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Les critiques de Bifrost

Coalescence

Coalescence

Stephen BAXTER
PRESSES DE LA CITÉ
540pp - 23,00 €

Bifrost n° 43

Critique parue en juillet 2006 dans Bifrost n° 43

De nos jours. À la mort de son père, George Poole, informaticien londonien, apprend qu'il aurait eu une sœur jumelle. Cherchant à résoudre ce secret familial, sur lequel sa sœur aînée, Regina, expatriée aux Etats-Unis, refuse de se répandre, il se lance sur la piste de l'Ordre de Sainte Marie Reine des Vierges, une institution basée à Rome, spécialisée dans la généalogie, aidé par Peter, un ancien camarade d'école qui élabore des idées bizarres sur la nature de l'univers, la mécanique quantique ou sur l'Anomalie de Kuiper, l'étrange lumière récemment apparue dans la ceinture d'astéroïdes.

Sous la domination romaine, Regina, fille de dignitaires occupant la Bretagne, voit son univers se délabrer : sa famille dispersée ou décimée en peu de temps, elle est hébergée par la famille de son esclave affranchie, laquelle essuie à son tour des revers et fuit devant les invasions barbares. Malgré la série de malheurs qui l'accablent, Regina, au fort instinct de survie, se fraie un chemin dans la vie, jusqu'à intégrer, à Rome, une communauté féminine, qu'elle va faire évoluer pour assurer à sa descendance un havre de paix. Dans les catacombes transformées en abri inviolable, les femmes de l'Ordre de Sainte Marie prospèrent à l'écart de la folie du monde.

De nos jours encore, Lucia, élevée dans l'Ordre, est effrayée par le destin qui l'attend car elle est capable, au contraire de ses sœurs stériles, de concevoir des enfants d'une façon non orthodoxe.

Ces trois récits entrelacés forment une fascinante intrigue qui permet à Stephen Baxter de se pencher, une fois de plus, sur le thème de l'évolution. Ici, il développe le concept d'émergence en étudiant la façon dont un agrégat d'actions isolées, une coalescence, se transforme en structure : c'est l'embouteillage automobile résultant de décisions individuelles prises dans l'ignorance, c'est la ville adoptant sa physionomie avec ses rues commerçantes et ses quartiers insalubres, ou encore une mosaïque d'activités comme le transport de marchandises, les services de voirie ou de sécurité débouchant sur un système autonome, une société qui perdure malgré les actions des dirigeants à leur tête. C'est la ruche, où l'individu, dont le rôle est permutable, n'a pas de vision globale du système. Par sa perfection même, cette eusocialité figée est une impasse évolutive.

La démonstration qu'en fait Baxter à travers son roman est aussi implacable que vertigineuse. Il la poursuit même vingt mille ans dans l'avenir, dans une conclusion opposant l'Expansion à la Coalescence. Et par une de ces acrobaties intellectuelles dont il a le secret, l'auteur parvient à relier son propos à la manipulation de l'espace-temps par un générateur de trou noir et à l'Anomalie de Kuiper qui pourrait bien se révéler être une menace pour l'évolution de l'humanité… dans un volume à venir.

On a du mal à apparenter ce roman à de la science-fiction tant l'essentiel du récit, alternativement conté sur le mode du thriller ou de l'épopée romanesque, est faible en éléments permettant de le reconnaître pour tel. Les révélations entraînant ces puissantes spéculations n'interviennent qu'en fin de volume, après que Poole est parvenu au terme de sa passionnante enquête et que le récit de Regina, superbe reconstitution historique de la décadence romaine, s'achève, et juste avant de conclure de façon magistrale ce fascinant opus. Baxter est si stimulant intellectuellement que personne n'a plus honte, grâce à lui, de lire de la science-fiction ; on aurait plutôt honte d'avouer qu'on n'a pas encore lu Baxter. Magistral.

Claude ECKEN

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