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En approchant de la fin

Nous avons le monde de bien­tôt, demain, 2012. Un monde à la dérive, explosant, mourant, « totalitarisant », ainsi que nous le dit le titre : approchant de la fin. Et nous avons Martha Nova, la plus grande rock-star de tous les temps, messie apocalyptique malgré elle. Car les chansons de Martha Nova révèlent le futur, nous aident à assumer le fait que tout sera fini bientôt. Et puis il y a l'histoire de cet homme et de son mystère, ce qu'il a trouvé sur Mars, et cet enfant démiurge, le fils de Martha, surdoué mâtiné d'autiste qui attend son heure… Et Abe Levett, et Robert Duke, et ce personnage mystérieux qui apparaît çà et là pour tirer les fils de ces destins croisés et les mener jusqu'à leur achèvement, une fin inéluctable à moins que ce soit le début de quelque chose de neuf…

Depuis la publication de deux recueils en langue française et d'un nombre de nou­velles non négligeable sur divers supports (tous chez « Bifrost/ Étoiles Vives »), on sait d'Andrew Weiner qu'il est un nouvelliste tout à fait remarquable, notamment friand d'ex­traterrestres facétieux dans la droite ligne d'un Brown ou d'un Sheckley. Avec En Approchant de la fin (premier roman de l'auteur publié en France et inédit en anglais !), on le découvre romancier accompli. Pour­tant, si les nouvelles de Weiner s'inscrivent généralement dans une tradition SF marquée et fréquemment portée sur l'humour, ce roman surprend et dénote tant il apparaît personnel et difficile à rattacher à une quel­conque manière, un quelconque courant science-fictif. Dans le dossier que lui consa­crait l'anthologie périodique Étoiles Vives (numéro 6), Weiner racontait pourquoi ce roman demeurait inédit en anglais, comment les éditeurs de SF lui expliquaient qu'En Approchant de la fin n'était pas, justement, de la SF et comment les éditeurs mainstream lui rétorquaient, au contraire, que c'en était. Des propos qui prennent tout leur sens à la lecture du dit roman. Car voici bien un bouquin surprenant, tant du fait d'une cons­truction inhabituelle (flashes-back perpé­tuels et lignes narratives croisées) que, on l'a dit, d'une tutelle de genre — notamment par son traitement — difficile à déterminer (SF, mainstream, fantastique même). Jusqu'au ton du livre, tout en nuances, très distancié, qui participe puissamment à son particula­risme. Bien sûr, on y retrouve malgré tout certains des éléments récurrents de l'œuvre de Weiner : le milieu du rock, les thèmes de la créativité, de l'aliénation, de l'étranger. Reste qu'il y a un sacré delta entre ce roman et la plupart de ses nouvelles.

Qu'un livre soit difficile à classer et sur­prenant ne signifie pas toujours qu'il soit bon. Et pourtant. On ressort de la lecture d'En Approchant de la fin sous le charme de son étrange musique, totalement habité par l'histoire, convaincu qu'on vient de lire un fort bon et beau livre. Un plaisir rare, un particularisme dont on ferait bien une habitude. À découvrir d'urgence.

Voyage à l envers

Attention, on a dit Philippe Curval ! On va parler ici de quelqu'un qui a débuté en 55 dans Fiction et qui a signé un roman au « Rayon Fantastique » : Les Fleurs de Vénus. On va parler du dernier roman d'un auteur qui a plus de quarante années de carrière. On va parler d'un cas unique. D'un des fondateurs de la SF française actuelle, rien de moins. Et voici son grand retour !

Et pour ce dernier, l'auteur nous décline sa version du premier voyage interstellaire. C'est tout ! ? Non. Ajoutez aussi le premier contact avec les extraterrestres… À ceux que j'entends se mettre à glousser au fond de leur campagne, bien planqués derrière leur Bifrost, je rappellerai que, selon l'adage, c'est dans les vieux pots que l'on fait la meilleure soupe. De fait, le dépoussiérage des thèmes archaïques de la SF peut, pourvu que l'on fasse preuve de talent, mériter bien davantage qu'une mention honorable. Or, du talent, Philippe Curval en a à revendre. M'aurait-on dit qu'il écrivait de la hard science que je ne l'aurais jamais cru. Partis pris. Tant pis… Il n'en reste pas moins journaliste scientifique et c'est tout naturellement qu'il choisit un confrère du prochain siècle comme protagoniste. Mais, à la différence des auteurs américains de hard science, Curval n'est pas un chercheur qui fait l'écrivain. C'est avant tout un écrivain. Un vrai. Et comme tout véritable écrivain, il place l'écriture au premier plan. C'est parce qu'il procède de la sorte qu'il parvient à renouveler un thème aussi rebattu. Qu'il se donne la peine de bien écrire ne signifie nullement qu'il manque d'idée, au contraire. Bien écrire, ce n'est pas seulement avoir un style brillant et une construction ingénieuse ; c'est aussi, surtout peut-être, avoir quelque chose à dire. Quelque chose d'intéressant. Or, derrière l'histoire qu'il nous raconte avec brio, il s'adonne en filigrane au commentaire social et politique. Avec un réalisme cruel. Avec toute l'expérience accumulée, Curval réalise l'alchimie du grand roman. Voyage à l'envers trouve l'équilibre d'un grand cru entre les qualités d'écriture, la narration et les problématiques abordées.

Nul ne juge un vol habité jusqu'à Alpha du Centaure utile. Personne n'y investirait une part significative de la richesse mondiale à long terme. Le contact avec les extraterrestres stimule peut-être le monde scientifique ; la destruction du patrimoine informatique de l'humanité inquiète peut-être les historiens et certains secrétaires de l'UNESCO ; peut-être des voies de faits commises par des agités à rencontre de partisans d'un tel projet capitalisent pour un temps la sympathie populaire… Mais il ne faut pas toucher au grisbi. Seule la menace qui plane sur la fiabilité des transactions informatiques de la haute finance déliera la bourse pour le projet. Curval donne une bonne idée des facteurs, tous humains, qui s'opposent au voyage interstellaire. Tout juste suppute-t-il, pour les besoins romanesques, l'existence d'un mini-trou noir naturel proche du système solaire qui sert de fronde gravitationnelle. Les obstacles ne sont que d'ordre socio-politiques, il construit, grâce aux E.T., la conjecture favorable à ce que l'humanité s'ébroue et sorte de son apathie post-historique chère à Fukuyama et autres finisseurs d'Histoire.

Si Voyage à l'envers relève de la plus pure SF, c'est aussi un roman très proche de la littérature générale ambitieuse et politique la moins intimiste. Curval y fait œuvre de critique sociale. Incisif et pertinent, non caustique et virulent. C'est un livre tout en souplesse et en profondeur. Hormis l'invasion extraterrestre dont la forme moderne évoque certains textes de Richard Canal ou Jean-Claude Dunyach, on rapprochera le motif principal de Projet Diaspora de Michael P. Kube McDowell (J'ai Lu). Par contre, c'est de l'excellent Feu sacré de Sterling que se rapproche la fin du monde sucrée que nous propose Curval, à moins que l'on ne préfère évoquer Le pavé de l'Enfer de Damon Knight. Désormais, des fins du monde qu'envisage la SF certaines répondent de la fin du désir, se faisant l'écho de cette menace perçue, prévue, par la psychanalyse. C'est cette menace que Curval met en scène à travers l'invasion pour boucler le roman en renvoyant à l'apathie sociale générée par la pensée unique du début. L'auteur enfin, ne voulant à aucun prix d'un deux ex machina remettant l'humanité sur de bons rails dans l'optique de la quasi religion soucoupiste, ses E.T. n'ont nul autre dessein que de s'assurer que l'humanité tourne bien à vide, rejouant sans fin sa propre histoire. D'où le titre, bien sûr. « Voyage à l'envers » renvoie tant à la construction du récit qu'au concept d'invasion et d'occupation choisi par les E.T., mais aussi à la vacuité conformiste où mène le capitalisme en construisant un éternel présent en temps réel où il reste la structure dominante. Plus de désirs, plus de futur… Aussi le conservatisme, capitaliste comme extraterrestre, se doit-il d'extirper le désir de l'humanité.

Philippe Curval vient, avec ce Voyage à l'envers, de poser un livre de poids sur la table de la SF française. Il n'y aura peut-être pas un avant et un après, mais c'est un livre dont il faudra assurément se souvenir.

Le Train du diable

Le Far West. Tel qu'il n'a jamais été… L'horreur de la Guerre de Sécession y a fait éclore tout un chaos de talents surnaturels et on peut y arrêter les balles d'un six-coups en leur parlant… Ceci dit, le Far West reste le Far West. Avec shérifs, chevaux, chapeaux, saloons, diligences parfois à voiles et même son célébrissime Buffalo Bill Cody. Et bien sûr les duels à coups de pouvoirs psi plus que de revolvers…

Tout commence quand le magnat de l'industrie, Jay Gould, décide de reprendre à son compte la construction d'un chemin de fer allant de l'Atlantique au Pacifique. Il recrute Buffalo Bill en tant qu'homme de l'Ouest pour accompagner Kastle et Sean Cullen à Medicine Rock, petite bourgade entre Rapid City et Fort Laramie, dont Jake Bird — déjà héros de La Tour du diable, premier volet de la série chez le même éditeur — est le talentueux shérif. Les voies ferrées cons­truites depuis l'Est et l'Ouest pourraient y faire jonction, ce qui serait une opportunité de développement pour la localité.

Dans le même temps, Muley Owens, ancien marin, mène la curieuse diligence à voile du Faiseur de Pluie, un talentueux albinos qui traîne en permanence des intempéries au-dessus de sa tête. Il a bien du mal à pousser cet étrange équipage pour échapper à une furieuse bande d'indiens Ute à qui il a malencontreusement causé quelques torts… Et puis il y a Goldy, la femme de tête qui tient le Kettle Black, le saloon de Medicine Rock, et Brodequin, qui annonce l'enfer et a le pouvoir de se déplacer dans le temps, et l'adjoint de Bird, le très louche Tom Sharpe, et Hardin le salopard, capable de se transformer en gorille, et Josie, et les hommes-chiens de prairie, et, et…

Oui, vraiment, Le Train du diable est un roman plein de trouvailles et d'arrange­ments baroques…

Fantasy à la limite de la SF et du western, voici un divertissement fort original qu'il faudra se garder de négliger lorsque l'on choisira un livre d'aventures. Un univers de fantasy où le surnaturel est la norme, inscrit dans un cadre de western et décliné selon le canon de la science-fiction, tel est le cocktail détonnant que nous offre Mark Sumner avec cette série B de premier plan. Voilà qui devrait ravir les amateurs des Mystères de l'Ouest

Le Sang du Serpent

Voici la réédition en poche, tant attendue par les moins fortunés, du chef-d'œuvre de Brian Stableford, le premier Livres de la Genèse.

Pour être paru dans une collection de fan­tasy, Le Sang du serpent manqua son pre­mier rendez-vous avec le public français. Car c'est bien de pure SF qu'il s'agit, plus particulièrement de celle que les anglo-saxons dénomment planetary romance. On peut raisonnable­ment imaginer que ce roman était destiné à devenir le quatrième titre de la collection mort-née « Futur », où Doug Headline, son responsable, avait déjà publié dans un registre voisin, Les Fils de la sorcière de Mary Gentle (bientôt réédité en « Folio-SF »). Après l'arrêt prématuré de la collection, on sup­posera que le même Doug Headline ne renonça pas à offrir au public ce roman qui le méritait et le publia dans la collection sœur des éditions Rivages : « Fantasy ». Voilà comment une excellente trilogie peut se retrouver victime de la confusion des genres…

C'est de la SF certes peu technologique. Un monde où l'on utilise des épées, où il y a des rois et des sorcières — comprenez des guérisseuses, c'est à dire des empoi­sonneuses… Ici, « surnaturel » signifie « ap­partenant à la biosphère originelle de ce monde », par opposition à une biosphère étrangère, importée de la Terre et dite « terrestre ».

Cette romance planétaire traite du thème générique de la colonie perdue, à l'instar de La Jeune fille et les clones de David Brin, d'Exilé, l'excellent roman de Michael P. Kube-McDowell, ou encore, pour citer un auteur français, d'« Avant Champollion », la remarquée nouvelle de Sylvie Denis. Mais c'est de Patience d'Imakulata, d'Orson Scott Card, dont Le Sang du serpent est le plus proche. Outre que l'on y trouve aussi une tête toujours jactante bien que tranchée ainsi qu'une princesse héroïne rompue à l'usage des poisons, c'est avant tout l'idée d'une lutte séculaire entre l'écosystème local et les éléments d'origine terrestre importés par les colons — que l'on peut, humains compris, considérer comme une pollution — , qui lie les deux livres. Deux autres éléments rapprochent davantage encore ces ouvrages. Tout d'abord l'inopérance de la technologie, et d'autre part l'écologie locale qui, dans les deux cas, a su attendre longuement son heure et la dégradation de la technologie pour reprendre l'offensive. Ultime parallèle : tant Patience que Lucrezia traversent une grande partie du pays en compagnie d'un équipage hétéroclite, local et terrestre.

Brian Stableford est un auteur anglais atypique. Il a commencé à publier dès les années 70, mais sans être marqué par les thématiques fort pessimistes qui s'impo­saient alors outre-Manche chez les post-moorcockiens. Peut-être cela fut-il dû à un certain positivisme scientifique ? Quoiqu'il en soit, il ne s'est véritablement imposé que plus récemment, avec la génération des Baxter et autre McAuley, comme lui scienti­fiques de formation. Et pourtant. Le thème moorcockien en diable du pourrissement court tout au long du Sang du serpent. Bien sûr, Stableford ne le décline pas selon sa dimension métaphysique, en termes d'entropie ; il privilégie l'aspect biologique. Tout vieillit et se meurt, voué à la corrup­tion, mais il ne semble jusqu'à présent guère s'attacher à la notion de complexification du système.

Andris Myrasol, prince en cavale condamné à la suite d'une rixe, se retrouve emporté par le flot des circonstances dans une expédition vers la vallée des terribles Dragomites, en compagnie du capitaine qui l'a arrêté, Jacom Cerri, désormais en dis­grâce, et qui est chargé de ramener à Xandria la princesse Lucrezia. Autour d'eux, le bandit Checuti qui a raflé l'argent du roi ; le marchand Carus Fraxinus et son adjoint, Aulakh Phar ; Ereleth, reine-sorcière qui chaperonne Lucrezia et leur âme dam­née, la géante Dhalla ; Hyry Keshvara, l'aventurière ; Merel Zabio, la cousine de Myrasol ; et le Serpent Ssifuss…

Les presque six cent pages de ce pre­mier tome ne sont pas de trop pour poser la foultitude de personnages, dont une dou­zaine de principaux, et d'évoquer ce monde foisonnant à travers mille et un détails. En cinq cent pages d'ouverture, Brian Stableford ne laisse nulle place à l'ennui ni aux lourdeurs ; le rythme sait toujours rester alerte. À la lecture, on sent la nécessité des informations reçues. Et au tourné de la dernière page, le lecteur n'a que l'envie de pénétrer plus avant les arcanes de ce monde étrange en compa­gnie de Fraxinus et de son équipage, d'aller avec eux jusqu'au Berceau de la Chimère. Gageons que J'ai Lu saura donner à la trilo­gie des Livres de la Genèse tout son lustre et la positionner, complète et en bonne place dans toute bibliothèque SF qui se respecte, au côté de l'Helliconia de Brian Aldiss, car c'est un morceau de choix pour les rêveurs de mondes.

La Maison des Atréides

Dune. À mon sens, l'un des trois plus grands chefs-d'œuvre de la SF avec Tous à Zanzibar de Brunner et En Terre étrangère de Robert A. Heinlein. Il y a près de 20 ans que j'ai lu Dune et j'en ai gardé le souvenir d'un livre génial mais difficile. Exceptionnellement ardu. N'étais-je pas alors insuffisamment armé pour aborder le livre ? Peut-être. Mais l'avis est largement partagé. Et que l'on prenne le problème comme on veut : cette Maison des Atréides ne joue pas dans la même division. On est plus proche du film de David Lynch, voire des « séquelles » de Star Wars dues à Kevin J. Anderson, que de feu Frank Herbert. On avait reproché à Dune d'être ardu, à ses suites ou aux collaborations avec Bill Ransom de l'être trop ; ce ne sera pas le cas cette fois : Frank Herbert est bel et bien mort et il le reste.

Il y a des personnages de Frank Herbert dans un univers de Frank Herbert, l'odeur de l'épice et des vers de sable. Mais ce n'est pas Dune. C'est du space opera standard. Rien de plus que, par exemple, la Trilogie des Conquérants de Timothy Zahn. Force est d'admettre que ça ne fait guère avancer le schmilblick. De plus, il y a encore la place d'un tome au moins entre La Maison des Atréides et Dune… Et là, l'odeur est davantage celle du billet vert que celle du Mélange ! Dieu seul sait combien les marchands de tapis de l'édition ont prévu de nous fourguer de ces « préquelles ».

Voici une assez bonne histoire avec ce qu'il faut de machinations et de péripéties, mais où est l'intérêt problématique qui faisait tout le sel de Dune ? Frank Herbert ne cessait d'interroger le pouvoir, le rôle particulier de la religion dans son exercice. Dans La Maison des Atréides, ce n'est plus qu'un background…

L'univers de Dune est une société féodale dont les principales forces en présence sont :

> le Landsraad — c'est à dire la noblesse, parmi laquelle on distinguera trois principales familles de protagonistes, les Atréides, leurs ennemis héréditaires, les Harkonnen, et la famille impériale, les Corrino.

> la CHOM (Compagnie des Honnêtes Ober Marchands) qui détient le monopole du commerce dans l'Imperium.

> le Bene Gesserit, un ordre religieux féministe et manipulateur qui crée des superstitions, mène un programme eugéniste et a pour dessein de se hisser au pouvoir.

Tout cet univers gravite autour de l'épice de la planète Dune, que toutes les parties en présence consomment et qui est sous le contrôle des Harkonnen. L'Imperium a été instauré après le Jihad Butlérien — croisade contre la cybernétique et les ordinateurs qui avaient asservi l'humanité et qui, depuis, sont tabou, tabou codifié dans la Bible Catholique Orange qui fonde la religion.

Dans La Maison des Atréides, trois blocs s'opposent. Les Corrino et l'empereur s'allient au Bene Tleilax — des biologistes honnis — pour produire de l'épice de synthèse et ne plus dépendre des Harkonnen. Pour ce faire, Tleilax et Impériaux conquièrent Ix, monde high tech fief des Vernius alliés des Atréides. Afin de contrer les visées impériales qui les ruineraient, les Harkonnen tentent de dresser l'un contre l'autre Tleilax et Atréides et de faire d'une pierre deux coups.

Kevin J. Anderson, faiseur de Star Wars, n'était certainement pas l'auteur le mieux indiqué pour cette « préquelle ». Bill Ransom, qui a écrit trois complexes romans en collaboration avec Frank Herbert, aurait probablement obtenu un résultat, sinon meilleur, du moins davantage conforme à l'esprit de Dune. Orson Scott Card, d'un point de vue thématique, est l'un des auteurs les plus proches de Frank Herbert — passionné lui aussi par les jeux de la religion et du pouvoir. Leurs optiques respectives étaient-elles compatibles ? Card aurait-il pu en faire abstraction ? Vaine spéculation…

Reste que nous sommes ici en présence de space opera qui ne prend pas le chou. La lecture est facile, agréable, mais n'apporte rien sur le plan intellectuel. On conseillera davantage La Maison des Atréides aux fans de space op' à la Star Wars qui apprécient les épisodes rédigés par Kevin J. Anderson qu'aux inconditionnels de Dune. On est à cent lieues en dessous de Dune, loin même de La Culture d'un Iain Banks. Ce livre ne marquera pas la SF, ni même le millésime 2000.

Galilée-1

Il y a déjà quelques années, j'avais été écœuré par le premier des célèbres Livres de Sang. Hauts le cœur, nausées… jamais je n'avais eu les tripes secouées de la sorte par un bouquin. Aussi n'avais-je plus touché à la prose du sieur Barker depuis. En définitive, avec huit années de recul, Clive Barker m'apparaît aujourd'hui comme ayant été le seul authentique écrivain gore. Mais Clive Barker a changé. Et Galilée n'est pas un roman gore même si, au détour d'une page, subsiste une certaine crudité. Par contre Barker reste un écrivain hors du commun : s'il sait choquer, il s'épargne — et nous avec ! — la vulgarité sans pour autant édulcorer son langage. Joli tour de force.

Clive Barker recourt ici au principe du livre dans le livre. Le « Galilée » de Barker est le « Galilée » d'Edmund Maddox Barbarossa. Maddox entreprend d'écrire la chronique de Geary et des Barbarossa. Étant l'un de ces derniers, ce qui lui advient ressort à ce qu'il a à écrire. Et Clive Barker use de la position privilégiée de rédacteur de Maddox pour nous donner, à nous, des éclaircissements nécessaires sur la construction même de Galilée. Ainsi, tel un Petit Poucet, Barker sème au fil du texte, comme partie intégrante, les réflexions de Maddox sur ce qu'il a écrit. Ce roman est le volume d'introduction en quatre parties de cette chronique familiale.

La troisième, qui est aussi la plus longue, emprunte les tons et nuances de la chronique mondaine et du soap opéra pour dépeindre la dynastie Geary. Nous sommes entre Dallas et Point de vue. Cadmus, le patriarche presque centenaire qui tient de Randolf Hearst à moins que ce ne soit d'Howard Hughes ; Loretta, sa seconde épouse, qui consulte des astrologues ; Mitchell, petit fils de Cadmus, beau gosse et fils à papa mais nul au pieu ; son frère Garisson et son ivrognesse de femme, Margie ; et enfin, Rachel Pallenberg, la petite vendeuse provinciale qui a épousé le prince charmant pour voir le château de pain d'épice prendre l'odeur, et la couleur vert-de-gris de la moisissure, le conte de fées ne tardant pas à tourner en eau de boudin parfumée au divorce…

Pour nous autres, lecteurs de fantasy ou de fantastique, les Barbarossa ont tout de suite plus de chien, de moelle. Ce sont des demi-dieux. Au bas mot. Des quasi-immortels. Aussi Barker, fine mouche, a-t-il commencé par eux, histoire de fixer le lecteur. Feu Nicodème, le père obsédé sexuel ; Ceasaria, la mère et sorcière ; Marietta la lesbienne et sa sœur obèse ; Luman, le fils à moitié fou qui vit dans un taudis immonde au fond du parc ; Galilée, l'autre fils, banni, qui hésite entre Juif Errant et Hollandais Volant ; et Edmund Maddox, l'inévitable bâtard de Nicodème, plus humain et donc plus proche du lecteur. Hormis Galilée, tous vivent à L'Enfant, immense demeure magique conçue par Thomas Jefferson… Oui, celui-là même.

La deuxième partie plonge dans le passé pour nous conter la vie de Zelim qui fut témoin du baptême de Galilée sur les rives de la mer Caspienne au temps des Mille et Une Nuits et de la splendeur de Samarcande…

Dans la dernière, on voit Galilée se rapprocher de Rachel Pallenberg. Le décor désormais posé, l'action pourra commencer avec le second tome (qui devrait être tout chaud au moment où vous lirez ces lignes).

Ne serait-ce le talent de Clive Barker, on délaisserait ce tome 1 sans intérêt propre mais qui éveille le nôtre pour la suite. Le livre ne cesse de nous sauter dans les mains, de vouloir se faire lire. Barker a l'art de rendre passionnant jusqu'aux passages les plus mièvres — ou censés l'être au vu de l'action — et donne quelques scènes fortes. Il faudra certes juger sur la totalité, mais, à défaut d'autre chose, il y a déjà la manière… et la superbe couverture de Vincent Froissard.

Le Voyage de Simon Morley

Ce qui nous immerge dans le présent, ce sont les multiples fils que tissent l'environ­nement, l'architecture des bâtiments, le langage, les objets… Les rompre, en reconstituant l'atmosphère et le décor d'une époque révolue, en s'imprégnant du passé, permet de voyager vers ce passé. C'est ainsi que Simon Morley, dans le cadre de recherches secrètes du gouvernement américain, effectue plusieurs missions dans le New York de 1882. Il s'isole dans un immeuble de l'époque, y vit comme un citoyen du XIXe siècle jusqu'à ce que, se sentant prêt, il effectue ses premiers pas à l'extérieur…

Au cours de ces voyages, Simon tente d'élucider le mystère du suicide de l'aïeul de son amie Kate, ce qui l'amènera à découvrir des malversations inconnues des historiens. Il tombe également amoureux de Julia, la jeune fille de la pension où il est descendu.

Malgré la minceur de l'intrigue, l'intérêt est soutenu de bout en bout grâce à la richesse des détails restituant la fin du XIXe siècle à New York. Chaque événement permet de mesurer à quel point la société a changé. Le comportement, les modes de pensées, la psychologie des gens de l'époque sont par moments aussi éloignés des nôtres que ceux d'un extrater­restre, ce que Simon paraît être parfois. Malgré son imprégnation de l'époque, il commet de menues erreurs — ainsi quand il exécute le portrait de Julia, portrait qui déroute car les traits de son esquisse ne se touchent ni ne se ferment, ce qu'un œil du XIXe siècle est incapable d'interpréter comme étant un dessin réussi.

La lecture de ce roman abondamment illustré est un réel bonheur. Les descrip­tions dont il fourmille ne sont en rien pesantes, au contraire : elles constituent la matière même du livre. Grâce à elles, l'imprégnation est totale. C'est le lecteur qui, désormais, voyage dans le temps.

Ce roman de Jack Finney qui a obtenu le Grand Prix de l'Imaginaire en 1994, a depuis été suivi d'un autre, Le Balancier du temps, tout aussi passionnant. Sa réédition s'imposait.

Horizons lointains

Robert Silverberg avait déjà réalisé une anthologie de fantasy (Légendes, éd. 84) basée sur le même principe : prolonger, pour un nouveau tour de piste, les cycles célèbres de la science-fiction, en partant du postulat que leurs univers sont suffisamment riches pour justifier de nouveaux prolongements. Silverberg ne parle pas ici des concepts de séries qui se répètent inlassablement mais évoque, dans sa préface, les sagas évolutives qui approfondissent idées et univers au fil des volumes.

Curieusement, sa propre nouvelle, appartenant à la série Roma Aeterna, uchronie où l'empire romain a survécu, contredit ses ambitions ; l'intérêt des univers parallèles est en grande partie motivé par les divergences provoquées par la modification d'un événement. Celles-ci admises, raconter un énième récit situé plusieurs siècles après le point de divergence n'ajoute ni ne retranche rien à la série, le référent étant situé trop loin dans le temps. Cette réserve n'ôte rien au mérite du récit, dont le propos est ailleurs, et qui reste agréable à lire.

Il en va de même avec Orson Scott Card qui envoie Ender, alors que celui-ci cherche une planète pour les Doryphores, sur un monde où il a maille à partir avec un inspecteur des impôts véreux et où il fait la connaissance de Jane, le « compagnon » logé dans son ordinateur : ce prudent épisode d'une malversation déjouée serait sans rapport avec la saga si le riche voyageur des étoiles n'avait été Ender.

Il n'y a en fait qu'un seul texte vraiment médiocre dans cette anthologie, c'est celui d'Anne McCaffrey. Séquelle du Vaisseau qui chantait, la nouvelle n'est qu'un épisode supplémentaire des aventures d'Helva, le vaisseau-femme, centré autour d'une idée maintes fois ressassée : la planète capable de se défendre seule contre l'envahisseur.

Mais comment ajouter une pierre à l'édifice sans dérouter le lecteur qui ignorerait tout du bâtiment lui-même ? Le plus souvent, celle-ci n'est pas d'une incidence qui nécessite la connaissance de la série au complet. Dans le cas de Frederick Pohl, par exemple, qui reprend son concept de la Grande Porte, les éléments de base, à savoir la capacité de voyager pour des destinations inconnues mais peut-être fabuleuses dans des vaisseaux abandonnés par les énigmatiques Heechees, suffit pour raconter un épisode très réussi. L'exercice est moins évident dans le cas de « Tentation », du cycle Élévation de David Brin, malgré la présentation que chaque auteur fait de sa série, en introduction à la nouvelle : lorsque le décor est aussi riche que foisonnant, il est difficile de livrer en quelques lignes les informations qui furent développées sur plusieurs milliers de pages. Le texte de Gregory Benford approfondit la réflexion sur la spécificité humaine, un des thèmes développés dans sa série des Organiques contre les Machines (on retrouve d'ailleurs Nigel Walmsley combattant la Mante), mais, bien que non dénué d'intérêt, il restera probablement hermétique à ceux qui ne connaissent rien du cycle du Centre galactique, en raison justement des détails non explicités qui se réfèrent directement à la trame de base.

La plupart des auteurs retiennent donc un aspect peu abordé de leur univers : Ursula Le Guin, dont le cycle des Ekumen est suffisamment lâche pour proposer des romans lisibles séparément, raconte fort intelligemment une guerre qu'on suit uniquement par le biais de ceux qui ne la pratiquent pas ; se référant à Endymion plus qu'à Hypérion, Dan Simmons choisit de raconter avec brio comment les Enéens, à bord de leur vaisseau spatial, sauvent une civilisation régulièrement agressée par un engin aussi gigantesque que ravageur ; Greg Bear envoie à nouveau Olmy sur la Voie présentée dans Éon, Éternité et Héritage, pour empêcher que l'univers ne soit phagocyté par un autre où c'est l'ordre, grand dévoreur d'énergie, et non l'anarchie qui a pris le pouvoir : les implications philosophiques qu'en tire Bear sont à la hauteur de ce cycle ambitieux.

« Une Guerre à part » est la seule nouvelle qui se réfère à un roman isolé, La Guerre éternelle en l'occurrence, mais qui ne le restera pas, la proposition de Silverberg ayant donné à Joe Haldeman l'idée d'une suite. Le texte lui-même ne manque pas d'intérêt, ne serait-ce que par le point de vue décalé qu'adopté l'auteur en plaçant ses héros dans une société où l'homosexualité est la norme et l'hétérosexualité la perversion.

Tous ces romans appartiennent au space opera, comme si seul ce genre était susceptible d'offrir de grandes sagas. Nancy Kress apporte un flagrant démenti avec une nouvelle appartenant au cycle des Insomniaques, une trilogie scandaleusement inédite en France quand on sait que la nouvelle qui lui donna naissance, L'une rêve et l'autre pas, a reçu le Grand Prix de l'Imaginaire. « Méfiez-vous du chien qui dort » s'attaque à la modification génétique des animaux : priver les chiens de sommeil n'a pas sur eux le même effet que sur les humains.

Avec près de 650 pages bien serrées, ces dix nouvelles qui prennent le temps de développer leur sujet (entre 50 et 70 pages en moyenne) donnent le sentiment de lire plusieurs courts romans à la suite. La reprise des cycles célèbres n'est pas étrangère au plaisir global qu'on retire de cette anthologie, tant ceux-ci rappellent de riches et passionnants moments de lecture. Avec Horizons lointains, Silverberg nous offre un beau bouquet final de la SF du XXe siècle.

Miso Soup

Si le tueur en série est devenu, au fil des ans, un des motifs préférés de la série B, qu'elle soit littéraire (Thomas Harris) ou cinématographique (Copycat, Scream, etc.), il est agréable de voir que la grande littérature s'intéresse avec plus ou moins de bonheur au symbole, à sa mécanique (meurtres, enquête, motivations du tueur, modus operandi). Parmi les réussites majeures, on citera Lune Sanglante de James Ellroy, L'Aliéniste de Caleb Carr, Un Enfant de dieu de Cormac McCarthy ; d'autres chercheront plutôt du côté de Bret Easton Ellis et de son insupportable American Psycho. Ce serait enterrer un peu rapidement Miso Soup de Murakami Ryû, sans aucun doute l'un des romans les plus fins jamais écrits sur les bas-fonds de Tokyo et le phénomène de la prostitution lycéenne (qui n'a aucun équivalent dans les autres pays du monde). L'histoire ? Kenji a vingt ans, il sert de guide aux touristes étrangers intéressés par les love-hôtels, salons de massage, bars sans culotte et autres peep-shows avec « service spécial ». Dans ce monde de perdition où la jeunesse japonaise touche le fond sans jamais oublier de sourire, Kenji guide Frank, l'affranchit. La routine, sauf que Frank, un américain mythomane, pourrait bien être le tueur en série qui ensanglante Tokyo depuis quelques jours en démembrant ses victimes (une façon peu japonaise de tuer, nous apprend le narrateur). Alors commence un jeu morbide, cruel, entre Frank, la vérité et Kenji qui a besoin de l'argent de Frank pour vivre, veut protéger sa petite amie (dont Frank prend régulièrement des nouvelles) et a tout aussi besoin de comprendre qui il est réellement. Car c'est bien de réalité dont il est question ici, tout cela est-il réel ? Est-ce que les actes d'un tueur en série ne sont pas, par essence, irréels ? Et si — au contraire — ils étaient des symptômes de normalité ? Roman époustouflant de bout en bout, véritable thriller avec bout de peau de clochard incendié collé à la porte de l'appartement en tant qu'avertissement, dialogues à double-sens, menaces explicites, massacre d'anthologie (page 138 à 156), Miso Soup est surtout une plongée nietzschéenne dans le fameux « quand tu regardes l'abysse, méfie-toi, car l'abysse regarde en toi ». Un peu comme Peter Hoeg avait détourné les ficelles du thriller médical pour écrire Smilla, l'un des plus beaux portraits de femme de la littérature moderne, Miso Soup détourne les règles du « thriller à la Seven » pour nous parler du monde moderne et des monstres qu'il crée. Le meilleur livre jamais écrit sur les tueurs en série ? Peut-être. Du moins un des plus érudits, des plus intelligents. Quant à ceux qui n'ont jamais lu Murakami Ryû et aiment la littérature qui secoue les tripes, ils peuvent aussi se ruer sur Bleu presque transparent et Les Bébés de la consigne automatique : le premier raconte l'odyssée immobile de quatre jeunes japonais qui se droguent, se prostituent au quotidien pour survivre dans un monde dont ils acceptent inconsciemment l'insupportable américanité ; le second décrit avec minutie la société japonaise actuelle, dénuée d'âme, déracinée, vouée à l'empilement des solitudes.

De minuit à minuit

Anthologie conçue pour qu'on lise dans l'ordre les vingt-sept nouvelles qui la composent, De minuit à minuit, au fil des heures, ne cesse de décevoir et d'exaspé­rer. Si l'on enlève les textes nuls (Calvez, Bouhier, Siniac, Nicodème, Fuentes), ceux qui n'ont rien à faire en ces pages (Pelot, Ravalec), ceux agréables à lire mais sans surprise (Arnaud, Nguyen, Françaix, Pouy, Fazi, Ka, Winckler, Duguël), ceux ratés mais ambitieux (Leroy, Curval, Brèque, Andrevon), les razzies en puissance (Ulysse, Valéry, Bolduc), et, cerise sur le gâteau, l'incompétente Marie Darrieussecq (infoutue de savoir que c'est d'Aliens qu'elle a tiré sa citation « My mother told me monsters do not exist. Now I know they do » et non d'Alien IV)… il y avait là de quoi faire une jolie plaquette de 96 pages ou, pour être plus gen­til, un bon sommaire d'un numéro de la revue Ténèbres spécial francophonie. On s'arrêtera néanmoins sur les textes de Michel Pagel, Claude Ecken et Stéphanie Benson, tous trois très bons dans des registres assez différents. Reste que l'antho­logie donne une bonne idée de l'état du fantastique moderne francophone : une lit­térature qui parle principalement de l'en­fance (malade, victime, bourreau) et du sang (vampirisme, menstrues, SIDA). On regrettera l'absence de texte de grande littérature (« Le Horla », souvenez-vous) même si l'es­sai de Darrieussecq propose un travail sur le style assez intéressant… Quant aux textes qu'on aime, ici chez Bifrost, rapides, puissants, avec du rythme, un brin méchant : nulle trace à l'horizon. Cela aurait pu être les textes de Francis Valéry et Louis-Stéphane Ulysse, s'ils n'étaient point si ridicules.

Dans un paysage où il existe maintenant plusieurs revues professionnelles, trop d'anthologies francophones tue les anthologies francophones (voir le récent Hyperfuturs qui peine bien à découvrir ne serait-ce qu'un nouvel auteur). Quant à savoir ce qu'est l'angoisse, avouons que Daniel Conrad y répond avec brio. L'angoisse, c'est de savoir que des lecteurs peu in­formés vont acheter De minuit à minuit — 99 francs tout de même — alors que, pour le même prix (voire moins), ils pourraient acquérir deux excellents Pocket « Terreur » (Koko de Peter Straub et Maison hantée de Shirley Jackson — pour avoir le plaisir de citer deux chefs-d'œuvre). Il faut d'habitude du recul pour dire que la sortie d'une anthologie est un non-événement. Ici, au fil des noms alignés, trois heures de lecture suffisent.

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