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Maître de l’espace et du temps

Globalement peu connu en France, Rudy Rucker fait partie de ces auteurs injustement traités sous nos longitudes. Tir corrigé par « Lunes d'encre » avec Maître de l'espace et du temps, énorme pavé qui ne se contente pas du roman éponyme, mais fait office d'omnibus en y ajoutant un second roman, Le Secret de la vie, sans oublier un rassemblement inédit de nouvelles, À l'assaut du cosmos. Edition impeccable, donc, et très attendue par les rares connaisseurs de cet auteur curieux, situé quelque part entre Fredric Brown, Douglas Adams, Philip Dick et William Gibson, avec cette irrésistible touche de loose qui n'appartient qu'à lui.

Avant de se plonger dans (l'énorme) chose, mieux vaut se rappeler que Rucker est (aussi) mathématicien et plutôt calé en informatique. Diable, de la hard science, donc ? Que nenni, Rucker connaît la musique et s'en sert justement pour jouer faux avec un réel plaisir, un humour maîtrisé et un sens de la déglingue particulièrement réjouissant. Sexe, trous quantiques, musique, drogue et invasions extraterrestres foisonnent dans son œuvre, sans que jamais la ligne entre potentiellement possible bien qu'improbable et complètement grotesque soit jamais franchie. Au-delà de l'humour évidemment massif (mais subtil) qui imprègne la plupart des textes assemblés ici, force est de reconnaître que Rucker sait aussi se montrer triste, décalé et nostalgique d'un passé nécessairement meilleur sans parvenir à chasser l'angoisse de ce qui n'est pas et ne sera jamais. On retrouve ce sentiment dans Le Secret de la vie, jolie promenade à travers le journal intime d'un adolescent dans les années 60. Seul souci, ledit adolescent est (ou croit être) un extraterrestre aux préoccupations métaphysiques très éloignées de celles de ses camarades de classe (totalement humains, eux), centrées autour de ce qu'il y a de bien dans la vie : boire, faire la fête, coucher, etc. Si Conrad (c'est son nom) fait bonne figure au milieu de ce petit monde, reste qu'il possède d'étranges pouvoirs qui l'inquiètent. Qui l'inquiètent même beaucoup. Certes, Le Secret de la vie est drôle et très certainement autobiographique, certes, on le lit d'une traite, certes, tout ceci est très distrayant, mais le fond du roman est somme toute assez tragique. Le temps qui passe, ce qui ne revient plus, ce qui disparaît, à commencer par nous-mêmes.

Plus léger, mais pas non plus dénué de sérieux, Maître de l'espace et du temps est en cours d'adaptation cinématographique par Michel Gondry himself. Parrainage de haut vol pour un texte aussi drôle qu'inventif, aussi cyberpunk que délirant. Basé sur une merveilleuse invention (le Blonzeur) tombé du ciel (du futur, pardon) sur la tête de son inventeur qui n'a plus qu'à la renvoyer dans le passé pour la récupérer de la même manière, la chose permet de devenir, on s'en doutait, maître de l'espace et du temps. Pour le narrateur, c'est une bonne nouvelle, mais quand on projette des lézards dans l'avenir et qu'ils deviennent Godzilla, ça pose quelques soucis. Bref, la lampe d'Aladin, c'est beau, mais c'est un cadeau souvent empoisonné. Bourré de références (de Heinlein — et les mords moelle — à Flatland), Maître de l'espace et du temps est aussi inventif que barré, aussi délicieux à lire que délicat à comprendre (eh oui). Un petit bonheur.

Plus irrégulier, le recueil de nouvelles ajouté aux romans navigue entre le moyen et le formidable (notamment la nouvelle titre qui met magnifiquement en scène la Sibérie). À noter que plusieurs textes sont écrits en collaboration avec d'autres plumes aussi vives qu'inventives (Di Filippo et Sterling pour ne pas les nommer). Ça donne une vision forcément délirante d'un Pythagore lubrique et subversif (« La Racine carrée de Pythagore »), une étonnante variation autour d'un Jack Kerouac désagréable et complètement cramé (« L'Ecole Jack Kerouac de poésie désincarnée »), ou une balade autour du mythe kafkaien (« Le Cinquante-septième Franz Kafka »).

Au final, s'attaquer à ce nouveau pavé « Lunes d'encre », c'est aussi découvrir tout un pan de la S-F parfaitement inconnu en France, à défaut d'être totalement inédit. Précipitez-vous, que les textes soient récents ou plus vieux (début années 80), ils restent salés et savoureux. Chapeau.

Jonathan Strange et Mr Norrell

Chef-d'œuvre intemporel qui ravira toute une génération, sublime variation victorienne sur la magie et ses conséquences, incroyable festival de trouvailles aussi fabuleuses que formidables, Jonathan Strange & Mister Norrell virevolte de prix en récompenses, de ventes astrales en critiques dithyrambiques. Et les lecteurs éplorés, les yeux rougis par tant de bonheur littéraire, trop rare dans nos froides contrées, de s'extasier page après page devant la géniale trouvaille de Susanne Clarke : pondre plus de mille pages à mourir d'ennui et livrer au final une grosse chose sale, enflée, boutonneuse, épaisse et boursouflée.

Le consensus critique (à comparer aux recensions admiratives de l'immonde Pacte des loups du non moins immonde Christophe Gans) autour du chef-d'œuvre restera dans les annales de l'histoire littéraire comme le plus grand mystère du début du XXIe siècle. Pourquoi, comment, dans quelles circonstances éditeurs, critiques, lecteurs, se sont extasiés sur un roman publié par Bloomsbury sans même qu'un directeur de collection y jette un œil et suggère quelques coupes salutaires, ou plus généralement une refonte complète ? Par quelle intervention divine un texte indigeste, certes formidablement « écrit », mais pompeux, long, long, long, long, long, long et finalement aussi inepte que vain fait l'objet d'une admiration sans bornes par des gens ne l'ayant manifestement pas lu ?

Seul Olivier Girard1 le sait, mais nous autres, pauvres mortels, resterons sur notre faim. Le mystère demeure.

On l'a vu, on l'a écrit ad nauseum, Susanna Clarke écrit bien. Les plus esthètes d'entre nous pourront même lâcher d'un air paresseux que sa technique littéraire chie à l'œil. Reste qu'on ne fait pas un livre avec une écriture qui chie à l'œil. Il faut aussi qu'elle chie au cerveau. Côté cerveau, justement, Susanna Clarke contourne soigneusement l'obstacle. Jonathan Strange & Mister Norrell regorge de salons, de thés, de nobles sympathiques et de pauvres grossiers mais dignes. La dialectique du maître et de l'esclave ne fera pas seulement pouffer Francis Berthelot, elle agacera aussi un tantinet ceux et celles pour qui la conscience politique dépasse le stade du « Y'a des riches, y'a des pauvres, c'est une vérité historique, l'homme est ainsi fait, qu'y pouvons-nous ? ».

Bref, non content d'être encore plus poussif et ennuyeux qu'un discours de Youri Andropov, le roman est donc idéologiquement douteux. Oui, mais ça, c'est parce qu'à Bifrost, vous n'êtes qu'un ramassis de sales gosses ébouriffés qui voyez le mal partout sans saisir la subtilité toute victorienne qui affleure à chaque ligne. Subtilité mon cul (et même ma bite), Susanna Clarke excelle à décrire les intérieurs douillets, mais ses personnages sont aussi fades que longuement (et inutilement) décrits. L'action est nulle, malgré toutes sortes de choses (des zombies, des bateaux de pluie, des statues parlantes, des voyages au-delà du miroir — génial, Lewis Carroll en pleure encore —, des sorts hypnotiques lancés par des démons pseudo-elfiques), d'événements (guerres napoléoniennes, tout de même) et d'Histoire (la Magie, la rivalité entre les deux seuls magiciens anglais — cf. le titre -, les épouses, les militaires, l'Angleterre, la France, tout ça quoi). De ce néant stupéfiant qu'Isidore Ducasse n'aurait pas hésité à taxer de notable quantité d'importance nulle, Susanna Clarke ne tire fort logiquement rien. Résumons. La magie est essentiellement théorique en Angleterre depuis que le Raven King a disparu au moyen âge. Un mystérieux érudit (aussi conservateur que jaloux), Mister Norrell, s'autoproclame unique magicien britannique après avoir fait la démonstration de ses talents. Quelques centaines de pages plus tard apparaît la figure de Jonathan Strange, vague nobliau un peu benêt qui, lui aussi doté de talents magiques non négligeables, devient le disciple de Norrell. Mais, las, Norrell veut la magie pour lui tout seul et refuse qu'on considère le Raven King comme père de cette science si particulière. Jonathan Strange, lui, estime au contraire qu'il faut étudier cette très ancienne (et très dangereuse) magie pour mieux la contrôler. Le divorce est complet. Voilà. On n'en dira pas plus, tant ce fil conducteur est affreusement tortueux, compliqué, long, fatiguant et épuisant. Rien ne sauve le roman. Ni ses personnages, ni son écriture, ni sa technique narrative, ni son originalité, ni le compte en banque de l'auteur.

Au final, Jonathan Strange & Mister Norrell a au moins un mérite. Il est lourd. Il fait bien ses 800 grammes. On peut donc le lancer sur un gendarme mobile. C'est de saison.

Notes :
1. Je sais où tu habites, Imbert ! Et je sais aussi que ta femme est enceinte… (NDRC)

Les Contes de Murbolingen

Au chapitre des petites musiques qui font du bien à l’âme autant qu’au moral, la collection « & d’ailleurs » des éditions Denoël est passée experte. Entre Adam Johnson (Emporium), Arthur Bradford (Le Chien de ma chienne) et maintenant Frode Grytten, la collection tape juste et fait mouche quasiment à chaque coup. Pas de fantastique ni de monstre tentaculaire dans Les Contes de Murbolingen, mais une vision sociale de la Norvège particulièrement décapante et une immersion à l’intérieur des personnages impeccablement traitée. Murbolingen, c’est une banlieue quelconque d’une ville de province norvégienne perdue au fond d’un fjord. C’est aussi un immeuble en briques rouges, ouvrier à l’origine, et qui rassemble tant bien que mal toute une humanité à chaque étage. Autant de nouvelles, donc, qui mettent en scène des habitants de l’immeuble ou des personnes ayant un lien privilégié avec lui. Procédé extrêmement classique, mais d’une sobre efficacité. Il y a une femme obèse incapable de s’aimer et donc d’être aimée par les autres, il y a un jeune homme qui perd pied après que sa femme ait donné naissance à un enfant mongolien, il y a ce vigile paumé qui disjoncte, ce fan de Morissey dont la mère meurt lentement du cancer, il y a quantité de personnages profondément humains, sincères, grands dans leurs petitesses comme dans leur quotidien. Evidemment triste, évidemment décalé, Les Contes de Murbolingen n’ont pourtant rien de désespérant. Ils se contentent d’évoquer de courtes tranches de vie parfois hilarantes, parfois bouleversantes, comme le sont toutes les tranches de vie. Réussite totale, pour un recueil aussi subtil que touchant, aussi pudique qu’obscène, aussi drôle que tragique. Il est, par exemple, impératif de ne pas rater la nouvelle qui met en scène Harry, jeune père de deux enfants avec sa banalité et ses problèmes habituels, mystérieusement choisi par un journal d’Oslo comme « le Norvégien moyen de l’année » et qui pète les plombs devant une telle absurdité. Son odyssée (car c’en est une) est à tomber par terre, tant l’humour est ici poussé à son paroxysme : une tristesse infinie.

Un grand bouquin et un auteur (une littérature, même) à découvrir au plus vite.

LGM

En 1967, la Terre, médusée, assiste à une révélation bouleversante : Mars est habitée ! La preuve : ce cliché envoyé par la sonde américaine Arès-1 juste avant de se crasher sur le sol de la Planète rouge, où l'on peut voir en gros plan un petit homme tout vert qui tire la langue. Trente ans plus tard, et après moult tractations, Mars se décide à envoyer sur Terre un ambassadeur. Mais voici que notre ambassadeur martien est enlevé ! Par qui, pourquoi ? La DGSE mène l'enquête et apprend que l'ambassadeur serait détenu dans le Camps de Mars, une communauté verte hippie installée sur le Larzac. Elle envoie sur place un policier chargé de récupérer l'ambassadeur sans faire trop de casse, mais il s'avère qu'en fait d'enlèvement, l'ambassadeur aurait plutôt fait une fugue. Alors que le policier essaye de persuader en douceur le Martien de rentrer au bercail, le Camps de Mars subit un véritable assaut militaire : explosions, mitraillages, hommes armés jusqu'aux dents. Cette fois, la tentative d'enlèvement est sérieuse. Et ce n'est qu'un début ! Mais quel pays a donc intérêt à enlever l'ambassadeur ? Et surtout, pourquoi ? Entre la fonction de garde du corps de l'ambassadeur et celle d'enquêteur sur le terrain, notre homme de la DGSE aura fort à faire, car dans le monde trouble de l'espionnage et de la politique internationale, les apparences sont souvent trompeuses et la vérité difficile à appréhender…

Cinq ans, c'est le temps qu'il aura fallu aux fans de Roland C. Wagner pour pouvoir enfin lire la conclusion de L.G.M. À l'intention de ceux qui n'auraient pas suivi, L.G.M., découpé en quatre parties à suivre, paraît en 2001 dans la défunte collection des éditions Onyx. Les deux premières parties sont éditées, mais malheureusement l'aventure d'Onyx s'achève avant de pouvoir publier les deux dernières, laissant les lecteurs sur les dents. Cinq années plus tard, donc, L.G.M. sort enfin en un seul morceau, avec un début, un milieu et une fin, comme il se doit. L'attente en valait-elle la peine ? Absolument ! Un Wagner en grande forme, incisif et plein d'humour, pour une Terre uchronique déjantée ou notre auteur en profite pour mordre quelques postérieurs de façon bien sentie. Un découpage des frontières qui reste (presque) le même, mais où le monde politique est à rebrousse-poil. Les Etats-Unis d'Amérique sont en pleine récession (un dollar équivaut à 0,41 euros), gouvernés par un Président sortant, le Petit Buisson (sic), dictateur en puissance qui atteint des sommets de rigidité patriotique et religieuse. De l'autre côté, l'U.R.S.S. est gouvernée par un Gorbatchev éclairé qui conduit son pays à marche presque forcée vers le capitalisme et la démocratie. Inutile de dire que dans ce contexte, la Guerre Froide atteint des proportions grandioses. Au milieu, l'Europe est toujours là, égale à elle-même, molle du genou, quoi. Les Chinois sont également mentionnés. Seuls grands absents, les mondes Arabes et Musulmans ne figurent pas au générique, ce qui fait tout de même un grand trou dans ce tableau au demeurant fort croquignolet, où Roland C. Wagner maîtrise de main de maître l'art difficile de l'uchronie. Tissée toute en finesse, cette toile de fond sert de fondation à une histoire déjantée et assez parodique d'une première rencontre du troisième type, qui tourne rapidement à du Fredric Brown façon moderne : sexe, drogue et rock'n'roll, évidemment.

Le cocktail est une fort belle réussite, donc je vous livre ici la recette. Prenez Roland C. Wagner, découpez-le en cinq et gardez les trois meilleures parties. D'abord le militant, l'homme politiquement engagé, voire enragé, aux opinions bien arrêtées et cependant terriblement humaniste. Et puis, bien sûr, l'écrivain chevronné, technicien hors pair, qui parvient à lier des univers pas forcément compatibles, qui porte en lui des mondes un peu dingues qui vous font valser cul par-dessus tête et qui n'oublie jamais que le rire est le meilleur ami de l'homme. Enfin le créateur, l'accoucheur de personnages et de paysages magnifiques, plein de couleurs, de vie, de fantaisie, souvent farfelus et toujours dépaysants. [Pour les deux autres parties, que je vous laisse deviner, oubliez-les, on ne conserve ici que l'excellent.] Passez au four d'une lecture de quelques heures, et vous voici avec l'un des meilleurs bouquins de l'auteur, tout simplement. Embarquez donc à bord de L.G.M., vous ne serez pas déçus !

Faërie Thriller

En Surface, à la FNAC Saint-Lazare à Paris, un double meurtre est commis la veille du lancement ultra-médiatisé du dernier roman d'Etienne Verbellec, l'auteur phare des éditions Magillard. Au même moment, en Faërie, un corps salement amoché est retrouvé dans l'immense bibliothèque de la Folie Clébédia. Visiblement, ces meurtres sont liés : un rire cristallin, des petits pas légers mais un être invisible, des résidus de magie d'une couleur inusitée et inquiétante. Il n'en faut pas plus à la fey Lil et au Capitaine Lartagne pour reprendre du service et mener l'enquête. Alors que les crimes s'enchaînent en Surface comme en Faërie, l'étau se resserre autour de Verbellec et des éditions Magillard, qui semblent être au centre de tous ces phénomènes meurtriers. Qu'a fait Verbellec, quel genre d'entité a-t-il bien pu réveiller, quel pacte a-t-il conclu — et n'a pas honoré ? Autant de questions auxquelles Lil et Lartagne aimeraient bien que l'écrivain réponde, mais encore faudrait-il pouvoir lui mettre la main dessus…

Or donc, voici que la belle fey Lillshellyann Aleiannhyless Lliannhsell'an (Lil pour les intimes) et le Capitaine Lartagne endossent à nouveau leur défroque d'enquêteur au service d'Obrasian Phulmis, le presque-dragon, pour cette seconde plongée en Faërie, leur monde d'origine. Enfin, plongée, c'est vite dit. Car dans cette séquelle, la place accordée au monde de Faërie est assez minimaliste, l'action se situant pour la plus grande part en Surface. De Faërie, nous n'apercevrons que la Folie Clébédia et ses jardins, de ses habitants, nous n'aurons droit qu'à un pauvre Troll et son compagnon de Nain, ainsi que quelques Panous-panous en robe de bure. La Surface n'en est pas mieux lotie pour autant. Le décor se compose presque exclusivement de l'intérieur des éditions Magillard, et seul le final nous fera prendre un peu l'air en nous emmenant à la montagne. Johan Heliot a donc resserré les liens géographiques et revu à la baisse ses prétentions de bestiaire. En soit, cela n'a rien de déshonorant, bien sûr, même si cet auteur nous avait habitué à plus d'envergure. Cependant, gare à l'attente du lecteur tombé amoureux de Faërie dans le premier opus et dont les yeux brillaient déjà de convoitise : cette attente sera déçue.

Autant Faërie hackers était au service de Faërie, de ses habitants et de sa magie, autant Faërie thriller est au service… de Johan Héliot. À lire cet ouvrage, on a l'impression que les aventures de Lil et du Capitaine ne servent que de vague prétexte pour peindre avec une joyeuse férocité, non dénuée d'humour, le milieu de l'édition. La galerie de personnages, du grand Sachem à l'écrivain superstar maison, en passant par l'attachée de presse, est haute en couleurs et assez savoureuse. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Heliot n'est pas un tendre lorsqu'il parle de ces gens-là ! Ah, par contre, il fait une exception pour les éditions Mnémos, son éditeur dans la vraie vie, pour lesquelles on sent en filigrane un hommage assez appuyé. Dans la même veine, à signaler également l'identité du premier mort appartenant au petit monde littéraire français, qui m'a fait hurler de rire, ainsi que la toute dernière page, un régal d'espièglerie, avec un joli clin d'œil en passant à votre revue préférée.

Alors, Faërie thriller, une immense private joke de 315 pages ? Un terrain miné pour règlements de compte ? Difficile de choisir, sans doute un peu des deux, et plus si affinité, tant ce roman donne l'impression d'avoir été écrit pour les copains plus que pour l'histoire elle-même. Résultat : Faërie thriller est un cran en dessous de Faërie hackers. L'action s'essouffle en fin de parcours. L'intrigue est basique et bien moins inventive, sans grande surprise et un peu molle du genou. L'espace est étriqué et il n'y a pas foule. Les personnages, pourtant toujours aussi savoureux, manquent cette fois sérieusement de motivation et semblent un peu se traîner.

Un auteur peut-il s'essouffler dès la première séquelle ? Possible, mais tout est relatif. Si on ne retrouve pas ici ce qui fait habituellement la force de Johan Heliot, ce roman reste cependant bien troussé et fort agréable à lire, d'une seule traite et avec enthousiasme. Bien sûr, le propos risque d'en agacer plus d'un, même si les Bifrostiens purs jus adoreront le mordant et la truculence, et ce en dépit d'une histoire qui, on l'a dit, se révèle d'une envergure bien faiblarde.

Crépuscule d’acier

2006 sera-t-elle l'année Mozart Charles Stross ? Possible. En tout cas, après le remarqué Bureau des atrocités fin 2004, voici que la collection « Ailleurs et Demain » récidive ces jours-ci avec Une Affaire de famille, le premier opus de la série des Princes marchands. Quant aux éditions Mnémos, elles nous livrent ce Crépuscule d'acier (Singularity sky en VO, personnellement, je préfère), texte assez ancien de l'auteur, premier tome d'un diptyque complété par Iron Sunrise et finaliste du prix Hugo, comme à peu près tout ce qu'écrit Stross. L'auteur S-F dont tout le monde parle en Anglo-Saxonnie est-il sur le point de conquérir la France ? À voir. Reste que tout amateur exclusif de steampunk, si tant est qu'il y en ait, se jettera à coup sûr sur ce livre du fait de la couverture de Manchu. Et gageons qu'il risque d'être vite déçu : ici, c'est de space opera hard science post-singularité dont il est question. Aussi peut-on légitimement s'interroger sur la pertinence d'une telle couverture, un choix étonnant et décalé là où un bon vieux vaisseau des familles, sur fond d'étoiles, se serait révélé nettement plus « cœur de cible ». Bref… Passons sur cette erreur d'emballage toute relative et penchons-nous d'un peu plus près sur le contenu.

Lorsque le Festival, civilisation interstellaire constituée d'entités diverses et virtuelles, se place en orbite autour de Planète Rochard, c'est le début de la fin pour les habitants de ce monde appartenant à la Nouvelle République. En effet, dans ce pseudo-empire galactique, la technologie est officiellement bannie, histoire de mieux contrôler les masses. C'est donc une société de type victorien (d'où la couverture) qui va se confronter à une singularité économique : tout ce qui leur était interdit leur est désormais accessible, tous leurs souhaits sont désormais réalisables par le Festival, en échange d'informations. Imaginez que nous fassions un bon technologique de 500 ans en quelques heures : on voit d'ici le bordel ! De fait, une situation insurrectionnelle s'installe aussi sec sur Planète Rochard, ce que ne peuvent tolérer les dirigeants de la Nouvelle République. Ces derniers orchestrent donc une expédition militaire, l'idée étant de se rendre sur place plus vite que la lumière (si si !) afin d'arriver avant le Festival. Tout cela est bel et bon, à ceci près qu'une telle entreprise viole la loi de causalité, ce qui énerve sévère l'Eschaton, une entité omnisciente prétendument issue du futur à même de détruire un système entier d'un simple coup de supernova. Rachel Mansour, agent spécial de l'ONU, et Martin Springfield, ingénieur en astro-navigation, en contact avec un mystérieux employeur, vont se retrouver embarqués dans cette histoire tordue qui pourrait bien leur coûter la vie et, au passage, celle d'un paquet de systèmes solaires.

Batailles spatiales, militaires obtus (jusqu'à la caricature), entité quasi-divine, rien ne manque à ce space op'. Stross joue des clichés avec humour et, c'est une habitude, mêle les genres avec brio. Tout semble irréprochable dans ses explications scientifiques, explications qu'on ne se risquera pas ici à détailler, parce qu'il faudrait déjà les comprendre… Professeur Lehoucq, à l'aide ! Si cet aspect ardu rebutera plus d'un lecteur (à commencer par moi), Crépuscule d'acier reste un bouquin qui n'oublie pas de réfléchir (sur les aspects scientifiques, économiques, sociaux…), une bonne histoire sans autre prétention que de divertir. Un livre à lire, en somme, en attendant qu'un éditeur se penche sur le dernier roman en date de l'auteur, Accelerando, dont la lecture en anglais laisse toutefois plus que dubitatif : a-t-on affaire au premier chef-d'œuvre S-F du siècle nouveau, ou à un gros machin enflé, mode et prétentieux ? Pour ma part, j'aurais tendance à pencher vers la première hypothèse, mais on attendra sa parution sous nos latitudes pour confirmation.

Enfin, on conclura sur une pensée émue pour tous ces arbres sacrifiés sur l'autel de la tyrannie du gros livre : une dizaine de doubles pages vierges pour séparer les chapitres du roman, ça fait tout de même beaucoup…

Invisible

Ça ne sent toujours pas la rose dans les favelas de Rio en 2020, et les gangs de gamins rôdent à la recherche du coup qui rapporte. Ainsi Tiago et Douglas, qui braquent un fourgon blindé et se retrouvent en possession d'un mystérieux tube. Mais leurs vrais ennuis commencent lorsque le tube se casse : Tiago et Douglas ont libéré des nanorobots incontrôlables dans l'atmosphère. Des nanorobots agressifs qui prennent possession des corps de leurs hôtes et les transforment en machines à tuer…

Fabrice Colin s'attaque à une branche de l'avancée scientifique, la nanotechnologie, qui fait particulièrement peur car ses applications pourraient tout à la fois servir l'humanité pour le meilleur, mais aussi l'asservir pour le pire (comme l'essentiel des découvertes scientifiques, finalement). Quoi de plus effrayants que des microbes intelligents capables de vous modifier à votre insu, de se servir de vous comme des pantins ? Colin joue sur les atavismes et met en scène un vrai scénario conspirationniste doté d'un arrière-goût de réel fort déplaisant — on se surprendrait presque à se gratter tout en vérifiant que rien d'anormal ne nous arrive.

Au-delà de la dénonciation des dérives scientifiques, l'auteur nous balance encore en plein visage les réalités absolument pas science-fictives de notre monde actuel farci de gamins misérables totalement livrés à eux-mêmes. L'horreur quotidienne est là, sous nos yeux, et même si nous ne pouvons pas toujours y faire face, c'est bien à la S-F de nous la rappeler. Un travail de mémoire et de témoignage savamment accompli par l'auteur, qui propose une fois encore des personnages attachants et réalistes dans un livre qui se veut aussi une véritable aventure humaine : amour, haine, survie, tous les ingrédients de la tragédie.

Au total une belle réussite, une de plus à mettre au crédit de Fabrice Colin, dont on soulignera notamment le final, qui n'est pas sans rappeler la scène de l'autodestruction de Tetsuo dans le manga Akira. Un roman remarquable et angoissant pour tous, vraiment pour tous.

49302

En fouillant dans les affaires de sa grand-mère, Elora tombe sur un texte au titre mystérieux : « 49 302 ». Titre chiffré qui n'est autre, en fait, que le numéro matricule de Loïk Gwilherm, son ancêtre, accusé à tort d'avoir tué son meilleur ami et condamné à purger sa peine sur la station-bagne XV de la planète Syringa. Au fil des pages, Elora découvre le calvaire mais aussi la lutte de cet homme contre l'injustice et la malveillance…

Il est incontestable que l'affaire Seznec est une erreur judiciaire du siècle dernier qui restera dans les mémoires. C'est aussi l'exemple d'un combat pour la réhabilitation de la vérité et de l'honneur d'un homme. Et avec l'affaire d'Outreau, autant dire que l'écho est plus que brûlant. Où est la vérité ? Où situer les limites de la justice ? Où placer la frontière entre justice et injustice, si tant est qu'il y en ait une ?

D'une part, Nathalie Le Gendre décrit avec force et dureté l'emprisonnement de Loïk, sans nous épargner les humiliations, le goût du sang, des excréments et de la déshumanisation des bagnards. Elle appuie sur la tête de son lecteur, lui enfonce le nez dans la fange, le fait trembler de froid, de peur, bref, n'y va pas avec le dos de la cuillère. Mais l'auteur ne s'arrête pas à ce qui aurait pu rester un roman presque écœurant de réalisme. Nathalie Le Gendre s'attaque aussi à la bêtise humaine, qui donne toute sa mesure dans la rencontre entre Loïk et les habitants de Syringa. Rencontre qui, finalement, permet à l'auteur de transmettre un message d'espérance.

Certes, on pourrait critiquer le fait qu'elle recourre à un principe un tantinet simplet en opposant l'humanité à un peuple en accord parfait avec la nature environnante, ne cherchant rien d'autre que la vie en harmonie et volontiers pétri de bons sentiments. Mais après tout, n'est-ce pas là le paradis rêvé par beaucoup ? Enfin davantage de paix, avec soi-même et les autres ? C'est en tout cas un moyen indiscutable de révéler la face obscure de l'Homme, de l'inspecter, la triturer et la cracher à la figure du lecteur pour le mettre face au problème. Et réfléchir.

Reste un roman de science-fiction qui s'impose comme un vibrant hommage à Guillaume Seznec, mais aussi un livre de réflexion sur l'humain, écrit avec rythme, finesse et brutalité. Un savant mélange pour ne jamais oublier les vrais combats.

L’Enjomineur 1793

Ce second opus de la trilogie consacrée à la Révolution en Vendée (cf. critique in Bifrost n°38 pour le premier opus) concentre son action sur Paris. Cornuaud, possédé par la sorcière africaine qui le pousse à commettre des meurtres particulièrement barbares, sort de prison pour devenir un espion de la Révolution. La période et le poste lui permettent de se livrer à ses exactions sans crainte. Il s'amourache même d'une jeune femme satisfaite de trouver en lui un protecteur.

De son côté, Emile, misérable et sans ressources, fuit la Vendée. Il emporte avec lui la dague que lui a remise la fée Mélusine, découvrant avec stupeur que quiconque s'en empare est tué sur le champ. Successivement hébergé par de bonnes âmes, mais aussi des traîtresses qui le dénoncent, il retrouve le cheval blanc qu'il avait précédemment perdu, lequel le mène jusqu'aux portes de Paris. Au plus fort de la Terreur, il entre à nouveau en contact avec des représentants de l'autre peuple, afin de se faire préciser sa mission. Comme d'autres, il s'intéresse aux agissements des conspirateurs de la secte de Mithra, dirigée par le mystérieux Père des Pères, et dont le but est de répandre le mal sur terre.

Bien d'autres personnages portent leur regard sur cette période troublée, complotent ou se terrent pour échapper aux jugements et exécutions sommaires. L'intrigue principale s'enlise un peu dans des rebondissements accessoires, voire répétitifs, qui permettent à l'auteur de tenir son calendrier des événements et de donner à voir, entendre et sentir la peur, le sang, la misère et la saleté qui font de Paris un enfer. Mais Bordage reste un narrateur hors pair. Si ce second tome ne voit pas avancer l'action, il permet en tout cas de rendre avec un réalisme morbide la confusion et l'horreur qui régnaient alors. Le plaisir de lecture reste malgré tout au rendez-vous.

Catastrophes

Cinq romans composent cet omnibus consacré aux catastrophes dans la science-fiction : La Fin du rêve de Philip Wylie, Terre brûlée de John Christopher, Soleil vert de Harry Harrison, La Goélette des glaces de Michael Moorcock, et Génocides de Thomas Disch. On notera sans surprise que trois des auteurs sont britanniques, le thème catastrophiste étant récurrent chez nos amis d'outre-Manche. Ces romans ont tous été écrits entre 1956 et 1977, soit une période de vingt ans au cours de laquelle la prise de conscience écologique commençait à se faire jour, tout au moins chez les écrivains de S-F. Avant cette période, l'humanité connaissait des fins du monde plus brutales et plus spectaculaires, par la bombe atomique ou toute autre arme de destruction massive. Hiroshima était dans toutes les mémoires et personne n'avait encore pris la mesure des dangers que les activités humaines faisaient peser sur la planète.

La Fin du rêve reste à cet égard la plus saisissante mise en garde écrite avant que le mot écologie ne soit à la mode. Nous sommes en 2023 et quatre-vingt-dix pour cent de l'humanité a péri. Le narrateur, co-créateur de la Fondation pour la Préservation de l'Humanité qui tente de créer un nouveau noyau de civilisation, cette fois respectueux de la nature, raconte dans un ouvrage les étapes de la catastrophe, recensant méthodiquement l'eutrophisation des rivières, les sur-pêches, les pollutions urbaines, les calculs cyniques des financiers pour profiter des dégâts au lieu de les réparer. Même si des données ont aujourd'hui changé et que les menaces actuelles ne correspondent pas entièrement à celles que prophétisait Wylie, le réquisitoire est implacable et saisissant. Comme l'écrivait John Brunner, autre catastrophiste écologiste étonnamment absent de ces pages : « Il allait jusqu'au bout de sa pensée. » Malheureusement, ce roman de 1972 est plus que jamais d'actualité.

Terre brûlée pourrait être une anecdote s'inscrivant dans la trame des événements qui précèdent. Examinant la situation par le petit bout de la lorgnette, John Christopher imagine que, suite à une famine impossible à juguler, le gouvernement britannique projette de détruire ses grandes villes pour permettre aux autres de survivre. Mis dans la confidence, un homme tente, accompagné par sa famille, de regagner les terres de son frère agriculteur. L'équipée se transforme bien vite en mission périlleuse tant les instincts grégaires reprennent rapidement le dessus dès lors que l'ordre social n'est plus assuré. C'est avec une rapidité étonnante que de bons pères de famille se transforment en tueurs retors et impitoyables, guidés par le seul impératif de survie.

Le manque de nourriture est également au centre du célèbre Soleil vert de Harry Harrison, lié à celui de la surpopulation. Inutile de résumer ce livre popularisé à l'écran par Charlton Heston dans le rôle d'Andy Rush, le flic chargé d'enquêter sur le meurtre d'un privilégié. Harrison signe avant tout un polar efficace et nerveux, et met dans la bouche de ses protagonistes ses remarques concernant l'état de la planète. Le roman s'achève lors du passage à l'an 2000, dignement fêté, alors qu'un protagoniste se demande comment le monde pourrait encore continuer mille ans de la sorte.

Plus loin dans le temps, la société, qui a régressé et s'est adaptée au nouvel âge glaciaire, s'inquiète du redoux. Au cours d'un long périple maritime, Konrad Arflane découvre la cité mythique de New York, occupée par des gens ayant maintenu un haut niveau technologique qui lui apprennent, ainsi qu'aux passagers de La Goélette des glaces (ex Navire des glaces — on s'interroge sur la pertinence du changement de titre…) que les modifications climatiques avaient été provoquées par un hiver nucléaire. Comme trop souvent chez Moorcock, les longueurs et rebondissements sans intérêt amoindrissent la portée de la révélation finale. L'ensemble aurait pu tenir dans une novella.

Cet Omnibus s'achève sur une catastrophe qui n'a rien à voir avec l'écologie ni n'est la faute des humains. Génocides raconte comment les extraterrestres, en prenant la Terre pour un potager, organisent sans le savoir la fin de l'humanité, ici considérée comme parasite. Ce roman majeur de Thomas Disch, par sa noirceur et son humour pince-sans-rire, figure depuis longtemps dans le patrimoine de la S-F, mais n'aurait-on pas pu lui préférer, pour rester dans les préoccupations des précédents, un Sécheresse de Ballard ou un Tous à Zanzibar de Brunner ?

Comme la plupart des titres de cette sélection sont épuisés, cet ouvrage reste une acquisition indispensable à qui ne disposerait pas des éditions originales dans sa bibliothèque.

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