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D'or et d'émeraude

Second roman d’Eric Holstein, D’or et d’émeraude confirme tout le bien qu’on pensait de l’auteur. Avec cette uchronie bien fichue et totalement assumée, on sent que la machine est désormais lancée. Eric Holstein déroule son histoire sans trembler et s’offre le luxe de modifier totalement la perception qu’on avait de ses précédents travaux. Exit les vampires du premier roman, exit le style dont on avait remarqué les partis-pris, exit à peu près tout, place à quelque chose de différent. Preuve que l’auteur sait se renouveler et emmener ses lecteurs dans des directions inattendues. Malgré ses trois parties distinctes qui fleurent parfois l’artifice, D’or et d’émeraude donne dans le vrai. Eric Holstein s’y livre sans doute un peu plus qu’ailleurs et réinvente l’histoire colombienne avec un talent manifeste. En France, on sait bien peu de choses sur ce pays sud-américain, hormis les éternels clichés concernant la drogue, la violence et les Farc. A ce titre, la première partie du roman nous offre une vision bien plus réaliste que la lecture d’un quelconque article de journal. On y suit l’arrivée de Simon dans son pays natal, dont il ignore tout. Colombien adopté encore nourrisson par un couple de français, il a grandi en région parisienne, ne parle pas espagnol et ne s’intéresse pas particulièrement à ses origines. C’est d’ailleurs presque à reculons qu’il se décide enfin à franchir l’Atlantique, pour faire plaisir à ses parents, en quelque sorte. Et voilà ce post-ado qui débarque à « La Casa », l’orphelinat par lequel il est passé. De là, on suit son itinéraire à Bogota, ses rencontres, ses histoires d’amour, ses beuveries, jusqu’à ce que l’étrange Benino le contacte pour lui présenter son père. Son vrai père. Surpris, réticent, mais finalement curieux, Simon accepte et découvre enfin ce géniteur envers lequel il n’éprouve rien. Le courant passe, pourtant, et Simon finit par participer à une cérémonie indigène censée lui en apprendre un peu plus sur son statut d’indien. La magie opère, et le voilà propulsé… ailleurs. Fin de la première partie.

La suite délaisse la modernité et s’intéresse à la figure de Quesada, sans doute le moins célèbre des conquistadors, en pleine conquête de ce qui n’est pas encore la Colombie. Eric Holstein donne la pleine mesure de son talent dans cette centaine de pages impeccablement racontée. On avance difficilement dans la jungle aux côtés des explorateurs fatigués, sales, hirsutes et malades, on découvre les indigènes et les tueries subséquentes, bref, on participe à l’aventure. Une aventure assez ambiguë, d’ailleurs, dans la mesure où le manichéisme n’est pas de mise. Pourriture affirmée ou humaniste raté, Quesada s’impose comme un homme attachant, certes pétri de doutes et d’obsessions glauques, mais étonnamment vivant et humain. On sait ce qu’il advint de sa première expédition, et c’est là où Eric Holstein fait dévier l’histoire, la grande comme la petite. Car ici, la conquista est un désastre. Les indigènes savent se battre, menés par un chef aussi étrange que charismatique dont on devine assez vite la véritable nature. Pour les conquistadors, c’est la fin. Mais encore une fois, rien n’est simple. Et plutôt que d’exterminer les envahisseurs et de se lancer dans une guerre forcément longue et destructrice avec l’Espagne, les futurs « Colombiens » organisent une sorte de coexistence pacifique avec le royaume. Un accord à la fois réalisable et lucratif pour tout le monde. De quoi ouvrir la voie vers un monde radicalement différent.

Ne reste plus qu’à lire la troisième partie du roman, qui nous replonge en 2010, dans une Colombie souveraine, un continent jamais morcelé et un monde finalement prospère dont les enjeux géopolitiques n’ont rien à voir avec le nôtre. On y retrouve le personnage de Benino, une version différente, en quelque sorte. Et on devine assez vite ce qui s’est passé.

On l’a dit, la construction du roman en trois parties distinctes peut agacer par son didactisme. Mais il serait malhonnête de s’arrêter sur ce détail, tant Eric Holstein nous embarque dans son histoire sans jamais cesser de convaincre. Un peu à l’image de Petits arrangements avec l’éternité, qui fonctionnait sans accroc, D’or et d’émeraude s’orchestre comme une partition millimétrée ouvrant parfois des perspectives vertigineuses. Le tout sans avoir l’air d’y toucher, avec une modestie manifeste. On s’en doutait, en voici désormais la preuve, Eric Holstein fait désormais partie des plumes de la SF française. Une SF qui va devoir compter avec lui. Et quelque chose nous dit qu’elle ne s’en portera pas plus mal.

La Rivière perdue

Amateurs d’eau en bouteille, tremblez ! A vous qui pensez que l’alcool est dangereux pour la santé et que boire de l’eau est la seule alternative saine, ce livre apporte un démenti cinglant.

Eric Shaw est un cinéaste dont l’avenir semblait tout tracé. Sauf que… le voilà à présent réalisateur de films de mariage ou d’hommage aux défunts. Ne supportant pas cet échec, ayant quitté sa femme, il est peu de dire que notre héros est en plein doute. Un état d’esprit idéal pour la suite de l’aventure… C’est Alyssa Bradford qui lui en ouvre la porte. Cette jeune épouse veut faire un cadeau à son mari : elle commande donc à Eric un film sur son beau-père, le millionnaire Campbell Bradford. Après une entrevue étrange avec le vieil homme mourant, le vidéaste se rend dans la ville natale de Campbell : French Lick (Indiana), ancienne ville pour familles fortunées autrefois célèbre pour son hôtel grandiose, « irréel » et digne d’un film à gros budget. Et pour son « eau de Pluton » aux vertus affichées si nombreuses qu’une page n’y suffirait pas. Un slogan : « Quand la nature ne peut pas, Pluton s’en charge. » Tout un programme ! D’ailleurs, avant de l’envoyer en mission, Alyssa a confié à Eric une vieille bouteille de cette eau que son beau-père avait conservée depuis des années. Etrange récipient qui semble se refroidir de jour en jour. Curieux (et ivre !), le cinéaste en boit une gorgée. Et aussitôt les visions commencent… Un homme resurgit du passé. Pour reprendre une place qu’il estime avoir perdu injustement. Et il est prêt à tout pour la retrouver. Même à tuer. Surtout à tuer.

Robert Pépin a quitté le Seuil pour devenir, chez Calmann-Lévy, le directeur de cette nouvelle collection au nom évocateur : « Robert Pépin présente » (hommage égotique et revendiqué à Hitchcock — mais il faut dire que l’arrivée de Pépin chez Calmann-Lévy, c’est ce qu’on appelle un gros transfert du côté des footeux…). Ce vieux routard de l’édition a emporté dans ses bagages chargés quelques-uns de ses auteurs fétiches, dont Michael Connely tout de même (le créateur de l’inspecteur Harry Bosch et du Poète), et le jeune Michael Koryta (vingt-six ans et déjà huit romans parus aux Etats-Unis), qui signe ici sa première incursion dans le fantastique.

Pour un essai, ce roman tient ses promesses, même si la énième comparaison avec Stephen King s’avère lourde à porter (surtout quand le maître sort lui-même un nouvel ouvrage : Dôme). Malgré cela, le résultat ne manque pas d’intérêt, sans qu’il soit pour autant transcendant. Ainsi n’échappe-t-on pas aux poncifs, la structure se révèle classique et, à quelques exceptions près, on est rarement surpris. Toutefois la lecture demeure agréable et Koryta fait montre d’une maîtrise narrative toute professionnelle. Les personnages prennent vie peu à peu, le décor est planté dans les règles de l’art et l’intrigue, bien menée, s’avère prenante. Pas le livre du siècle, certes, mais un ouvrage bien fait, bien construit. On attend à présent que ce jeune auteur, le succès et l’assurance venant, ose sortir des pistes bien tracées et des carcans imposés.

Au fait, l’hôtel existe bel et bien. Voilà qui mérite une petite visite : http://www.frenchlick.com/ hotels/westBaden. Vous ne le regretterez pas…

Jackpots

Voyager dans le temps vous intéresse ? Aucun doute alors, ce recueil est pour vous. En effet, au fil des quatre récits qui le composent, on retrouve le parfum suranné des temps de Guerre froide, l’affrontement des blocs Est/Ouest, et la douce fragrance anxiogène de la menace atomique planant sur tout et tous. Cette époque où les femmes n’étaient souvent que des faire-valoir dont le seul horizon se résumait à un mariage digne de ce nom. Mais n’allez pas pour autant croire que l’auteur de L’Histoire du futur manie les clichés et aligne les stéréotypes. Au contraire ! Il a même le don (l’arrogance ?) de prendre à rebrousse-poil l’optimisme et le volontarisme parfois béats de ses éditeurs de l’époque, tel John Campbell.

Ce qui explique que ce dernier ait, dans un premier temps, refusé de publier « La Création a pris huit jours », seule nouvelle inédite du présent recueil. Et cela peut se comprendre, tant la race extraterrestre qu’elle met en scène s’avère éloignée des aliens communs aux années 40 — une vision qui se rapproche bien davantage de celles d’auteurs contemporains. Pas de créature cruelle rêvant de réduire la Terre en esclavage pour finir par être vaincue grâce au courage de quelques humains valeureux, donc, mais des entités infiniment supérieures à l’homme, bien au-delà de ses capacités, résolument… autres. A tel point que la fin du récit ne donne aucune réponse précise, se contentant de quelques pistes ; on imagine combien cela devait déranger et surprendre à l’époque — et même encore de nos jours, d’ailleurs, quand on pense aux films du type Independence Day, ou aux réactions suscitées par un roman comme La Nef des fous de Richard Paul Russo…

« Une année faste », retraduit par Eric Pi-cholle pour l’occasion, texte qui clôt Jackpots, prend pour base une théorie de 1947. Selon deux économistes, 1952 serait l’année de conjonction de plusieurs cycles majeurs (économique, géologique, biologique…). Partant de cette idée, Heinlein nous présente une fin du monde à travers les yeux d’un couple atypique : une jeune femme qui, sans savoir pourquoi, s’est livrée à un strip-tease dans les rues de Los Angeles, et son sauveur, Potiphar (quel prénom !), observateur pointilleux de ces cycles. Le résultat s’avère amusant, et ce en dépit d’une conclusion pessimiste et d’un ton, une fois encore, quelque peu suranné. Une parenthèse ludique que nous offre celui qui aimait tant jouer avec ses lecteurs.

Plus noire dans le ton et le contexte, « Solution non satisfaisante », publiée en mai 1941, est davantage un constat désabusé et inquiet qu’un plaidoyer contre les dangers du nucléaire. Ainsi, quoique pensent ou tentent les personnages de cette nouvelle, rien n’y fait : la découverte de cette puissance phénoménale a bel et bien changé le monde. Et pas nécessairement en bien. La démonstration est aussi implacable que fascinante, et même si certains détails techniques datent inévitablement l’ensemble, le texte ne perd rien de sa force.

Enfin « Sous le poids des responsabilités », texte d’ouverture du recueil, vient en dernier quant à l’intérêt et la richesse. Ici proposé dans son ancienne traduction du « Livre d’or de la science-fiction », ce n’est pourtant pas cela qui en fait le récit le plus faible de Jackpots, mais bien la comparaison avec les trois nouvelles suivantes. On suit le sacrifice assez involontaire d’un pilote de torche, seul vaisseau capable d’apporter à temps à une colonie lointaine le remède miracle. Touchant, mais bien moins séduisant que le reste du recueil.

Reste au final un ensemble convaincant, assez grave dans ses thèmes et représentatif du talent de Robert Heinlein, bref une occasion toute trouvée de (re)découvrir un auteur fascinant et ô combien fondateur. Une belle initiative que cette publication, en somme.

L'Ami de toujours

Qui ne s’est pas inventé, dans sa jeunesse, un ami imaginaire ? Qui n’a pas trouvé en lui un réconfort pour les gros chagrins, un alibi pour les grosses bêtises, un secours pour les grands traumatismes ? Et que devient ce double une fois que l’on a grandi, que l’on n’a plus besoin de lui ? C’est à ces questions que répond en partie, à sa manière si érudite, Xavier Mauméjean dans L’Ami de toujours, un point de départ pour une immersion dans le monde des geeks et, surtout, dans l’inconscient de l’un d’eux.

David, le personnage narrateur, est un jeune homme pas réellement sorti de l’enfance, geek assumé (quoique !) transparent aux yeux du monde. Presque une caricature. Mal dans sa peau, il a enfin l’occasion de briller et d’obtenir le métier de ses rêves : concepteur chez un géant du jeu vidéo, à New York. Mais rapidement tout dérape. Pour commencer, à l’aéroport, il rencontre Richard, son ancien ami imaginaire. Celui avec qui il a partagé toutes ses souffrances et ses peurs d’enfant. Celui qui osait accomplir les actions dangereuses, aller dans les endroits périlleux, réaliser ce que son géniteur avait peur de faire. Mais aussi celui qui avait disparu depuis dix ans, avec l’arrivée de l’adolescence. Et qui, soudain, a l’air bien réel.

Après quoi David rate son entretien professionnel chez Eidetic ; une ligne de plus dans la litanie de ses échecs. Sauf que par miracle, il est malgré tout embauché : Richard a passé brillamment le test à sa place. Serait-il possible que d’imaginaire, ce fantasme d’enfant soit devenu un être de chair et d’os capable d’interagir avec le monde extérieur ? Que vient-il faire, de nouveau, aux côtés de David ? Quel est son but ?

Une fois dépassés les tics de langage « jeune » horripilants et les nombreuses (trop, par endroits) références aux jeux, groupes musicaux et films de la génération visée par le roman, on est vite happé par l’intrigue. Le parti pris de la narration à travers un journal intime (électronique, évidemment), un procédé certes classique, est efficace et permet de plonger dans le récit sans se poser de question. On est dans la peau de David et l’irruption de son double imaginaire sème un malaise qui ira crescendo jusqu’au dénouement final, agréablement surprenant, à défaut d’être totalement original.

Après le remarqué Rosée de feu et son fond très historique, Xavier Mauméjean se permet une petit halte dans le monde actuel. Coutumier de l’immersion totale dans l’univers, dans la période qu’il utilise comme cadre à ses romans, il plonge ici dans la vie des informaticiens et des geeks avec la même envie, la même curiosité. Tout en creusant en sus la question du double à travers les cultures et les âges. Même s’il est, rappelons-le, destiné à un public jeune (dès 12 ans, selon l’éditeur), L’Ami de toujours fourmille d’anecdotes, de références plus ou moins détaillées. Et cela, sans gêner la lecture ou ralentir le rythme ! Une preuve supplémentaire de l’érudition de cet auteur exigeant et de son talent à nous faire partager ses découvertes.

Memories of Retrocity

« Retrocity te nourrit de sa langueur, te fait ingurgiter sa propre logique. Puis, lorsque tu es assez mûr, elle te dévore, doucement... Et tu deviens alors une partie d’elle. Une de ces choses étranges qui m’ont tant effrayé lors de mon arrivée, durant mes premiers jours ici. » Page 45... aux alentours, disons, l’ouvrage n’étant pas folioté.

Memories of Retrocity, le journal de William Drum nous raconte l’histoire d’un flic exilé dans une ville nord-américaine éternellement grise, sur laquelle règne la compagnie Hover qui produit des prothèses chirurgicales, du matériel électronique désuet et bien d’autres choses encore (des cigarettes dégueulasses, du whisky tourbé !). Un mal endémique a frappé cette mégapole, le rétro-processus, dont la finalité est la fusion homme-machine, homme-objet (à un moment, un homme-fauteuil tente de mordre son épouse à rouages apparents ; ça vous rappelle quelque chose ?). Le seul moyen d’échapper au rétro-processus, c’est de se faire greffer un mécanisme qui sert alors de vaccin et éloigne définitivement une maladie qui, paradoxalement, peut vous conduire à une répugnante forme d’immortalité biomécanique. Voilà le monde glauque que va découvrir William Drum. Un monde forcément dangereux.

Memories of Retrocity est un projet à part dans le petit monde de l’Imaginaire de langue française (j’imagine assez douloureuse la facture de l’imprimeur), un roman graphique entièrement en quadrichromie, postfacé par Alain Damasio (plus sobre qu’à l’accoutumée, et qui produit là le meilleur segment textuel de l’ouvrage). Une première constatation s’impose : l’objet est magnifique. Mise en page de qualité, couverture embossée, fausses publicités ; tout est réussi sur le plan esthétique. La version luxe contient un CD musical, parfois redondant avec le texte mais pas inintéressant. Quant aux dessins, ils sont pour la plupart bluffants, les corps se mélangeant avec des engrenages, de la technologie très fifties. Ce n’est pas du steampunk, pas du gothique, pas du post-apocalyptique, mais un mélange de tout ça et de visions SF typiques des années 50-60. Impossible de ne pas penser au Dr Adder de K. W. Jeter pour les mutilations, aux délires visuels du Terry Gilliam de Brazil, au Blade Runner de Ridley Scott et à la série de jeux vidéos Fallout pour l’ambiance années cinquante remixées trash radioactif.

Pour ce qui est de la partie romanesque (écrite, donc), force est de constater que l’auteur n’est malheureusement pas toujours au niveau de ses ambitions. C’est honnête, il y a de bons passages, une vraie progression dramatique, une fin très forte, mais la narration n’est pas au diapason des dessins, époustouflants dans les registres érotiques ou horrifiques. A ce manque de punch narratif, on ajoutera des maladresses stylistiques, des disparités de ton malvenues, des problèmes de concordance des temps, des coquilles, une ponctuation pas toujours bien sentie. Des broutilles, si ce n’était qu’en un mot comme en cent, le texte est trop SAGE (surtout quand on le compare à celui de Damasio). On aurait aimé pénétrer plus profond dans ce délire érotique, tangenter une saine pornographie, on aurait aimé sentir davantage l’horreur (rarement indicible, brutale, frontale) de cette ville mutante qui semble tirée d’un mauvais trip de feu William S. Bur-roughs.

Malgré ses petits défauts (d’écriture), Memories of retrocity est un beau cadeau pour les fans de SF horrifique (ils se régaleront des références, parfois bien cachées, mais listées, par plaisir ? par honnêteté intellectuelle ? en fin de volume). Une initiative (et une ambition rare) à soutenir.

Fiction T11

Peu convaincant ce numéro de Fiction. Sommaire décevant, fabrication en net retrait comparé aux numéros précédents.

Il contient toutefois deux nouvelles formidables (Paolo Bacigalupi & Carolyn Ives Gilman) et une très belle évocation de l'Afrique future (Nnedi Okorafor). Le reste du sommaire est nettement moins enthousiasmant avec des nouvelles intrigantes, intéressantes, mais qui s'empilent sans convaincre totalement (Lisa Goldstein, Eugene Mirabelli, Daryl Gregory, James Patrick Kellly, David Marusek, Wayne Wightman). On touche ensuite le fond avec trois nouvelles assez longues, pénibles à lire, pour ne pas dire exécrables : « Le Blues du vampire » de Jeanne-A Debats, chronique vampirique future au ton insupportable, bâclée, qui contient d'assez jolies incohérences (de dates notamment) ; « L'Enfant sans nom » de Sara Doke, du sous-sous Robert Holdstock arthurien, mal écrit, déjà lu mille fois ; « La Cithare sans corde » de Yoon Ha Lee, un postulat de départ enthousiasmant, avec des détails déments, on croit pendant deux pages tenir un grand texte, mais au final c'est une purge, un récit piétiné et concassé par un auteur qui n'a pas su dominer son sujet.

Mais penchons-nous plutôt sur les trois textes qui valent vraiment le coup et celui de David Marusek :

Dans « L'Araignée artiste » de Nnedi Okorafor (auteur du magnifique, mais très gros, roman africain Who fears death), on suit une femme battue qui joue de la musique pour un drone de surveillance arachnoïde créé afin d’empêcher les populations locales d'abimer un pipeline. Dès la deuxième ligne, on se doute que cette histoire ne va pas très bien finir. Le texte aurait été parfait si l'auteur avait pu s'empêcher de l'achever par une couche de morale gonflante. On notera que ce texte n'est pas issu du magazine américain Fantasy & Science Fiction, mais de la très intéressante anthologie Seeds of change.

« Gens du sable et de la poussière » de Paolo Bacigalupi est une pépite. On y suit une troupe de mercenaires du futur qui peuvent manger de la poussière et des cailloux, qui se customisent et se mutilent pour rigoler (tout repousse très vite) et qui tombent nez à nez avec un chien. Que vont-ils bien pouvoir faire de ce truc d'un autre âge, cher à entretenir ? Profond, triste, hilarant. Un texte d'une maestria rare.

« Economancien » de Carolyn Ives Gilman est la grosse surprise de ce numéro. Un banquier londonien est envoyé par sa responsable en Nanonésie (mélange comique et réussi de la Micronésie et de Dubaï…) pour répondre à une offre d'emploi. En vingt ans, la Nanonésie est devenue une puissance boursière impressionnante grâce… à la magie locale (sorte de vaudou de l'océan Indien). Mais voilà que la crise des subprimes est passée par là et qu'il faut trouver un moyen d'envoyer le dollar mordre la poussière afin d'alléger le poids de la dette nationale. Malin, aussi fun que passionnant. Une grande réussite.

Hasard du calendrier, la partie fictions de la revue se termine avec « Oussama téléphone maison » de David Marusek, une nouvelle azimutée autour de la traque de Ben Laden, un texte où l'Amérique n'a pas vraiment le beau rôle. Un mélange de hard-SF et de comédie d'espionnage (style Les Chèvres du Pentagone), audacieux mais pas totalement convaincant.

Une fois encore, on regrettera la qualité globale des traductions, émaillées de choix douloureux pour le lecteur et de phrases suspectes.

C'était demain

Alors qu’il organise une soirée chez lui pour présenter sa nouvelle invention, la première machine à explorer le temps, l’apprenti écrivain H. G. Wells est interrompu dans sa présentation par Scotland Yard. Il est 5h15 du matin, et, quelques heures plus tôt, après plusieurs années de discrétion, Jack l’éventreur a de nouveau frappé. La police interroge les invités et ne tarde pas à trouver dans leurs affaires un manteau taché de sang. Une enquête rapide détermine que l’incriminant vêtement appartient à Leslie John Stephenson, chirurgien réputé et ami de longue date de H. G. Wells, un hôte évidemment introuvable depuis l’arrivée de la police. Soupçonnant le pire, Wells rejoint sa machine, mais l’Eventreur se trouve déjà à l’intérieur et l’a mise en marche pour se rendre Dieu sait où.

Libéré des tracasseries policières, H. G. Wells retourne à son invention (programmée pour revenir à son point d’origine si on n’en possède pas la clef ; comme c’est pratique, d’un point de vue scénaristique s’entend). Lancé à la poursuite de Jack l’éventreur, il atterrit dans un musée de San Francisco, en 1979, où est exposée sa fabuleuse Utopie (c’est le petit nom de l’engin). C’est dans cette grande ville américaine qu’aura lieu la traque et la confrontation entre l’inventeur (défenseur de l’amour libre) et le tueur en série (défenseur de l’éviscération sans conséquences), un duel à mort que va compliquer l’existence d’Amy Robbins, jeune chargée de clientèle de la Banque d’Angleterre à San Francisco, à laquelle H. G. Wells a demandé de l’aide pour « retrouver un ami anglais fraîchement débarqué et sans bagages ».

Ceux qui ont vu le sympathique film de Nicholas Meyer C’était demain, ne seront jamais surpris par le roman à son origine, tant les différences scénaristiques sont minimes. Mais là où le film fonctionnait grâce à son charme désuet et à l’air d’ahuri permanent que s’était composé pour l’occasion Malcolm « Caligula » McDowell, le roman piétine, ne sort que très rarement du cadre de l’honnête série B d’aventure. On n’y croit jamais (H. G. Wells met une demi-journée pour croiser des Noirs dans San Francisco, là où deux secondes devraient suffire ; le fonctionnement de la machine à explorer le temps semble se plier aux exigences du scénario, alors qu’on est en droit d’attendre l’inverse).

C’était demain est en substance une chasse à l’homme sans grande tension, globalement mièvre, qui demande un énorme effort de suspension d’incrédulité. La dernière page tournée, il reste quand même un livre plaisant, avec des moments très drôles (le repas chez McDonald’s, la scène de séduction d’Amy et la poursuite en voiture). Faire un Harlequin avec H. G. Wells, Jack L’éventreur et une jeune américaine « libérée » était un pari osé. Ce pari-là semble réussi, vous voilà prévenu. Dans le même genre, on préférera Le Jeune homme, la mort et le temps de Richard Matheson, et Le Voyage de Simon Morley de Jack Finney.

Teliam Vore

Deuxième ouvrage signé d’un auteur français (ou plutôt de deux, dans le cas présent) après Le Manuscrit de Grenade de Marianne Lecomte, depuis l’arrivée de Célia Chazel (transfuge des éditions Mnémos) chez Pyg-malion pour développer ce type de parutions (à savoir, de la fantasy francophone), Teliam Vore a beau constituer un premier roman, son univers n’est pas forcément inconnu de tous.

En effet, les deux auteurs, ainsi que leur complice Matthieu Leveder aux dessins, sont à l’origine des Chimères de Mirinar, un projet diffusé en ligne depuis quelques années déjà, une approche qu’ils regrettent d’ailleurs presque aujourd’hui, car il est aisé de passer pour d’éternels « wannabe » auteurs.

Au départ, il y a de toute évidence l’envie de proposer autre chose au lecteur qu’un banal univers médiéval-fantastique de plus. Les auteurs semblent nourrir une réelle ambition, une envie de bousculer les partis pris les plus classiques du tout-venant de la fantasy épique. On pourrait même évoquer une volonté de déconstruction : ici, pas de nom « exotique » à rallonge, pas de manichéisme exacerbé, pas de races par dizaines qui au final se ressemblent toutes plus ou moins…

Le cadre lui-même se révèle intrigant, porté par de bonnes trouvailles (les différents courants de magie, les mondes-miroirs, les Arches…), et les auteurs font preuve d’un certain souci du détail. Mais on flirte aussi parfois avec un trop-plein d’explications qui pour le coup nous ramène au cliché du monde trop planifié qui finit par écraser son intrigue. Et pourtant, l’écriture en elle-même est plutôt fluide, évitant l’écueil du premier roman croulant sous les adverbes et les descriptions interminables.

L’intrigue, justement, aux thématiques fournies et en fin de compte très actuelles, est relativement bien charpentée. Démarrant assez simplement, elle se complexifie peu à peu, développant une certaine noirceur.

Dommage par contre, là encore, qu’on ne puisse faire l’impasse sur un bémol : l’action. Elle occupe au bout du compte une place non négligeable, ce qui finit par lasser, surtout quand, dans le même temps, certains éléments de cet univers (les Titans, etc.) ou fils d’intrigue semblent finalement mis de côté sans raison.

Les personnages constituent également une source de déception : et c’est sans doute là le point le moins convaincant du roman. En dehors d’Elsy, d’Elodianne, et peut-être de la figure de Teliam Vore dans un registre bien différent, ils manquent tous cruellement de profondeur. La galerie de protagonistes, souvent forts en gueule, se limite à ce trait de caractère, sans plus. Il faut dire qu’ils ne sont vraiment pas aidés par les dialogues : là où un Glen Cook est parvenu à créer un langage argotique imagé, Teliam Vore échoue tristement, plombé par un vocabulaire douteux. Il ne suffit pas de quelques « putain » et autres « enculé » pour donner une réelle saveur aux échanges.

Au final, Teliam Vore est certes un roman ambitieux, mais dont on se demande s’il ne chancelle pas sous son propre poids. Un fait peut-être imputable à sa gestation compliquée — retravailler un roman n’est pas chose aisée, surtout quand on doit faire sauter près d’une cinquantaine de pages par rapport à la version autoéditée. En l’état, on ne peut qu’espérer que les auteurs aient tiré les leçons de cette première expérience pour nous proposer à l’avenir quelque chose de plus abouti… Reste que pour l’heure, on fera aisément l’impasse sur Teliam Vore, quand bien même ce roman demeure un cran supérieur par exemple aux dernières parutions d’auteurs français chez Mnémos.

Impossible maintenant de conclure sans évoquer l’épouvantable couverture du livre. Cette illustration proprement hideuse représente un véritable repoussoir, une horreur qui, une fois de plus, n’arrangera pas l’image de la fantasy en général…

Le Manuscrit de Grenade

Nouvelle incursion de Pygmalion du côté des auteurs français, un champ laissé en friche depuis bien longtemps, le roman de Marianne Leconte, paru en janvier dernier, ne convainc pas, bien qu’il ait su un temps éveiller notre curiosité.

En effet, le cadre et les partis pris de l’histoire s’avéraient plutôt séduisants à l’aune des premières pages : l’Espagne, la fin d’une époque avec la Reconquista, les questions de conflits entre les trois grandes religions monothéistes… Las !

Très court (une après-midi suffit à en venir à bout), le roman ne laisse malheureusement pas le temps au lecteur de se plonger réellement dans cet univers à tendance uchronique — la magie étant par exemple bien présente à travers les Doués, des personnages ostracisés par la société. On a rapidement la désagréable impression de rester à la surface des choses, de ne jamais ressentir quoi que ce soit à la lecture, et le récit prend même un malin plaisir à démarrer véritablement au moment où l’on referme le roman, un comble.

De fait, on suit l’intrigue d’un œil distrait. Il faut dire que les personnages mis en avant et les situations exposées peinent à nous affranchir de ce triste constat : les protagonistes n’ont pas l’occasion de gagner en profondeur en cours de route et l’on n’évite que rarement les clichés en tous genres — le méchant inquisiteur sans aucune once de subtilité ; le seigneur troublé par une jeune fille qu’il croit être un garçon ; la jeune fille qui cherche à s’émanciper du poids des traditions… On se demande parfois si l’on n’a pas en réalité affaire à un roman jeunesse — dans le mauvais sens du terme : aventures gentillettes, protagonistes unidimensionnels, univers manichéen, mise de côté des thématiques les plus sensibles — déguisé, n’étaient quelques scènes, notamment une nuit d’amour particulièrement fade et inutile, un peu plus « adultes » semées ici ou là.

La dimension uchronique du récit elle-même ne s’avère guère aboutie : à l’image de la toute fin du roman, qui semble précipitée, le destin de Grenade n’a finalement que peu d’impact, un peu comme si l’auteur avait bifurqué en cours de route du roman historique vers l’uchronie, mais sans avoir d’idée bien précise quant au chemin à suivre. Les remerciements le laissent d’ailleurs penser, puisque l’auteur reconnaît s’être empêtrée dans ses recherches historiques avant qu’on lui suggère de se tourner vers… l’uchronie.

Si le roman n’est en soi pas déplaisant, il n’en demeure pas moins insipide et l’on a déjà croisé bien plus abouti et ambitieux dans ce registre, à l’image de Le Sommeil de la raison de Juan Miguel Aguilera, pour ne citer qu’un exemple au passage.

Espérons que les prochaines tentatives de Pygmalion du côté des auteurs français soient plus heureuses. Difficile en effet d’imaginer qu’un tel éditeur ne puisse proposer mieux.

Maul

Tricia Sullivan fait partie de cette génération d’écrivaines apparues dans le milieu de la science-fiction américaine durant les années 90, et dont les rares à avoir été traduites en France (Patricia Anthony, Valerie J. Freireich, Kathleen Ann Goonan ou Linda Nagata) n’y ont guère rencontré de succès, malgré d’indéniables qualités le plus souvent. Maul est son quatrième roman paru outre-Atlantique, et le moins que l’on puisse dire est qu’il se distingue singulièrement du reste de la production courante.

Maul suit en parallèle deux intrigues qui, s’il est très tôt établi qu’elles entretiennent des liens étroits, resteront distinctes l’une de l’autre jusqu’au terme du récit. Dans la première, située dans un futur indéterminé, la quasi-totalité de la population masculine de la planète a disparu, victime d’une pandémie. Quelques privilégiés vivent pro-tégés dans des castellations, milieux de villégiature, mi-usines à sperme ; d’autres moins chanceux, comme Meniscus, servent de cobaye à des expériences scientifiques.

L’autre trame du récit se déroule dans un monde semblable au nôtre, dans une ambiance se situant quelque part entre Sex & the City et Baise-moi de Virginie Despentes. Lorsque Sun Katz et son gang de filles tombent sur une bande rivale au centre commercial, la situation dégénère très rapidement et des coups de feu sont échangés, semant la panique parmi la clientèle. Commence alors entre Katz et les autorités un jeu du chat et de la souris qui va se poursuivre tout au long du roman.

Maul brasse quantité de thèmes d’actualités, donne corps à diverses peurs contemporaines : pandémies, violence urbaine, consumérisme effréné, droit à l’image ou manipulations génétiques, les sujets évoqués ne manquent pas. Malheureusement, Tricia Sullivan ne va jamais au cœur des choses et se contente de mettre en scène de manière souvent provocante ces différents éléments. Dans un premier temps le procédé fonctionne, et donne lieu à quelques passages marquants — de ce point de vue, les premières pages du roman sont absolument parfaites —, mais très vite le récit se met à tourner en rond, à l’instar de Sun Katz, coincée au cœur du centre commercial, ou de Meniscus, prisonnier de sa cellule, et l’auteure n’a au final guère d’autre choix que de lancer son roman dans une surenchère qui frôle l’hystérie lors des derniers chapitres. Ajoutez à cela des personnages pour lesquels il est impossible d’éprouver la moindre empathie, se comportant comme des automates dénués de toute émotion et de la moindre trace d’intelligence, et vous obtenez un livre qui, malgré quelques scènes chocs et une écriture en parfaite adéquation avec son sujet (soulignons au passage la remarquable traduction de Diniz Galhos), parvient difficilement à masquer sa vacuité. On sort de cette lecture épuisé, mais loin d’être comblé.

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