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Autonome

Avec les progrès des imprimantes 3D, les médicaments se copient à volonté, se modifient, s’adaptent – il suffit juste de posséder les connaissances scientifiques suffisantes. Et pour qui ne craint pas les avocats ou les gros bras des compagnies pharmaceutiques, il est même possible de vivre convenablement de ce piratage de brevets. Et si en plus on a un fond d’idéalisme, que le besoin de lutter contre ces monopoles injustes se fait sentir, la voie est toute trouvée. Jack Chen a basculé dans la clandestinité des années auparavant. Depuis, elle participe, à son niveau, à une résistance contre les grands groupes du médicament. Mais sa copie du Zacuity, un « merveilleux produit » permettant d’augmenter la productivité au travail, semble trop efficace. Certaines personnes se tuent littéralement à leur tâche, oubliant jusqu’à l’idée même de s’arrêter. Jack va donc tenter d’en apprendre plus sur cette molécule afin de comprendre les raisons de ces accidents mortels. Mais aussi de sauver sa vie. Car certains responsables préféreraient la voir disparaître, histoire d’éviter toute mauvaise publicité. Eliasz et Paladin sont donc envoyés à ses basques. L’un est humain. L’autre est un biobot.

Autonome séduit par la cohérence de son univers. Les imprimantes 3D permettant d’obtenir tout et son contraire (même si c’est loin d’être nouveau : Gavin Chait, dans Complainte pour ceux qui sont tombés – à paraître en novembre aux éditions du Bélial’ –, et bien d’autres ont anticipé cette révolution technique en passe de modifier notre relation aux objets) ; la mousse synthétique aux propriétés multiples, utilisée par exemple pour les routes ; les multinationales pharmaceutiques verrouillant toutes la production de médicaments ; les Freelabs et leur lutte contre les précédentes ; les liens entre les robots ; et donc, les biobots, ces êtres artificiels dont la carapace renferme un cerveau humain nécessaire pour distinguer les visages, et, avant tout, comprendre les émotions retranscrites par leurs traits. Le roman est rempli de ces êtres aux formes variées, mais l’on suit en particulier Paladin lors de sa première mission. Il y découvrira les humains, leur façon d’agir et leurs sentiments. Eliasz est en effet rapidement et fortement attiré par son coéquipier mécanique. Et Paladin doit comprendre en quoi tout cela consiste avant de réagir convenablement ; prendre de lui-même une décision, si sa programmation le lui permet.

Car le grand thème de ce roman est, comme son titre l’indique, le lien d’asservissement : les robots asservis aux humains, cela ne choque a priori personne. Mais d’autres humains asservis à leurs semblables, cela ressemble furieusement à de l’esclavage. Et pourtant, c’est l’une des bases de cette société du XXIIe siècle. Tout le monde peut, s’il n’a pas les moyens de vivre, donner à un autre, via un contrat, tout pouvoir sur sa personne – contrat qui peut alors, le cas échéant, être revendu à un tiers. Ainsi est-il possible de changer de propriétaire, mais également de rôle, sans avoir son mot à dire : perspective peu réjouissante que connaissent quantité d’individus.

Pour intéressant que soit l’univers du roman, il n’en est pas moins d’une lecture laborieuse tant l’auteure se montre peu habile, dans l’expression des sentiments de ses personnages comme dans la progression de son action. Restent des pistes de réflexion fascinantes sur certains progrès de la science et notre façon de nous y adapter. Une nécessité, comme toujours : imaginer le futur pour mieux nous y préparer. On suivra de fait les prochains écrits d’Annalee Newitz et son imaginaire vivifiant, en espérant qu’elle hisse sa maîtrise narrative au niveau de ses projections prospectives.

Vengeresse

Dans un futur lointain, où s’étend une Congrégation riche de cinquante millions de planètes, humains et extraterrestres, parmi lesquels des Rampeurs, des Dards, des Cornus, des Cagneux ou des Globuleux, sillonnent la galaxie. Des civilisations ont grandi et se sont effondrées. Il reste, sur les mondes abandonnés – qui peuvent être des mondes roues, des mondes tubes, truffés de pièges inattendus, protégés par des écrins, puissants champs magnétiques ne s’ouvrant qu’à des moments précis pour des durées aléatoires – des trésors de technologie oubliée qui suscitent des convoitises. Les meilleures ressources ont déjà été pillées, certaines sont plus proches de la légende ou bien ont été délaissées tant leur accès est dangereusement mortel. Pour localiser ces mondes comme pour communiquer ou s’espionner entre vaisseaux, il est nécessaire d’avoir un crâne extraterrestre. En établissant un pont neuronal qui sert d’amplificateur, il est possible aux « oracles », qui disposent d’un don particulier et ont été correctement entraînés, d’entendre les voix qui chuchotent dans les crânes. L’exercice n’est pas sans risque : un esprit alien s’introduisant dans l’esprit d’un oracle trop faible pour le contenir mène à la folie et à la mort.

Le crâne pourvu de trous dans lequel brancher le pont neuronal pour obtenir le meilleur contact fait songer à un poste de radio où chercher la fréquence adéquate tandis qu’à l’arrière plan, on entend des parasites entrecoupés de conversations lointaines.

Sur Mazarile, les deux sœurs Ness tentent de s’épanouir malgré un père trop protecteur en difficulté financière suite à de mauvais investissements. Plus hardie et vindicative, Adrana, l’aînée, entraîne sa docile sœur Arafuna dans les bas quartiers pour se faire confirmer qu’elles ont toutes les deux le don de lecture des os. Elles sont contraintes de s’enrôler sur le navire du capitaine Rackamore, qui a besoin de nouveaux oracles ; c’est pour elles l’occasion de rembourser les dettes paternelles. Toutes deux font connaissance avec le personnel du bord, comprenant, outre les oracles, un ouvreur, une intégratrice et une évaluatrice, toutes compétences nécessaires pour calculer la date et la durée d’ouverture d’un écrin, forcer un passage ou détecter du premier coup d’œil les éléments susceptibles d’avoir un intérêt.

Bien entendu, le graal que tente de récupérer le capitaine Rackamore éveille l’avidité de beaucoup, à commencer par la légendaire Dame-Écarlate, Bosa Sennen, qu’on dit immortelle…

Ce space opera de facture classique est un flamboyant hommage aux histoires de pirates, avec leurs courses au trésor et leurs abordages de navires ennemis. C’est aussi un roman de formation où la narratrice, Arafuna, se révèle à elle-même au cours d’éprouvants épisodes. Atypique dans la production d’Alastair Reynolds, Vengeresse, qui ressemble davantage à un roman jeunesse mâtiné de hard science qu’aux récits plus réalistes ou spéculatifs auxquels il nous avait habitués, se laisse lire sans déplaisir.

La Grâce des rois

L’archipel de Dara est composé de sept royaumes, qui ont été unifiés par le roi de Xana, désireux de voir cesser les guerres et les conflits appauvrissant les populations grâce à la supériorité de sa technologie, à savoir des aérostats, gonflés par un gaz peu répandu dont il garde jalousement l’accès, lesquels permettent de bombarder ses ennemis. Devenu l’empereur Mapidéré, il a imposé une langue et une écriture uniques pour propager le savoir et se passer des érudits locaux susceptibles de comploter contre lui. Son Règne Diaphane génère cependant des mécontentements, vu la persistance des inégalités, la corruption des puissants et le poids des impôts. Les révoltes, sévèrement réprimées, n’empêchent pas quelques opposants de faire entendre leur voix et de convaincre des régions d’entrer dans la lutte.

Parmi eux, Mata Zyndu, dont la famille a été déchue et privée de ses biens, redoutable guerrier à l’inflexible code d’honneur, a fait le serment de restituer son clan dans ses droits. Outre sa taille gigantesque, il est un Double Prunelle doté de deux pupilles dans chaque œil, ce qui lui confère une vision affûtée. À l’opposé, le rusé et intelligent Kuni Garu, jeune oisif qui fait le désespoir de ses parents, est un beau parleur qui s’enivre dans les tavernes en régalant les clients de ses histoires. Il est l’épris de liberté que le refus des contraintes transforme en rebelle et met, contre son gré, à la tête d’un soulèvement. La vaillance guerrière de l’un et les qualités de stratège de l’autre font de leur alliance l’élément de la victoire, mais aussi le ferment d’oppositions futures, chacun ayant sa propre conception de l’exercice du pouvoir.

On retrouve des traces du 1984 de George Orwell lorsqu’un tyran impose à ses sujets de voir un cheval à la place d’un cerf. Machiavel et L’Art de la guerre de Sun Tzu ne sont pas bien loin non plus. D’ailleurs, au fil des alliances et des trahisons, des complots et des négociations, sont déclinées toutes les formes de dévoiement et de répression de l’histoire humaine : la terreur, la manipulation par l’ignorance, l’autoritarisme aveugle, la peur paranoïaque d’hypothétiques rivaux, la division des adversaires. Les motifs sont également répertoriés  : la vanité s’accordant des privilèges, l’orgueil développant un culte de la personnalité, le refus de la contradiction, les décisions prises sans concertation, la concupiscence, la négligence des affaires courantes, la jalousie de l’éternel second, etc. Les exemples puisent dans l’histoire de toutes les civilisations ; ainsi, il est impossible de ne pas penser à Marie-Antoinette à la veille de la Révolution française lorsque l’em-pereur, apprenant que le peuple manque de riz, propose qu’il mange de la viande à la place, ni à la CIA et à la NSA lorsque les espions des Soies Noires sont à leur tour espionnés par les Soies Grises. Si « la grâce des rois n’est pas à confondre avec les valeurs morales qui régissent chaque individu  », force est de constater que le pouvoir manipule davantage son détenteur que celui-ci ne croit en disposer. Ken Liu enfonce davantage le clou : «  Plus l’idéal touche à la perfection, moins la méthode est morale.  »

Premier volume de la trilogie de «  La Dynastie des Dents-de-Lion », le récit se base sur des légendes de la dynastie Han, au huitième siècle de notre ère, qu’il adapte librement, un peu à la façon de George R. R. Martin dans «  Le Trône de fer ». Le décor est fouillé, la narration précise, riche en détails favorisant l’immersion dans une culture médiévale chinoise. En arrière-plan s’agitent les dieux de chaque nation, davantage supporters que spectateurs, qui commentent les évènements et chuchotent à l’oreille des dirigeants des conseils destinés à modifier l’issue d’une affaire. À l’exception d’un livre dont les pages blanches se noircissent lorsque son lecteur les parcourt tel un oracle, livre d’ailleurs intitulé Connais-toi toi-même à l’image des Témoins de Delphes décrits par Socrate, la magie est quasiment absente. Si la superstition imprègne encore largement la société, et autorise quelques manipulations, celle-ci est davantage axée sur une technologie à base de soie et de bambou, qualifiée de silkpunk, en opposition à l’acier et la vapeur du steampunk occidental. Cette science présente quelques inventions assez originales et distrayantes ; elle se double là aussi d’autres emprunts : le miroir orienté sur des navires pour embraser leurs voiles fait référence au légendaire stratagème d’Archimède lors du siège de Syracuse, alors que la constante de Lutho, qui calcule la probabilité de situations chaotiques, dérive de celle de Boltzmann, père de la statistique.

Le roman est foisonnant, riche en trouvailles et en aphorismes à l’orientale. Malgré tout, on ne retrouve pas la finesse de L’Homme qui mit fin à l’histoire ou des nouvelles de La Ménagerie de papier. Le récit n’est en effet pas exempt de longueurs ni de lenteurs, interrompant l’action pour délivrer des détails biographiques ; les personnages sont souvent stéréotypés, ce qui peut s’expliquer par leur profusion. Le tout est parfois conté avec une naïveté proche de la caricature, pour correspondre au ton et au style des chroniques de l’époque. Ce parti pris n’est qu’intermittent, d’où un aspect en dents de scie qui laisse mitigé, impression qui se dissipe dans la seconde moitié du roman avec le retour à une narration plus contemporaine. Les amateurs de fantasy ne seront malgré tout pas déçus : l’ensemble est parsemé de belles trouvailles et de scènes épiques qui incitent à lire la suite.

La Fabrique des coïncidences

Guy, Emily et Éric sont de la promo 75 de la fabrique des coïncidences. Avant cela, ils étaient respectivement ami imaginaire, ce qui consiste à prendre l’apparence rêvée par un enfant qu’on accompagne au long de son développement, allumeur, sorte de Cupidon moderne, et distributrice de chance. Leur rôle consiste à fabriquer des coïncidences propres à améliorer la vie des gens, en fonction de techniques assez simples au départ, puis de plus en plus élaborées quand il faut tenir compte d’un grand nombre d’incidences. Les solutions chocs ou violentes comme un drame salvateur ou une mort bienvenue pour une avancée de carrière sont bannies ; on cherche en général à impacter le moins possible la vie des autres.

Ces agents secrets du bonheur reçoivent la veille une enveloppe glissée sous la porte pendant leur sommeil comprenant la nature de leur mission et la durée d’exécution. Celles-ci sont encore assez simples : les clichés-dropping de base se déclinent sous forme de CD classique, postmoderne, ou sur mesure, qui consistent par exemple à fredonner un air ou prononcer, à proximité d’oreille, mais dans une mise en scène qui paraît naturelle, un avis, une suggestion, qui fera son chemin dans l’esprit de la cible. Il existe plusieurs niveaux de faiseurs de coïncidences dont, en haut de la hiérarchie, les Chapeaux noirs, capable de calculer des coïncidences à long terme, jouant sur quelques actions négatives, ce qui exige du doigté et une prise en compte quasi exponentielle de chaînes de causalité.

Pour donner une idée du processus, les premières missions des nouveaux agents sont assez simples : il s’agit par exemple d’inciter un comptable à l’esprit trop rationaliste à écrire des poèmes afin qu’il mette un peu d’émotion dans sa vie. Mais il faut aussi favoriser le travail d’un tueur à gages, surnommé l’Homme au hamster, pour servir des projets plus élaborés.

À partir de cette trame, l’auteur tire des situations assez cocasses, et expose même de façon très drôle, dans des chapitres intermédiaires, les théories à la base de ces techniques perfectionnées au fil du temps, ou qui ont connu diverses écoles, comme dans n’importe quelle discipline. Rien de magique, donc (encore que le job d’ami invisible changeant d’apparence au gré du bénéficiaire soit laissé sous le tapis), mais de subtiles manipulations basées sur le concept du démon de Laplace, une expérience de pensée stipulant que la connaissance de tous les paramètres de l’univers permet de connaître son évolution ultime, voire de modifier, comme dans la théorie du chaos, le battement d’aile du papillon qui changera le cours de l’Histoire.

Progressivement, il s’avère que les manipulations s’effectuent à tous les niveaux et que les méthodes, comme les intentions des dirigeants, ne sont pas si inoffensives ni si éthiques qu’à première vue : du manipulateur au comploteur, il n’y a qu’un pas. Le règlement stipule qu’il est impossible de refuser une mission, et que la démission entraîne des conséquences ignorées des agents.

Il s’agit en fait d’une variation rondement menée sur les modifications de trames temporelles, avec, aussi, des paradoxes quand les événements s’emboîtent comme des poupées gigognes. On pense à La Fin de l’éternité d’Asimov, où l’Histoire est sans cesse améliorée, mais ici appliqué à l’individu, bien que les nouvelles chaînes causales peuvent avoir des impacts à des échelles incommensurables.

C’est ainsi que Guy est amené à accomplir une mission qui est pour lui un dilemme cornélien. Réflexion sur le libre-arbitre et sur les attitudes de tout un chacun à l’heure du choix, ce récit, dont l’intensité dramatique ne faiblit pas, se double également d’une histoire d’amour elle aussi subtilement ficelée, en lien avec le thème principal. Une sorte de parcours sur la corde raide tout en élégance et en fraîcheur. La fin flirte avec le fantastique tout en s’appuyant sur quelques concepts de physique quantique, ce qui est une autre façon d’introduire le hasard, le vrai, dans la trame du réel.

Il n’est pas courant de lire de la science-fiction venue d’Israël. Yoav Blum, concepteur de logiciel, a écrit ici un premier roman imaginatif, subtil et drôle à la fois. La Fabrique des coïncidences est une heureuse surprise.

Dimension Antarès

De 1981 à 1996, Jean-Pierre Moumon et Martine Blond ont crée et animé Antarès, fanzine trimestriel de qualité professionnelle (avec quelques retards et éclipses), qui connut 47 numéros. Du courage, il en fallait pour réaliser avec peu de moyens une revue au contenu copieux nourri par une infatigable curiosité à lire et dénicher de par le monde des récits de bonne facture, puis les traduire (Moumon traduit au moins quatorze langues). En réaction à une littérature anglo-saxonne envahissante, Antarès désirait faire entendre les voix des pays auxquels personne ne s’intéressait. Nul ostracisme, cependant : Brian Aldiss, Poul Anderson ou Sylvie Denis figuraient au sommaire, mais il s’agissait d’équilibrer avec les autres pays. Autant dire que, seule sur son créneau, la revue n’avait pour ainsi dire pas de concurrence : seuls quelques auteurs italiens ou allemands, et peut-être deux Russes et un Polonais, parvenaient à s’insérer dans le paysage éditorial français. Certes, la période n’était pas favorable à l’Imaginaire, et il aurait été impensable de traduire des textes alors que les auteurs français peinaient à publier les leurs. Mais face à la position quasi hégémonique des Anglais et Américains, force est de reconnaître que les éditeurs et lecteurs n’étaient guère curieux, supposant peut-être que dans un pays de faible production, la qualité ne pouvait qu’être médiocre. Les infatigables animateurs d’Antarès entendaient démontrer le contraire.

En témoignent les six nouvelles rassemblées ici, aux tons et aux thèmes aussi variés que leurs origines.

« Danse de la mort » , de la Suédoise Bertil Mårtensson, est précisément un de ces récits qui, autour de la physique des trous noirs, et plus précisément de l’horizon des évènements, propose une intéressante réflexion philosophique sur le thème de la quête de l’immortalité.

« Les Montagnes de la Lune » , de l’Italien Riccardo Leveghi, qui mélange plusieurs mythologies censées receler une même vérité, ne retient l’attention que le temps de la lecture, en raison notamment de son bavardage.

Ce n’est pas le cas de « Planète de vie », du Roumain Gheorghe Sasarman : suspense et tension sont au rendez-vous lors d’une discussion orageuse à bord d’un vaisseau spatial échoué sur une planète, à propos de la pertinence d’envoyer une nouvelle mission de secours chercher les deux premières ayant disparu. On songe à Solaris, pour l’aspect incompréhensible de la planète et la difficulté de communication avec une entité extraterrestre trop dissemblable. Le final est de toute beauté.

Écrit en castillan par une philologue anglo-germaniste et hispanique vivant en Autriche, « La Dame-dragon », d’Elia Barceló, est le nom donné à Luna par les autochtones qu’elle étudiait, suite au culte qu’elle a instauré afin d’assurer sa survie et échapper à la solitude après que son vaisseau l’a abandonnée. Transgression du point de vue anthropologique et éthique ? Deux récits entrelacés permettent de reconstituer les événements et de découvrir l’histoire dans l’histoire.

« L’Éthique d’une trahison » , du Brésilien Gerson Lodi-Ribeiro, inverse l’issue de la guerre du Brésil et de l’Argentine contre le Paraguay : vainqueur, celui-ci n’a pas été démantelé mais a absorbé ses ennemis sous une grande république instaurant la Pax Paraguayana. Des problèmes racistes subsistent cependant. Cette uchronie sur fond de voyage temporel pose la question éthique des changements de trame historique.

Enfin, « Tandem », novella norvégienne d’Øyvind Myhre, combine une ambiance western avec une intrigue politique se déroulant sur Mars, où s’est imposée une société anarchique. Tout y est, suspense et action, humour et émotion, un substrat scientifique précis assorti d’un discours politique et philosophique parfaitement intégré à la narration. Un excellent texte, parsemé aussi de clins d’œil à la SF classique.

Chaque texte est accompagné d’une présentation de l’auteur et d’une bibliographie des parutions en France. En annexe, on trouve un index des parutions, qui donne une idée du copieux matériel des 47 numéros de la revue. Seul bémol, la présence de fautes et de coquilles typographiques — en espérant qu’un prochain volume présentant d’autres trésors d’ Antarès veillera à les éliminer.

Gwendy et la boîte à boutons

L’oncle Stevie, en sus de ses romans d’horreur, a coutume d’écrire, de temps à autre, des textes (un peu) plus suaves qui vont lorgner sur des territoires moins adultes, de « Le Corps » (qui a engendré l’une de ses plus belles adaptations à l’écran, Stand by me) à La Petite fille qui aimait Tom Gordon en passant par Les Yeux du dragon. On est ici dans un registre proche, avec ce long conte qui aurait fait un excellent scénario pour La Quatrième dimension.

En cet été 1974, Gwendy, une dizaine d’années, a décidé qu’elle en a assez des moqueries su-bies à l’école primaire de Castle Rock ; il s’agit de maigrir, de se remettre en forme. Et donc elle court, ce qui l’emmène régulièrement sur les Marches des suicidés, vertigineux escalier à flanc de falaise, au sommet duquel, dans le parc, un jour, elle rencontre un individu qui gagne sa confiance, puis lui offre une boîte. Une boîte à boutons. (Toute ressemblance avec une nouvelle de Matheson – et ses deux adaptations, télévisuelle et cinématographique – n’est, bien sûr, guère fortuite.)

La boîte est riche de promesses. Elle peut fournir un bonbon, différent chaque jour, toujours délicieux. Et aussi, quoique plus rarement, un dollar en argent, d’une valeur non négligeable, dont l’accumulation devrait pouvoir un jour payer les études de notre héroïne. D’autres boutons permettent des destructions massives sur d’autres continents, ou peut-être encore pire. Que va faire Gwendy ? Profiter de la boîte… ou s’en instituer la gardienne ?

Difficile de déterminer l’apport de Richard Chizmar – auteur reconnu, mais aussi créateur de l’excellent magazine Cemetery Dance et de la maison d’édition qui en émane – à ce court roman, tant il s’est bien fondu dans le processus de co-écriture. Toujours est-il que ce texte bradburyen, posé, propose plus de doux frissons que d’affreux spasmes. La version française de Michel Pagel, élégante, évidente, prouve une fois de plus, s’il en était encore besoin, qu’il y a moyen de bien traduire King dans notre langue. À bon entendeur…

Ce beau petit objet, cette « Une heure-ténèbre », a le charme suranné d’un berlingot acidulé. Même s’il faut avouer qu’on a là du Steve en mode mineur, il serait dommage, vu son prix modique, de ne pas se laisser tenter.

Le Guide Lovecraft

Howard Phillips Lovecraft. Y a-t-il un écrivain des mauvais genres (voire un écrivain tout court) sur lequel on a projeté plus de fantasmes, colporté plus de fables ? Tel un miroir, le personnage reflète les intentions de tel biographe, les simplifications de tel thuriféraire, les arrangements de tel champion. C’est ça, d’être né au XIXe siècle et de mourir jeune  : on ne peut rien répondre à August Derleth ou à Michel Houellebecq.

Mais certains veillent. Christophe Thill possède toutes les clés pour rétablir les vérités et cerner les qualités de Lovecraft, l’homme et l’auteur. Qu’il s’en acquitte avec autant de concision que de précision mérite un coup de chapeau.

Les lecteurs d’autres « Guides » de chez ActuSF, par exemple le Dick ou bien le Howard, se retrouveront en terrain connu. Après une biographie et une remise en question des idées reçues (non, HPL n’était pas reclus, ni mystique, ni même si misanthrope, et son racisme est devenu moins universel avec le temps, sans qu’il réussisse à accepter les Noirs comme des égaux), Thill effectue un bon examen de l’œuvre, dézinguant au passage le mythe du « Mythe de Cthulhu » purement et simplement inventé par Derleth. Suivent deux sections qui mettent en exergue au total trente textes (dont deux essais et un cycle de poèmes).

L’exploration se poursuit par des sections sur les constantes (ou pas), sur les compagnons de route et les disciples (jusqu’à nos jours), sur les adaptations (à l’écran, en BD, en JdR bien sûr, etc.), et se termine par un petit lexique fort bien vu.

Le Guide Lovecraft est un ouvrage mesuré mais complet, précis, instructif, à placer entre toutes les mains, notamment celles des gens qui croient connaître le bonhomme et son œuvre. Car s’il y avait bien une attitude intellectuelle dont se méfiait HPL, ce rationaliste fervent, c’était la croyance. À bons entendeurs…

Quand je ne regarde pas

Ne se réduisant pas à une marge désolée de l’Imaginaire, la septentrionale Finlande en constitue une contrée à part entière. Bifrost s’est souvent fait l’écho de romans en provenance de la terre du Kalevala : ceux de Johanna Sinisalo (pas plus tard que dans le présent numéro), de Emmi Itäranta, de Antii Tuomainen, ou bien de Pasi Ilmari Jääskelaäinen. La publication de Quand je ne regarde pas offre l’opportunité d’approfondir la connaissance de cette « Finnish Weird » illustrée par ces écrivaines et écrivains. Toutes inédites, les huit nouvelles de cette anthologie ont été écrites par autant d’auteurs (sept femmes et un homme) jamais traduits en français. Selon les biobibliographies clôturant l’ouvrage, les unes apparaissent comme des auteures aux œuvres déjà conséquentes (Maija Haavisto, Magdelana Hai, Anne Leinonen, J.S. Meresmaa, Anni Nupponen, Tina Raevaara), les autres semblent être à l’orée de leur carrière littéraire (Maria Carole, O.E. Lönnberg). Mise à part «  Quand je ne regarde pas » (Maija Haavisto) – récit dystopique sur les désastreux effets de lentilles connectées –, toutes les nouvelles relèvent du fantastique. Celui-ci plonge fréquemment ses racines dans un imaginaire ainsi que dans une topographie éminemment finnois. S’inscrivant chacune dans une nature sylvestre, «Le Liè-vre » (Anne Leinonen), «L’Éternité, comme d’habitude » (J.S. Meresmaa), «Le Marais au mort » (Magdelana Hai) et «  Le Dieu de la rivière » (Anni Nupponen) mettent en scène des créatures évoquant plus ou moins explicitement l’univers animiste du Kalevala. « Poupée de chiffons» (O.E. Lönnberg), « La Mort de Matilda» ainsi que « Mon roudoudou, mon adorée » travaillent quant à eux des espaces et des motifs plus transnationaux. Toutes trois se déroulent en d’anonymes milieux urbains. Faisant à peine plus d’une page, « Poupée de chiffons» a des allures de mini « Horla ». «  La Mort de Matilda » explore elle aussi le trouble identitaire au travers d’un récit de hantise. Quant à «  Mon roudoudou, mon adorée », elle mêle surnaturel horrifique et obsession érotique, et constitue, par ailleurs, l’une des réussites de Quand je ne regarde pas. Cette histoire d’inhabituel godemiché trouble autant qu’elle inquiète en exposant la noire psyché de son mâle de narrateur. D’une écriture elle aussi fort convaincante, « Le Dieu de la rivière » éclaire d’un jour à la fois étrange et touchant le mal-être d’une adolescente. Une démarche et une thématique communes à «L’Éternité, comme d’habitude » et à « Le Lièvre », où le fantastique métaphorise avec empathie les souffrances de ses jeunes héroïnes. D’une narration moins achevée car parfois un peu trop elliptique, ces récits n’en ménagent pas moins d’inquiétants moments, de même que « La Mort de Matilda » et «Poupée de chiffons ». Seuls «  Quand je ne regarde pas » – à la construction inutilement complexe – et « Le Marais au Mort » — d’une écriture bien plate — déçoivent. Ce qui n’empêchera pas, on l’aura compris, de recommander cette très agréable balade dans l’Imaginaire finnois.

Le Reich de la lune

Comme l’annonce sans ambages son titre français, ce nouvel opus de la Finlandaise Johanna Sinisalo (dont trois des précédents romans, Jamais avant le coucher du soleil, Le Sang des fleurs et Avec joie et docilité, ont été respectivement chroniqués dans Bifrost) combine en une même uchronie science-fictionnelle nazisme et astre nocturne… Le Reich de la Lune épouse ainsi le point de vue de Renate Richter, descendante de nazis ayant trouvé refuge sur la face cachée de la Lune après la défaite de l’Allemagne hitlérienne. Pressentant à partir de 1944 l’effondrement du IIIe Reich, les dirigeants nationaux-socialistes conçurent alors la «  très secrète opération Papillon ». Celle-ci consistait en la fabrication d’une flotte de vaisseaux spatiaux dissimulée dans l’Antarctique. Et ce, afin de transporter vers la Lune femmes et hommes strictement sélectionnés en vue de la création d’une colonie nazie. À charge pour ces sélénites en chemise brune de partir ensuite à la conquête de la Terre… Adoptant comme dans ses romans précédents une structure composite, Johanna Sinisalo donne au Reich de la Lune la forme d’un journal intime auquel s’entremêlent des archives apocryphes. Consignées par Renate entre 2001 et 2047, ces notes éclairent aussi bien son histoire personnelle – de l’enfance à l’orée de la vieillesse – que celle « avec un grand H » de ce Reich d’outre-espace. D’abord observatrice attentive du fonctionnement quotidien de « Schwarze Sonne » — l’officiel toponyme de la colonie –, Renate deviendra une actrice essentielle de sa tentative pour s’emparer de la Terre durant l’année 2018… Ainsi que Johanna Sinisalo l’explique dans la postface du Reich de la Lune, ce roman lui a été inspiré par sa collaboration au film Iron Sky (2012). Réalisé par Timo Vuorensola, il s’appuyait en effet sur une histoire conçue par l’écrivaine. De celle-ci, le scénario final de Iron Sky ne retint cependant qu’une partie. Sorte de « writer’s cut », dixit Johanna Sinisalo, Le Reich de la Lune lui a permis de mettre littérairement en scène l’intégralité de l’univers qu’elle avait alors élaboré. Ne se réduisant donc pas à une simple novélisation, ce roman s’inscrit pleinement dans l’œuvre de l’écrivaine. Hormis son mélange formel, Le Reich de la Lune partage avec ses autres romans une même dynamique narrative : celle d’une désaliénation. Retraçant, comme le récent Avec joie et docilité, le parcours d’une émancipation féminine, Le Reich de la Lune y associe celui d’une dénazification toute personnelle. Au terme du roman, son héroïne aura aussi bien rompu avec sa soumission au patriarcat qu’avec l’idéologie hitlérienne. Convaincant quant à sa dimension féministe, le livre l’est en revanche beaucoup moins concernant son évocation du nazisme. Le Reich de la Lune révèle en effet une approche profondément discutable du racisme hitlérien. La transformation science-fictionnelle par les nazis lunaires de James Washington (un astronaute afro-américain) en aryen canonique témoigne d’une naïveté certaine quant à l’essence du nazisme. Celui-ci considérait les supposées différences raciales comme strictement indépassables. Plus gênant encore, l’antisémitisme est réduit dans le roman à quelques mentions fugaces, la Shoah est à peine évoquée. Ainsi, c’est une dérangeante manière de « nazisme soft » que Johanna Sinisalo donne maladroitement à voir avec Le Reich de la Lune. On est donc très loin du Maître du Haut Château de Philip K. Dick, ou bien encore de Rêve de fer de Norman Spinrad, œuvres qui surent tirer le meilleur parti de l’Imaginaire pour plonger au plus vrai de la Weltanschauung nazie.

Le Magasin de jouets magiques

« L’été de ses quinze ans, Melanie découvrit qu’elle était faite de chair et de sang. » Cette phrase liminaire du roman Le Magasin de jouets magique dévoile aussi bien sa protagoniste que le cœur de son propos. Le deuxième roman de la Britannique Angela Carter narre en effet l’initiation de son héroïne aux mystères d’Éros (« la chair ») et de Thanatos (« le sang »). En « bonne » sadienne (par ailleurs essayiste, Angela Carter est l’auteure de La Femme sadienne, une réflexion féministe sur l’œuvre du divin Marquis publiée en français chez Henri Veyrier), l’écrivaine lie plus qu’étroitement les découvertes de la sexualité et de la mort par Melanie. C’est ainsi, aux instants mêmes de ses premiers émois sensuels, que décèdent brutalement sa mère et son père. La voici dès lors contrainte d’abandonner la demeure de son enfance – maison cossue de la campagne anglaise – pour une banlieue londonienne déclassée. Accompagnée de Jonathan et Victoria, ses jeunes frère et sœur, Melanie est recueillie par son oncle Philip. Ce dernier tient la boutique donnant son titre au roman, secondé par son épouse Margaret et les frères de celle-ci, Francie et Finn. C’est au sein de cette famille d’adoption que Melanie achèvera sa double initiation, entrant ainsi, définitivement, dans l’âge adulte…

Épousant le point de vue le plus intime de son héroïne, le roman déploie un univers entièrement transfiguré par l’imagination de celle-ci. Kaléidoscope de visions empruntées – entre autres sources fictionnelles – à Poe (1) ou aux films de la Hammer, l’imaginaire de Melanie métamorphose son âpre quotidien d’orpheline déclassée en une aventure empreinte de gothique. Le logis misérable de l’oncle Philip aux « interminablescouloirs bruns et [aux] portes secrètes et hermétiquement closes » se mue ainsi en « château de Barbe-Bleue ». Dans ce « monde de folie » où les objets les plus prosaïques se nimbent d’un « air bizarre et exotique », ses occupants revêtent des atours légendaires. Melanie voit en Finn «un satyre. Peut-être ses jambes étaient velues sous son pantalon élimé ». Margaret a parfois l’apparence d’une « Reine d’Assyrie », parfois celui d’«  une déesse du feu ». Mais nul n’égale en terrifiante étrangeté l’oncle Philip « sculpté ou taillé dans le tonnerre » ; celui-ci se muant au plus fort de la peur qu’il inspire à Melanie en « Bête de l’Apocalypse ».

D’une imagerie luxuriante, son écriture érige ce Magasin de jouets magique en un fascinant espace littéraire, situé à mi-chemin entre le manoir schizophrène de Nous avons toujours vécu au château (Shirley Jackson) et le mouroir à dieux de Malpertuis (Jean Ray). De ce « hors-lieu », Angela Carter fait le cadre idéal d’un conte moderne sur la violence patriarcale. Faisant naître le fantastique du trouble de la perception, l’auteure mêle à celui-ci une critique féministe, aussi radicale qu’ironique. Splendide réussite, Le Magasin de jouets magique se range ainsi aux côtés de ces autres apports majeurs aux littératures de l’Imaginaire par Angela Carter que sont Les Machines à désir infernales du Docteur Hoffman (judicieusement réédité en mars 2018 par les éditions Inculte dans leur collection de poche « Barnum ») et La Compagnie des Loups. Grâces littéraires soient donc rendues à Christian Bourgois de l’avoir remis en avant – presque vingt ans après sa première publication française – en l’incluant dans sa collection de poche.

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