les dérives qui sont en germe ici et maintenant. Amours adolescents, intrigue fléchée, psychologie à l'étiage, rythme survitaminé, sentimentalisme à fleur de peau, rebondissements prévisibles, Johan Heliot ne craint pas d'aligner les clichés les plus éculés et les procédés narratifs les plus conventionnels. En cela, il fait montre d'une indéniable connaissance de son cœur de cible. Et pourtant, cette routine finit par agacer, d'autant plus que le dénouement s'avère bâclé. À tout ceci vient s'ajouter un propos guère convaincant qui peut se résumer en une seule formule : le fichage génétique, c'est pas bien ! Le message manque singulièrement de subtilité. Certes, l'écrivain s'interroge à raison sur la restriction des libertés qui découle des pratiques sécuritaires de fichage et de traçabilité. Hélas, il opte pour une approche frontale qui vient plomber une intrigue déjà pataude. Ainsi, l'espace d'un livre, et ceci de manière inattendue, Johan Heliot fait resurgir ce défaut récurrent de la S-F française : le militantisme. Bref, passons…

Avec Steppe rouge, on aborde l'autre grand versant de l'Imaginaire : la fantasy. Même si l'histoire de la Russie fournit quelques éléments du décor de ce roman, le récit fait surtout son miel des contes slaves. Le synopsis est simple, pour ne pas dire simpliste : des chasseurs de monstres menés par un prince orgueilleux sont assiégés, le temps d'une nuit, dans une isba isolée en forêt. Le serviteur fidèle à son maître, la jeune fille aveugle (elle sait toutefois lire dans le secret de l'âme), le jeune garçon courageux et débrouillard, quelques seconds couteaux, un cosaque impétueux, une foultitude de monstres empruntés au folklore slave et Baba-Yaga en guest star, Johan Heliot use une nouvelle fois des clichés les plus évidents. Il le fait toutefois ici avec un professionnalisme éprouvé, mettant efficacement à profit toutes les opportunités qui s'ouvrent à lui, et trouvant le dosage idéal entre scènes d'action et de suspense. Bref, Steppe rouge est un roman rondement mené où l'écrivain fait montre de son savoir-faire avec panache.

Avec Les Fils de l'air, on se prend à espérer le meilleur, l'uchronie étant le point fort de l'auteur. Hélas, à la lecture de l'ouvrage, notre enthousiasme est vite refroidi. La fuite aux Etats-Unis du roi Louis XVI et de sa famille sert de divergence initiale à une intrigue légère qui prend comme narrateur la fille aînée de l'ancien monarque absolu. Cependant, que les choses soient claires : si Johan Heliot prend le parti de réécrire l'Histoire, c'est avec l'intention de distraire son lectorat. Il ne s'embarrasse guère de la vraisemblance historique (ce qui surprend, surtout de la part d'un ancien professeur d'histoire), et se cantonne strictement aux effets ludiques qu'il peut tirer du réagencement des événements. En conséquence, peu importe si la causalité historique alternative paraît tirée par les cheveux. Peu importe si l'évolution psychologique des personnages historiques ne convainc pas vraiment. L'essentiel demeure de s'amuser. À l'instar des Aventures du nomade du temps Oswald Bastable (sous la plume de Michael Moorcock), Les Fils de l'air se présente ainsi comme une friandise sans conséquence. Malheureusement, le roman souffre d'un grave déséquilibre ; un peu comme si Johan Heliot avait couru plusieurs lièvres à la fois. Ceci est surtout visible dans les quatrième et cinquième parties. Les événements s'y précipitent irrésistiblement et le propos de l'auteur se fait plus confus. Il hésite entre le récit utopique — la naissance de l'Acadia — et la charge anti-napoléonienne, pour en définitive opter pour un mélange des deux qui s'avère le pire des choix. Et ce n'est pas le dénouement précipité qui contredit cette fâcheuse impression. Dommage…

Au final, on ne retiendra de ces trois romans que Steppe rouge — tant pour son souffle épique que pour son mélange réussi de suspense et d'aventure. Et on attendra le grand retour de l'auteur dans le domaine « adulte », en espérant qu'il se donnera le temps nécessaire à l'élaboration d'un livre mené de bout en bout.

Secret ADN

[Critique commune à Secret ADN, Steppe Rouge et Les Fils de l'air.]

Promotion sur le Heliot ! Derrière cette affirmation péremptoire, un tantinet provocante, se cache un constat : Johan Heliot se consacre de plus en plus à la littérature jeunesse. En dehors de quelques nouvelles lâchées ici ou là (voir l'anthologie Dragons au sommaire de ce numéro) et d'un roman noir édité au Rocher (Passé censuré), genre qui semble attirer incontestablement l'auteur lorrain, c'est un euphémisme de dire que Johan Heliot se fait rare pour les amateurs d'une littérature plus « adulte » (ceci étant, nos informateurs nous signalent qu'Heliot travaille en ce moment même sur un ambitieux roman pour la collection « Rendez-vous ailleurs » du Fleuve Noir, mais chut…). Pas moins de trois (courts) romans destinés à l'adolescence constituent son actualité dans le domaine qui nous intéresse. Et même si la mention « tout lecteur » apparaît sur la quatrième de couverture, il semble légitime de s'interroger sur l'intérêt de lire ces livres ou à défaut d'aiguiller d'éventuelles connaissances juvéniles / membres mineurs de sa famille / élèves (entourez la proposition qui vous convient) vers l'un d'entre eux.

Avec Secret ADN, nous sommes en terrain connu. Ce court roman renoue en effet avec le futur sécuritaire d'Ados sous contrôle (même éditeur, même collection, un livre qui doit bien fonctionner puisqu'il vient tout juste d'être réédité, deux ans après sa première édition). Il en reprend également les personnages principaux : Lou et Erwan. La science-fiction s'inscrit dans les codes de l'anticipation ; le léger décalage dans l'avenir ayant pour objectif de dénoncer les dérives qui sont en germe ici et maintenant. Amours adolescents, intrigue fléchée, psychologie à l'étiage, rythme survitaminé, sentimentalisme à fleur de peau, rebondissements prévisibles, Johan Heliot ne craint pas d'aligner les clichés les plus éculés et les procédés narratifs les plus conventionnels. En cela, il fait montre d'une indéniable connaissance de son cœur de cible. Et pourtant, cette routine finit par agacer, d'autant plus que le dénouement s'avère bâclé. À tout ceci vient s'ajouter un propos guère convaincant qui peut se résumer en une seule formule : le fichage génétique, c'est pas bien ! Le message manque singulièrement de subtilité. Certes, l'écrivain s'interroge à raison sur la restriction des libertés qui découle des pratiques sécuritaires de fichage et de traçabilité. Hélas, il opte pour une approche frontale qui vient plomber une intrigue déjà pataude. Ainsi, l'espace d'un livre, et ceci de manière inattendue, Johan Heliot fait resurgir ce défaut récurrent de la S-F française : le militantisme. Bref, passons…

Avec Steppe rouge, on aborde l'autre grand versant de l'Imaginaire : la fantasy. Même si l'histoire de la Russie fournit quelques éléments du décor de ce roman, le récit fait surtout son miel des contes slaves. Le synopsis est simple, pour ne pas dire simpliste : des chasseurs de monstres menés par un prince orgueilleux sont assiégés, le temps d'une nuit, dans une isba isolée en forêt. Le serviteur fidèle à son maître, la jeune fille aveugle (elle sait toutefois lire dans le secret de l'âme), le jeune garçon courageux et débrouillard, quelques seconds couteaux, un cosaque impétueux, une foultitude de monstres empruntés au folklore slave et Baba-Yaga en guest star, Johan Heliot use une nouvelle fois des clichés les plus évidents. Il le fait toutefois ici avec un professionnalisme éprouvé, mettant efficacement à profit toutes les opportunités qui s'ouvrent à lui, et trouvant le dosage idéal entre scènes d'action et de suspense. Bref, Steppe rouge est un roman rondement mené où l'écrivain fait montre de son savoir-faire avec panache.

Avec Les Fils de l'air, on se prend à espérer le meilleur, l'uchronie étant le point fort de l'auteur. Hélas, à la lecture de l'ouvrage, notre enthousiasme est vite refroidi. La fuite aux Etats-Unis du roi Louis XVI et de sa famille sert de divergence initiale à une intrigue légère qui prend comme narrateur la fille aînée de l'ancien monarque absolu. Cependant, que les choses soient claires : si Johan Heliot prend le parti de réécrire l'Histoire, c'est avec l'intention de distraire son lectorat. Il ne s'embarrasse guère de la vraisemblance historique (ce qui surprend, surtout de la part d'un ancien professeur d'histoire), et se cantonne strictement aux effets ludiques qu'il peut tirer du réagencement des événements. En conséquence, peu importe si la causalité historique alternative paraît tirée par les cheveux. Peu importe si l'évolution psychologique des personnages historiques ne convainc pas vraiment. L'essentiel demeure de s'amuser. À l'instar des Aventures du nomade du temps Oswald Bastable (sous la plume de Michael Moorcock), Les Fils de l'air se présente ainsi comme une friandise sans conséquence. Malheureusement, le roman souffre d'un grave déséquilibre ; un peu comme si Johan Heliot avait couru plusieurs lièvres à la fois. Ceci est surtout visible dans les quatrième et cinquième parties. Les événements s'y précipitent irrésistiblement et le propos de l'auteur se fait plus confus. Il hésite entre le récit utopique — la naissance de l'Acadia — et la charge anti-napoléonienne, pour en définitive opter pour un mélange des deux qui s'avère le pire des choix. Et ce n'est pas le dénouement précipité qui contredit cette fâcheuse impression. Dommage…

Au final, on ne retiendra de ces trois romans que Steppe rouge — tant pour son souffle épique que pour son mélange réussi de suspense et d'aventure. Et on attendra le grand retour de l'auteur dans le domaine « adulte », en espérant qu'il se donnera le temps nécessaire à l'élaboration d'un livre mené de bout en bout.

Dragons

Issue d'un appel à textes ouvert aux écrivains confirmés et débutants, l'anthologie Dragons compte dix-huit nouvelles. Confessons immédiatement notre curiosité sur un point : de quelle façon les heureux élus sont-ils parvenus à s'affranchir d'un des thèmes les plus rebattus de la fantasy, la seule mention du nom « dragon » déclenchant illico une compulsion d'achat chez les esprits les plus influençables ?

Avant toute chose, ouvrons une parenthèse. Les anthologies francophones sont suffisamment rares pour qu'on se penche sur leur berceau sans jouer à la marâtre. Au pire, elles ont le mérite d'offrir un aperçu sur l'Imaginaire (S-F, fantasy et fantastique) dans l'Hexagone. Au mieux, en dressant un état des lieux partiel et a fortiori partial, elles peuvent réserver quelques bonnes surprises. Cependant, le premier étonnement n'est pas vraiment à l'endroit où on l'attend. En effet, la sélection de l'anthologiste, ici curieusement aux abonnés absents, est livrée brut de décoffrage (aucune introduction, aucun paratexte, rien, que dalle). À charge pour le lecteur, un tant soit peu curieux, de boucher les trous notamment en ce qui concerne les auteurs (qui ne sont pas présentés), même si certains ne sont pas du tout des inconnus, d'imaginer le paratexte et tout le toutim… Ceci ayant été dit, attaquons-nous aux textes.

On pouvait nourrir des craintes quant au résultat, le sujet se prêtant très facilement aux médiévaleries de pacotille et aux pires clichés du genre. On n'y échappe d'ailleurs pas complètement puisque quelques contributions plongent des deux pieds dans ce terreau propice aux mauvaises herbes. Ainsi Robin Tecon, crédité au sommaire mais absent en quatrième de couverture (coquille ou acte manqué ?), nous assène une énième variation de ce genre, alourdie de surcroît par un humour téléphoné et une écriture banale. C'est un peu moins fâcheux avec Eudes Hartemann et David Camus. Le premier s'en tire grâce au ton malicieux de son histoire qui contribue à atténuer la faiblesse du dénouement et la banalité de son inspiration. Le second réinvestit le contexte historique de ses propres romans (le cycle du Roman de la Croix chez Robert Laffont) et brode là-dessus une intrigue poussive qui s'impose surtout par son ambiance « fin de règne en Terre Sainte ». Terminons avec Virginie Bétruger dont la nouvelle, sans véritable surprise, se conclut par quelques images d'une violence convenue. Bref, jusque-là, il n'y a pas de quoi empapaouter un hennin.

Fort heureusement, une deuxième vague d'auteurs fait le choix du décalage en investissant d'autres manifestations, historique ou symbolique, de la « dragonitude », si on veut bien nous pardonner ce néologisme piteux. Pour le meilleur et pour le pire, il faut en convenir. Passons rapidement sur la nouvelle de Philippe Guillaut, un texte lourd et anecdotique, et sur celle de Charlotte Bousquet, une boursouflure à prétention poétique, par chance courte, pour nous consacrer aux autres textes. Johan Heliot acquitte honorablement, mais sans éclat, son tribut à la mythologie états-unienne et au roman noir avec un récit dont on peut juger malheureusement la conclusion un tantinet précipitée. Frédéric Jaccaud génère indéniablement une atmosphère « Grande Guerre » très convaincante. Sa nouvelle à deux voix manque toutefois du petit détail qui emporte définitivement l'adhésion. C'est finalement Estelle Faye qui ravit le morceau avec une histoire maritime d'une noirceur fort réjouissante. Incontestablement, une des meilleures nouvelles du recueil.

Immergés dans cette deuxième vague, deux auteurs se démarquent avec plus ou moins de bonheur de leurs camarades. Si le texte de Jean-Claude Bologne, un conte enfantin à la balourdise agaçante, tombe comme un bulot dans le caviar, celui de Ugo Bellagamba apparaît plus convaincant. L'auteur s'avance masqué, ne dévoilant son propos qu'au dernier moment. Et le lecteur de découvrir ainsi une nouvelle de science-fiction dont la tonalité n'est pas sans rappeler, tout à fait subjectivement, certaines pages de Roger Zelazny.

Reste le plus intéressant : les écrivains ayant réussi à investir le sujet avec leur propre thématique pour mieux le dépasser. Passons rapidement sur la nouvelle de Fabrice Colin, dont le propos anorexique ne provoque qu'un mol émoi. En revanche, Thomas Day nous étonne avec un récit profondément humain, c'est-à-dire dépourvu de gloriole et de pathos. Une sorte de fantasy « roots » qui rechercherait l'authenticité en dépouillant le genre de la charge archétypale de ses composantes. De son côté, Mélanie Fazi parvient à susciter l'émotion et le trouble avec une histoire étrange à l'ambiance old-school très réussie. Sans surprise, Jérôme Noirez nous régale d'un récit où sont convoqués la fine fleur des clichés sur la Collaboration française et le nazisme. Sa nouvelle est écrite dans une langue charnue, imagée et fort drôle qui suscite un ricanement incoercible. On en redemande ! Cela tombe bien puisque Francis Berthelot, dans un registre radicalement différent, nous émeut avec l'histoire d'une amitié contre-nature.

Un ultime regret avant d'achever cette chronique : le choix des nouvelles d'ouverture et de clôture. Là où François Fierobe se contente d'une nouvelle à la tournure didactique pesante, ne faisant rien d'autre que clore le sujet, voire le momifier au lieu de le revivifier, Daylon introduit une véritable rupture avec un texte sans concession qui s'apparente à un uppercut narratif et esthétique. Rien de mieux pour briser le cycle et impulser au motif du dragon un nouvel élan. Faire du neuf avec du vieux, en quelque sorte.

L'anthologie Dragons souffle donc le chaud et le froid. On a du mal à discerner le fil directeur qui a présidé à la réunion et à l'ordonnancement surprenant, voire déroutant, des diverses nouvelles. Et si au final l'anthologie emporte l'adhésion, c'est essentiellement grâce à une poignée de textes, tous dus à la plume d'auteurs confirmés, à deux exceptions près. Enfin, une question reste en suspens : y a-t-il un anthologiste pour assumer le dilettantisme fâcheux du projet ?

La Rédemption du marchand de sable

Killjoy est un tueur en série. Pendant des années, il a tué des enfants, les étouffant dans leur sommeil avec un oreiller. Il semble chercher maintenant la rédemption, kidnappant des enfants maltraités pour les « offrir » aux familles de ses victimes. Il est fou, indubitablement. Il suffit pour s'en convaincre de lire les lettres, petits joyaux déviants d'humour (très) noir, qu'il écrit à Eddie Whitt, le père de sa première victime. Eddie, que la police soupçonne encore parfois d'être le tueur, et dont la femme est devenue folle ; Eddie, qui n'accepte pas le début de retour en grâce de l'ancien tueur en série, désormais présenté par les médias comme un sauveur d'enfants tentant d'expier ses fautes passées ; Eddie, qui plus que jamais reste déterminé à débusquer l'assassin de sa fille…

Car plutôt que de se conformer à ce que tous attendent de lui, plutôt que d'endosser le rôle d'une victime qui n'aurait d'autre choix que de subir ou surmonter ses épreuves, Eddie s'est mis en chasse. Cinq ans durant, avec le soutien paternaliste et condescendant de son ancien marine de beau-père, il a traqué Killjoy. Cinq ans durant, espérant comprendre ses agissements et ses motivations, il a peu à peu lâché prise pour mieux se livrer au tueur qui joue avec lui et le pousse lentement mais sûrement vers la folie. C'est que Killjoy ne semble pouvoir trouver sa rédemption que dans la damnation d'Eddie. Et celui-ci en vient à ne plus percevoir le monde qu'à travers la relation de plus en plus trouble qui le lie à Killjoy, à ne plus voir des gens qui l'entourent que la faille, le déséquilibre au cœur de leur personnalité.

Et c'est devant un parterre de « fous ordinaires », au rythme des lettres que Killjoy écrit à Whitt, que Tom Piccirilli orchestre ces deux folies, chorégraphie leur valse lente autour de l'axe faussé de la paternité. Paternité d'Eddie, qui a perdu un enfant, en a refusé un autre, et — déclarant à la presse à propos du tueur : « Il a tué mon bonheur » — a baptisé Killjoy ; paternité de Killjoy, qui en lui enlevant son enfant a donné naissance au nouvel Eddie Whitt, et en se rapprochant de lui, en lui écrivant, en lui imposant sa présence invisible mais écrasante, l'éduque, le guide, le façonne. Et Eddie se prête au jeu, espionne les familles des autres victimes, cherche à comprendre les motivations de Killjoy, mets ses pas dans les pas du tueur… Son dernier ancrage reste Freddy : seul personnage du roman à se trouver dégagé des enjeux de la paternité, roc inébranlable, ami compréhensif, jamais à court de ressources, d'amour, d'aide et de pardon, il est la figure du père idéal ; réalisateur génial et excentrique, il stigmatise d'autre part, avec ses spots de pub surréalistes et ses démêlés judiciaires hilarants, l'absurdité des normes établies.

Avec La Rédemption du marchand de sable, Tom Piccirilli étudie la notion fondatrice de paternité, la dissèque, l'étire, la rompt, la corrompt et la met en bocaux. Il est équipé des meilleurs outils : une plume vive et incisive, un sens du dialogue qui force le respect, des personnages tous particulièrement travaillés, et surtout la capacité de détourner les codes et les clichés du thriller, juste assez pour ne pas perdre son lecteur, suffisamment pour le déranger profondément. Car loin de se contenter d'imaginer puis d'exhiber un énième « monstre social », un repoussoir sans doute fascinant mais usé jusqu'à la corde que l'on puisse contempler depuis l'abri d'une confortable et consensuelle horreur, Piccirilli évoque, au gré des introspections d'Eddie, les monstres qui pourraient grandir en chacun de nous pour peu qu'on les y pousse.

Faux thriller mais vrai page-turner, bref et saisissant, plus violent dans la représentation de notre quotidien que dans les rares atrocités qu'il donne à voir, La Rédemption du marchand de sable s'avère aussi marquant qu'Un Chœur d'enfants maudits (roman disponible chez Folio « SF »). Tom Piccirilli y montre une fascination certaine pour la folie et les ambiances glauques, semble prendre un malin plaisir à souligner la fragilité et l'hypocrisie des conventions qui maintiennent à flot nos sociétés. Et les images qui subsistent longtemps après cette lecture sont moins celles de la violence ou de la perversion du tueur que le portrait d'un monde étrange et malsain, suintant la folie et le mal-être, un monde peuplé de freaks, personnages fous, camés, idiots, malades, dangereusement normaux. Le nôtre, assurément.

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Bifrost n° 114
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