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L'Enchâssement

Sous une superbe couverture signée Manchu, voici la quatrième édition de ce premier roman de Ian Watson qui se veut définitive, le fruit d’un projet longuement mûri qui tenait particulièrement à cœur à Olivier Girard, qui l’a porté de nombreuses années durant. Le résultat est à la hauteur de l’ambition. La récente collection « Kvasar », désormais la vitrine du Bélial’, était toute destinée à l’accueillir.

On lira tout d’abord « Souvenirs enchâssés », la longue préface de près de trente pages rédigée spécialement par Ian Watson pour cette occasion. Il y revient sur le contexte socio-politique de l’époque qu’il ne faut pas perdre de vue pour saisir les tenants et aboutissants du roman. L’heure était encore à la Guerre Froide, cette période particulière que l’on appelle aujourd’hui la « détente » où, si les tensions Est/Ouest baissaient, un événement tel que celui au cœur du roman avait tout pour remettre le feu aux poudres. Hormis la visite d’extraterrestres, l’ensemble des événements et la manière dont ils se déroulent sont conditionnés par la situation politique de l’époque. De même, le lecteur va être confronté à des références historiques vieilles de quarante ans. Au premier chef desquelles l’Union Soviétique, bien sûr, mais nombre d’autres en passe de devenir obscures au public d’aujourd’hui. Ainsi, aux pages 138 & 139 entend-on parler de « Skylab » (première station spatiale), de « Concordski » (Tupolev 144, avion supersonique civil russe ressemblant au Concorde), du Jefferson Airplane (groupe de rock psychédélique formé en 65 à San Francisco avec Paul Kantner, Jorma Kaukonen et Jack Cassidy, qui deviendra Starship quelques années plus tard après de départ des deux derniers cités, partis fonder Hot Tuna — l’album cité par Watson est en fait du Starship, où officiaient entre autres Jerry Garcia (Grateful Dead) et David Crosby), de Howard Hughes (aviateur, homme d’affaires, producteur de cinéma et homme à femmes, l’un des hommes les plus riches et puissants des USA qui développa la compagnie TWA disparue par fusion en 2001). Un autre monde, en somme, où les deux blocs avaient transposé leur rivalité dans le tiers-monde. Watson revient également sur sa situation personnelle et les conditions dans lesquelles il écrivit L’Enchâssement qui sont, elles aussi, le fruit de leur époque. Il y évoque sa position et son travail d’universitaire, la genèse de son intérêt pour la linguistique. Autant d’éléments qui permettent au lecteur d’aujourd’hui d’appréhender le roman avec le recul nécessaire.

Le volume se complète, outre la bibliographie signée Alain Sprauel, d’une postface du linguiste Frédéric Landragin qui se penche sur la pertinence du roman au regard des sciences du langage, des enjeux de la linguistique-fiction. Il nous permet de mieux appréhender comment et pourquoi Ian Watson s’est emparé du concept de « grammaire universelle » de Noam Chomsky. Il nous éclaire sur le renouvellement de la thématique induit par ce choix en rupture, mais pas totalement, avec des romans tels que Les Langages de Pao de Jack Vance ou Babel 17 de Samuel R. Delany, qui reposaient sur la théorie du relativisme linguistique d’Edward Sapir et Benjamin Whorf (dite hypothèse Sapir-Whorf) supposant que notre langue influe sur notre manière de percevoir le monde, avec pour corollaire, l’hypothèse totalitaire selon laquelle qui contrôle le langage contrôle la pensée. L’enchâssement qui découle du principe de récursivité, proche du concept de mise en abyme, est une règle centrale de la théorie de Chomsky. Une autre théorie de Chomsky présente dans le livre pose le caractère inné du langage, que donc, des êtres relativement semblables finiront par produire des langages suffisamment proches pour que la communication soit possible grâce à une grammaire universelle qui reste à démontrer. Watson étend cette idée aux langues extraterrestres. Tant l’hypothèse de Sapir-Whorf que les théories de Chomsky sont l’objet de quantité de contre-exemples qui tendent à démontrer, avec les linguistes modernes, que la réalité est certainement dans un entre-deux.

Le roman de Ian Watson commence par offrir trois fils conducteur qui ne vont pas tarder à s’enchâsser des uns dans les autres autour du personnage de Christopher Sole qui, en Angleterre, travaille dans un institut où sont menées des expériences linguistiques sur des orphelins à qui l’on administre une substance censée développer leurs capacités cognitives afin de voir quel potentiel sera ainsi libéré.

Dans le même temps, dans la jungle brésilienne menacée d’engloutissement par la construction d’un barrage géant, son ami Pierre Darriand, un Français, étudie les Xemahoa et leurs langages, notamment leur langage enchâssé, support des mythes auquel le chamane accède par l’entremise d’une drogue.

Enfin, des extraterrestres, les Sp’thra, lancé dans une sorte de quête mystique de tous les langages de l’univers afin d’accéder à une libération totale de leurs esprits, arrivent sur Terre où ils sont invités à se poser dans le désert du Nevada, bien à l’abri des regards. Ils envisagent de troquer leur technologie contre des cerveaux de différents locuteurs humains, dont trois indo-européens. Des choix tels qu’une langue Khoï parlée par les Bochimans, le Warao, seule langue dont la typologie syntaxique est OSV (objet-sujet-verbe), ou le Piraha, qui semble ne pas connaître de récursivité et sur laquelle le linguiste Daniel Everett s’est appuyé pour contredire Chomsky, eussent été plus judicieux en terme de diversité…

Si Ian Watson évoque les théories de Chomsky, notamment au chapitre 3, lors de la discussion entre Sole et Zwingler, l’enchâssement, lui, apparaît davantage comme une illustration de l’hypothèse Sapir-Whorf et sert de grille d’interprétation du monde.

Les problématiques posées dans L’Enchâssement restent d’actualité quarante ans après sa publication initiale et continuent d’en faire l’un des plus beaux chefs-d’œuvre de la littérature spéculative, un roman qui tient sa place dans le top 20 des meilleurs livres de SF et dont aucune bibliothèque généraliste ne saurait se targuer d’éclectisme sans l’accueillir sur ses rayons. Un livre au sortir duquel on perçoit le monde quelque peu différemment, après lequel on se pose des questions qui ne nous effleuraient même pas l’esprit auparavant. N’est-ce pas à cela que doit en fin de compte servir toute littérature digne de ce nom ?

Le Géant enfoui

Au début du Géant enfoui, deux vieillards vivent dans un trou qui, sans être déplaisant, sale ou humide, n’en est pas moins un trou, sans rien du confort recherché par un certain hobbit… Décrit brièvement, l’endroit ressemble à l’un de ces refuges troglodytes habités par les saints ermites du Ve siècle, ou peut-être un tertre funéraire. Le début intrigue. Que va-t-on lire vraiment ? Une quête à la manière de Tolkien ? Un récit d’initiation comme dans Chrétien de Troyes ? Une tragédie crépusculaire ? Le réalisme magique peut-il être le lieu de tous les détournements ? Peut-on encore produire quelque chose d’innovant en matière de fantasy ou de roman « arthurien » ?

Ishiguro, figure de l’auteur obsessionnel : la question de la mémoire est consubstantielle à son œuvre. Un homme est-il la somme de ses souvenirs ? Peut-il leur échapper ? La mémoire n’est-elle pas la condition même de la liberté ? Instrumentalisée, manipulée délibérément, ne constitue-t-elle pas, au contraire, un danger pour l’individu, pour la société ? Quand faut-il se souvenir, au nom du devoir de mémoire ? Quand est-il préférable d’oublier ? Telles sont quelques-unes des interrogations scandées dans chacun de ses livres. Le décor évolue, les thèmes et les schèmes restent identiques : un personnage central lutte avec sa mémoire, tente d’occulter ses souvenirs les plus pénibles pour se réinventer. Le Géant enfoui ne fait pas exception, à une nuance près. Ici, le personnage central est la communauté plutôt que l’individu. Il s’agit toujours d’une histoire de passé qui cherche à resurgir, mais à l’échelle d’une société.

Le récit historique est un matériau idéal pour illustrer les rapports équivoques qu’entretient une société avec son passé, avec sa mémoire collective. Le Géant enfoui n’est toutefois pas un récit purement historique, sans quoi il ne mériterait pas une recension dans Bifrost, pas plus qu’il ne verse dans la mythologie ou la fantasy débridée. Il y a bien une figure légendaire et quelques créatures issues du folklore, mais ni la personne arthurienne ni la matière de Bretagne ne sont le propos de l’auteur. Ce qui l’intéresse, en revanche, c’est cet intervalle d’environ deux cents ans, entre le départ des légions romaines et le moment où les tribus germaniques s’emparent du pays, que l’historiographie a désigné sous le vocable de Dark Ages. Un vide historique où le roman de l’Angleterre trouve son origine. On ignore précisément ce qui s’est passé durant cette période, faute de documentation. Les sources écrites sont peu nombreuses, lacunaires, souvent sujettes à caution. Suffisamment floues pour être contaminées par l’imaginaire, pour être réinventées.

Plantons le décor : nappes de brouillard, terres désolées où, depuis la mort d’Arthur, Bretons et Saxons cultivent leur inimitié, peste, famine, superstitions. Axl et Béatrice, les deux vieillards, vivotent dans un trou, en butte à la méfiance et à la méchanceté ordinaire de leurs congénères. Ils souffrent en outre d’un mal mystérieux : un écran de brume les sépare de leurs souvenirs. Les maléfices d’une dragonne sont peut-être la cause de cette amnésie d’apparence surnaturelle. La seule chose qu’ils n’ont pas oublié, c’est l’existence d’un fils, passé en pays ennemi. Ils se mettent en tête de le rejoindre. Un voyage de quelques jours, longtemps refusé par Axl à sa femme.

Le périple va pourtant durer et être prodigue en aventures. Succession de paysages : landes et tourbières, étangs gelés, souterrains infernaux, marécages dont les eaux ressemblent à celles du Styx. Succession de portraits : batelier aux allures de Charon, ogres dévoreur d’enfants, chevalier d’Arthur solitaire et fatigué, guerriers en mal de confidences, moines masochistes. Desseins cachés des uns et des autres. Trahisons. Duel de sabres au soleil levant sur un rythme de chambara. Il y a même une chèvre empoisonnée…

Au hasard des chemins et des rencontres, Ishiguro orchestre une épopée miniature, avec une délicatesse parfois brouillonne. Un voyage physique autant que métaphorique, sans retour possible. Un récit non pas tant d’initiation que de délivrance, où le but, pour les deux vieillards, n’est pas d’apprendre à vivre mais à mourir. Axl et Béatrice ne cesseront de mettre à l’épreuve leur amour, pour le consolider, dans l’attente du moment où ils pourront embarquer pour Avalon. Il importe peu, au fond, de savoir si le dragon sera anéanti et la brume dissipée. Ce qui importe c’est de peser les conséquences d’une telle dissipation. Si la mémoire est rendue aux hommes, qu’en surgira-t-il ? Le pardon ou la haine ? Paradoxalement, l’oubli peut parfois être salutaire. Ishiguro défend l’idée qu’à l’échelle d’une communauté, toute entente se fonde sur une dissimulation collective.

Porté par une ambition thématique certaine, le roman n’emporte toutefois pas totalement l’adhésion. L’écriture colle parfois trop à l’esprit nébuleux de son lieu d’ancrage et, à force d’hésiter entre le conte, la chanson de geste, la fresque historique et la high fantasy, finit par rendre la tonalité générale inexprimable. Les errements narratifs répondent aux errances des personnages, que cette structure hasardeuse ne sert évidemment pas. L’auteur peine parfois à leur donner du corps, de même qu’on ne peut se départir du sentiment que le roman, malgré sa longueur (ses longueurs ?), manque de substance. Les amateurs d’action le trouveront lent, bavard, inutilement démonstratif. Les amateurs d’histoire jugeront la reconstitution d’époque forcément imprécise, notamment en ce qui concerne les mentalités. Le livre recèle toutefois assez de qualité et d’originalité pour s’assurer, parmi le lectorat féru de mauvais genres, une audience confortable.

Le Vivant

Vaste entité de trois milliards d’êtres humains, pas un de plus, pas un de moins, le Vivant ressemble au meilleur des mondes possibles. Pour cette posthumanité, l’utopie se vit en effet au quotidien. La mort, la guerre, la maladie et l’ennui ne sont plus que de lointains mauvais souvenirs. La criminalité est désormais corrigée dans des centres spécialisés où sont rééduqués également dissidents et autres déviants. Connectés dès leur naissance, les membres du Vivant disposent d’un libre accès au Socio, le super réseau social leur permettant d’échapper à la réalité prosaïque. Ils peuvent ainsi naviguer entre plusieurs strates de virtualité et interagir avec autrui, sous le contrôle vigilant des autorités. En fait, leur personnalité entière et leur expérience intime se retrouvent enregistrées sur le Socio. Un mal nécessaire pour pouvoir jouir de l’immortalité. Jusqu’au jour où naît Zéro, humain sans code, incarnation sans passé, individu surnuméraire absent des banques de données du Vivant. Autant dire une anomalie dans un système réputé infaillible.

Dès la parution de l’Utopie de Thomas More, le ver était dans le fruit. Sous les apparences d’une société idéale, la tyrannie couvait, prompte à embastiller ou exécuter l’esprit libre. Puis, il a fallu se rendre à l’évidence, aucune utopie n’était en mesure de satisfaire le désir d’absolu de chaque individu. Très rapidement, celle-ci est même apparue comme un moyen d’aliénation idéal. Fort de ce constat, des auteurs ont usé de la science-fiction pour donner une substance romancée à leurs cris d’alarme, ont imaginé contre-utopies et autres dystopies pour procurer aux lecteurs matière à réflexion ou à indignation.

Dans l’Hexagone, on a d’abord découvert Anna Starobinets dans un autre registre et un autre format, celui des nouvelles horrifiques du recueil Je suis la reine (réédité en mars dernier chez « Folio SF »). Avec Le Vivant, la reine russe de l’horreur vient allonger la liste des visions inquiétantes de l’avenir. Sans pour autant se contenter de recycler les ressorts du genre, malgré une parenté évidente entre son roman et Logan’s Run (Quand ton cristal mourra) de George Clayton Johnson et William F. Nolan. Elle crée un monde idéal, crédible jusque dans sa langue, où chaque individu est désormais une cellule d’un organisme unique : le Vivant. Une sorte de web 2.0 poussé à l’extrême, où l’illusion de la liberté masque à grand peine les névroses d’une société enfermée dans le virtuel. L’auteur cible en effet l’addiction aux réseaux sociaux. Avec ses individus ultra-connectés, dont la conscience stratifiée délaisse la réalité au profit des mirages de la réalité augmentée, le Vivant apparaît bien comme une impasse de l’évolution. Une fin de l’Histoire engluée dans la routine d’un programme sans début ni fin.

Roman noir de l’avenir, Le Vivant amplifie ainsi les dérives déjà présentes dans notre quotidien. D’une façon subtile, utilisant les manières de communiquer sur les réseaux, Anna Starobinets dresse un portrait sombre. Et si l’on peut lui reprocher de brouiller son message dans les cent dernières pages, son propos n’en demeure pas moins désespéré.

La Terre bleue de nos souvenirs

Le premier tome de la trilogie « Les Enfants de Poséidon » fait l’effet d’une madeleine de Proust. Du genre à briser une étagère avec ses cinq cents pages bien tassées. La Terre bleue de nos souvenirs réveille en effet une ribambelle de réminiscences relevant d’une science-fiction progressiste, un brin naïve, tournée vers l’exploration des étoiles, découverte de civilisation extraterrestre comprise. De quoi faire retomber illico le quadragénaire à l’époque de l’âge d’or, quatorze ans en gros… Encore faut-il supporter plus d’une centaine de pages au rythme mollasson. Passé ce cap ennuyeux, Alastair Reynolds nous convie à un périple à travers le système solaire, de la Terre à la ceinture de Kuiper, via la Lune, Phobos et Mars. Un jeu de piste pendant lequel se dévoile la géopolitique du XXIIe siècle et des secrets de famille.

Ayant surmonté les périls qui la menacent, bouleversement du climat, guerres des ressources et mouvements migratoires chaotiques, bref, après avoir conjuré son penchant pour l’autodestruction, l’humanité se développe désormais paisiblement sous l’égide du Mécanisme, un Big Brother débonnaire, du genre à prescrire une séance de psy après avoir dispensé sa fessée au contrevenant. Si le caractère potentiellement oppressif du système ouvre un boulevard à d’éventuels développements romanesques, il ne figure pas au rang des préoccupations de l’auteur britannique qui préfère l’évacuer au profit de sa marotte : l’exploration spatiale. La criminalité et la violence étant ravalées au rang de comportements en voie de disparition, les Etats se sont dilués dans une sorte de gouvernance mondiale terrestre et aquatique. Existent-ils encore ? On ne sait pas. Tout au plus apprend-on que l’Afrique, l’Inde et la Chine sont désormais à l’avant-garde et que transhumanisme et panspermie figurent parmi les options d’évolution défendues par une frange non négligeable de l’humanité. Dans ce monde hyperconnecté, où il est possible de projeter son esprit dans un avatar mécanique, mais où on se méfie des intelligences artificielles, les ressources de l’espace proche irriguent une économie dominée par les transnationales comme celle de la famille Akinya. La mort d’Eunice, l’aïeule de la famille, fait resurgir des secrets que ses héritiers avaient choisi d’ignorer depuis la réclusion volontaire de leur grand-mère sur une station spatiale isolée. Elle fournit l’argument de départ au présent volume.

Comme Stephen Baxter, Alastair Reynolds est convaincu que l’avenir de l’humanité passe par l’espace. Cette conviction sous-tend l’ensemble de La Terre bleue de nos souvenirs, où l’auteur recycle les thématiques classiques du genre. Car on a bien l’impression qu’il écrit l’œil dans le rétroviseur, tant les images évoquées suscitent comme un air de déjà-vu. En dépit de quelques moments forts, on pense notamment au passage dans l’Evolvarium martien, l’intrigue traîne en longueur sans que rien ne vienne la relancer, ni les caractères falots — une belle galerie de têtes à claques, pour parler poliment —, ni les ressorts émoussés d’une science-fiction à l’ancienne, ni enfin les péripéties d’une histoire finalement très convenue et prévisible.

Aussi, en l’attente du deuxième volet de la trilogie intitulé On the Steel Breeze, réservons notre jugement, même si Alastair Reynolds semble se contenter ici d’une science-fiction au premier degré, sans aucune prise de risque. Une science-fiction où l’imagination se révèle percluse de nostalgie.

Echopraxie

Daniel Brück est un « souche ». Autrement dit, un fossile sur une planète où l’Homo sapiens s’éteint peu à peu au profit d’une posthumanité génétiquement et technologiquement améliorée. Vivant à l’écart du monde, il collecte des échantillons de vie sauvage dans le désert de l’Oregon, pour oublier sa responsabilité indirecte dans une catastrophe médicale majeure. Une tâche aussi vaine qu’inutile au sein d’une écologie où ne subsiste pas un seul brin d’ADN indemne de toute pollution génétique. De manière fortuite, il se retrouve plongé au milieu d’un conflit entre une vampire et des moines ayant recâblé leur cerveau pour atteindre, par la transe mystique et l’interconnexion, un niveau supérieur de connaissance. Le voilà embarqué dans un long voyage vers Icare, la station solaire pourvoyeuse d’énergie, en compagnie d’un pilote obsédé par la vengeance, un militaire en deuil et une ribambelle de monstres, humains zombifiés, esprit de ruche et vampire, à la rencontre d’une entité extraterrestre qui pourrait bien constituer la menace ultime pour l’humanité.

Echopraxie renoue avec l’univers de Vision aveugle. Quinze années après l’expédition du Thésée, Peter Watts reprend les mêmes recettes pour broder un huis clos paranoïaque, entrelardé de spéculations vertigineuses, exposées parfois de manière trop didactique. Et, une nouvelle fois, le résultat se montre époustouflant, même si l’écriture aride ne facilite pas l’accès à ce futur étrange et complexe. L’auteur canadien pousse au renversement des paradigmes. Il passe les concepts d’identité, de conscience, d’intelligence à la moulinette des neurosciences, multipliant les hypothèses et les théories hardies. Sous sa plume, le libre-arbitre devient une illusion, Dieu un virus et l’univers une simulation livrée à elle-même. Ses nombreuses spéculations fournissent matière à réflexion et discussion, enrichissant l’esprit d’idées et d’images stimulantes.

Mais, si le futur de Peter Watts se montre fertile en théories ébouriffantes, il n’a cependant pas l’apparence d’une douce utopie. C’est un monde malade, en phase terminale, en proie à un chaos total où la science n’est finalement qu’une forme de foi plus efficace, et où le salut de l’humain passe par une nécessaire adaptation, quitte à abandonner sa façon de penser.

Ardu, fascinant, intelligent, Echopraxie se conquiert de haute lutte, parfois au détriment du simple plaisir de lecture. Mais l’effort en vaut la chandelle. Assurément.

Le Démon de l’île solitaire

Traduit pour la première fois dans nos contrées, Le Démon de l’île solitaire vient étoffer la bibliographie d’Edogawa Ranpo, jusque-là exclusivement disponible aux éditions Picquier (louées soient-elles), si l’on fait abstraction de quelques adaptations en bande dessinée. Né en 1894 et mort en 1965, le bonhomme n’usurpe pas sa réputation de père du roman policier japonais, genre qu’il a contribué à populariser dans son pays. Comme l’homophonie de son pseudonyme le révèle, Edogawa Ranpo a lu et apprécié Edgar Allan Poe. De manière générale, il semble avoir aussi beaucoup lu des auteurs tels que Gaston Leroux, Maurice Leblanc ou Conan Doyle, auxquels il emprunte la manière, le récit court et le feuilleton, et les thématiques criminelles teintées d’un fantastique volontiers macabre. Ce goût pour le mauvais genre et le frisson se retrouve aisément dans une grande partie de son œuvre. Cependant, s’il ne cache pas la source de son inspiration, acquittant son tribut aux maîtres occidentaux du suspense, l’auteur japonais ne se contente pas de les imiter. Il confère à ses histoires une dimension transgressive indéniable, mettant en scène les zones d’ombre de la psyché humaine dans ses manifestations les plus monstrueuses. Père du mouvement « ero guro nansensu » combinant l’érotisme à des éléments grotesques, son œuvre a inspiré une postérité inventive. On pense ici notamment au mangaka Suehiro Maruo qui, après avoir signé plusieurs adaptations des textes de Ranpo, prête son crayon pour illustrer la couverture du présent roman.

Avec Le Démon de l’île solitaire, Edogawa Ranpo dévoile des trésors de perversité. Confession d’un homme amené à raconter l’expérience abominable vécue dans sa jeunesse, le récit débute sous les auspices du roman à énigme. Dans la plus pure tradition du récit d’enquête, Minoura, le narrateur, prend ainsi un luxe de précaution pour exposer sa version d’une histoire puisant son origine dans deux crimes inexplicables, l’un commis en chambre close et l’autre sur une plage bondée. Si le récit s’apparente au départ à une enquête frappée par le deuil, il ne tarde pas à prendre les chemins de traverse du fantastique. Minoura reçoit en effet le soutien d’un ami, médecin homosexuel pratiquant la vivisection durant ses heures perdues, avec lequel il a entretenu des relations pour le moins ambiguës durant ses études. Le roman prend alors la tournure d’un récit macabre, peuplé de freaks et hanté par un mal indicible, où l’angoisse se teinte d’érotisme et d’une touche de sadisme. Avec habileté, Edogawa Ranpo fait monter la tension sans jamais verser dans le ridicule. Il distille les informations, tissant une toile habile dans laquelle le lecteur se laisse prendre, non sans une certaine jubilation. Et si le style peut paraître un tantinet désuet, il n’atténue en rien le caractère vénéneux de l’atmosphère et la répulsion provoquée par une galerie de personnages dignes de figurer à l’affiche d’un carnaval de l’horreur.

Bref, quatre-vingt-cinq ans après sa parution Le Démon de l’île solitaire n’a rien perdu de son caractère malsain et de sa puissance d’évocation. Remercions encore une fois les nouvelles éditions Wombat de cette découverte, et précipitons-nous sur le reste de l’œuvre d’Edogawa Ranpo ; d’autres perles noires nous y attendent.

Une pluie sans fin

Impossible de commencer cette chronique sans dire aux lecteurs potentiels un mot de la quatrième de couv’. Mad Max 2 ? Je ne comprends pas cette référence (ou je ne la comprends que trop, hélas). La Route ? Pourquoi pas. Mais l’écriture n’a rien à voir, a fortiori pour moi qui ai détesté le laconisme de McCarthy. Reste Faulkner et sa southern-lit. Là oui. Sûrement.

Futur proche. USA, précisément la Gulf Coast. Le changement climatique a fait de tout le sud de l’Amérique une zone de passage d’ouragans de plus en plus violents et rapprochés. Lassé de perdre un combat sans fin contre les eaux, le gouvernement fédéral a décidé d’évacuer les Etats du Sud, largement inondés, puis de tracer une Limite en dessous de laquelle il n’exerce plus aucune autorité. Des millions sont partis vers une vie de réfugiés dans le nord du pays, les plus chanceux y ont de la famille. Restent quelque illuminés, losers, aventuriers, menant une vie difficile et souvent courte en fouillant dans les ruines pour tenter de survivre. Cohen, seul contre toute raison dans la maison qui aurait dû abriter une vie heureuse avec sa défunte femme et leur fille à naitre, est de ceux-là. Bloqué en pleine névrose. Une rencontre douloureuse avec une « communauté » organisée autour d’un fou violent qui se prend pour Noé va l’obliger à sortir de sa torpeur. Il conduira alors, en Moïse post-apocalyptique et fortuit, un petit groupe de survivants vers la Terre Promise d’au-delà de la Limite. Un Exode pénible et dangereux au cours duquel il retrouvera une part de son humanité.

La littérature post-apo’ a le vent en poupe aujourd’hui. Au vu du réchauffement à venir, difficile de ne pas le comprendre. Dans ce qui est devenu un genre à part entière où le meilleur côtoie souvent le pire, Une pluie sans fin apparaît comme une très bonne surprise. Farris Smith décrit fort bien les lentes pérégrinations de Cohen et des siens, odyssée qui s’apparente à un chemin de croix moderne dans ce monde inondé et ruiné qui était, il n’y a pas si longtemps, le nôtre. Il construit finement des personnages dont le passé et les épreuves fondent la richesse, en équilibre instable entre ce qui fut (perdu pour l’essentiel), ce qui est, et ce qui sera peut-être. Il le fait en usant d’une écriture riche et complexe, qui suggère avant de décrire, saute sans transition d’une scène dialogique à l’autre, et utilise souvent des techniques proches du « courant de conscience ».

Une pluie sans fin est un premier roman dur, riche, très écrit, souvent hypnotique, éminemment recommandable.

La Montagne sans nom

La maison d’édition indépendante Le Passager Clandestin est une toute petite maison radicale, engagée et militante contre une certaine forme insatisfaisante du monde. Au milieu des non fictions, on y trouve la collection « Dyschroniques », qui remet à l’honneur des textes anciens de grands noms de la SF. Nouvelles ou novellas posant en leur temps les questions environnementales, politiques, sociales, ou économiques, ces dix-huit textes à ce jour livrent la perception du monde qu’avaient ces auteurs d’un temps aujourd’hui révolu. Et si certaines questions semblent moins d’actualité, d’autres, en revanche, sont devenues brûlantes et illustrent, hélas, la pertinence des craintes exprimées par les auteurs de SF.

On notera que chaque ouvrage a fait l’objet d’un joli travail d’édition, chaque texte étant suivi d’une biographie/bibliographie de l’auteur, d’un bref historique des parutions VO/VF, d’éléments de contexte, ainsi que de suggestions de lectures ou visionnages connexes. Une bien jolie collection, donc.

Commençons par la courte nouvelle de Robert Sheckley, La Montagne sans nom. On y voit une équipe de « travaux publics » chargée de remodeler une planète pour la rendre confortable à coloniser — sur Terre, on dirait « viabiliser une parcelle ». Mais les indigènes, dont il est clair qu’ils devront dégager, posent problème. Et pas seulement les indigènes, hélas pour la multi planétaire exploitante. Petit texte très (trop ?) classique dans la forme, abordant autant la question de la colonisation étrangère que celle, interne aux USA, dont les amérindiens firent les frais, il pose aussi de premières interrogations environnementales, et questionne la certitude occidentale d’une Création donnée par Dieu à l’Homme pour en user à sa guise. Le traitement, du fait de la brièveté et de la prévisibilité du texte, est néanmoins anecdotique. J’arrête ici pour ne pas écrire une chronique plus longue que la nouvelle.

Première publication de La Montagne sans nom aux USA en 1955.

Faute de temps

La maison d’édition indépendante Le Passager Clandestin est une toute petite maison radicale, engagée et militante contre une certaine forme insatisfaisante du monde. Au milieu des non fictions, on y trouve la collection « Dyschroniques », qui remet à l’honneur des textes anciens de grands noms de la SF. Nouvelles ou novellas posant en leur temps les questions environnementales, politiques, sociales, ou économiques, ces dix-huit textes à ce jour livrent la perception du monde qu’avaient ces auteurs d’un temps aujourd’hui révolu. Et si certaines questions semblent moins d’actualité, d’autres, en revanche, sont devenues brûlantes et illustrent, hélas, la pertinence des craintes exprimées par les auteurs de SF.

On notera que chaque ouvrage a fait l’objet d’un joli travail d’édition, chaque texte étant suivi d’une biographie/bibliographie de l’auteur, d’un bref historique des parutions VO/VF, d’éléments de contexte, ainsi que de suggestions de lectures ou visionnages connexes. Une bien jolie collection, donc.

Faute de temps est une novella de Brunner, qui s’illustrera ensuite en écrivant le sidérant Tous à Zanzibar, point de départ de la « Tétralogie noire ». Faute de temps se passe ici et maintenant. Alors qu’assailli de terrifiants cauchemars récurrents, le docteur Harrow tente de dormir, un coup de sonnette aussi nocturne qu’inopportun fait entrer dans sa vie un SDF bien singulier. Mutique, presque nu, l’homme semble porteur d’une maladie très rare dont, surprenante coïncidence, le fils d’Harrow est mort récemment. Seuls effets personnels, un couteau ébréché et un os de phalange. Transporté à l’hôpital où Harrow exerce, le SDF à l’identité inconnue constitue un mystère qui ne fait que s’épaissir au fur et à mesure des investigations le concernant. Qui est cet homme ? D’où vient-il ? Comment peut-il être atteint d’une maladie très rare qui tue ceux qui en souffrent bien avant l’âge adulte ? Et quelle est cette étrange langue qui semble être la sienne ? Ces questions vont tourner en boucle dans l’esprit fragile d’Harrow, jusqu’à en occuper la totalité. Au fil son enquête, de faits étranges en liens peu cohérents, Harrow comprend et doit admettre l’incroyable vérité ; Holmes ne disait-il pas : « lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité » ? Cette vérité (non, ce n’est pas un alien), si incroyable que personne n’en voudra, poussera Harrow aux portes de la folie, et les lui fera clairement franchir aux yeux de son entourage. Lanceur d’alerte qu’on n’écoute pas, Harrow est, cinq ans avant Les Envahisseurs, un tragique David Vincent. La surdité volontaire de l’humanité est aussi coriace que navrante.

Vraiment intrigant, assez long pour assurer une montée dramatique, logiquement cohérent, le texte plonge au cœur de l’obsession de Max Harrow et déroute assez le lecteur pour la lui faire partager. Il aurait fait un excellent épisode de The Twilight Zone, il en a le format et la saveur (mais, voir dessous). Je n’en dis pas plus pour ne pas spoiler l’histoire et je conseille vivement à d’éventuels lecteurs d’en apprendre le moins possible sur Faute de temps avant de le commencer.

Première publication de Faute de temps en 1963, et adaptation télé par la BBC en 1965, série Out of the Unknown S01E10.

Les Veilleurs

Le titre original de cet ouvrage, The Best of Connie Willis, est on ne peut plus clair, et ça ne mégotte pas : les neuf nouvelles qui le composent (initialement publiées entre 1982 et 2007) ont toutes été primées. Hugo, Nebula, Locus comme s’il en pleuvait. C’est dire la valeur sûre que représente l’ensemble — quand bien même, en ces temps troublés, ces récompenses ne possèdent peut-être plus l’aura d’antan —, qui offre qui plus est une vue assez large du talent considérable de cette auteure peu prolifique, mais ô combien efficace.

Commençons donc par le récit qui donne pour partie son titre au recueil : « Les Veilleurs du feu ». Cette histoire de voyage temporel est à l’origine des deux grands romans de 2010, parus par ici chez Bragelonne en 2012 et 2013, Black-Out et All Clear et désormais disponibles en poche chez J’ai Lu. Dans ce texte, les historiens peuvent voyager dans le temps pour se confronter, en principe, à leur période de prédilection. C’est ainsi que le narrateur se retrouve plongé en plein Blitz, à Londres, avec les défenseurs de Saint-Paul. Or, il le sait, cet édifice sera détruit par les bombardements… Ecrit sous forme de journal, ce texte est sans appel : Connie Willis excelle à peindre les sentiments de ses personnages, et semble rien moins qu’habitée par son sujet tant elle restitue avec minutie le contexte historique dans lequel s’inscrit son récit. Des qualités d’empathie et de précision qui traversent l’ensemble des nouvelles ici proposées. « Les Vents de Marble Arch » est à ce titre exemplaire. Avec encore le Blitz en guise de toile de fond, pour cette évocation douce-amère des traces laissées par le passé dans notre vie quotidienne à travers le souffle du métro londonien — une histoire tout en touches subtiles.

Comme tout bon auteur de SF, Connie Willis dépeint souvent l’avenir pour interroger le présent. Regard nostalgique dans « Le Dernier des Winnebago » : par un parallèle surprenant, Willis peint un monde où les chiens ont disparu, suite à une épidémie, tout comme les camping-cars, interdits dans la plupart des Etats américains. « Même Sa Majesté », nouvelle pleine d’humour, se moque gentiment des modes de retour à la nature et aux bienfaits de l’ancien temps (ici, la « joie » d’avoir à nouveau ses règles alors qu’un médicament est parvenu à les supprimer, avec les douleurs et embarras afférents) et questionne avec finesse l’influence de la société sur la condition féminine.

Car dérision et légèreté figurent aussi dans l’éventail des talents de Connie Willis. « Tous assis par terre » raconte l’« invasion » de la Terre par des extraterrestres silencieux et boudeurs. Loin des Independence Day et autres attaques massives de notre pauvre planète, cette nouvelle observe avec détachement les comportements caricaturaux de certains êtres humains, à commencer par les extrémistes religieux. « Au Rialto » n’épargne pas la manie des conventions scientifiques et autres réunions de pairs dont les Etats-Unis sont le théâtre permanent. Humour toujours avec « Infiltration », enquête rondement menée sur les arnaques des faux médiums, où le réel côtoie le fantastique. Une frontière, celle du surnaturel, que Connie Willis n’hésite pas à franchir dans « Morts sur le Nil », incursion réussie au royaume des morts.

On l’aura compris, Les Veilleurs constitue une entrée idéale dans l’univers de Connie Willis, plus accessible, peut-être, que les longs (mais réussis) Black-Out et All Clear. D’autant que les textes qui accompagnent chaque nouvelle sont éclairants et offrent l’image d’un écrivain réfléchi, lucide sur son travail et l’influence de ses « maîtres » (Heinlein, Haldeman, Silverberg), engagée dans la vie publique. Enfin, en guise de bonus, l’éditeur nous offre trois discours, prononcés (ou non), une autre facette de l’auteure du Grand Livre distinguée par le Science Fiction Hall of Fame. Une réussite, assurément, dont on ne pourra faire l’économie.

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