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L'Alchimie de la pierre

Ekaterina Sedia est une auteure russe émigrée de longue date aux États-Unis. Si L’Alchimie de la pierre, publié en 2008 outre-Atlantique, est son troisième roman, il s’agit là de son premier titre à paraître en France.

Mattie est une automate. Son créateur, Loharri, un Mécanicien renommé, s’est surpassé en la fabriquant : il l’a dotée de nombreuses caractéristiques remarquables, à l’image de ses yeux, capables de s’extruder pour améliorer sa vision, ou de son visage interchangeable quand la porcelaine se fêle ou se casse. Mais, surtout, il lui a fait un cadeau prodigieux : une conscience, oui, rien que cela, qui lui permet de réfléchir à sa destinée, voire même de ressentir quelques embryons d’émotions. Mattie a mis à profit ses facultés de raisonnement pour devenir Alchimiste, domaine où elle ne tarde pas à exceller, ce qui lui vaut de décrocher bon nombre de contrats. Jusqu’à se trouver sollicitée par les gargouilles, ces créatures mystérieuses ayant fondé la cité, mais qui se transforment peu à peu en pierre et souhaitent voir leur condition évoluer. Pour répondre à leurs attentes, Mattie se lancera dans une quête de connaissances vite contrariée par les circonstances. En effet, dans la cité, la domination séculaire des Alchimistes et des Mécaniciens est progressivement mise à mal par des anonymes qui souhaitent voir abolis les privilèges sociaux des plus nantis. Une révolution qui pourrait bien annoncer des flots de sangs…

Le roman démarre comme une fantaisie steampunk mâtinée d’humanisme, alors qu’une créature créée de toutes pièces essaye de trouver sa place dans la société tout en s’interrogeant sur les motivations réelles de son créateur. Est-elle un simple jouet ? Une démonstration de la virtuosité de Loharri ? Voire une expérience sur ce qui définit l’être humain ? Sans doute un peu tout cela, mais il ne faut pas compter sur Loharri pour lui donner des indices ; ce dernier se contente de garder sa création sous son joug par le biais de la clé permettant de remonter régulièrement ses mécanismes. Aussi Mattie tente-t-elle de trouver seule les réponses aux questions qui la minent, tout en nourrissant des sentiments ambivalents vis-à-vis du Mécanicien. La dévotion de Mattie envers son « père », mais aussi sa haine de le voir la brider en permanence, sont admirablement décrits, tout en empathie, et font de Mattie un personnage attachant qu’on n’oubliera pas de sitôt. Il en va de même pour certains des personnages secondaires, comme le Fumeur d’âmes, dont la destinée est tout autant bouleversante.

Progressivement, le propos du roman se déplace, ou plutôt s’enrichit d’une nouvelle thématique : la lutte sociale. On l’a dit, la révolution est en marche, et elle ne s’arrêtera pas : après un terrible attentat, la révolte ne cesse d’enfler, laissant bientôt place aux émeutes, au chaos dans toute la cité. Mattie, qui assiste en spectatrice au début des événements, sait qu’elle ne pourra en rester là. Après tout, son double statut d’automate alchimiste lui permet d’accéder à certaines informations relatives aux deux castes, et elle comprendra que cette lutte pour l’égalité est tout sauf usurpée. Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous, et pas uniquement réservé à certains clans favorisés ; le conflit n’est au fond qu’une transposition de son propre combat pour l’émancipation. Mattie évolue ainsi favorablement vers les aspirations des insurgés, mais, si la révolution se produit et fait tomber Mécaniciens et Alchimistes, cette issue ne risque-t-elle pas de lui être fatale, à elle qui est le point de convergence des deux statuts ? À cette douloureuse question, Mattie devra, une nouvelle fois, trouver des réponses sans espérer l’aide de quiconque.

Roman subtil et d’une belle inventivité, steampunk féministe qui traite tout autant des fondements de la société que de l’avenir de celle-ci, L’Alchimie de la pierre est un très beau livre. Et son auteure, Ekaterina Sedia, une nouvelle voix envoûtante qu’on souhaite réentendre au plus vite.

Sombres cités souterraines

Jeremy Jones, graphiste indépendant, est un homme effacé qui vit pratiquement en reclus. Jadis, il était le héros de Jeremy au Pays imaginé, roman écrit par sa mère E.A. Jones, publié en 1953 et premier d’une série qui connut un succès mondial. Du moins pour les quatre premiers titres, dont les intrigues sont du petit garçon, contrairement aux cinq suivantes, dues à la mère et jugées ternes par la critique et le public. Depuis, mère et fils sont brouillés. Jerry, c’est ainsi qu’il veut qu’on l’appelle pour couper court à son fantôme littéraire, a loupé son mariage et multiplié les passages chez le psy.

Un jour, il reçoit la visite de Ruth Berry, charmante journaliste et mère d’une fillette qui a pratiquement l’âge de Jeremy lors de sa première aventure. Elle va tout comme lui disparaître. Les souvenirs enfouis de Jerry vont affluer à sa mémoire, l’obligeant à admettre que tout ce qu’il tenait pour rêveries enfantines est vrai. Il doit redevenir Jeremy, ce qui lui est instamment réclamé, notamment par le Conseil de l’Ombre avec à sa tête l’inquiétant Barnaby Settertop, rien moins que le dieu Seth. S’ensuit un parcours d’aventures via les couloirs du métro dont le réseau mondial conduit à toutes les destinations dès lors qu’on peut les imaginer.

Publié en 1999, et succédant de trois ans au Neverwhere de Neil Gaiman, avec lequel il partage nombre de thèmes (et pour chez nous la même excellence de traduction due à Patrick Marcel), Sombres cités souterraines est une lecture indispensable pour au moins trois raisons.

En premier lieu, il offre le meilleur de la fantasy urbaine, d’influence largement psychogéographique, avec en partage pour la seule symbolique du métro Iain Sinclair, Alan Moore et Grant Morrison. Lisa Goldstein nous dépeint l’histoire, ésotérique et parfaitement crédible, du transport occulte qui associe réseau londonien, barrage d’Assouan et canal de Suez, dieux égyptiens en prime.

En deuxième lieu, le présupposé narratif du roman est étourdissant. Le Peter Pan de James Mathew Barrie, Alice au Pays des merveilles de Lewis Carroll, Le Vent dans les saules de Kenneth Grahame et Winnie l’ourson d’Alan Alexander Milne, seraient quatre évocations littéraires d’un même pays accessible aux seuls enfants, Jeremy et la fille de Ruth n’étant que les derniers d’une longue liste.

Enfin, le roman propose une réflexion amère et juste sur le fait de devenir adulte, après avoir été le héros enfantin d’un récit merveilleux. Peter Llewelyn Davies, modèle de Peter Pan, s’est suicidé en se jetant sous une rame. Alaistair Grahame a été percuté par un train sans que l’on sache s’il s’agissait d’un accident ou d’un acte volontaire. Lisa Goldstein dépeint magnifiquement la tristesse de l’homme qui s’est éloigné de l’enfant. En commettant cependant une erreur lorsque, p. 176, elle donne Christopher Milne comme exemple de vie heureuse. Erreur d’autant plus étonnante de la part de Goldstein que son Jeremy a pour principal modèle Christopher. Jusqu’à l’évocation de son compagnon dragon qui renvoie non pas à Winnie, mais à Tigrou, acheté et non offert par Milne au garçon afin « qu’il en tire une histoire », selon les mots du père écrivain. En réalité, Christopher a connu toute sa vie une existence triste, qu’il décrit dans son autobiographie The Enchanted Place, parue en 1974. Lorsqu’il naît, Alan Alexander Milne écrit dans son journal : « Tout ça, pour ça ; si petit, si laid ». Au soir de Noël 1927, l’écrivain passe un disque qu’il a fait enregistrer sur lequel il affirme : « Je suis la plus importante personne de la maison. Christopher Robin n’existe pas. Il est le fruit de mon imagination », et ainsi de suite. Preuve une fois de plus que l’homme n’est pas l’écrivain, et que l’on peut écrire un chef-d’œuvre de la littérature enfantine tout en n’aimant pas les enfants, « sentiment mièvre et pathétique »ajoutait encore Milne.

Pour ces raisons, et une quantité d’autres que le lecteur est invité à découvrir, Sombres cités souterraines est un roman d’exception. On y ajoutera sur le même thème The Unwritten, remarquable comic de Mike Carey et Peter Gross paru chez Panini Comics.

La Source au bout du monde

Avant de parler de La Source…, il faut dire quelques mots de William Morris, l’auteur injustement méconnu de ce roman présenté comme la grande œuvre picaresque de l’époque victorienne.

William Morris (1834-1896) est un artiste britannique polyvalent, membre du groupe Arts & Crafts, poète, écrivain, dessinateur, architecte, imprimeur… C’est aussi un militant socialiste et un écologiste radical infatigable qui pourfendait avant l’heure la société de la marchandise, et ajouta à ses discours et pamphlets une touche romanesque avec Un rêve de John Ball, une fable morale qui parle de voyage dans le temps et d’émancipation. C’est dans cette même veine que s’inscrit la bien plus ambitieuse Source au bout du monde.

Moyen-Âge rêvé. Rodolphe, fils cadet du roi des Hauts-Prés, s’enfuit du château de ses parents – de bons et sages seigneurs – pour partir à l’aventure et à la découverte du monde. Il apprend vite la légende d’une mystérieuse source, loin, si loin, qui donnerait puissance et longévité à ceux qui y boiraient. En chemin, il connaît moult aventures et périls sans nombre, aime deux femmes qui l’aiment et l’aident toutes deux, est le témoin aussi du malheur que subissent les peuples gouvernés par de mauvais souverains. À l’issue d’une quête aussi longue que périlleuse, Rodolphe boit à la source magique puis revient dans le royaume de son père. L’enfant est devenu un homme, il a vu des merveilles, vaincu des ennemis redoutables, retrouvé puis épousé la dame de ses pensées. Il est maintenant prêt à régner dans la justice et pour le bien du peuple.

Écrit dans un style à mi-chemin entre conte et roman de chevalerie, La Source… est un roman d’une lecture agréable et facile qui ramènera le lecteur aux souvenirs les plus doux des épopées de son enfance. Il y croisera des chevaliers justes ou félons, des brigands, une sorcière, un ours, des traîtres, des lascars, et devra, à la fin, chasser les brigands qui menacent son pays avec l’aide d’une armée de tous les amis qu’il s’est fait. Présenté comme un des premiers textes de fantasy, le voyage aller/ retour de La Source… évoque bien sûr Le Hobbit, et l’opposition entre bon et mauvais souverains, esclavagistes et artisans, dans un monde que l’industrie n’a pas encore flétri, « Le Seigneur des Anneaux ». On pense aussi à la quête du Graal.

Mais il y a plus. Contrairement aux très chastes héros de Tolkien, ceux de Morris ont un sexe et un cœur ; le roman, tant par son contexte que par ses élans outranciers des sentiments lorgne vers le romantisme, voire le gothique, style que Morris appréciait beaucoup en architecture. Et il y a encore plus. Morris dépeint un héros qui apprend de ses observations, porte attention à la misère sociale – de l’esclavage jusqu’à l’infortune des hommes libres gouvernés par des tyrans –, n’hésite pas à accorder la place prééminente dans son aventure à une femme, trouve amitié et amour au-dessous de sa condition. À la fin, Rodolphe vainc grâce à tout un peuple qui lui fait confiance car il le sait juste. Il régnera pour le bien de tous, illustrant – dans ce roman intemporel mais imprégné de culture chrétienne – la doctrine thomiste : « tout pouvoir vient de Dieu, mais par le peuple ».

Adar

Drôle de bouquin, où douze auteurs de la dernière génération, plus ou moins connus, se sont regroupés autour de l’un des plus brillant d’entre eux, Léo Henry, pour revisiter l’univers qu’il avait créé avec le regretté Jacques Mucchielli : Yirminadingrad.

Yirminadingrad est de ces lieux que sait parfois créer la science-fiction, à l’instar de l’Archipel du Rêve de Christopher Priest ou du Vermilion Sands de Ballard. Avec toutefois cette différence que l’on n’a aucune envie d’y aller. À travers cette anthologie, Léo Henry a tenu à partager sa création comme Michael Moorcock l’avait fait du monde de Jerry Cornelius dans La Nature de la catastrophe. Ou, actuellement, Mathieu Gaborit pour son univers d’Ecryme.

Où est Yiminadingrad ? Au centre du monde. Sur des terres naguère encore soviétiques qui furent aussi celle de Tamerlan. Vers le Turkménistan ou à l’ouest de la Caspienne. Stepanakert et Grozny, frappées par la guerre civile m’étaient venues les premières à l’esprit comme modèle de Y. Mais c’est un port sur la Mer Noire, Marioupol, plutôt… Au travers d’Adar, on va parcourir les mythes qui sont l’âme de la cité qui continuera d’exister quoi qu’il advienne tant qu’ils resteront vivaces au cœur d’habitants pourtant eux-mêmes des plus mal en point.

La première nouvelle accroche terriblement avec cette histoire qui d’emblée expose combien Yirminadingrad n’est pas un lieu de tout repos, mais traversée de lignes de forces conflictuelles et mythiques créant autant de zones de tension. Yirminadingrad n’a pas grand-chose à offrir, si ce n’est un espoir vain : un Occidental gay y connaîtra la fatale étreinte du béton frais pour n’avoir pas su entendre les mises en garde de la ville lui murmurant qu’il n’y était point chez lui.

Le puissant texte qu’est « Sur les murs, le visage de ma mère » nous entraîne dans la genèse du mythe où le personnage en quête de sa mère disparue la retrouve partout, incarné en Yirminadingrad dans son besoin d’élaborer une mythologie nouvelle pour se survivre… Rasée, la cité se réimprime en 3D sous l’égide d’une IA copie d’un architecte défunt, mais c’est de plus qu’un simple supplément d’âme dont elle a besoin…

Créée d’après les dessins de Stéphane Perger, qui illustrent chacun des douze textes, dont beaucoup sont racontés, après coup, comme en un Retour SUR Yirminadingrad, cette anthologie collective dont les textes ne sont pas signés individuellement présente une curieuse unité de ton, voire de style, comme autant de pastiches. Ici encore, des auteurs sacrifient au dire plutôt que montrer – non sans bonheur.

Ce livre pourrait bien revêtir quelque importance pour l’avenir du genre dans nos contrées par une résurgence d’un certain formalisme tout en véhiculant quelque chose de la vieille SF politique. Plusieurs textes s’y apparentant davantage à de la poésie en prose qu’à des écrits narratifs, et sont autant de vignettes révélatrices de l’esprit qui imprègne cette ville-univers, seul véritable personnage au cœur de l’anthologie. L’effacement des protagonistes au profit de Y est ce qui permet de dire avec succès, laissant juste entrevoir mais forçant à ressentir jusqu’au fond de ses tripes, combien cet univers est oppressant.

Tout n’est pas parfait, loin s’en faut, mais même les textes les plus anecdotiques contribuent à l’ensemble, conférant sa force à cet univers d’agonie urbaine, de friches industrielles polluées, zones toxiques d’une cartographie de la souffrance, de l’âme comme du corps. Artères désertées par tout fluide vital où ne se croisent plus guère que quelques déshérités et des artistes inspirés par le chaos. Le petit bourgeois s’en est allé sous des cieux meilleurs, abandonnant la ville à ceux qui n’ont pu ou su la quitter à temps… L’entropie règne sur Yirminadingrad, mais ça et là viennent éclore quelques fleurs d’espoir crevant le béton… Un univers que l’on découvrira volontiers au travers des pages d’un livre. Yiminadingrad, ciel lourd, béton froid…

La Reine en jaune

Cinq longues nouvelles et autant de « fragments » constituant une sorte de fil rouge composent ce recueil où Anders Fager nous ouvre les portes d’un Stockholm et d’une Suède où l’horreur s’embusque juste là, au coin de la rue, où on l’attend le moins – un univers glauque et fiévreux découvert, on s’en souvient, avec Les Furies de Borås. Reste que pour ce deuxième recueil, si l’impact est moindre, l’ensemble n’en demeure pas moins accrocheur.

« Le Chef-d’œuvre de mademoiselle Witt » nous ramène cinquante ans en arrière, quand Christopher Priest était un jeune écrivain dynamitant tout qui nous balançait « La Tête et la main » en pleine poire. Anders Fager a beau ajouter une forte dose de stupre au thème, le texte n’a pas la violence radicale de celui de Priest mais se pare d’un certain effet gore. L’écriture offre toutefois des qualités plus que suffisantes pour qu’il soit impossible de lâcher le livre bien que l’on sente vite où l’auteur veut nous mener. On sait, mais on suit…

Si l’on ne meurt pas au quatrième étage de la maison de retraite, l’horreur peut s’y tapir, dissimulées sous l’apparence d’inoffensives mises en scène d’antiques cérémonies.

Un effroi tout lovecraftien peut surgir des eaux baignant l’archipel de Stockholm à l’occasion d’une opération militaire ultrasecrète de chasse au sous-marin russe en cette fin de Guerre froide et ne laisser que mort et folie sur son passage.

Après avoir livré son chef-d’œuvre, My Witt ne pouvait que découvrir l’hospitalité morbide de l’hôpital psychiatrique, haut lieu hermétique de toutes les violences et sadismes qui peuvent s’y donner libre cours, exacerbés par l’impunité dont les auteurs se sentent investis.

Yog-Sothoth est de la partie pour conclure en beauté « Le Voyage de Grand-Mère ». Les petits enfants d’un clan de… de quoi ? Loups garous ? entendent faire traverser la plus grande partie de l’Europe à leur génitrice monstrueuse, crevant de peur et la suintant autour d’eux dans des relents de puanteur indicible que la pluie peine à laver.

Dans ce recueil, on patauge dans la pisse, la merde, le foutre, jusque par-dessus les bottes, à quasiment toutes les pages. Tout le livre exhale l’odeur fade des couches, de l’hospice à l’hôpital psychiatrique. Les odeurs sont là, omniprésentes, conférant au recueil quelque chose du pire ou du meilleur (comme on veut) du Clive Barker des « Livres de Sang ». Le varech et les corps en décomposition donnent un contrepoint olfactif et horrifique rappelant combien Les Furies de Borås empestait plus qu’à souhait le poisson pourri.

Anders Fager questionne les limites et la fusion de l’art et de la pornographie, interroge ces lieux d’enfermement que sont les asiles psychiatriques et les hospices où la société entend circonscrire mort et folie ; il exhibe la peur que des sociétés soi-disant tolérantes et démocratiques engendrent de part et d’autre de la différence, nous entraîne dans les zones d’ombre oppressantes d’un monde étreint par l’angoisse, s’apparentant ici à l’école policière scandinave très en vogue aujourd’hui.

L’horreur selon Anders Fager ne vous glace pas tant les sangs qu’elle vous laisse le cœur au bord des lèvres, mais une chose est certaine : le Suédois sais jouer à merveille de la palette d’effets qu’il s’est choisi. Si vous appréciez la littérature d’horreur scatologique, c’est le livre qu’il vous faut.

Le Prisonnier

S’il devait n’exister qu’une seule série télé culte, ce pourrait bien être Le Prisonnier ! Qui, parmi ceux qui pouvaient regarder la télé à la fin des années 60, ne se souvient de ce générique qui pose toutes les prémices des divers épisodes ? Paranoïaque à souhait, la série brasse l’ensemble des thèmes engendrés par une Guerre froide qui battait alors son plein. Il va sans dire que Le Prisonnier fut une série d’une grande finesse conceptuelle et plutôt subtile.

Quant à Thomas M. Disch, qui nous a tragiquement quittés en 2008, il faisait un constat des plus amer sur le progrès. « Le progrès, disait-il, n’est que ce qui consiste à faire du monde un meilleur piège à rat. » Ce ne sont pas les essais abondant en ce sens qui font défaut. Quand l’individu (c’est devenu un gros mot) devient la proie des techniciens du rêve, existe-t-il encore une réalité ? nous demande la quatrième de couv (édition Presse de la Renaissance, 1977). Partant de là, qui mieux que Thomas Disch, post-dickien fameux s’il en est, qui s’était déjà adonné l’année précédente (1968) à un exercice comparable avec Camp de concentration, pouvait noveliser la série ? Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une novélisation stricto sensu, mais d’une adaptation plutôt scrupuleuse en un seul one-shot qui shunte les inévitables redondances imputables au fait qu’il s’agisse, oui, d’une série. Disch s’en tire haut la main en tenant la gageure d’être à la fois respectueux de la série ET de donner un roman tout à fait personnel.

Le Village apparaît tel un ruban de Mœbius ramenant toujours l’évadé à son point de départ, et les nombreuses tentatives de No6, incarné à l’écran par Patrick McGoohan, pour s’échapper du Village qui servaient de ressort dramatique aux divers épisodes passent largement par pertes et profits pour se concentrer sur le fond, l’essentiel.

D’entrée de jeu, le roman de Disch va au-delà de la série où l’on pouvait au moins tenir pour acquis que no6 était bel et bien prisonnier ; dans le livre, même cela est sujet à caution. On ne cesse de se perdre dans un univers labyrinthique où tout n’est que faux-semblants et jeux de masques et de miroirs, apparaissant aux détours des dialogues ; où les gens (Liora/Lorna) ne sont jamais ce qu’ils paraissent et partagent des souvenirs différents. No6 n’est-il pas No2 ? Parce que le rôle de chef du Village offre davantage d’opportunités de le voir enfin parler ? Dans le livre, les interactions entre les personnages sont davantage les clés des altérations d’identité que la technique abondamment mise à contribution dans la série. Le sort de No6 semble de plus en plus intrinsèquement lié au Village, qui n’existerait que pour lui seul. Ce dernier serait alors, à l’instar du Truman du film Truman Show, l’objet d’une expérience, mais dont il serait à la fois acteur et spectateur, sans autre public.

On ne retrouve guère le caractère parfois emporté, inflexible du No6 de l’écran ; le personnage de Disch est plus souple, défiant l’organisation du Village sur le terrain de la seule intelligence plutôt que de la volonté, au vu et au su de tous, comme dans Camp de concentration ou aux échecs. Est-ce bien le même homme ? Il est vrai (vrai ?) que nous sommes au Village…

On notera aussi que les répliques les plus spécifiques de la série sont édulcorées dans le livre, qui s’éloigne ainsi encore davantage de la pure novélisation.

La série devait énormément à l’esthétique incomparable du Village et de ses résidents, qui lui donne un air théâtral de carnaval permanent, autant de lieux de l’irréel que l’on ne retrouve pas dans le roman. Disch n’est ni Balzac ni même Stephen King pour ce qui est des descriptions, voilà tout. Ce sera là l’unique bémol.

À l’instar de la série, le roman est marqué par son époque. Il date, d’une certaine manière, fruit qu’il est des obsessions de la Guerre froide. Reste un inquiétant roman fort de ses thèmes, qui, pour une fois, est un joli complément à la série télé. À lire, tranquillement, au Village. Bonjour chez vous.

SS-GB

Si vous croyez que l’Allemagne n’a pas envahi l’Angleterre, retournez à vos livres d’Histoire alternative. Après un débarquement réussi et une blitzkrieg victorieuse, la Wehrmacht a contraint le gouvernement britannique à capituler. La perfide Albion est désormais sous le joug allemand, son souverain enfermé à la Tour de Londres et son Premier ministre – « du sang, de la sueur, des larmes, de la souffrance et du labeur » – passé par les armes. À Scotland Yard, dont l’administration a annexé une grande partie des bâtiments, le commissaire principal Douglas Archer, surnommé avant-guerre l’archer du Yard, obéit aux ordres du Gruppenführer SS Kellerman. Archer a le sens de l’État, même s’il ne travaille pas de gaîté de cœur pour l’occupant. Mais il se méfie davantage de ces résistants acharnés dont les actions désordonnées nuisent au retour au calme. Appelé sur une scène de crime, il se trouve mêlé bien malgré lui au jeu de dupes animant les différents cercles du pouvoir nazi. Un jeu rendu encore plus trouble par les États-Unis et les forces de la Résistance britannique.

Publié une première fois en français par les éditions Alire, SS-GB bénéficie d’une salutaire réédition, sans aucun remaniement de la traduction de Jean Rosenthal, chez Denoël dans sa collection « Sueurs froides ». La parution sous un label dédié au thriller ne doit cependant pas perturber l’amateur d’Imaginaire, surtout s’il apprécie l’histoire alternative. Len Deighton œuvre en effet ici dans un registre très proche de celui de Fatherland de Robert Harris. Et si l’uchronie peut paraître secondaire, servant de prétexte à une intrigue d’espionnage, l’auteur britannique lui confère suffisamment de vraisemblance par sa grande connaissance des rouages de l’armée allemande et de l’administration nazie.

On trouve en effet dans SS-GB les deux marottes de Len Deighton. Son goût pour l’Histoire d’abord, le bonhomme est historien militaire, mais aussi une certaine appétence pour le roman d’espionnage. Len Deighton jouit dans ce dernier domaine d’une réputation flatteuse, du moins si l’on se fie à son premier roman, The Ipcress Files, titre ayant fait l’objet d’une adaptation au cinéma (Ipcress, danger immédiat, en 1965), déclinée ensuite en série, avec Michael Caine dans le rôle de l’espion Harry Palmer. Dans SS-GB, l’auteur britannique décrit une Grande-Bretagne occupée assez vraisemblable, focalisant son attention sur la bureaucratie allemande. Le quotidien des citoyens anglais, les pénuries, les ruines engendrées par les bombardements, l’antisémitisme et la ségrégation sont en effet reléguées à l’arrière-plan par Archer. Le commissaire apparaît comme un type de l’ancienne école, endeuillé par la perte de sa femme pendant le Blitz et finalement assez désabusé. Pas au point néanmoins de ressembler à Sam Spade. Il y a encore chez Archer des sursauts d’espoir et un respect obséquieux des conventions que l’on ne trouve pas chez l’Américain.

Dans un décor d’uchronie, Len Deighton pose une intrigue classique de roman d’espionnage, déroulant la quincaillerie habituelle des faux-semblants, du double, voire du triple jeu, histoire de faire monter la paranoïa des personnages et de ferrer le lecteur. Rien de neuf sous le soleil, nous diront les laudateurs de John Le Carré ou de Eric Ambler. Pour preuve, il suffit de remplacer les SS, la Wehrmacht, la Résistance et les États-Unis par le KGB, la CIA, quelques transfuges et autres opposants clandestins pour retrouver une atmosphère qui ne dépareillerait pas à l’époque de la Guerre froide.

En dépit de cette impression de déjà-vu, SS-GB n’en demeure pas moins un roman efficace et astucieux, proposant une version alternative de l’après-guerre crédible. Bref, de la belle ouvrage pour l’amateur de suspense, auquel la BBC va offrir une adaptation sous forme de série à la télévision.

Scintillements

Scintillements a de quoi réjouir l’amateur d’Ayerdhal, du moins s’il a une âme de complétiste. L’ouvrage a en effet le mérite de rassembler toutes les nouvelles de l’auteur, des textes parus sur différents supports de manière éparpillée, et d’y ajouter dix textes inédits. Publié au Diable vauvert, devenus au fil du temps l’éditeur de cœur de l’auteur, Scintillements s’enrichit aussi d’une courte préface de Pierre Bordage et d’un assortiment d’interviews, notamment celle menée de main de maître par Richard Comballot pour le recueil Voix du futur. Bref, on ne peut pas reprocher à l’éditeur languedocien d’avoir bâclé son travail.

On ne se livrera pas ici, bien sûr, à une recension de l’ouvrage : quarante textes, la tâche risquerait de devenir vite lassante, voire rébarbative, et ce ne serait pas rendre justice à l’auteur, décédé il y a maintenant plus d’un an. Il suffit juste de savoir qu’on y trouve un condensé de ses thématiques préférées et de son intérêt pour l’éthique, les technosciences, le féminisme, le pouvoir, la liberté et l’anticonformisme. Que les éventuels curieux apprennent quand même que Scintillements propose de la rareté, notamment « Mat, mat, mat », la première nouvelle d’Ayerdhal, écrite avec son frère, pas forcément indispensable mais en mesure de flatter le collectionneur sommeillant dans chaque fan. Le recueil compte aussi son lot de textes anodins et inoffensifs, vites écrits autour d’une thématique pour satisfaire un dossier spécial dans la presse ou une plaquette promotionnelle pour une exposition. On y trouve des pastiches (« Le Réveil du croco » et « Les Seigneurs de la firme ») et des hommages (« RCW »), exercices de style codifiés dont Ayerdhal parvient à se dépêtrer en instillant ses préoccupations et son humour, parfois iconoclaste. Scintillements offre surtout l’essentiel, l’indispensable, le cœur de l’œuvre d’Ayerdhal, à savoir l’univers de l’Homéocratie (« Pollinisation » et « Scintillements »), décliné par ailleurs dans plusieurs de ses romans, sans oublier quelques-unes de ses plus grandes réussites dans le domaine de la nouvelle (« Éloge du déficit » ou l’inédit « Le Syndrome de Potemkine »), format dans lequel il ne se sentait pourtant guère à l’aise.

Ainsi, entre anticipation légère et space opera ébouriffant, exercice de style et spéculation, utopie et engagement politique, critique sociétale et sense of wonder, Scintillements propose un panorama salutaire de la carrière d’un écrivain au caractère entier, un tantinet râleur, ne négligeant aucun des aspects de son œuvre. Un auteur qui, à l’instar de Roland C. Wagner, manque cruellement au paysage de la science-fiction française.

On attend maintenant la parution de Kwak, ultime volet du « Cycle de Cybione », annoncé au Diable vauvert pour une date indéterminée.

Mes vrais enfants

Voici que nous revient Jo Walton, auteur bien connu des Bifrostiens depuis la trilogie du « Subtil changement », et avant cela par la parution de Morwenna, saluée par de nombreux prix (Hugo, Nebula et British Fantasy Award) : elle nous livre ici un roman où se mêlent uchronie, réflexion féministe et engagement de l’individu dans l’histoire du monde à travers des récits de vie.

Récits d’une vie, très exactement, qui suit deux voies bien différentes dans deux mondes qui ne le sont pas moins, à partir d’un choix initial et crucial. Qui est Patricia ? Elle ne le sait plus elle-même, perdue dans les vertiges de l’oubli dont la frappe la maladie d’Alzheimer. Dans sa chambre de l’institut médicalisé qui l’héberge, ses souvenirs sont confus : comment s’appelle-t-elle ? Patricia ? Pat ? Tricia ? Trish ? Combien d’enfants a-t-elle ? Comment s’appellent-ils ? A-t-elle été mariée ? Ou bien a-t-elle partagé ses jours en union libre avec une femme ? A-t-elle vécu une douloureuse existence de femme au foyer dans une société anglaise conformiste, au sein d’un monde en paix, mais où la femme est opprimée ? Ou bien s’est-elle émancipée pour vivre de sa plume, partageant ses jours entre l’Angleterre et l’Italie, dans un monde divisé entre deux blocs qui s’agressent en de macabres escarmouches à coup de bombes nucléaires ? Plus qu’ils ne s’estompent, ses souvenirs semblent suivre deux voies parallèles, deux vies radicalement autres qui ont bifurqué le jour où l’homme qu’elle a rencontré et croit aimer lui demande de l’épouser. Elle répond oui. Elle répond non. Et le lecteur suit au rythme de chapitres alternés cette double vie d’une même femme qui finit par se réunir un soir de pleine lune dans une chambre aseptisée, aux portes de la mort.

Il ne s’agit pas simplement pour Jo Walton de se livrer à l’exercice, un peu convenu, du What if, qui permet d’explorer les mondes parallèles dans les méandres desquels on peut suivre nombre d’auteurs, guidés, par exemple, par un Pierre Bayard (Il existe d’autres mondes, éd. de Minuit, 2014)… Une seule décision peut changer radicalement une existence, mais si, tel un battement d’ailes de papillon, elle changeait aussi radicalement l’histoire de notre planète ? Comme si la vie d’une femme, ses conditions, ses esclavages, ses révoltes conditionnaient l’histoire du monde, des deux mondes ici dépeints, qui sont à la fois le nôtre et tout autres. C’est alors au prisme des possibles de la vie amoureuse – mariage, union homosexuelle, procréation assistée, union libre à deux ou trois, autant de choix responsables qui nous en gagent vis-à-vis d’autrui, de la société et de l’humanité –, au prisme du cœur de l’individu que l’on voit se faire l’Histoire avec sa grande hache, comme disait Perec…

Les lecteurs familiers de Jo Walton retrouveront donc le plaisir de l’uchronie bien ourdie et le sens de l’intime qui caractérise ses écrits et lui permet de délivrer sans émotion surjouée le récit d’une vie double qui se questionne au moment de s’éteindre.

Nous retrouverons très bientôt Jo Walton dans un tout autre registre, puisque, paraît-il, son roman pseudo-victorien qui met en scène une famille de dragons, Tooth and Claw, est en cours de traduction…

Latium

Dans un avenir très lointain, après la terrible Hécatombe, la race des hommes a disparu… mais point la conscience, incarnée dans de gigantesques vaisseaux spatiaux où se mêlent l’organique et le technologique. Ces nefs, qui symboliquement portent en elles la conscience comme la sainte Arche le sang du Christ, survivent, solitaires dans le froid interstellaire, sans former de société, plongées dans un sommeil éternel dont seule les tirera la menace avérée d’une invasion extraterrestre contre laquelle, pourtant, elles ne peuvent rien faire, leur programmation les en empêchant. Le roman s’ouvre sur un morceau de bravoure qui met en scène le réveil de l’une de ces entités, Plautine, en égrenant un à un les différents niveaux de conscience qui se succèdent, s’enchevêtrent, s’annihilent pour laisser place finalement à cette supraconscience qui est celle de cet être vaste comme une métropole et dont la peau est une carapace métallique – et sensible ! – bombardée par les flux ioniques du vide sidéral. Mais Plautine est bien sûr une héroïne, elle n’est pas tout à fait comme les autres nefs, et elle survit, habitée par l’espoir d’un retour de l’Homme. Elle devra faire face aux projets belliqueux de son ancien allié, le proconsul Othon, et affronter les homme-chiens qui forment un peuple en voie d’évolution…

Les aficionados d’un Dan Simmons – dont votre serviteur – y trouveront leur compte : d’abord, et cela saute aux yeux, par un art de la narration qui sait en de courts épisodes subtilement cousus les uns aux autres promener le lecteur aux quatre coins de l’univers, ménageant un suspense de qualité : impossible de s’ennuyer dans un tel page-turner. On y retrouve également la même prégnance de grandes questions comme le devenir de l’humanité après un holocauste, les manipulations génétiques et ses dérives eugénistes, l’émergence de nouvelles consciences appuyée par une technologie qui ne connaît plus guère de limites et, in fine et paradoxalement, celle d’une humanité rénovée, plus humaine, en quelque sorte.

Mais ce n’est pas tout : on retrouve aussi un même amour d’une culture classique et de la « grande » littérature qui sert de substrat à l’écriture et à l’imagination. Si vous avez aimé, par exemple, la façon dont le théâtre shakespearien peut se mêler aux mythes antiques, à l’épopée et au space opera dans Ilium et Olympos, vous ne serez pas dépaysé car vous retrouverez dans ces deux romans le même art de la contamination des genres : on retrouve le subtil exotisme des réalités antiques, fort bien maîtrisé. Vous n’avez pas d’agrégation de lettres classiques et craignez d’être laissé sur le bord du chemin ? Pas de panique : quelques notes synthétiques disséminées au fil des pages vous expliqueront les points les plus importants. Mais, avant toute chose, on y sent cet amour des textes qui est la marque des grands écrivains. Première influence et non des moindres, le théâtre classique français, et plus spécialement une tragédie, un peu oubliée, de Pierre Corneille, Othon : on retrouve dans le diptyque de Romain Lucazeau les deux protagonistes, le personnage éponyme et Plautine, mais aussi un empire bien malmené qui ne sait se trouver de leadership – Othon est un des quatre empereurs qui se sont succédés en une même année à Rome (68-69 ap. J.-C.). Tragédie de la crise du pouvoir mais aussi d’une humanité vieille et affaiblie, la pièce de Corneille donne les grands thèmes du roman. Point nouveau par rapport à la SF de Dan Simmons peut-être : la place laissée à la philosophie, en l’occurrence la monadologie de Leibniz, et cette différence confère à l’ensemble une intelligence particulière qui vous dépayse. Corneille, dit-on, peignait les hommes tels qu’ils devraient être : Romain Lucazeau nous rappelle ici que la science-fiction sait le faire aussi ! Et dire qu’il s’agit d’un premier roman…

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