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Les critiques de Bifrost

La Mémoire du vautour

La Mémoire du vautour

Fabrice COLIN
AU DIABLE VAUVERT
299pp - 20,00 €

Bifrost n° 47

Critique parue en juillet 2007 dans Bifrost n° 47

Prolifique, Fabrice Colin, c'est le moins qu'on puisse dire. Auteur adulte, auteur jeunesse, auteur bédé, conseiller éditorial (pour la collection Points « Fantasy »), l'animal surfe avec bonheur sur le livre au sens large et se fait stylistiquement plaisir avec La Mémoire du vautour, texte expérimental et personnel qui confirme deux choses : Fabrice Colin est un sacré bon auteur ; Fabrice Colin est un sale gosse qui prend plaisir à casser ses jouets, parce que, quand même, faut pas déconner.

Premier roman de littérature générale, précise la quatrième de couverture. Indication curieuse et inutile pour un roman qui n'a rien de général et qui assume parfaitement bien son héritage imaginaire. De là à reprendre pour nous la petite phrase qui définit un livre de S-F comme étant publié par une collection S-F, il n'y a qu'un pas. Hop, donc.

À la lecture de La Mémoire du vautour, on constate que Fabrice Colin n'a vraiment plus rien à prouver. Il n'est plus un « jeune auteur » (il n'est même plus jeune tout court, d'ailleurs) dont on attend avec impatience la prochaine production, celle-là même qui va faire très mal. Fabrice Colin est un auteur français avec ses points forts (une narration extrêmement rythmée, une densité textuelle rare, une façon d'asséner ses phrases dans la gueule du lecteur avec une sorte de détachement glacé) et ses points faibles (un scénario limite, un sens global trop introspectif pour intéresser véritablement un œil extérieur a priori étanche à ce genre de problématique), le tout baignant dans une volonté littéraire très éloignée de toute normalité. C'est tant mieux quand le voyage est maîtrisé de bout en bout, c'est tant pis quand l'édifice se casse la gueule tout seul. La Mémoire du vautour se casse la gueule, mais par une sorte de miracle antigravitationnel comme seule la S-F sait en produire, le livre ne touche jamais le sol. Belle manœuvre, donc, à lire de toute urgence pour en avoir le cœur net.

Au départ (et à la toute fin, ratée, vraiment ratée, tellement ratée qu'en a envie de râler très fort et de la divulguer, mais on n'a pas le droit de gâcher le plaisir des autres), il y a Bill Tyron, sorte de dilettante (mal)heureux contacté par une mystérieuse agence paragouvernementale pour envahir l'intimité d'une ex-G.I. cancéreuse en phase terminale dont il va (ah, tiens ?) tomber forcément amoureux, au point de faire très exactement ce qu'il ne faut pas faire, à savoir mettre son nez là où il ne devrait pas. Car cette G.I. (Sarah) a bénéficié d'un traitement cérébral très avant-gardiste : on (qui ça, on ?) lui a effacé une partie de la mémoire, suite à une expérience douloureuse en Indonésie. Voilà pour le panorama.

Fort logiquement, Colin délaisse ensuite son personnage pour s'intéresser à Sarah et se glisser dans sa peau. Une visite intériorisée réussie, passionnante par bien des aspects, qui débouche sur… Plus grand-chose, en fait, ou plutôt si, mais à l'excès, trop de choses. Un accident d'avion, un vautour mangé par un tigre mangé par un homme mangé par un requin mangé par un homme, une bien belle ménagerie pensante assez génialement dépeinte par un Fabrice Colin qui sait où il va, lui. Le lecteur, peut-être pas, mais c'est aussi ça, la littérature, pas vrai ? Bref, tout ça ne manque pas de piment, sauf que d'autres personnages entrent en scène, des personnages dont on n'a pas forcément saisi l'intérêt, tous vaguement reliés à d'autres, mais qu'importe, l'histoire continue à se dérouler tranquillement, de visites touristiques en expériences extrêmes (toujours impeccablement décrites et impeccablement écrites) pour se présenter à la toute fin comme une sorte de gros collage minutieux savamment emballé en roman. Plutôt raide, donc, mais soit.

On ne peut pas décemment reprocher à Fabrice Colin d'avoir écrit le roman dont il avait envie. Hélas, ce roman n'est pas le nôtre, et le contrat lecteur/écrivain passe toujours mieux quand les deux arrivent à se parler, sans nécessairement se comprendre, d'ailleurs, mais au moins se parler. Ici, pas de miracle, juste un bon bouquin bien fichu, apparemment bien construit, mais qui se perd en route. On pourra toujours râler en précisant que non, la fin replace l'ensemble sur ses pieds, mais le manque de cohérence générale laisse quand même le lecteur sur sa faim. Alors, sommes-nous passés à côté de quelque chose ? Peut-être. La quatrième de couverture évoque un road movie à la David Lynch. Oui, sans doute. Mais ce qui marche au cinéma ne fonctionne pas forcément par écrit.

Patrick IMBERT

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