Connexion

Actualités

Le Trône d'ébène

En 1807 apparaît chez les N'Gunis du Natal (peu ou prou l'actuelle Afrique du Sud) un dictateur qui fonde la nation zouloue en conquérant par les armes les autres tribus de la région. Chef de guerre insatiable atteint de folie sanguinaire, il sera assassiné par les siens en 1828. Ses successeurs combattront les Boers, puis les Anglais.

Telle est l'histoire du nouveau roman de Thomas Day, sous-titré Naissance, vie et mort de Chaka, roi des Zoulous. Ni science-fiction, ni fantasy, ce roman est une épopée sanglante. Et comme en Afrique, la magie n'est jamais absente, une épopée fantastique sanglante.

Ce qui frappe en premier c'est l'écriture, le souffle qui porte les exploits de ce guerrier hors du commun. Le destin de cet homme est exceptionnel, mais l'énumération de ses conquêtes guerrières serait lassante si elle n'était contée dans une langue aussi inspirée.

C'est l'histoire du premier fils désiré d'un roi, conçu malheureusement pour lui hors mariage avec une concubine. Crime sacrilège qui permettra aux épouses légitimes d'exiger le bannissement du fils et de la mère quand elles-mêmes auront des héritiers. Un gamin martyrisé par les autres enfants du village jusqu'à son départ à l'âge de treize ans. Impavide, la mère assiste aux exactions dont son fils est quotidiennement victime, persuadée que ces brutalités forgent son caractère, que sa haine et sa rage le transformeront en messie guerrier. Une ancienne prophétie annonce en effet la venue d'un enfant sacré qui deviendra un grand roi et réunira sous sa coupe les autres tribus.

Pour vérifier son pressentiment, elle l'emmène voir une vieille sorcière qui vit au creux d'un arbre de la savane, en compagnie d'un cochon sauvage aux yeux bleus. Celle-ci confirme que peut-être… mais qu'elle ne pourra en être sûre que le jour où le garçon atteindra la puberté. Quand ce jour arrive et que l'enfant, pour la première fois, se réveille le sexe dur, c'est la mère qui le soulage. Geste fondateur, incestueux, d'une mère toute puissante qui le poussera à conquérir les tribus voisines, à tuer et à massacrer les bouches inutiles, à vendre aux Portugais une partie des prisonnières et des enfants, et à garder comme esclaves les plus beaux spécimens.

Enfant de la prophétie, Chaka est avant tout l'objet des dieux, dieux qu'il lui faudra parfois affronter, à l'instigation même de ces derniers. Ainsi combat-il une mère divine et monstrueuse, une lutte ô combien symbolique alors que dans sa vie personnelle, Chaka n'aura de cesse d'obéir aux dieux et à sa génitrice. Après quoi la première guerre est déclarée, et Chaka ne cessera plus de batailler, de tuer et de massacrer, encouragé par sa mère, par la prophétie, par la sorcière, et, bien sûr, par les dieux.

Car ce sont les dieux qui, en coulisse, manipulent les marionnettes humaines qui défendent sans le savoir leurs intérêts. Les dieux savent que seul un empire zoulou puissant pourra entraver la marche de l'homme blanc et leur donner quelques années de répit. Comme d'habitude, ils poussent les hommes à s'entretuer en leur nom, se moquant des dégâts collatéraux (des milliers de morts à chaque nouvelle conquête de Chaka, qui seront nombreuses).

À la fin de sa geste, les dieux ordonnent à Chaka d'entreprendre un voyage initiatique, jusqu'à un lac sacré où l'attend un dieu crocodile. Le cadeau du crocodile (symbole du père, père qui l'a banni !) le rendra fou.

La magie imprègne le récit, mais que serait une épopée africaine sans magie noire ? Une chanson de geste tout autant magnifique (un jour un enfant apparaît, porté par une prophétie il réunit sous sa coupe la nation zouloue) qu'horrifique du fait de la cruauté de Chaka, de son inhumanité. C'est un guerrier sans cœur fabriqué par les dieux et capable d'abattre ses alliés s'il les sent trop fragiles. Il ne se connaît qu'un unique amour, celui qu'il porte à sa mère, un amour qui le dévore.

À la fin du roman, avalé comme un bouillon poivré une nuit de grippe, deux réflexions totalement incorrectes me viennent. Je comprends mieux les dictateurs africains actuels qui ne font que perpétuer la tradition et la folie du roi des zoulous. Et je me demande si une société sans dieu(x) serait moins sanguinaire. Peu probable…

Thomas Day a du souffle, il sait raconter des histoires, mais il a surtout ce don incroyable qui consiste à se glisser dans l'âme d'un peuple pour la faire sienne le temps d'un livre.

Ombres sur le Nil

Grâce à l'auteur, nous avions déjà appris, entre autres, que le plus ancien manuscrit de la Bible avait été « mis à l'abri » par un étrange anachorète albanais afin de sauver la « vraie » Bible sur laquelle repose la civilisation occidentale, et qu'une interminable partie de poker jouée par trois singuliers personnages dans une minuscule échoppe du vieux Jérusalem avait décidé du sort de la ville et, par conséquent, du Moyen-Orient. On se doutait bien que ça ne pouvait pas s'arrêter là. L'issue aurait, en quelque sorte, paru trop simple…

Donc, dans ce troisième volet du Quatuor de Jérusalem (qui peut être lu indépendamment des deux précédents, quoique ce serait fort dommage), le lecteur découvre un autre lieu capital, en un autre temps : Le Caire en 1942, à l'époque où les troupes du maréchal Rommell progressent dans le désert. Dans l'hôtel Babylone, un meublé hors catégories tenu par l'inamovible Ahmad, tenancier au passé complexe et au présent insaisissable, déboule un certain Joe O'Sullivan Bearce, ancien joueur de poker à Jérusalem que des agents secrets sont allés chercher dans la réserve indienne où il s'était réfugié pour lui confier une mission : enquêter sur la mort de son ami Stern et sur les agissements antérieurs de celui-ci…

Bien sûr, dès le début du récit, tout est beaucoup plus tordu qu'une épopée historique, une intrigue policière, un roman d'espionnage ou une succession de portraits d'individus hauts en couleur, même si le livre participe de tout ceci, et avec panache. Comme dans les deux précédents volumes, ce qui séduit d'abord, c'est le côté imprévisible et farfelu des personnages. Toute banalité est exclue et, lorsque banalité il semble y avoir, c'est de manière tellement excessive qu'elle devient extraordinaire. Reste une profonde humanité, qui s'affirme de plus en plus, et de bouleversante manière, à mesure que s'enchaînent avec logique les plus incroyables évènements.

Résumer l'ensemble est impossible, et serait de toute manière malvenu. Ce qui constitue la force, la puissance d'Ombres sur le Nil, c'est sa capacité à surprendre sans cesse le lecteur, à le prendre à rebrousse-poil tout en lui donnant l'impression qu'on le caresse. La lecture donne la même impression qu'un rapport amoureux réussi, à la fois créatif et bienvenu, inédit et inattendu.

On ne rappellera pas ici les rapprochements déjà établis avec les plus grands auteurs de divagations prodigieuses, ni les compliments déjà humblement proférés à l'égard des deux précédents livres d'Edgar Whittemore parus en « Ailleurs & Demain » (cf. critiques in Bifrost 39 et 42). Mais qu'on permette à l'auteur de ces lignes d'insister auprès des lecteurs pour qu'ils ne commettent pas l'erreur de passer à côté de ce troisième opus. Ils se priveraient de beaucoup de plaisir, et de l'opportunité rare de se retrouver étonnamment plus intelligents et bien plus satisfaits au moment de refermer l'ouvrage.

Quant à ceux qui auront l'audace avisée d'ouvrir Ombres sur le Nil, gageons qu'ils attendront la parution du quatrième pan de ce Quatuor comme ils attendraient un rendez-vous galant : avec confiance et impatience.

La Zone du Dehors

Avant d'être Alain Damasio-La-Horde-du-Contrevent, Alain Damasio était Alain Damasio tout court, auteur d'un premier roman réussi/raté publié chez Cylibris dont deux ou trois sites web innommables avaient un jour parlé. Aujourd'hui (justement) célèbre pour le carton public et critique de La Horde, Damasio nous offre l'utile réédition (revue et augmentée d'un CD) de La Zone du dehors, œuvre fondatrice s'il en est. La boucle est d'ailleurs bouclée, le groupuscule terroriste anarchisant dont il est question ici s'appelant justement La Volte. Ah, tiens, comme l'éditeur ? Oui, voilà, comme l'éditeur, maintenant vous savez tout…

Contribution damasienne à George Orwell, dont l'ombre immense ne cesse de hanter les pages tour à tour nietzschéennes, deleuziennes, foucaultiennes ou situationnistes de ce roman dystopique aussi foutraque que passionnant, l'histoire de La Volte est une charge nécessaire contre la social-démocratie molle qui intègre, comprend, tolère et flique pour notre plus grand bien. Pas besoin de s'envoyer l'intégrale de Noam Chomsky pour savoir que là où la dictature s'appuie sur la répression pour durer, la démocratie se contente de l'assentiment général et de l'autocensure permanente (la fabrique du consentement, comme qui dirait). De fait, La Zone du dehors renoue avec le roman politique, genre encore plus inavouable que la S-F, et dont on peine à trouver en France quelques augustes représentants. C'est désormais chose faite, d'autant que le lifting du roman (belle couverture, beau CD et belle réécriture — les premières pages, notamment) le hisse au même niveau que La Horde du contrevent. Dès lors, Alain Damasio peut enfin officier en tant qu'agitateur public ultra référencé avec l'humour et la chaleur qu'on lui connaît.

D'humour (noir) et de chaleur, La Zone du dehors n'en manque d'ailleurs pas, même si le texte louche plus du côté épique, flamboyant, révoltant, déroutant (et parfois illisible) que de l'absurde rigolo. Soit, mais l'histoire ? On y vient.

Plantée sur un astéroïde en orbite autour de Saturne, une société humaine prospère doucement. Baptisée Cerclon (un rappel assez glaçant au tout aussi glaçant concept de panoptique illustré sur la couverture, entre autres), la ville tient plus de la station spatiale cernée par un environnement hostile que de la terre promise, mais passons. Or, à l'instar de nos propres sociétés occidentales aveuglées par la peur de tout ce qui les menace et dont la majorité des institutions tiennent justement grâce à ce sentiment de terreur généreusement colporté article après article par nos ami(e)s journalistes, le Cerclon s'appuie sur la logique de la destruction. Dehors, tout est si hostile, si irrémédiablement mortel qu'un simple dérèglement risque de mettre un terme à la colonie dans son ensemble et de tuer tous ceux qui y vivent. De fait, qui oserait remettre en cause une société qui, certes, ne manque pas de défauts, mais qui laisse quand même pas mal de libertés, d'autant que sur Terre, par exemple, la situation a carrément dépassé les limites du supportable ? Bref, y a pire ailleurs, soyez heureux ici, surtout que toute tentative de changement débouche sur la mort. T'as qu'à aller voir à Moscou si c'est mieux.

Et pourtant, la jeunesse est décidément incorrigible (enfin, celle qui ne va pas à la Concorde) et une poignée de déviants décide de foutre un peu le feu de ci de là, parce que quand même, bon. Et nos sales jeunes sont tout sauf stupides, qui plus est. Une vraie honte. Apôtres de la démocratie directe, lucides quant à la désastreuse solitude propre aux révolutionnaires, aussi angoissés qu'enthousiastes quand se pose fatalement la question de la lutte armée, les membres de La Volte résument bien les aspirations d'un monde qui prend soudainement conscience de la vraie nature de l'oppression.

En l'occurrence, au Cerclon, l'oppression la plus visible (mais la plus acceptée, car la plus raisonnable) reste le système de Clastres, organisation sociale très rigide qui donne sa place à chacun en fonction de ses aptitudes et qui n'oublie personne (un concept aussi sordide que le déclassement est impensable, évidemment, sauf que l'hypocrisie est très humaine et qu'ordre + pouvoir = oppression, c'est comme ça, et même Olivier Girard aurait bien du mal à réfuter pareille assertion). La Zone du dehors ne fait rien d'autre que raconter la révolte libératrice de cinq personnages, perclus de contradictions, hantés de pressions sociales et tous forcément attachants. C'est tout ? Oui, mais c'est déjà beaucoup. Le style inimitable de Damasio élève le récit avec intelligence et brio. Quant à la révolution, le thème est tellement universel qu'on ne peut guère qu'y adhérer. Reste que si ce premier roman est enthousiasmant par bien des aspects, on sent qu'Alain Damasio a voulu en mettre beaucoup, au risque de s'y perdre. Ainsi, la narration souffre du poids théorique et critique qui jalonne le récit page après page. Défaut agaçant qui, certes, enfonce un peu plus le clou argumentaire, mais qui plombe l'intrigue et limite parfois les personnages à des rôles de tribuns révolutionnaires caricaturaux. Ceci étant, La Zone du dehors est aussi un excellent roman et un beau voyage aujourd'hui douloureusement nécessaire. L'occasion de découvrir une autre facette du travail d'orfèvre de Damasio, qui, on l'espère de tout cœur, a sacrément intérêt à nous pondre quelque chose d'autre au plus vite. Au travail, feignant, la France a besoin d'écrivains qui se lèvent tôt.

La Mémoire du vautour

Prolifique, Fabrice Colin, c'est le moins qu'on puisse dire. Auteur adulte, auteur jeunesse, auteur bédé, conseiller éditorial (pour la collection Points « Fantasy »), l'animal surfe avec bonheur sur le livre au sens large et se fait stylistiquement plaisir avec La Mémoire du vautour, texte expérimental et personnel qui confirme deux choses : Fabrice Colin est un sacré bon auteur ; Fabrice Colin est un sale gosse qui prend plaisir à casser ses jouets, parce que, quand même, faut pas déconner.

Premier roman de littérature générale, précise la quatrième de couverture. Indication curieuse et inutile pour un roman qui n'a rien de général et qui assume parfaitement bien son héritage imaginaire. De là à reprendre pour nous la petite phrase qui définit un livre de S-F comme étant publié par une collection S-F, il n'y a qu'un pas. Hop, donc.

À la lecture de La Mémoire du vautour, on constate que Fabrice Colin n'a vraiment plus rien à prouver. Il n'est plus un « jeune auteur » (il n'est même plus jeune tout court, d'ailleurs) dont on attend avec impatience la prochaine production, celle-là même qui va faire très mal. Fabrice Colin est un auteur français avec ses points forts (une narration extrêmement rythmée, une densité textuelle rare, une façon d'asséner ses phrases dans la gueule du lecteur avec une sorte de détachement glacé) et ses points faibles (un scénario limite, un sens global trop introspectif pour intéresser véritablement un œil extérieur a priori étanche à ce genre de problématique), le tout baignant dans une volonté littéraire très éloignée de toute normalité. C'est tant mieux quand le voyage est maîtrisé de bout en bout, c'est tant pis quand l'édifice se casse la gueule tout seul. La Mémoire du vautour se casse la gueule, mais par une sorte de miracle antigravitationnel comme seule la S-F sait en produire, le livre ne touche jamais le sol. Belle manœuvre, donc, à lire de toute urgence pour en avoir le cœur net.

Au départ (et à la toute fin, ratée, vraiment ratée, tellement ratée qu'en a envie de râler très fort et de la divulguer, mais on n'a pas le droit de gâcher le plaisir des autres), il y a Bill Tyron, sorte de dilettante (mal)heureux contacté par une mystérieuse agence paragouvernementale pour envahir l'intimité d'une ex-G.I. cancéreuse en phase terminale dont il va (ah, tiens ?) tomber forcément amoureux, au point de faire très exactement ce qu'il ne faut pas faire, à savoir mettre son nez là où il ne devrait pas. Car cette G.I. (Sarah) a bénéficié d'un traitement cérébral très avant-gardiste : on (qui ça, on ?) lui a effacé une partie de la mémoire, suite à une expérience douloureuse en Indonésie. Voilà pour le panorama.

Fort logiquement, Colin délaisse ensuite son personnage pour s'intéresser à Sarah et se glisser dans sa peau. Une visite intériorisée réussie, passionnante par bien des aspects, qui débouche sur… Plus grand-chose, en fait, ou plutôt si, mais à l'excès, trop de choses. Un accident d'avion, un vautour mangé par un tigre mangé par un homme mangé par un requin mangé par un homme, une bien belle ménagerie pensante assez génialement dépeinte par un Fabrice Colin qui sait où il va, lui. Le lecteur, peut-être pas, mais c'est aussi ça, la littérature, pas vrai ? Bref, tout ça ne manque pas de piment, sauf que d'autres personnages entrent en scène, des personnages dont on n'a pas forcément saisi l'intérêt, tous vaguement reliés à d'autres, mais qu'importe, l'histoire continue à se dérouler tranquillement, de visites touristiques en expériences extrêmes (toujours impeccablement décrites et impeccablement écrites) pour se présenter à la toute fin comme une sorte de gros collage minutieux savamment emballé en roman. Plutôt raide, donc, mais soit.

On ne peut pas décemment reprocher à Fabrice Colin d'avoir écrit le roman dont il avait envie. Hélas, ce roman n'est pas le nôtre, et le contrat lecteur/écrivain passe toujours mieux quand les deux arrivent à se parler, sans nécessairement se comprendre, d'ailleurs, mais au moins se parler. Ici, pas de miracle, juste un bon bouquin bien fichu, apparemment bien construit, mais qui se perd en route. On pourra toujours râler en précisant que non, la fin replace l'ensemble sur ses pieds, mais le manque de cohérence générale laisse quand même le lecteur sur sa faim. Alors, sommes-nous passés à côté de quelque chose ? Peut-être. La quatrième de couverture évoque un road movie à la David Lynch. Oui, sans doute. Mais ce qui marche au cinéma ne fonctionne pas forcément par écrit.

La Glace et la Nuit, Opus un: Nigredo

Nouveau roman et — surprise — nouvelle exploration de l'univers foisonnant de Vertigen, qui vaut à Léa Silhol son qualificatif de fantasyste shakespearienne, La Glace et la nuit se décline en diptyque, Nigredo n'en formant que le premier volet. Les fans comme les néophytes (re)découvriront un monde proche de Faërie, anges et dieux grecs en plus, livré par une Léa Silhol en grande forme. Style soutenu, narration fluide, poésie et punkitude (oui oui !) y côtoient féminisme, engagement politique et réflexion plutôt profonde sur les motivations d'un genre humain décidément compliqué (« humain » à prendre au sens large, évidemment). Preuve que la fantasy sait aussi être une littérature d'idée, dès que les auteurs s'éloignent des standards aussi éprouvés qu'éprouvants. Double paradoxe avec Nigredo, dans la mesure ou l'auteure reprend à son compte les clichés du genre, mais, à l'image du travail d'Elizabeth Hand ou de Robert Holdstock, les avale tout crus pour mieux les digérer et en tirer quelque chose de totalement neuf. Ce qui frappe le plus dans ce premier tome de La Glace et la nuit, c'est son côté éminemment silholien. Autant dire que les habitué(e)s apprécieront et que les autres ont intérêt à apprécier. Autant dire aussi que pour le lecteur qui n'accroche pas d'entrée de jeu, mieux vaut refermer le livre et passer à autre chose. Nigredo concerne avant tout un public de convaincus. Et si vous l'êtes, il y a très peu de risques que vous soyez déçu(e)s.

Sans déflorer l'intrigue, on peut tout de même révéler que Finstern et Angharad sont de retour, deux cent ans après La Sève et le givre (disponible en poche dans la collection Points « Fantasy »), que le petit peuple est toujours aussi réactionnaire et que ceux et celles qui aspirent à plus de liberté sont condamnés à foutre le feu. Surprenant ? Pas tant que ça. D'abord parce que les personnages de Léa Silhol sont presque tous en rupture, en révolte ou en quête, et que ces trois états s'accommodent assez mal d'une quelconque forme d'autorité. Ensuite parce que la politique est affaire de quotidien et que les royaumes figés sont forcément condamnés au dégel. De fait, suivre les aventures à la fois sérieuses et souvent très drôles (notamment celle de Kelis, vraiment lassé par les simagrées du petit peuple) d'êtres éthérés, fluides et beaux, laisse les lecteurs sur un petit nuage très aérien, sans que jamais le rythme ne retombe ou que l'intrigue s'essouffle. Nigredo apparaît donc pour ce qu'il est : un excellent livre, une histoire à la fois précieuse et belle, envoûtante et éternelle, sertie dans un écrin codé, tellement codé qu'il risque d'en surprendre (et donc d'en rebuter) plus d'un. En attendant, Léa Silhol nous prouve que la fantasy française existe comme entité autonome et que sa profonde originalité pourrait bien donner quelques idées aux autres.

La Fille dans le verre

Auteur rare (surtout en tant que romancier) et subtil (on se souvient de l'excellent Portrait de madame Charbuque), Jeffrey Ford signe ici un roman impeccable, drôle, distrayant, intelligent et attachant. Bien installé dans un fantastique (très) léger qui relève plus du prétexte que de la profession de foi, La Fille dans le verre est une jolie parabole sur l'apparence et se lit en quelques heures sans que jamais le lecteur n'ait vraiment envie d'aller se coucher. Vue par les yeux de Diego, jeune Mexicain sorti du ruisseau par Schell, sorte de magicien-charlatan-medium-marabout de génie, cette histoire abracadabrante se déroule le plus classiquement du monde en pleine dépression des années 30 aux Etats-Unis. Déclinaison imaginaire d'Oudini version politisée, Schell survole tranquillement la crise en dépouillant les riches crédules, certes, mais avec tact, élégance et beaucoup de sérieux. Secondé par Antony, véritable force de la nature (le genre qui tord les barres d'acier, tout de même) et Diego, ce Copperfield du pauvre dispense allègrement ses talents de manoirs en opulentes demeures, à grand renfort de magnésium, de tables tournantes, d'apparitions diverses, de ventriloquie et de gourous indiens. Cette lucrative activité change du tout au tout le jour où Schell aperçoit un vrai fantôme à travers une fenêtre. Une petite fille disparue, qui plus est. Disparition qui, comme dans tout roman à suspense qui se respecte, donne lieu à une enquête. Et une enquête beaucoup plus compliquée que prévue, hantée de ci de là par les fantômes eugénistes du décidément très rigolo Ku-Klux-Klan.

Servie par des personnages aussi fouillées qu'attachants (dont beaucoup sont de véritables figures historiques), une écriture fluide (traduction impeccable, au passage) et un second degré distancié permanent, La Fille dans le verre est l'archétype même du bon bouquin bien ficelé. Sans renouveler quoi que ce soit, Jeffrey Ford se contente de nous raconter une histoire, l'intelligence en plus. Quant à l'ambiance du livre, tout en nuances et en circonvolutions (d'événements comme de style), elle est tout simplement formidable. Laissez revenir le gamin qui sommeille en vous et dépêchez-vous de lire ce roman. Ça ne changera ni la face du monde, ni la littérature avec un « L », mais ça vous donnera beaucoup de bonheur… Qui s'en plaindrait ?

Expiration

Premier roman publié chez Denoël hors collection (curieux concept, d'ailleurs, est-ce à dire qu'aucune collection n'en veut ?), Expiration ne renouvelle rien, n'apporte rien, ne stimule rien, bref, pourrait n'être qu'un de ces romans ratés aussi vite publiés qu'oubliés si Anna Borrel se contentait de nous sortir une histoire aseptisée. Seulement voilà, Anna Borrel est journaliste et sait donc pertinemment que son lecteur ne lui accordera qu'un vague coup d'œil avant de passer à autre chose si elle ne fait pas tout pour le choper par le cou et lui replonger la tête dans son article. Même chose avec Expiration qui, malgré d'énormes défauts, donne envie d'en lire plus et d'attendre le petit deuxième de pied ferme.

Si le décor ressemble à une fête foraine aussi foireuse que peu crédible (Paris ceinturé de hauts murs assiégés par des hordes de pauvres régulièrement dégommés par des drones, pendant que les riches de la « Zone 1 » vivent dans la paix et le bonheur le plus total — merci au Jean-Pierre Andrevon du Travail du furet, publié en… 1983), quelques jolies trouvailles (?) renforcent l'ensemble. C'est le cas de la date d'expiration humaine, au-delà de laquelle, même riche, vous devez mourir pour permettre à la société de survivre (décidément, Anna Borrel a bien révisé son « Andrevon pour les nuls »). Le problème, c'est que certains ne s'y soumettent pas forcément, et qu'il devient donc nécessaire de les retrouver et de régler une bonne fois pour toute cette preuve flagrante d'incivisme. Au beau milieu de ce chaos, on suit le quotidien d'un petit flic né « hors-zone » et parachuté en Zone 1 en raison de ses excellents états de service. Pour un type né dans un champ de ruines, vivre en plein Paris est un rêve, un rêve qu'il ne compte pas laisser tomber. En proie aux vexations incessantes de ses collègues, Dessandres (c'est son nom) doit encore et toujours faire ses preuves. Et quand le corps d'un riche (et vieux) musicien à la retraite disparaît après sa date d'expiration, c'est tout le commissariat qui met le paquet pour le retrouver. Un échec serait catastrophique et remettrait en cause l'existence même d'une police d'état face aux milices privées beaucoup plus efficaces…

Hélas, en croyant résoudre un banal vol de cadavre, Dessandres met le doigt dans quelque chose de beaucoup plus gros…

Archi classique dans sa structure (limite pénible, d'ailleurs), dans ses personnages caricaturaux à l'extrême et dans le développement du complot (nécessairement plus important que prévu), Expiration souffre avant tout de son manque de crédibilité. En clair, on n'y croit pas une seconde. Une société aussi sinistrée ne peut tout simplement pas tenir plus de cinq minutes sans virer au carnage. Restent de bonnes idées et la peinture d'un néo-fascisme ordinaire dans un monde dévasté qui fait mouche si on décide une bonne fois pour toute de s'affranchir de son côté grand guignol.

L'Ensorceleuse

Publié sous une couverture aussi absurde que laide, le très élégant Mortal Love doit composer avec un titre français objectivement mal choisi et un non-engagement éditorial flagrant (ni en « Lunes d'encre », ni en « Denoël & d'ailleurs », mais enfin pourquoi ?). Le destin de L'Ensorceleuse semble donc scellé, ce qui est dommage quand on connaît le talent d'Elizabeth Hand et certaines de ses délicieuses nouvelles (à lire notamment dans Fiction nouvelle mouture, ou dans le numéro 9 de la série des anthologies périodiques Étoiles Vives). Histoire de compliquer encore un peu plus la chose, L'Ensorceleuse ne fait pas franchement partie des livres étiquetables. Fantasy urbaine, un peu, peinture sensible du milieu artistique fin XIXe siècle, certes, thriller horrifique et/ou merveilleux, aussi… Bref, les qualificatifs ne manquent pas et font de ce roman un excellent moment de lecture, à défaut du chef-d'œuvre espéré. Le style de Hand pose également problème. Très elliptique, essentiellement fondé sur le non-dit, parfois obscur ou carrément hallucinatoire, l'intrigue ne se livre pas facilement. De fait, les lecteurs souffrent quand il s'agit de suivre l'auteur sur un chemin évidemment éthéré. À l'instar de Robert Holdstock ou même de Léa Silhol, Elizabeth Hand s'approprie le sacro-saint petit peuple anglais et l'adapte à ses vues personnelles sur la nature profonde du merveilleux. Dès lors, mécanisme logique, l'impossible acquiert une présence extraordinaire, et s'il s'accompagne de brumes et d'hallucinations floues, les sensations éprouvées par les témoins sont d'une extraordinaire réalité.

Constitué de chapitres qui naviguent entre aujourd'hui et la fin du XIXe siècle, le texte bénéficie largement de ce bon vieux procédé littéraire et passionne suffisamment son lecteur pour lui donner envie d'en savoir plus. Hélas — ou tant mieux — Hand ne donne que très peu de clés. Et la principale est une femme, évidemment surnaturelle, mais aussi très réelle, dont la passion pour l'art (peinture, poésie, écriture, etc.) lui fait traverser le temps à la recherche de l'essence des choses. Hélas, pour les pauvres mortels qui la côtoient, fréquenter pareille muse n'est pas sans douleur et conduit souvent à la folie. C'est le cas de Daniel Rowlands, venu à Londres travailler sur le mythe de Tristan et Yseult pour un magazine américain, mais c'est aussi le cas — un siècle plus tôt — d'un peintre en devenir, de quelques poètes et d'un aliéniste qui tient plus du savant fou que d'autre chose. Tous s'autodétruisent au contact de la femme, et cette dernière se consume elle-même au contact de l'Art.

Eternelle parabole sur la douloureuse nécessité artistique, L'Ensorceleuse est un joli mélange des genres. De par sa construction volontairement éclatée et sa narration volontiers obscure, le roman d'Elizabeth Hand est avant tout déroutant. Mais pour ceux et celles qui acceptent de se faire malmener, le voyage vaut largement le détour. Fluide et évocateur, le style est un régal à lui seul. Et si l'intrigue ne se dévoile pas comme ça, elle en donne suffisamment pour construire une histoire pleine de sens, tout en s'offrant le luxe de se draper dans le mystère le plus aérien. À lire, donc, ne serait-ce que pour découvrir un univers à la fois original et inventif, en attendant les prochaines traductions qu'on espère nombreuses — ce dont il est permis de douter lorsqu'on sait qu'entre son premier roman traduit par chez-nous, l'excellent L'Eveil de la Lune, à l'époque chez Rivages dans la défunte collection « Fantasy » (avec une reprise en 2001 chez Pocket « Terreur », collection tout aussi disparue) et le second, L'Ensorceleuse, donc, il s'est écoulé… huit années !

Exultant

Dans le premier volume, une secte très ancienne élevait les enfants à la façon d'une ruche, avec le but de créer une coalescence susceptible de devenir une structure sociale défiant le temps, même en l'absence de dirigeant. Le roman s'achevait vingt-cinq mille ans dans le futur, au cours d'une interminable guerre opposant les Humains aux Xeelees. Le second tome de cette tétralogie (que l'éditeur persiste à considérer comme une trilogie…) commence là où s'arrête le premier, dans l'espace, lors d'un combat où il est clairement admis que les jeunes recrues ne sont que de la chair à canon formatée pour mourir jeune. Une vie brève brille d'une lumière vive est leur devise. Les Xeelees sont d'autant plus difficiles à vaincre que, par la magie des déplacements plus rapides que la lumière, ils sont en mesure de connaître les manœuvres de l'adversaire avant que celui-ci ait arrêté son plan. Pirius a joué sur ces décalages temporels pour gagner la première bataille contre l'ennemi, mais se retrouve dans une ligne temporelle du passé, face à son double qui n'accomplira jamais cet acte de bravoure mais n'en sera pas moins puni, en même temps que son auteur, car les initiatives personnelles, mêmes victorieuses, sont contraires aux ordres. Pirius Bleu (celui du futur) est envoyé comme simple soldat sur un astéroïde où il subit un entraînement éreintant tandis que l'innocent Pirius Rouge est contraint d'accompagner le commissaire Nilis dans des missions loin du front. Il se rendra progressivement compte que ce châtiment est en réalité une aubaine permettant à l'humanité de prendre l'avantage dans la guerre contre les Xeelees, dont on ne sait rien, ni sur les vaisseaux ni sur la raison pour laquelle ils investissent Chandra, le gigantesque trou noir au centre de la galaxie, hormis le fait qu'ils semblent y puiser leur énergie…

Ce roman pourrait n'être qu'un space opera de grande envergure — ce qui est tout à fait honorable — racontant une guerre contre un ennemi hors norme. Au passage, Baxter nous régale avec sa débordante imagination, notamment concernant d'autres formes de vie comme les Qax ou les redoutables Fantômes d'Argent, qui ressemblent à des miroirs sphériques dont la peau ferait partie d'un autre univers, ou encore les quagmites, formes de vie primitives nées quand l'univers n'était encore qu'une soupe de quarks. Mais Baxter nous transporte bien plus loin…

Sa réflexion sur l'évolution se poursuit avec un tableau récapitulant les étapes de la formation de l'univers depuis le Big Bang, qu'il parvient à peupler avec de la vie dès le premier millionième de seconde ! Outre cette époustouflante démonstration, il réussit le tour de force d'expliquer par ce biais les énigmes restantes de l'astronomie ou de la mécanique quantique : la masse manquante de l'univers et la répartition de la matière visible par agrégats, la prépondérance de la matière sur l'anti-matière, la structure de la galaxie spirale et la proportion anormale de lithium dans l'univers… Le tout est assaisonné de réflexions philosophiques sur l'apparition de la vie ou la nature de l'univers et la relation au temps, Baxter passant d'une idée à l'autre avec une agilité empêchant son audacieux échafaudage de s'effondrer.

Les amateurs d'aventure et d'action sauteront sans peine ces passages qu'ils jugeront bavards, les autres resteront bouche bée devant la maestria avec laquelle Baxter suscite chez le lecteur de science-fiction ce fameux sense of wonder qui est la matière exotique de cette littérature. C'est un enchantement permanent et du grand art, vraiment !

Les Chefs-d'oeuvre de H.G. Wells

Ce recueil comprend les principaux romans de science-fiction de Wells, à savoir La Machine à explorer le temps, Les Premiers hommes dans la Lune, La Guerre des mondes, L'Île du docteur Moreau, L'Homme invisible, M. Barnstaple chez les hommes-dieux ainsi qu'une novella, « Une Histoire des temps à venir », et onze nouvelles, pour s'achever par le document de son quasi homonyme, Welles (Orson), avec le texte de la célèbre adaptation radiophonique de La Guerre des mondes.

Le bilan est plus qu'impressionnant, puisque quatre de ces titres font encore aujourd'hui l'objet d'adaptations cinématographiques d'envergure. Il l'est davantage quand on considère que ces quatre chefs-d'œuvre ont été écrits par un auteur qui n'avait pas trente ans (La Guerre des mondes est paru en 1898, mais fut publié en feuilleton à partir d'avril 1997, soit avant les 31 ans de Wells, le 21 septembre). C'est à dégoûter de leur métier d'honnêtes artisans de l'écriture. Cela souligne en tout cas le génie de Wells et sa sagacité en matière de spéculation sociale et scientifique.

L'ensemble des textes de l'omnibus est antérieur à la première Guerre mondiale, à l'exception de M. Barnstaple chez les Hommes-Dieux, daté de 1923. Cette exploration involontaire, dans un monde parallèle, d'une civilisation avancée disposant de capacités télépathiques et vivant dans une utopie réussie démontrant au groupe égaré qu'il est possible d'échapper à l'Âge de la Confusion dans lequel est plongé l'humanité, s'inspire d'ailleurs d'une nouvelle de 1905, « Une Utopie moderne », elle-même développant des idées exposées deux ou trois ans plus tôt dans des articles. On aurait pu garder la nouvelle à la place du roman, qui ne fait que préciser et affiner les conjectures en présentant une société encore plus évoluée, et lui préférer un autre grand roman de Wells, Quand le dormeur s'éveillera, daté de 1899, afin de mieux centrer le recueil sur cette période de l'auteur, la plus féconde et la plus imaginative.

Car, en une dizaine d'années, Wells expose tous les thèmes fondateurs de la science-fiction moderne : l'invasion extraterrestre, le voyage dans le temps, les manipulations génétiques, les univers parallèles ! Dans le détail, on trouve le concept de nœud dans l'espace reliant des lieux éloignés entre eux, avec la fameuse analogie de la feuille de papier pliée pour rapprocher deux points distants (« Un Etrange phénomène », où un homme observe un autre monde dès qu'il ferme les yeux), l'utilisation de thérapies par les rêves (« Une histoire des temps futurs » date de 1905 et les premiers textes de Freud de 1899), l'usage intensif et urbain de trottoirs roulants bien avant ceux d'Asimov et d'Heinlein. Plus surprenant encore, Wells n'utilise pas ces thèmes comme de simples prétextes à l'aventure et aux voyages, mais les manipule d'emblée comme des outils servant la réflexion et le développement d'une pensée sociale. Car c'est bien la civilisation humaine et son devenir qui l'intéressent, comme il le démontrera dans son œuvre par la suite.

Le classement thématique (« Autres temps », « Autres mondes », « Autres monstres », « Autres dimensions ») met en lumière les prétextes imaginés par Wells pour se livrer à ses spéculations. La partie consacrée aux monstres met davantage l'accent sur la psychologie de l'individu, et encore n'est-ce là qu'une impression première, en raison notamment des savants fous remarquablement campés, le Dr Moreau et Griffin, l'homme invisible, car « Le Nouvel accélérateur », invention d'une drogue accélérant le temps de vie d'un individu, ce qui lui permet d'être le plus rapide dans des moments stratégiques, esquisse à son tour les conséquences sociales d'une telle invention.

Prétextes, car les autres civilisations, qu'elles soient extraterrestres, situées plus loin dans le temps voire hors de notre continuum, cachées comme le peuple sous-marin de « Dans l'abîme » ou inaccessibles comme les mondes entrevus dans les rêves (« Un rêve d'Armaggedon »), sont toujours l'occasion de dépeindre une société ayant fait des choix différents. Ici, un cristal sert d'appareil de communication pour observer Mars, là, l'explosion d'une mystérieuse poudre verte permet de voir un monde superposé au monde (« L'Histoire de Plattner »), ailleurs, l'apparition aléatoire d' « Une Porte dans le mur » ouvre sur des dimensions cachées. Il s'agit à chaque fois de voir l'inconnaissable ou ce qui n'existe pas encore, peu importe les moyens. Les explications, quand elles existent, empruntent au fantastique, rappelant que Wells s'est illustré dans ce domaine dès ses débuts. On en a un exemple avec « Mr Skelmersdale au pays des fées », qui exprime un sentiment disséminé dans d'autres récits : la nostalgie d'avoir approché trop fugacement une réalité jugée préférable à la nôtre.

Les dix récits d' « Autres dimensions », comparés aux trois ou quatre des parties précédentes, et qui leur sont globalement postérieurs, montrent une tendance à l'exploration de mondes imaginaires ressemblant davantage à la fuite d'un réel que l'auteur ne manque pas de critiquer ou de remodeler par ailleurs.

Tous ces récits ont remarquablement bien résisté au temps : efficacité de la mise en scène, sens de la narration et du suspense, avec toutefois une propension à recourir à un narrateur faisant autorité pour exposer les situations les plus incroyables, mise à distance dont on se passe le plus souvent aujourd'hui, mais qui a le mérite de donner des gages d'authenticité au récit et de la profondeur aussi, car un discours est déjà porté sur l'affaire.

Lacassin, dans sa préface, revient avec pertinence sur le parcours de cet auteur justement qualifié de « vagabond de la science, rêveur et prophète », difficilement réductible en tout cas à une seule catégorie. La lecture ou la relecture de ces récits ainsi mis en perspective s'avère indispensable et rappelle, au besoin, que Wells n'a pas usurpé le titre de père de la science-fiction moderne.

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug