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Les critiques de Bifrost

Crépuscule d'acier

Crépuscule d'acier

Charles STROSS
LIVRE DE POCHE
535pp - 7,60 €

Bifrost n° 42

Critique parue en mai 2006 dans Bifrost n° 42

2006 sera-t-elle l'année Mozart Charles Stross ? Possible. En tout cas, après le remarqué Bureau des atrocités fin 2004, voici que la collection « Ailleurs et Demain » récidive ces jours-ci avec Une Affaire de famille, le premier opus de la série des Princes marchands. Quant aux éditions Mnémos, elles nous livrent ce Crépuscule d'acier (Singularity sky en VO, personnellement, je préfère), texte assez ancien de l'auteur, premier tome d'un diptyque complété par Iron Sunrise et finaliste du prix Hugo, comme à peu près tout ce qu'écrit Stross. L'auteur S-F dont tout le monde parle en Anglo-Saxonnie est-il sur le point de conquérir la France ? À voir. Reste que tout amateur exclusif de steampunk, si tant est qu'il y en ait, se jettera à coup sûr sur ce livre du fait de la couverture de Manchu. Et gageons qu'il risque d'être vite déçu : ici, c'est de space opera hard science post-singularité dont il est question. Aussi peut-on légitimement s'interroger sur la pertinence d'une telle couverture, un choix étonnant et décalé là où un bon vieux vaisseau des familles, sur fond d'étoiles, se serait révélé nettement plus « cœur de cible ». Bref… Passons sur cette erreur d'emballage toute relative et penchons-nous d'un peu plus près sur le contenu.

Lorsque le Festival, civilisation interstellaire constituée d'entités diverses et virtuelles, se place en orbite autour de Planète Rochard, c'est le début de la fin pour les habitants de ce monde appartenant à la Nouvelle République. En effet, dans ce pseudo-empire galactique, la technologie est officiellement bannie, histoire de mieux contrôler les masses. C'est donc une société de type victorien (d'où la couverture) qui va se confronter à une singularité économique : tout ce qui leur était interdit leur est désormais accessible, tous leurs souhaits sont désormais réalisables par le Festival, en échange d'informations. Imaginez que nous fassions un bon technologique de 500 ans en quelques heures : on voit d'ici le bordel ! De fait, une situation insurrectionnelle s'installe aussi sec sur Planète Rochard, ce que ne peuvent tolérer les dirigeants de la Nouvelle République. Ces derniers orchestrent donc une expédition militaire, l'idée étant de se rendre sur place plus vite que la lumière (si si !) afin d'arriver avant le Festival. Tout cela est bel et bon, à ceci près qu'une telle entreprise viole la loi de causalité, ce qui énerve sévère l'Eschaton, une entité omnisciente prétendument issue du futur à même de détruire un système entier d'un simple coup de supernova. Rachel Mansour, agent spécial de l'ONU, et Martin Springfield, ingénieur en astro-navigation, en contact avec un mystérieux employeur, vont se retrouver embarqués dans cette histoire tordue qui pourrait bien leur coûter la vie et, au passage, celle d'un paquet de systèmes solaires.

Batailles spatiales, militaires obtus (jusqu'à la caricature), entité quasi-divine, rien ne manque à ce space op'. Stross joue des clichés avec humour et, c'est une habitude, mêle les genres avec brio. Tout semble irréprochable dans ses explications scientifiques, explications qu'on ne se risquera pas ici à détailler, parce qu'il faudrait déjà les comprendre… Professeur Lehoucq, à l'aide ! Si cet aspect ardu rebutera plus d'un lecteur (à commencer par moi), Crépuscule d'acier reste un bouquin qui n'oublie pas de réfléchir (sur les aspects scientifiques, économiques, sociaux…), une bonne histoire sans autre prétention que de divertir. Un livre à lire, en somme, en attendant qu'un éditeur se penche sur le dernier roman en date de l'auteur, Accelerando, dont la lecture en anglais laisse toutefois plus que dubitatif : a-t-on affaire au premier chef-d'œuvre S-F du siècle nouveau, ou à un gros machin enflé, mode et prétentieux ? Pour ma part, j'aurais tendance à pencher vers la première hypothèse, mais on attendra sa parution sous nos latitudes pour confirmation.

Enfin, on conclura sur une pensée émue pour tous ces arbres sacrifiés sur l'autel de la tyrannie du gros livre : une dizaine de doubles pages vierges pour séparer les chapitres du roman, ça fait tout de même beaucoup…

Pascal GODBILLON

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