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Le Chant du barde

Ce recueil de neuf novellas, classées par ordre chronologique et multiprimées, n’a pas son équivalent dans les pays anglo-saxons.

« Sam Hall » se déroule dans une dystopie américaine. En créant de toute pièce la figure d’un rebelle à l’ordre établi à partir d’une chanson du folklore, l’homme ordinaire se dépasse, fait du risque une entreprise morale. Alors que, d’ordinaire chez Anderson, le héros est déjà totalement lui-même, il est ici doublement en devenir, via le champion fictif de la rébellion et à travers un homme qui découvre en lui des trésors de vitalité insoupçonnés. « Penser, c’est dire Non », disait Alain. La nouvelle est publiée en août 1953, année mouvementée pour les États-Unis qui voit se résoudre le conflit en Corée, connaît l’exécution des époux Rosenberg sur la chaise électrique, et subit le pic de virulence de la chasse aux sorcières conduite par Joseph McCarthy.

« Jupiter et les centaures » décrit l’entreprise d’étude de, puis d’implantation à long terme sur, Jupiter, une planète balayée par des ouragans d’ammoniac. Dans cette perspective, Edward Anglesey, handicapé en chaise roulante qui s’est porté volontaire, parcourt la surface via le corps bleu ardoise d’un « pseudo-Jovien » qu’il contrôle psychiquement à soixante-quinze mille kilomètres de distance. En fait, Anglesey se sent plus proche de ce corps que du sien propre, et un désir instinctif le pousse à privilégier ses séjours simulés sur la planète. La vitalité animale qu’il ressent lui rendra son humanité. On l’aura compris, une bonne part d’Avatar de James Cameron est déjà dans ce récit.

« Long cours » est une superbe nouvelle dans la lignée des grands récits d’exploration. Le narrateur est embarqué dans l’équipage du capitaine Rovic. Son navire, Le Sauteur d’Or, est allé plus loin que tout autre bâtiment dans l’exploration de ce nouveau monde. L’état de la culture et de la société équivalent à notre xvie siècle, mais l’on conserve sous forme de croyances le souvenir lointain de Terra, la planète mère. Or, le capitaine découvre un astronef qui, s’il partait, entraînerait dans un mouvement inverse l’arrivée à plus ou moins long terme de la culture terrienne, devenue étrange et étrangère. Rovic a alors une vue claire des deux futurs divergents qui se présentent à son monde. Pour ne pas être dépossédé de l’Histoire qu’il leur reste à bâtir, il fait sauter l’astronef. On pense bien sûr à Hernán Cortés brûlant ses vaisseaux pour obliger ses hommes à découvrir le Nouveau Monde.

« Pas de trêve avec les rois » nourrit une problématique commune au texte précédent. Les Etats-Unis sont déchirés par un conflit post-apocalyptique qui prend la forme d’une nouvelle guerre civile. Comme souvent dans ce type de récit, les deux camps comptent des hommes estimables. En réalité, une force extraterrestre détermine l’avenir du peuple en le manipulant depuis les coulisses de l’Histoire. « C’était surtout pour votre propre bien, vous voyant tellement torturés, que nous désirions vous guider vers l’avenir », plaide l’un des aliens bien intentionnés, mais l’on sait de quoi est pavé l’enfer.

« Le Partage de la chair » explore à nouveau la problématique du même et de l’autre, à travers la confrontation de différents peu-ples issus d’une même souche terrienne. En mission d’étude sur la planète Lokon, le chercheur Donli Sairn est tué par son guide appartenant à une tribu primitive. Cela, sous les yeux de sa femme qui assiste au massacre via son transmetteur audiovisuel. Le corps de l’explorateur semble profané, vidé comme une pièce de gibier. Evalyth, sa veuve, appartient à un peuple fier, combatif. Elle va réclamer justice et découvrir que sur Lokon le rituel anthropophagique est universel. La chute du texte renverse les idées reçues et classe ce brillant récit au côté des singularités ethnologiques présentées par Philip José Farmer dans son cycle du « Père Carmody ».

« Destins en chaîne » est un texte écrit à l’initiative de Keith Laumer et impliquant différents auteurs, où Poul Anderson a choisi de rédiger un pastiche de Philip K Dick. Le personnage central enchaîne les vies qui se complètent ou s’opposent en variations successives.

« La Reine de l’Air et des Ténèbres » poursuit d’une certaine façon « Le Partage de la chair » via la mort du compagnon de Barbro Cullen alors qu’elle était enceinte. Mais surtout ce récit aux accents shakespeariens, qui évoque Le Songe d’une nuit d’été, développe une problématique sur la puissance des archétypes nourrissant l’imaginaire de l’homme, anticipant en bien des points La Forêt des mythagos de Robert Holdstock. L’un des personnages évoque par ailleurs Sherlock Holmes et se réclame de sa descendance, clin d’œil récurrent dans l’œuvre de Poul Anderson.

« Le Chant du barde » pourrait apparaître comme le dernier tableau d’un triptyque incluant « Le Partage de la chair » et « La Reine de l’Air et des Ténèbres », l’esseulé du couple n’étant pas ici la femme mais l’époux qui s’élèvera à la dignité d’Orphée. Volonté de vie contre intelligence suprême, le récit offre une variation d’une constante mythique dé-clinée à travers les différentes cultures, celle de l’affrontement entre l’homme et le dieu qu’il se donne.

« Le Jeu de Saturne » qui clôture l’ouvrage, publié en 1981, anticipe notre époque. On ne peut qu’être terrifié par cette vision d’un univers morne, parcouru dans l’ennui, qui réclame pour être simplement viable de se réfugier dans des espaces virtuels. Une conclusion pessimiste, s’il n’y avait les iné-puisables ressources que l’humain trouve en lui, thème cher à l’auteur.

Au final, ce recueil nous permet de mesurer la remarquable cohérence thématique de Poul Anderson qui procède par variations au fil des nouvelles pour aborder toutes les possibilités d’un sujet. L’un des thèmes récurrents dans Le Chant du barde est le droit et le devoir qu’ont les peuples à se déterminer eux-mêmes. La démarche nous apparaît d’autant plus facilement qu’elle est excellemment mise en lumière.

Le Barde du futur

A la fin des années 1980, les Presses Pocket se veulent pionnières de la science fantasy en France et ajoutent logiquement à leur catalogue le Poul Anderson de Trois cœurs, trois lions et Tempête d’une nuit d’été. Pour éviter, peut-être, de réduire à cette couleur littéraire le génie créatif de notre auteur, Jacques Goimard décide alors de publier également un recueil rendant justice à l’étendue de sa palette : Le Barde du futur (1988) constituera longtemps, pour le public français, la meilleure introduction aux nouvelles de Poul Anderson.

Six des dix textes courts réunis par Marc Duveau sont alors inédits en français. Parmi ceux-ci, deux, et pas des moindres, « Terrien prends garde ! » (1951) et « Sam Hall » (1953), ont depuis été repris aux éditions du Bélial’ dans Le Chant du barde, et sont évoqués dans d’autres entrées de ce guide de lecture.

Trois petits chefs-d’œuvre ironiques restent introuvables ailleurs. « Epilogue » (1962), d’abord, un texte post-apocalyptique situé dans un futur assez lointain pour qu’une forme d’intelligence, un écosystème et même toute une société soient apparus spontanément à partir des machines survivantes. Une poignée d’humains revient malgré tout sur cette Terre devenue étrangère. Poul Anderson réussit le tour de force de nous faire sentir une improbable empathie pour une intelligence aussi différente de la nôtre qu’il est possible, notre sœur en sensibilité pourtant, en même temps que le drame de l’incommunicabilité sans issue. « La Critique de la raison impure » (1962) met également en scène une intelligence mécanique. Celle-ci est presque trop familière : un concours de circonstances lors de sa mise en service a confit en poésie un robuste robot minier. Comment le convaincre d’aller remplir sa mission dans l’espace ? Réjouissante, la caricature croisée du pur « littéraire » et de « l’ingénieur » est particulièrement réussie. L’humour d’Anderson se fait presque vancien dans « La Vaillance de Cappen Varra » (1957). Ce personnage récurrent est un barde provençal amoureux de l’amour, aussi astucieux qu’allergique au mariage, héros malgré lui d’une heroic fantasy élégante.

« Le Martyr (3) » (1960) s’avère au contraire presque tragique, une réflexion très forte sur la condition singulière de l’homme dans un univers pourtant bienveillant. De bonne tenue globale, les autres textes du recueil sont moins marquants. « Les Enfants de demain » (1947) est la toute première publication SF d’Anderson, une nouvelle post-apocalyptique assez classique. Très classiques, « Duel sur la Syrte » (1951) raconte une partie de chasse sur Mars, et « Interdiction de séjour » (1961) ajoute une touche de perversité aux paradoxes du voyage dans le temps. « Le Barbare » (1956) vaut surtout pour le pastiche de Conan.

Six grands textes, une coupe transversale des thématiques de Poul Anderson : pourquoi se priver de ce recueil généreux, que l’on trouve encore sans difficulté dans les bacs des bouquinistes ?

The Boat of a million years

The Boat of a Million Years est un roman-fleuve de Poul Anderson, publié en 1989 et nominé la même année pour le Nebula du meilleur roman. Fleuve par le nombre des caractères qui le composent autant que par l’amplitude de temps qu’il aborde ; trop fleuve, peut-être.

Trois ans après le succès de Highlander, Anderson raconte son histoire d’immortels traversant les siècles sans prendre une ride. D’où leur vient ce don ? Mystère. Une combinaison hautement improbable de gènes est sans doute la cause d’une longévité qui ne protège pas, néanmoins, d’une mort violente ou accidentelle. Mais ni duel ni quickening ici. Les immortels découvrent un jour qu’ils ne vieillissent plus, et doi-vent s’adapter à une situation qui peut les mettre au ban de la société.

Le roman débute quand Hanno, marin phénicien déjà bien plus vieux que la normale, embarque avec Pythéas pour explorer le Nord ; puis le récit saute de siècle en siècle, jusqu’au xxe et au-delà, vers l’espace lointain et le premier Contact.

Au fil de ce temps long, le lecteur suit une poignée de personnages qui ignorent, pour la plupart, s’ils ont des congénères dotés du même pouvoir. De lieu en lieu et d’époque en époque, du Japon médiéval aux plaines à bisons d’Amérique, du Far West à Constantinople, de la Kiev russe à la Chine impériale en passant par les déserts arabes, on suit la quête d’Hanno, qui, des millénaires durant, cherche ses semblables, et finit par les réunir au xxe siècle. Les huit partiront finalement pour les étoiles quand une humanité devenu posthumaine sombrera dans l’égotisme individualiste, n’offrant plus ni relation authentique ni espace sauvage à explorer ou à vaincre. Ils y rencontreront d’autres spatiopérégrins et trouveront une réponse au paradoxe de Fermi.

Au fil des pages, le lecteur découvre combien il est éprouvant de voir vieillir puis mourir ceux qu’on aime, et plus encore de réaliser que cette issue est inéluctable, immuable ; éviter donc de s’attacher — même s’il est tout aussi difficile de rester solitaire pour l’éternité. Il voit la nécessité de changer régulièrement d’identité pour ne pas être inquiété — même si, hors des religions du Livre, l’immortalité est acceptée comme signe de sainteté et non commerce démoniaque.

Ceci lui est présenté par le biais d’une succession de récits courts, organisés chronologiquement, tantôt rapprochés, tantôt espacés de plusieurs siècles. Puissants, religions, empires passent et disparaissent. Restent les immortels, et le commerce, qui irrigue tel un fluide vital l’organisme de la communauté humaine et en constitue le pouls. Chaque récit donne à voir, sentir, entendre la réalité d’un lieu et d’une époque. Et Anderson excelle dans cet exercice. On parcourt les rues de Massalia, de Constantinople, de Kiev, les plaines indiennes, les montagnes chinoises ; on est assailli par les sensations que distille l’auteur. On y est presque physiquement ; c’est à cela que sert la littérature.

Mais ce luxe de détail et l’amplitude balayée se paient aussi. Au fil de la progression, la succession des vignettes, très peu liées, finit par lasser. Le passage du temps historique à celui de la SF donne une impression de déséquilibre, comme si on avait accolé deux textes ou si les deux premiers tiers du roman n’étaient qu’un interminable prologue au véritable récit. Ce qui lie le tout, mis à part le libertarisme d’Anderson, c’est l’idée — illustrée déjà dans The Enemy Stars — que ce qui nous rend humains, c’est la soif d’exploration, la volonté de savoir ce qu’il y a de l’autre côté de la colline, même au péril de notre vie. Hanno est un navigateur, ce n’est pas un hasard. Pas un hasard non plus s’il quitte une Terre aseptisée pour aller naviguer sur les mers d’un monde à des milliards de kilomètres de sa Phénicie d’origine.

Un beau roman malgré sa longueur excessive et sa structure étrange.

Les Neuf Sorcières

[Critique commune à Roma Mater et Les Neuf Sorcières.]

Fin du IVe siècle apr. J.-C. Gratillonius, centurion en poste sur le Mur d’Hadrien, est envoyé en Armorique afin de consolider cette région, ce qui permettra au général Maxime, qui vient de se proclamer empereur, de marcher sur Rome en assurant ses arrières. Gratillonius traverse une Gaule ravagée par les barbares, mais aussi par la corruption gangrénant un empire sur le déclin, et à peine est-il arrivé dans les faubourgs d’Ys qu’il est défié par son roi, une brute gauloise qu’il tue promptement. Du coup, il se voit couronné roi d’Ys, à sa grande surprise. C’est que les neuf reines avaient suscité sa venue, désireuses qu’elles étaient de se débarrasser de leur tyran. Ys est une ancienne colonie carthaginoise qui a édifié sa puissance grâce à ses dieux tutélaires. Sise à la lisière de la terre et de la mer, la cité était menacée d’engloutissement à l’époque de César, mais la reine Brennilis a fait alliance avec le dictateur, et ce sont des ingénieurs romains qui ont bâti le bassin à seuil et les remparts qui protègent Ys des assauts de la mer.

Gratillonius se retrouve dans une situation qui sert ses intérêts, étant à la fois préfet de Rome et roi d’Ys. Il apprend à connaître et à aimer ses neuf épouses, même s’il n’a d’yeux que pour la plus jeune, la belle Dahilis. La coexistence entre Ys, vouée à ses dieux païens, son nouveau roi, adepte de Mithra, et l’empire qu’il représente, de plus en plus christianisé, ne va pas se faire sans tragédies. La plus terrible frappera Gratillonius en plein cœur : outrés par ses actions impies, les dieux d’Ys exigent que l’une des reines effectue pendant le solstice d’hiver une veille sur l’île de Sena, ce qu’elles sont pourtant dispensées de faire par gros temps. Et il faut que cette reine soit enceinte… Dahilis périra en donnant le jour à une fille, que Gratillonius réussira à sauver. Il l’appellera Dahut…

Difficile de résumer ce roman ample, plein de souffle, dont l’intrigue se déroule sur une durée de vingt ans, qui brasse quantité de personnages et décrit, en raccourci, la chute d’une civilisation, voire de plusieurs, et le conflit entre les religions. Peu à peu, on voit Gratillonius, qui réussit à maintenir la paix en Armorique et à la protéger des pirates irlandais, perdre ses illusions à propos de Maxime, son empereur en qui il découvre un tyran dévoré d’ambition. Une fois Maxime renversé, Gratillonius doit protéger Ys de ses successeurs. Si l’Empire romain est secoué de convulsions, la montée du christianisme y a plus que sa part. Quoi-que demeurant fidèle à Mithra, Gratillonius sera obligé de composer avec les chrétiens, au premier rang desquels l’évêque Martin (futur saint Martin de Tours) et, bien évidemment, l’ermite Corentin, qui deviendra le chorévêque d’Ys. Une brève mention du futur saint Patrick laisse deviner un avenir chrétien pour les habitants de l’Irlande. Mais tous les acteurs de ce roman seraient à citer, des personnages historiques faisant une apparition mémorable — ainsi le poète Ausone —, aux personnages fictifs, à la psychologie souvent complexe — tel Rufinus, le Bagaude.

Quant à son épine dorsale, il s’agit d’un thème cher à Poul Anderson : la lutte contre l’entropie, les efforts d’un homme pour préserver les siens du chaos, la tentative pour bâtir un domaine unifié et pacifié où pourra s’épanouir une civilisation digne de ce nom. Sur le plan stylistique, on est plus proche des romans historiques d’Anderson que de ses romans mythologiques. Cette orientation se retrouve dans l’écriture, fortement classique, et dans la narration, qui joue beaucoup sur le rythme des saisons, l’évocation de bonheurs domestiques, le feu de la passion éveillant les sens d’un personnage jusque-là ordinaire. Les traits saillants de Gratillonius sont ceux du héros andersonien typique. Son combat est celui de Dominic Flandry : retarder le plus possible la venue de la Longue Nuit, préserver pour les siens un domaine qui soit à l’abri des bouleversements du monde.

Il est regrettable que ce grand roman historique — la fantasy n’y est que suggérée — ait vu sa parution interrompue en France après son deuxième épisode. Espérons que ce n’est que partie remise.

Roma Mater

[Critique commune à Roma Mater et Les Neuf Sorcières.]

Fin du IVe siècle apr. J.-C. Gratillonius, centurion en poste sur le Mur d’Hadrien, est envoyé en Armorique afin de consolider cette région, ce qui permettra au général Maxime, qui vient de se proclamer empereur, de marcher sur Rome en assurant ses arrières. Gratillonius traverse une Gaule ravagée par les barbares, mais aussi par la corruption gangrénant un empire sur le déclin, et à peine est-il arrivé dans les faubourgs d’Ys qu’il est défié par son roi, une brute gauloise qu’il tue promptement. Du coup, il se voit couronné roi d’Ys, à sa grande surprise. C’est que les neuf reines avaient suscité sa venue, désireuses qu’elles étaient de se débarrasser de leur tyran. Ys est une ancienne colonie carthaginoise qui a édifié sa puissance grâce à ses dieux tutélaires. Sise à la lisière de la terre et de la mer, la cité était menacée d’engloutissement à l’époque de César, mais la reine Brennilis a fait alliance avec le dictateur, et ce sont des ingénieurs romains qui ont bâti le bassin à seuil et les remparts qui protègent Ys des assauts de la mer.

Gratillonius se retrouve dans une situation qui sert ses intérêts, étant à la fois préfet de Rome et roi d’Ys. Il apprend à connaître et à aimer ses neuf épouses, même s’il n’a d’yeux que pour la plus jeune, la belle Dahilis. La coexistence entre Ys, vouée à ses dieux païens, son nouveau roi, adepte de Mithra, et l’empire qu’il représente, de plus en plus christianisé, ne va pas se faire sans tragédies. La plus terrible frappera Gratillonius en plein cœur : outrés par ses actions impies, les dieux d’Ys exigent que l’une des reines effectue pendant le solstice d’hiver une veille sur l’île de Sena, ce qu’elles sont pourtant dispensées de faire par gros temps. Et il faut que cette reine soit enceinte… Dahilis périra en donnant le jour à une fille, que Gratillonius réussira à sauver. Il l’appellera Dahut…

Difficile de résumer ce roman ample, plein de souffle, dont l’intrigue se déroule sur une durée de vingt ans, qui brasse quantité de personnages et décrit, en raccourci, la chute d’une civilisation, voire de plusieurs, et le conflit entre les religions. Peu à peu, on voit Gratillonius, qui réussit à maintenir la paix en Armorique et à la protéger des pirates irlandais, perdre ses illusions à propos de Maxime, son empereur en qui il découvre un tyran dévoré d’ambition. Une fois Maxime renversé, Gratillonius doit protéger Ys de ses successeurs. Si l’Empire romain est secoué de convulsions, la montée du christianisme y a plus que sa part. Quoi-que demeurant fidèle à Mithra, Gratillonius sera obligé de composer avec les chrétiens, au premier rang desquels l’évêque Martin (futur saint Martin de Tours) et, bien évidemment, l’ermite Corentin, qui deviendra le chorévêque d’Ys. Une brève mention du futur saint Patrick laisse deviner un avenir chrétien pour les habitants de l’Irlande. Mais tous les acteurs de ce roman seraient à citer, des personnages historiques faisant une apparition mémorable — ainsi le poète Ausone —, aux personnages fictifs, à la psychologie souvent complexe — tel Rufinus, le Bagaude.

Quant à son épine dorsale, il s’agit d’un thème cher à Poul Anderson : la lutte contre l’entropie, les efforts d’un homme pour préserver les siens du chaos, la tentative pour bâtir un domaine unifié et pacifié où pourra s’épanouir une civilisation digne de ce nom. Sur le plan stylistique, on est plus proche des romans historiques d’Anderson que de ses romans mythologiques. Cette orientation se retrouve dans l’écriture, fortement classique, et dans la narration, qui joue beaucoup sur le rythme des saisons, l’évocation de bonheurs domestiques, le feu de la passion éveillant les sens d’un personnage jusque-là ordinaire. Les traits saillants de Gratillonius sont ceux du héros andersonien typique. Son combat est celui de Dominic Flandry : retarder le plus possible la venue de la Longue Nuit, préserver pour les siens un domaine qui soit à l’abri des bouleversements du monde.

Il est regrettable que ce grand roman historique — la fantasy n’y est que suggérée — ait vu sa parution interrompue en France après son deuxième épisode. Espérons que ce n’est que partie remise.

The Corridors of Time

[Critique commune à The Corridors of Time et There will be time.]

Le voyage dans le temps, thème récurrent dans l’œuvre de Poul Anderson, est loin de se limiter aux seules aventures de « La Patrouille du temps ». Parmi les nombreux récits dans lesquels le sujet est abordé, deux courts romans méritent plus particulièrement notre attention : The Corridors of Time et There Will Be Time.

The Corridors of Time met en scène Malcolm Lockridge, un homme accusé de meurtre après s’être défendu contre une bande de voyous qui l’a agressé en pleine rue. Alors qu’il attend d’être jugé, il reçoit la visite en prison d’une belle et mystérieuse femme, Storm Darroway, qui lui propose son aide, à condition qu’il accepte de l’accompagner au Danemark pour y accomplir une mission. C’est en sa compagnie que Lockridge va découvrir l’existence de couloirs souterrains permettant de voyager dans le temps, mais également celle de deux organisations secrètes qui s’affrontent à travers les époques : les Wardens et les Rangers. L’objectif n’est pas pour elles de modifier le passé, ce qui est physiquement impossible, mais chacune lutte pour imposer à l’humanité sa propre vision du futur : proche de la nature pour l’une, ultra-technologique pour l’autre. A travers ses pérégrinations temporelles, Lockridge sera amené à comprendre, et le lecteur avec lui, à quoi ressemble l’avenir promis par chaque faction, et surtout quel est le prix qu’elles sont prêtes à payer pour imposer leur vision.

Si les premiers chapitres de The Corridors of Time ne paient pas de mine, le roman trouve sa voie lorsque son héros entame son périple temporel. Comme toujours, Poul Anderson accorde un grand soin à la reconstitution des différentes époques que traversent ses personnages, qu’il s’agisse du Danemark du xviie siècle ou de la même région trois mille cinq cents ans plus tôt. Et les quelques aperçus que nous donne l’auteur de l’avenir de l’humanité sont tout aussi saisissants. De son côté, Malcolm Lockridge est un héros typiquement andersonien, farouchement indépendant, qui refuse de se laisser manipuler et de n’être qu’un pion dans un conflit qui le dépasse. Aux deux options qui lui sont proposées, il préfèrera une troisième voie, qui donne à ce roman une conclusion aussi belle que touchante.

Paru huit ans plus tard, There Will Be Time présente plusieurs points communs avec The Corridors of Time, à commencer par la lutte que mènent à travers temps deux organisations rivales. Ici aussi, il n’est pas question de modifier le passé, mais de préparer l’avenir et de bâtir une nouvelle civilisation qui devra succéder à un inévitable holocauste nucléaire (1). Mais par certains côtés, There Will Be Time est une œuvre plus originale et plus intimiste que la précédente.

L’histoire est celle de Jack Havig, un homme qui, depuis sa naissance, dispose du pouvoir de voyager dans le temps. Si on laisse de côté les éléments purement SF du récit, il y a une nette part autobiographique dans la description de la vie de cet enfant solitaire qui a grandi dans un environnement rural après la mort de son père et qui va très vite prendre l’habitude de fuir son morne quotidien pour découvrir d’autres époques, d’autres modes de vie, et mûrir ainsi beaucoup plus vite que les gamins de son âge. D’autant plus que, comme il va bientôt le découvrir, son don n’est pas unique. D’autres, au fil des siècles, ont développé un pouvoir semblable. Et ces êtres singuliers auront pour la plupart la tentation de retrouver leurs semblables.

Dans ce roman, Poul Anderson mêle avec maestria le récit de la vie de son héros et l’histoire plus large qui lui sert de toile de fond. Jack Havig est sans cesse tiraillé entre son désir de mener une vie paisible au côté des deux femmes dont il va successivement tomber amoureux et l’impérieux sens du devoir qui va l’amener à jouer un rôle crucial dans l’avenir du monde. Le ton de cette histoire est souvent sombre, parfois même désespéré, pourtant, au final, le romancier ne peut s’empêcher de prédire à l’humanité de beaux lendemains. Ce mélange de gravité et d’optimisme, d’intime et d’universel, fait de There Will Be Time l’un des plus beaux romans de son auteur.

 

(1) Un futur dont Poul Anderson avait de?ja? donne? un aperc?u dix ans plus to?t, dans les nouvelles « Le Peuple du ciel » et « Le Peuple de la mer » (in Fiction n°92 et 108), et qu’il de?veloppera par la suite dans Orion Shall Rise.

World without stars

Entre deux romans de son immense « Civilisation technique », fresque dépeignant mille ans de futur, Poul Anderson a également écrit quelques space operas détachés dudit cycle — ainsi ce World Without Stars. Qui se déroule dans un avenir éloigné où l’humanité a accédé à l’immortalité, et ra-conte l’histoire de Felipe Argens, capitaine du Meteor, chargé de se rendre sur une planète lointaine. Celle-ci leur a été signalée par des extraterrestres vivant dans le halo de la Galaxie et avec lesquels l’humanité entretient de sporadiques contacts amicaux.

Las ! Ratant la phase d’approche, le Meteor s’écrase. Drôle de planète : incroyablement ancienne, son soleil est une naine rouge et son ciel nocturne n’est éclairé que par le disque entier de la Voie lactée. Les survivants du crash le découvrent, plusieurs espèces cohabitent sur ce monde. Les uns, les Azkashi, petit peuple nocturne vivant en hordes éparses, vénèrent la Galaxie, tandis que les autres, les Niao, créatures télépathes promptes à vouloir dominer les Azkashi, voient en elle une déité maléfique.

La situation est catastrophique pour les humains, coincés sur une planète quasi dépourvue de métaux, et dont les habitants vivent à un stade moyenâgeux. Mais les naufragés du Meteor ont un atout : Hugh Valland, artilleur recruté par Argens, un homme hors du commun. Soldat et baladin, volontaire et astucieux, il est mû par son désir de retrouver Mary O’Meara, son amour de toujours, qui l’attend patiemment sur Terre. Et Valland va tout faire pour réussir l’impossible et ramener les naufragés au bercail…

World Without Stars contrebalance son histoire relativement prévisible, et peut-être un peu trop ramassée, par des visions superbes — la Voie lactée en son entièreté illuminant un ciel étranger — et des peuplades extraterrestres surprenantes. Surtout, ce roman condense, en ses cent cinquante pages (et pas une de plus) plusieurs thématiques récurrentes dans l’œuvre andersonienne, à commencer par l’Histoire : c’est en se référant à la lutte des Amérindiens que Valland convainc les Azkashi de résister à leurs oppresseurs. Et sans oublier les mythes : ici, celui d’Orphée et Eurydice, que l’on retrouvera dans « Le Chant du Barde » (heureux hasard, World Without Stars est paru en volume en 1967, la même année que L’Intersection Einstein de Delany, brillante variation posthumaine de ce mythe grec), interpolé avec le thème de l’immortalité, vingt ans avant The Boat of a Million Years. Le personnage de Valland, âgé de plusieurs siècles, s’interroge : que faire d’une masse de souvenirs, quelle est la durée des sentiments ? Et la poésie, chère à notre auteur, a ici la part belle. Les couplets de la ballade « The Song of Mary O’Meara », composée par Valland/Orphée, ponctuent le roman et, dans son introduction, Anderson rapporte que la chanson a fini par accéder au rang de classique anonyme et traditionnel dans les conventions de SF américaines. Manière d’immortalité, en somme.

Tau Zéro

Le Leonora Christina marque une étape dans la conquête spatiale, car il emporte un équipage de cinquante hommes et femmes en direction d’une planète habitable de l’étoile Beta Virginis, à trente-deux années-lumière de la Terre, grâce au moteur Bussard qui collecte les rares atomes dans l’espace au moyen d’un intense champ de forces magnétohydrodynamiques, pour accélérer en cours de route jusqu’à approcher la vitesse de la lumière. La vitesse atteinte est relativiste : le temps s’écoule plus vite sur Terre, de sorte que les passagers trouveraient au retour un monde plus vieux de cinquante ans. C’est ce que traduit le facteur Tau, une inversion du facteur de Lorentz : plus la vitesse est grande, plus le facteur se rapproche de zéro. Le thème avait déjà été exploité par maints auteurs avant Anderson, comme par exemple Stanislas Lem dans Retour des étoiles (1968), mais il n’avait jamais été poussé, comme ici, dans ses ultimes retranchements.

En effet, à la suite d’un accident rendant toute décélération impossible, le vaisseau engrange de la matière jusqu’à accélérer indéfiniment, ce qui génère des écarts temporels vertigineux ! Ce sont des milliards d’années qui défilent, jusqu’à la toute fin de l’univers, quand les étoiles en fin de vie se raréfient et que le cosmos commence à se replier sur lui-même.

S’il est un roman qui parvient à faire éprou-ver la petitesse de l’Homme face à l’espace et au temps, c’est bien celui-ci. C’est le fait de tutoyer l’infini tout en restant sur l’échelle du temps humain qui provoque cette sidération de grande ampleur.

Face à une situation aussi désespérée, la population du vaisseau s’efforce malgré tout de trouver des solutions à chaque étape, de résister à la folie, notamment grâce à la ténacité du personnage central, Charles Reymont, chargé de la sécurité à bord. Son caractère cassant, son autoritarisme et son intransigeance, son apparente absence d’empathie, en font un individu détestable, avant que son pragmatisme et son refus de céder aux émotions n’en fassent le seul recours possible face à l’adversité. Parangon du héros solitaire qui défie l’univers même, il finit par revêtir un statut quasi mythologique, auquel souscrit la fin du roman ; on atteint ici aussi une dimension métaphysique.

Très rigoureux sur le plan scientifique (à quelques minimes erreurs près — voir la postface de Roland Lehoucq), l’ouvrage est une formidable vulgarisation sur le milieu stellaire, la matière et la chimie du vivant, la relativité générale, etc., qui va jusqu’à brosser, mine de rien, une histoire du destin de l’univers. En inscrivant la thématique de l’espace-temps au cœur de son récit, Tau zéro apparaît comme le véritable premier roman de la Relativité générale.

Il serait dommage de le limiter à ce seul aspect de hard science. La critique n’a pas assez insisté sur l’aventure humaine des personnages, laquelle ne se contente pas de décrire les affres des passagers. Anderson accélère aussi le temps à l’intérieur du vaisseau. Son microcosme passe en revue tous les modes de gouvernance, d’une démocratie respectueuse jusqu’à une tyrannie assumée ; les passagers égrènent également les comportements possibles, fuite dans la religion ou le sexe, refuge dans l’étude ou le passé, avec notamment le rituel des fêtes. La roue du temps tourne aussi pour les civilisations : à l’époque du récit, les gendarmes de la planète ne sont plus les belliqueux Etats-Unis, mais les Suédois, garants de la paix après un conflit nucléaire ayant failli anéantir l’humanité, un propos directement inspiré, comme d’ailleurs la trame générale du roman, du poème Aniara, une odyssée de l’espace (1956), du prix Nobel suédois Harry Martinson. Au ton désespéré d’Aniara, Anderson préfère une issue plus heureuse. Le fait est que son roman est d’un indéniable optimisme et dégage une inaltérable énergie célébrant les vertus de courage et d’entreprise. Il n’est pas étonnant que le dernier mot du roman soit « humains ».

Poul Anderson considérait ce roman parmi ses cinq préférés ; il manqua de peu le Hugo mais figure comme l’un des cent incontournables de la SF de David Pringle, et est considéré comme le roman de SF ultime par James Blish. Des rappels d’autant plus étonnants qu’il a fallu attendre quarante-deux ans pour le voir traduit en France !

La Saga de Hrolf Kraki

La Saga de Hrolf Kraki est une saga nordique dont les traces remontent jusqu’au xive siècle. Elle évoque l’histoire familiale des Skjoldung, amenés à régner sur le Danemark. A peu près contemporaine d’autres sagas, comme celle de Beowulf ou le Nibelungenlied, elle est nettement moins connue que celles-ci. C’est clairement ce qui a motivé Poul Anderson pour nous en proposer une relecture moderne. L’auteur s’en ouvre dans une préface très intéressante, permettant de mieux cerner son projet. Son but est ainsi de fournir une reconstitution la plus fidèle possible de la vie à cette époque, à savoir le vie siècle, sans céder à la tentation de faire des Skjoldung des personnages romantiques : on est à une période de l’histoire âpre, ceci doit transparaître dans le récit d’Anderson.

Saga nordique oblige, on n’est pas dans le canon de fantasy du roman d’apprentissage, où l’on suit le développement d’un personnage promis à une grande destinée. On suit plutôt une saga familiale, au cours de laquelle les différentes générations se succèdent, jusqu’à ce qu’on aboutisse à Hrolf Kraki, rejeton sans doute le plus connu des Skjoldung. Certains personnages disparaissent brutalement de l’histoire, non qu’ils soient morts, mais simplement ils n’interviennent plus dans le récit et sont donc évacués sine die. La forme permet ainsi une vision englobante de l’évolution, non seulement de la famille des Skjoldung, mais aussi du Danemark, au gré des guerres, des alliances et mésalliances qui rythment ces pages. C’est toute l’histoire d’une époque, celle du Haut Moyen Age, qui est évoquée ici, à travers le prisme de sa plus emblématique descendance. Nul besoin toutefois d’avoir des connaissances historiques pour apprécier pleinement ce livre : La Saga de Hrolf Kraki, c’est avant tout un formidable roman d’aventures, guère avare de morceaux de bravoure et de trahisons, conté avec une force d’évocation rare. On y croisera ainsi de nombreux personnages inoubliables, comme les deux frères Hroar et Helgi (le monarque bienveillant et celui qui connaîtra la pire des trahisons, d’où naîtra d’ailleurs Hrolf Kraki), Shipdag, jeune homme sans formation qui parvient à se défaire de douze berserkers, ou encore Björn, changé en ours-garou. Finalement, Hrolf Kraki, qui apparaît tardivement dans le livre, est relativement éclipsé par les hauts faits de ses aïeuls et de ses compagnons. Comme il l’a annoncé dans la préface, Anderson ne prend pas de gants : ses personnages ne se battent pas pour la gloriole, mais bien par nécessité, parce que les codes de la société sont ainsi faits que c’est le plus fort qui l’emporte (et, pour mieux servir son propos, l’auteur se contente d’une description factuelle des événements, sans glorification outrancière). Ils n’ont pas d’état d’âme à se débarrasser de leurs adversaires par la violence, même s’ils méprisent les trahisons, comme celle qui coûtera la vie à Helgi, sans aucun doute le personnage le plus tragique de ce roman, avec sa femme Yrsa.

Au final, ce roman, qui obtint en son temps le British Fantasy Award, est une très belle réussite, qui utilise un matériau splendide, peu connu, et sait le bonifier pour la plus grande joie des lecteurs. Fresque épique peuplée de personnages plus grands que la vie, La Saga de Hrolf Kraki est un sommet dans l’œuvre de Poul Anderson.

[Et aussi : la critique de Xavier Mauméjean dans le Bifrost n° 36.]

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