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La Guerre après la dernière guerre

Un pays en temps de guerre. Une terre gâtée, rendue stérile par les combats incessants et quelques bombes atomiques. Le décor est vieux comme le monde, du moins depuis que les hommes se font la guerre. Il puise dans le décor de la Seconde Guerre mondiale, notamment à Stalingrad et d’autres villes de l’Est européen. Benedek Totth étant hongrois, la référence ne paraît pas incongrue, même si le paysage de La Guerre après la dernière guerre emprunte aussi ses traits aux multiples affrontements des conflits asymétriques, nés de tous les renoncements et manipulations de la géopolitique. Dans ce no man’s land cauchemardesque, un orphelin erre à la recherche de son petit frère. En cours de route, il rencontre un parachutiste américain égaré qu’il aide après avoir tenté de le tuer. Un noir des ghettos s’appelant James (Jimmy) Hendricks (authentique), bon joueur de guitare. Un good guy mais un vrai tueur, avec lequel il fait un bout de route, jusqu’aux portes des enfers, en Zone rouge, la terre des réprouvés et mutants irradiés.

Après Comme des rats morts, son portrait d’une jeunesse hongroise désœuvrée paru dans la collection « Roman noir » chez Actes Sud, Benedek Totth revient avec un récit sombre et violent. Une promenade primesautière sur les décombres d’une contrée ravagée par une guerre apparemment éternelle entre Américains et Russes. La quatrième de couverture de La Guerre après la dernière guerre évoque les mânes du récit postapocalyptique, courant de l’Imaginaire ayant connu ses beaux jours à l’époque de la Guerre froide et qui semble redevenir d’actualité avec la multiplication récente des tensions de par le monde. Elle dresse également un parallèle avec La Route de Cormac McCarthy. Soyons clair, le roman de Benedek Totth est surtout un récit de guerre vécu à hauteur de gosse, où le réalisme des combats et bombardements cède peu à peu la place à l’allégorie mythologique et à la dénonciation de l’obscénité de la guerre. De toutes les guerres. La quête de ce gosse, narrateur de sa propre histoire, s’apparente en effet à une longue litanie d’horreurs, entre snipers russes embusqués dans les égouts et mutants cannibales aux visages défigurés par les brûlures. Un monologue dont le propos perd progressivement toute réalité, pour se fondre dans un camaïeu de grisaille. Viols en pagaille, tueries, crasse, miasmes des cadavres, l’auteur hongrois ne nous épargne rien de la déchéance d’une humanité égale à elle-même dans sa faculté à faire le mal. Mais si la violence du propos interpelle, on ne peut s’empêcher d’en percevoir les limites et la vacuité intrinsèque. Avec La Guerre après la dernière guerre, Benedek Tohtt dit avoir voulu écrire une prophétie qui s’autodétruirait. Si l’intention est louable, permettons-nous de douter de son résultat, tant il ne fait ici qu’enfoncer les portes ouvertes.

F.A.U.S.T., l’intégrale

La réédition du cycle de « F.A.U.S.T. », préfacée pour l’occasion par Alain bankable Damasio, nous plonge illico plus de vingt ans dans le passé, à une époque où Serge Lehman figurait parmi les auteur-es les plus prometteur-ses du genre en France. Œuvre politique, dans la meilleure acception du terme, « F.A.U.S.T. » enracine son propos au cœur d’une Europe devenue l’ultime bastion de la démocratie face à l’emprise de transnationales toujours plus prédatrices. La nouvelle « Nulle part à Liverion », inscrite initialement au sommaire de l’anthologie Genèses (J’ai Lu), la trilogie «  F.A.U.S.T. » et sa préquelle Wonderland (tous parus au Fleuve Noir) dessinent ainsi en creux un portrait chaotique de la fin de notre siècle.

De Liverion, l’utopie héritière des idéaux des Lumières, située dans l’angle mort des algorithmes de cartographie, à Darwin Alley, vitrine orgueilleuse du village global, en passant par le Veld, cet arrière-pays paupérisé ouvert aux convoitises des transnationales (les Puissances) par un artifice juridique, Serge Lehman extrapole un futur inquiétant, livré aux convoitises de l’Instance, ce conseil d’administration mondial satisfait d’avoir mis fin à l’Histoire. Certes, toutes les spéculations de l’auteur ne tombent pas justes. On peut lui reprocher d’avoir idéalisé l’Europe, incarnée ici sous la forme d’une fédération dirigée par une femme inflexible, oubliant au passage le tiraillement des nationalismes ou régionalismes et l’échec politique du projet européen face aux rouleaux compresseurs américain, chinois et russe. Pour autant, et même si la science-fiction n’a pas vocation à prédire l’avenir, on ne peut que saluer l’acuité de ses intuitions. Le Wonderland n’a en effet rien à envier aux accumulations de déchets plastiques formées par les vortex océaniques et aux taudis qui poussent sur les décharges composées des rebuts exportés par les pays riches. De même, Telmat et le Centaure, l’agence chargée de traquer les fake news, anticipe notre monde hyper-connecté, où les artifices de la communication et de l’information en continu contribuent à façonner l’opinion. Quant à Darwin Alley, avec ses monuments conservés sous cloche, ses gratte-ciels triomphants et sa consommation effrénée, elle incarne le stade ultime de la métropolisation globalisée, née des œuvres conjointes du darwinisme social et du néo-libéralisme. Bref, face à l’inéluctable victoire de l’économie sur le politique, du consommateur sur le citoyen, on se plaît à imaginer, comme Serge Lehman, un sursaut du politique, même si l’on préfère qu’il vienne du citoyen et non d’une quelconque organisation secrète.

Assez proche des cyberpunks, bien qu’il s’en défende, Serge Lehman s’en détache cependant par ses fulgurances esthétiques, l’intelligence du propos et la volonté de lier le fond aux codes du roman-feuilleton, archétypes un brin caricaturaux y compris. Si le procédé fonctionne très bien dans les deux premiers volets du cycle, notammentLes Défenseurs, le pari devient plus délicat avec Tonnerre lointain. Le rythme de la narration s’essouffle peu à peu et l’intrigue s’effiloche au profit d’une quête existentielle. Un long cheminement intérieur auquel semble répondre la désolation du Veld. Un périple mental qui voit la fiction se dépouiller des artifices de la littérature populaire pour laisser place à l’introspection psychologique et au doute. À qui vais-je être utile ? s’interroge Chan Coray, le F.A.U.S.T. surhumain, découvrant qu’il est devenu le héros d’une série à succès commercialisée par l’une des Puissances siégeant à l’Instance. La question s’est sans doute posée aussi à Serge Lehman, au point d’assécher sa plume et de le faire abandonner ce cycle, entamé dans la fureur vengeresse, sur la promesse non accomplie d’un quatrième tome. Toujours annoncé sur de nombreux sites de vente en ligne à l’heure où l’on écrit cette chronique, L’Âge de chrome atteste donc de l’inachèvement d’une saga qui, bien des années après sa parution au Fleuve Noir, reste le prototype d’une anticipation politique puissante, traversée par l’ambition de faire sens et de faire corps avec le meilleur de la littérature populaire.

Civilizations

Aux alentours de l’an mille, la fille d’Erik le Rouge poursuit les voyages d’exploration de son père, fuyant la vengeance de ses pairs. Naviguant plein sud, elle noue ainsi contact avec les civilisations amérindiennes. Bien plus tard, en 1492, le voyage de Christophe Colomb s’achève piteusement sur les rivages de l’île de Cuba, mettant un terme à toutes les aventures ultérieures que nous connaissons. Vers 1530, Atahualpa débarque en Europe, accompagné des partisans à sa cause ayant survécu à la guerre contre son frère. Il ne tarde pas à mettre à profit la désunion qui y règne pour se tailler une place de choix.

Primé au Goncourt du premier roman pour HHhH, récipiendaire des prix Interallié et du roman Fnac pour La Septième fonction du langage, Laurent Binet n’appartient pas vraiment au Club, autrement dit les auteurs et lecteurs attirés par les problématiques et thématiques soulevées par l’Imaginaire. Son goût pour l’Histoire et la fiction le pousse pourtant avec Civilizations à aborder l’uchronie, genre ouvert à toutes les spéculations et avec lequel la science-fiction partage le même questionnement initial : et si ? S’il est un reproche que l’on ne peut pas adresser à l’auteur français, c’est d’avoir négligé sa documentation. Bien au contraire, il semble avoir pris connaissance avec soin des contextes géopolitiques et religieux de l’Europe au xvie siècle et de l’Amérique précolombienne. Que le néophyte se rassure toutefois, Laurent Binet rend tout à fait lisible et compréhensible les faits. Nul besoin de se plonger dans des essais historiques pour appréhender la réécriture de l’Histoire qu’il nous propose ici. Entre le périple de Freydis Eriksdottir et l’arrivée imprévue des Incas dans le nouveau monde (l’Europe, suivez un peu svp), près de cinq cent années se sont écoulées. Le temps nécessaire aux Amérindiens pour domestiquer les chevaux apportés par les Vikings, pour se familiariser avec la métallurgie, la roue, et pour développer une résistance naturelle face aux germes infectieux des Levantins (les Européens). Le temps pour eux de découvrir aussi les méfaits de la poudre à canon dont étaient dotés les marins de l’expédition de Colomb. Au terme de ces cinq cent années, ils finissent par s’imposer en Europe, profitant de l’effet de surprise provoqué par leur arrivée, mais aussi en usant des tiraillements religieux et politiques de leurs adversaires. Aux côtés d’Atahualpa et de sa poignée de fidèles, on assiste ainsi à la naissance d’une autre Europe, non plus fondée sur le féodalisme et l’exclusion religieuse, mais sur une sorte de communisme garanti par la dictature de l’Inca. Les conflits religieux sont ainsi désamorcés et la géopolitique du continent s’en trouve bouleversée, Atahualpa ayant en effet bien retenu les leçons de Machiavel dont il devient un fervent lecteur. Pour autant, tout ne va pas pour le mieux dans cette autre Histoire. La cruauté et la superstition ne sont pas évacuées par un tour de passe-passe. Batailles sanglantes, massacres, intimidation, trahison restent le lot commun des Européens, en dépit d’améliorations indéniables dans d’autres domaines. Laurent Binet inverse ainsi les perspectives sans verser dans l’angélisme, redistribuant les rôles des monarques ou de la fine fleur de l’intelligentsia de l’époque sans changer les lignes générales de l’Histoire.

Hélas, le factuel l’emporte sur le romanesque, l’auteur déroulant un récit manquant de chair, où l’uchronie emprunte les voies de la leçon doctorale, voire du récit officiel, éludant un hors-champs historique qui ne demandait pourtant qu’à vivre. À l’instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, Laurent Binet propose donc une uchronie stimulante dont on peut malheureusement déplorer l’aspect un tantinet didactique, bien loin du show don’t tell, en dépit d’une vraisemblance globalement satisfaisante. Civilizations est donc une bonne uchronie, mais pas un grand roman. Avis aux curieux néanmoins.

Bleue

Découverte dans nos contrées avec Une histoire des abeilles, Maja Lunde continue de creuser le sillon de l’introspection écologiste avec la constance d’une autrice s’étant fixée comme projet d’écrire un « Quartet » sur l’écologie. Pas sûr que l’amateur de récit dystopique ne trouve matière ici à entretenir sa passion déviante pour les futurs qui déraillent, a fortiori s’il a lu et apprécié les romans de Jean-Marc Ligny, en particulier Aqua™ et surtout Exodes. Bleue n’entretient pas en effet longtemps l’illusion, l’élément prospectiviste se réduisant rapidement à la portion congrue. L’autrice préfère encore une fois décrire les relations compliquées entre deux groupes familiaux, séparés par presque trente années de gabegie libérale-capitaliste. Trois décades pendant lesquelles le continent européen voit la ressource en eau douce se raréfier, au point d’entraîner l’éclatement communautaire au profit d’un chacun pour soi n’étant pas sans rappeler le raidissement actuel provoqué par les flux migratoires. Dans une double trame, avec un voilier en guise de fil directeur, Maja Lunde s’attache à décrire le baroud d’honneur d’une vieille activiste fatiguée et le drame vécu par un père et sa fille, contraints de s’exiler au Nord pour survivre à la sécheresse. Entre la Norvège et la France, des rives d’un fjord idyllique, en proie à l’exploitation de ses ressources aquifères, aux terres desséchées d’Occitanie, l’autrice décrit par le menu les pensées de ses personnages, s’intéressant à leurs fêlures intimes et aux petits détails de leur quotidien, lâcheté et actes manqués y compris. Deux destins se dessinent ainsi, l’un déjà achevé dont on découvre rétrospectivement le tracé, l’autre en devenir ne demandant qu’à être raconté.

Au regard des enjeux et des thématiques évoquées, l’amateur de science-fiction ne pourra juger que la moisson maigre, tant le futur décrit par Maja Lunde s’apparente à une anticipation légère, guère différente du drame vécu par les réfugiés climatiques dont le malheur ne suscite qu’un intérêt poli dans nos contrées, pour l’instant encore à peu près épargnées par les effets des sécheresses à répétition. Bref, un parfait faux ami ne faisant qu’emprunter son décorum aux littératures de genre pour dérouler un récit intime mêlant drame et fatalisme, sur fond de catastrophe environnementale prévue. Bref, de la dystopie for dummies destinée à un lectorat à la recherche d’une dose modérée de frisson enrobée de psychologie. Passons.

Starship Troopers

Il est, je pense, aussi difficile en 2019 de vendre que de chroniquer Starship Troopers. Le roman est ancien (VO en 1959, Prix Hugo en 1960, VF en 1974, sous le titre Étoiles, garde-à-vous !) ; un film en a été tiré en 1997, qui, pour beaucoup, constitue une connaissance suffisante de l’œuvre. Et pourtant, il est bien utile aujourd’hui de se replonger dans Starship Troopers, ceci pour deux raisons. D’abord car le film de Paul Verhoeven, en dépit de ses qualités propres, adopte un ton ironique – qui rend dérisoires les accusations de cryptofascisme dont certains l’ont affublé – alors que le texte de Heinlein est grave. Ensuite car ce dont parle l’auteur – et là, il faut rendre aux préfaciers Ugo Bellagamba et Éric Picholle ce qui leur est dû en terme d’analyse – c’est de l’engagement et de son prix, quelles que soient les formes que prennent celui-ci et celui-là.

L’histoire est assez connue pour qu’on puisse n’en dire que quelques mots. Futur, espace humain. La Terre et ses colonies spatiales sont gouvernées par un système – que Heinlein développe peu – dans lequel la citoyenneté est subordonnée à la réalisation d’un service fédéral, souvent militaire. Les non citoyens, majoritaires, y sont comme les métèques des cités grecques, libres de vivre et d’agir mais dépourvus de pouvoir politique.

Le roman, à la première personne, est l’histoire de Juan Rico, un jeune diplômé qui s’engage un peu par hasard et contre l’avis de ses parents, et se trouve affecté dans l’Infanterie Mobile, le corps des fantassins d’élite de l’armée fédérale. Rico, qui s’engage en temps de « paix », fait ses classes – très dures – puis se trouve plongé dans une guerre chaude déclarée vers la fin de sa période d’instruction par une race d’insectes lancés – ni plus ni moins que les humains – à la conquête de l’espace connu et des ressources vitales qu’il renferme. Instruction, épreuves et expérience feront grandir Rico jusqu’à lui faire comprendre quel doit être l’engagement du citoyen ; qu’il ne s’agit pas pour lui et les autres engagés de simplement gagner un droit de vote dont beaucoup (jusqu’aux parents de Rico) se passent fort bien, mais de vivre en plein accord avec la communauté politique dont ils se réclament – jusqu’à lui sacrifier temps, santé ou vie.

Certes, Starship Troopers accuse parfois son âge – dans les rapports de genre par exemple. Certes, encore, il est un vrai roman de guerre, avec ses passages obligés, du sergent sévère mais juste aux rivalités viriles entre armes. Certes, enfin, on y trouve un usage aussi immodéré qu’irréaliste des munitions nucléaires tactiques (même si l’utilisation tactique de ces armes fut envisagée durant la Guerre de Corée). Mais le roman reste essentiel car il aborde des questions intemporelles. En effet, par-delà le récit très SF militaire (si on y est allergique, mieux vaut passer son chemin), le roman développe deux thèmes principaux. D’une part, la fusion dans une communauté de frères d’armes (on peut penser à la première partie de Full Metal Jacket) qui serait tout aussi soudée si elle était une communauté de citoyens engagés dans une action autre que militaire – les travaux du politiste D. Gaxie, entre autres, disent assez les liens qui naissent dans l’action militante ; ces liens de fraternité nés de l’adversité partagée, dont manquent trop souvent les sociétés individualistes. D’autre part, l’importance et la valeur de l’engagement civique, quelle que soit la forme que prend cet engagement — militaire ici, écologique peut-être aujourd’hui, par exemple. En 1959, Heinlein invitait à s’engager, ce qui signifie accepter d’en payer le prix si nécessaire. Notre époque utilise le mot citoyen comme un mantra dépourvu de sens. Il faut alors laisser la parole à Rousseau : «  Dans un État vraiment libre les citoyens font tout avec leurs bras et rien avec de l’argent. Loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-mêmes… Dans une cité bien conduite chacun vole aux assemblées  ». Que nous en sommes loin ! C’est alors une piqûre de rappel qu’administre Heinlein, lui qui fait dire à ses personnages : « le destin le plus noble d’un homme est de placer son corps mortel entre son foyer et les ravages de la guerre » ou « Il n’y a pas de plus grand amour qu’une chatte qui meurt en défendant ses petits ». Il voulait rappeler qu’il n’y a pas de droit sans devoir, ni de liberté sans responsabilité. Et si nul ne souhaite ni mourir ni souffrir, il importe d’être prêt à le faire lorsqu’est en jeu la survie même de la communauté politique. Un message dont notre époque a, semble-t-il, grand besoin.

Nécropolitains

Nécropolitains est le second roman de Rodolphe Casso. Il fait suite à Pariz (sorti en 2016), dans lequel on voyait le monde – et singulièrement Paris – être emporté par l’apocalypse zombie vers un post-apo’ dans lequel la simple survie est un exploit en soi.

Nécropolitains commence un an après ces événements. Une poignée de soldats survit plus qu’elle ne vit dans la base souterraine de Taverny. Leurs réserves s’épuisent lentement mais c’est surtout leur moral qui est de plus en plus en berne, au point que les suicides se multiplient. Le commandant de la base décide alors qu’il est temps de réagir. Pour ce faire, il envoie le capitaine Franck Masson, un commando de l’air, en mission dans Paris afin d’y prendre contact avec les quelques poches de survie qui s’y trouvent — des photos satellites l’attestent – et créer avec les survivants des liens qui seraient à la fois le ferment d’une renaissance sociétale, voire nationale, et aussi une source d’espoir et de projets pour les enterrés volontaires de Taverny. Masson est un « soldat d’Épinal », courageux, discipliné, patriote, catholique – l’homme de la situation, donc.

Largué par hélicoptère près de la butte Montmartre (la première des trois stations de son calvaire), il entreprend une dangereuse tournée dans l’inconnu – même si le vrai danger, désormais, vient aussi souvent des hommes et des chiens errants que des zombies eux-mêmes. Pour tout équipement, un uniforme, un Famas, une radio-satellite histoire de contacter sa base, des rations, et un carnet pour noter ce qu’il voit et entend afin d’initier une nouvelle mythologie, la culture populaire des temps nouveaux.

Première étape : la butte Montmartre et sa « République » foutraque. Dirigée par un ex-animateur télé, confite dans un passé qui ne veut pas mourir, on y trouve, sous une bonhomie et une liberté affichées, une société perverse dont certaines des pratiques sont bien peu ragoutantes. Second arrêt : le parc des Buttes-Chaumont, où s’est installée une communauté autogérée plutôt pacifique. Plus digne sans conteste que le précédent, ce groupe humain n’est néanmoins à l’abri ni des dissensions internes, ni des agressions externes, ni, surtout et toujours, des diverses pénuries qui rendent la vie difficile et nécessairement courte. Enfin, ultime stop : l’île de la Cité, étroite langue de terre isolée devenue une sorte de mini théocratie illuminée gouvernée par les autorités ecclésiastiques et policières du lieu – un genre de parvis de Notre-Dame hugolien avec des motos. Partout, Masson doit s’intégrer – jusqu’à créer parfois des liens forts – pour voir si un rapprochement est possible, sans abandonner néanmoins ses valeurs. Mais toujours sa mission prime, toujours il va de l’avant, bravant les périls des transits et les risques de chaque nouvelle insertion. Paris a changé, radicalement, et, conséquence, notre héros change aussi, gauchi par la réalité qu’il traverse et les rencontres qu’il y fait, jusqu’à comprendre qu’il lui faut aussi dans sa tête aller de l’avant.

Pour rythmé qu’il soit, Nécropolitains n’en est pas moins alourdi par le luxe de détails donnés par l’auteur. Rodolphe Casso adore Paris, son roman le hurle. D’interminables descriptions, qui rendent le texte sans doute trop long, décrivent les lieux, les boutiques, les rues, les structures de la vie urbaine (canaux, métros, ponts et compagnie). Ce n’est jamais désagréable, mais on peut penser que cette façon de décrire Paris dans ses moindres détails avant (ou afin) d’y placer le malheur parlera plus aux Parisiens, qui reconnaîtront des lieux dans lesquels ils vivent (encore) une vie normale, qu’aux autres habitants du désert français. Le tout fait très parigot, des lieux emblématiques jusqu’aux références à Aristide Bruant. Concernant le ton, le texte oscille entre — parfois – une ironie gouailleuse à la Audiard, et – souvent – un anarchisme visuel à la Fluide Glacial ; régulièrement, on croit voir des personnages ou des situations à la Goossens. On accrochera… ou pas, selon ses goûts propres.

Jardins de poussière

Quatre ans après le très bon La Ménagerie de papier, Le Bélial’ propose aujourd’hui Jardins de poussière, nouveau recueil du multiprimé Ken Liu, une fois encore organisé par les Quarante-Deux et traduit par Pierre-Paul Durastanti. Non contents d’avoir réuni des textes écrits par Liu durant toute sa carrière, les Quarante-Deux les ont regroupés par thèmes, offrant ainsi à l’ensemble une cohérence multithématique qui a surpris l’auteur lui-même.

Le premier texte du recueil concentre pour le mieux ce que sait faire l’auteur : « Jardins de poussière » est le récit vertigineux d’une colonisation spatiale au bord de l’échec sauvée de justesse par un acte mêlant rigueur scientifique, beauté poétique et une once d’amour.

Tout au long de l’ouvrage, on trouvera ce mélange assez inédit qui caractérise le travail de Liu. Car touchant à beaucoup de genres SFFF différents – donc, à beaucoup de formes différentes –, c’est à son fond que l’auteur est reconnaissable, au mix de justesse, de sensibilité et de tendresse qu’il met dans des histoires qui racontent la difficulté des sentients à vivre ensemble, mais aussi la chaleur réconfortante qu’apportent la présence et l’amour des autres. Des nouvelles qui, peu ou prou, parlent toutes de famille, de contact, d’Histoire, d’exploration, de changements, voulus ou forcés. De la difficulté donc d’avancer vraiment sans perdre en route ce qu’on est, ce qui fut, sa culture ou son entourage.

Revue en flashes non résumés :

« La Fille cachée » et « Bonne chasse » – cette dernière adaptée en anime dans la série Love, Death, and Robots par Netflix – sont silkpunk et steamfantasy. Mais dans les deux cas, c’est de changement qu’il s’agit pour des personnages profondément émouvants.

« Rester » , « Ailleurs, très loin de là, de vastes troupeaux de rennes », et la très jolie « Souvenirs de ma mère » s’interrogent, Ken Liu-style, sur les déchirements et les évolutions radicales qu’entraîneront les techniques de numérisation des consciences. Excellents et à rapprocher du meilleur d’Egan.

« Le Fardeau » est un texte de xéno-archélogie vraiment drôle sur lequel il importe de ne pas spoiler. Quant à « Nul ne possède les cieux », on y mêle science et religion au service d’innovations qui, les hommes étant ce qu’ils sont… N’en disons pas plus.

« Long courrier » , assimilable à un texte de climat fiction, dépeint un monde nouveau rendu meilleur, sans doute, par un retour à une technologie plus propre. Il montre ce qu’apportent l’ouverture et le contact ; ce qu’ils coûtent, aussi.

Ouverture et contact encore dans « Sauver la face », où Liu réintroduit joliment l’incontournable facteur humain dans la rationalité algorithmique.

« Une brève histoire du Tunnel transpacifique » dit plutôt la face noire du contact et du progrès imparfaitement distribué.

« Jours fantômes » raconte le désarroi existentiel de colons spatiaux pris entre une Histoire prégnante et un avenir inédit à forger.

« Dolly, la poupée jolie » est un conte cruel sur la fin de vie des objets sentients – qui peut rappeler « Le Petit soldat de plomb » d’Andersen, par exemple. Là où « Animaux exotiques », tragique aussi mais bien loin d’être un conte, est un récit quasi cyberpunk très touchant qui dit les horreurs possibles d’une génétique devenue prométhéenne au service d’une humanité hélas égale à elle-même.

« Vrais visages » montre les excès de l’éthique différentialiste – mais le texte est démonstratif et prévisible. « Moments privilégiés », en revanche, pointe les risques toujours inattendus des nouvelles technologies censées améliorer la vie humaine ; il rappelle les mises en garde de quelqu’un comme Peter Watts.

« Imagier de cognition comparative pour lecteur avancé » est un texte à liste qui, en ajoutant de l’humain, réussit le tour de force d’être émouvant, ce que ne sont pas toujours les textes de ce genre.

« La Dernière semence » émeut encore, autant qu’elle navre et précisément parce qu’elle le fait.

« Sept anniversaires » met en scène l’amour, difficile mais jamais éteint, qui lie mère et fille prises dans le tourbillon d’une panspermie d’origine humaine. Quant à « Printemps cosmique » elle nous amène, à grands renforts de gigantisme cosmique, vers la mort thermique de l’univers et le début d’un nouveau cycle. Les deux textes sont aussi beaux que vertigineux.

Concluons en disant que, mis à part un ou deux textes dispensables, l’ensemble est de très bonne tenue car Ken Liu parvient à mettre beaucoup d’humain dans ses textes, y compris dans ceux – à échelle cosmique – qui pourraient être les plus secs. High-tech, beauté, wonder, la (belle) couverture dit tout.

Le Cimetière

Futur indéterminé. Espagne, peut-être. Montée des eaux, surpopulation et retombées nucléaires (!) ont rendu les terres (arables sans doute) rares. Si rares qu’il est devenu interdit d’enterrer les défunts et que tous les cimetières ont été récupérés – à l’exception d’un cimetière-musée par district, conservé à titre historique. Mais quand la mère d’Isobel meurt, la jeune femme ne peut se résoudre à la condamner post-mortem à l’incinération et à l’intégration mémorielle dans l’un de ces cimetières virtuels que fournit l’État. Alors, sur les conseils d’un médecin ami, elle se rend dans un cimetière-musée rural pour tenter d’y inhumer sa mère. Clandestinement. Car la loi est claire et durement appliquée. Il faut dire que la société dans laquelle vit Isobel est une dictature, pas moins. Gestion autoritaire des morts, écrans d’informations omniprésents, culture sous le rideau, mise au ban des livres papiers, « vaporisation » des contrevenants. Il y eut même une Grande Purge et il y a un XVIIIe Führer et une loi Lebensraum. Diantre ! Perpétuant une tradition familiale de résistance à l’oppression, Isobel se met en grand danger. Travis, le gardien du cimetière dans lequel elle prévoit d’inhumer sa mère, l’aidera-t-elle ou la dénoncera-t-elle ? Et, surtout, que feront ces deux solitaires de la tension érotique qui naît entre eux dès le premier regard ?

Lisant cette dernière phrase, on touche là au cœur du problème de ce court roman catalan. Mix peu subtil de Fahrenheit 451, des Androïdes rêvent-ils de moutons électriques et de 1984 mâtiné de surpopulation à la Soleil Vert, Le Cimetière, stylistiquement assez imparfait – dans les dialogues, notamment –, échoue à créer l’angoisse lorsqu’il tente de le faire et offre une présentation caricaturale du cinéma d’horreur indigne d’un auteur qui, ici, se réclame de l’Imaginaire ; sans compter un twist qu’on voit venir de l’autre bout du livre. Mais surtout, surtout, Le Cimetière place le lecteur dans la situation d’un otage involontaire de roman Harlequin. Une litanie de phrases finalement hilarantes – mais était-ce le but ? — racontent les émois d’Isobel et la folie des sens qui s’empare des deux seuls protagonistes vivants du récit ; c’est si mièvre que j’ai dû aller vérifier l’âge de l’auteur. Impossible de retenir autre chose de ce texte, d’autant que les banalités résistantialistes qu’il enfile comme des perles sur un collier ne sont guère transcendantes ; si les Catalans n’ont que cette bouillie indigente à se mettre sous la dent, craignons pour eux qu’ils succombent au crétinisme avant d’atteindre l’indépendance.

Te souviendras-tu de demain

2013, Ludwik, 83 ans, et son épouse Grazyna, 78 ans, se préparent pour une soirée spéciale. Cinquante ans auparavant ils faisaient l’amour pour la première fois. Malgré leurs corps en déliquescence, l’usure de leur couple et la routine quotidienne, ils s’aiment toujours et comptent bien, aidés de quelques artifices, rendre hommage à leurs premiers ébats. Le lendemain, ils se réveillent dans un appartement inconnu, leurs corps rajeunis d’une cinquantaine d’années mais avec tous les souvenirs de leur vie. S’agit-il d’une seconde chance, d’un miracle ou d’une vaste blague ? Pour ajouter à leur désorientation, la Pologne qui les accueille se révèle bien différente de celle qu’ils ont connue. Après la Seconde Guerre mondiale et trois ans sous domination soviétique, les élections de 1947 ont plébiscité une alliance sociale-démocrate-paysanne. Le président, Eugeniusz Kwiatkowski, s’est ensuite rapproché de la France. Cette Pologne alternative, une enclave dans le bloc de l’Est, suscite la convoitise de Moscou, et l’Union slave, parti à sa solde dirigé par Edward Gierek, gagne en popularité en attisant les velléités xénophobes de la population.

Zygmunt Miloszewski entrelace le destin de ses personnages à l’histoire de la Pologne. La narration alterne les points de vue : Ludwik qui, malgré sa peur de perdre Grazyna, peine à divorcer de son épouse, puis Grazyna, qui tente de renouer avec son premier amour. En parallèle, il dépeint la société de l’époque et son évolution politique. L’influence française se fait sentir dans l’éducation, les mœurs, le langage et même l’architecture de Varsovie. Malgré cette porte ouverte vers l’Ouest (et ses prémices d’union européenne), la classe dirigeante peine à endiguer la montée d’un parti nationaliste piloté par les soviétiques. Ludwik et Grazyna portent un regard décalé sur un monde étrangement familier et pourtant différent. La dissonance est amplifiée par leur expérience de la vie. Grazyna intègre une institution dédiée à l’éducation des jeunes filles pour se rendre compte, un peu tard, qu’on les prépare à devenir de parfaites et dociles épouses pour Français célibataires.

Te souviendras-tu de demain  ? pourrait être décrit comme une comédie romantique douce-amère (avec un couple d’octogénaires bien décidés à profiter d’une nouvelle vie), une déclaration d’amour de l’auteur à son pays et à la France (en gardant à l’esprit que celui qui aime bien châtie bien), une double uchronie (politique et personnelle), un voyage dans le temps (aux causes inexpliquées), ou comme tout cela à la fois tant le récit emprunte à toutes ces formes. Intelligent et émouvant, à défaut d’être tout à fait réussi, le roman pose de bonnes questions. Sommes-nous condamnés à reproduire les mêmes erreurs ? Pouvons-nous trier et choisir ce que nous gardons ou jetons tout en acceptant l’inédit ? Avons-nous le pouvoir de maîtriser le cours de notre vie et celui de l’histoire. À ces what if, Zygmunt Miloszewski apporte des réponses partielles, laissant le lecteur se déterminer. À vous de jouer.

Vita Nostra

On n’est pas sérieux quand on a seize ans. On pense à s’amuser, à oublier l’année de cours bien chargée, les études du soir et la réussite imposée aux examens. Alors quand Sacha part avec sa mère en bord de mer pour plusieurs jours, elle ne s’attend certainement pas à voir sa vie basculer d’un coup. Un homme aux lunettes noires l’observe, la suit et finit par l’aborder. Sous la menace – diffuse –, il l’oblige à nager nue tous les matins à quatre heures. Puis à courir aussi tôt devant chez elle en plein hiver et à uriner dans un buisson. Tous les jours. Sinon… Un accident dans son entourage ? Des problèmes de santé chez ses proches ? Sacha est trop terrifiée pour s’opposer. Même si ces exigences semblent folles, dépourvues de sens. Or, un jour, l’inconnu inquiétant lui annonce qu’elle est admise à l’Institut des technologies spéciales pour y poursuivre ses études – dans un bled paumé au milieu de rien. Pour celle qui était promise à une école bien plus prestigieuse, c’est la douche froide. Pourtant, toujours à cause des menaces, en dépit des réticences de sa mère, de ses propres inquiétudes, Sacha accepte…

Pour découvrir la SF russe en France… mieux vaut lire le russe. À part les frères Strougatski (indispensables, mais qui datent un peu), quelques anciens classiques et l’inévitable Dmitri Gloukhovski, pas grand-chose à se mettre sous la dent. Patrice Lajoye a produit plusieurs anthologies et écrit un essai, quelques nouvelles paraissent de-ci de-là, mais malgré ses efforts le bilan reste maigre. Aussi la présente publication chez l’Atalante, d’un texte assez récent qui plus est (2007), doit avant tout être saluée pour ce qu’elle est : une ouverture bienvenue. D’autant que la maison d’édition nantaise a visé juste avec cette trilogie (deux autres tomes, indépendants, mais dans la même thématique de la métamorphose, paraîtront sous peu). Vita nostra surprend, au premier abord, par sa rudesse, sa violence feutrée : on évolue ici bien loin du petit monde habituel des magiciens ; pas de Harry Potter au détour d’un couloir. La Brakebills des Magiciens de Lev Grossman semble gentillette face à l’âpreté du quotidien de Sacha. D’ailleurs, a-t-on vraiment affaire à de la magie ? Qu’enseigne-t-on réellement à Torpa, dans cet Institut des technologies spéciales ?

La ville en question paraît située aux confins de la carte. Le train qui y mène semble surgi d’un autre âge, baigné de cette poussière bureaucratique associée au système soviétique qui perdure çà et là. Dans ce trou perdu, les téléphones portables sont rares et il faut faire la queue au bureau de poste pour joindre sa famille. Quant à l’école où atterrit Sacha, elle est banale et vieillotte. Les chambres sont vétustes, le froid règne, un carreau brisé n’est pas remplacé. Mais surtout domine l’angoisse de ne rien comprendre. Les autres étudiants sont étranges, parfois mutilés, ils ne répondent à aucune interrogation. Les professeurs ne font rien pour éclaircir les mystères. Durs, sans pitié, ils maintiennent la pression et avant tout le secret. Y compris pour le lecteur, traîné dans les pas de Sacha au sein de cette ignorance. Mais, et c’est le tour de force des Diatchenko, sans ressentir la moindre lassitude, sans jamais imaginer abandonner le roman. On accepte les silences de l’institution, on souffre des humiliations de l’héroïne, de ses mises en danger. Les révélations, la compréhension arrivent peu à peu, lentement, comme le savoir se met en place, comme les métamorphoses interviennent… Elles nourrissent le besoin de poursuivre, maintiennent l’équilibre subtil nécessaire à l’adhésion.

Vita nostra est une lecture enthousiasmante et glaçante à la fois, une vraie découverte. Une raison supplémentaire pour espérer des publications plus régulières des talents venus de l’Est. Et rapidement, car vita nostra brevis est.

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