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L'Empire du centurion

Celcinius, médecin dans une cité étrusque, découvre par hasard le « poison d'immortalité », qui permet de conserver les corps dans la glace en état de vie suspendue quasi indéfiniment, tout en pouvant se faire réveiller autant de fois que l'on veut à n'importe quel moment de l'histoire. Il fonde les Temporiens, une société secrète composée d'hommes et de femmes dont le but est de diriger le monde grâce à la longévité exceptionnelle que leur confère le poison.

En l'an 71, le bateau sur lequel se trouve Vitellan Bavalius, soldat de l'armée romaine, sombre en pleine mer au cours d'une tempête. Cinq jours plus tard, la marée recrache Vitellan sain et sauf. Cette formidable résistance au froid attire l'attention des Temporiens, qui ont l'intention d'en faire un des leurs. Mais l'organisation est victime de sa trop grande paranoïa : les deux seuls détenteurs de la formule du poison d'immortalité meurent au cours d'un incendie provoqué par un cambrioleur. Ils ne laissent aucune trace écrite derrière eux, comme le veut la coutume, et l'organisation se désintègre.

Un peu plus tard, Vitellan, devenu Centurion, se retrouve en possession des dernières réserves de poison d'immortalité. Commence alors pour lui un voyage sans retour dans le temps, qui le conduira, après quelques haltes, sur les rivages du XXIe siècle…

Le thème du voyage dans le temps (fût-il un aller simple) possède ses chants des sirènes et ses propres écueils. Si McMullen n'a pas su résister aux premiers, il est en revanche parvenu à éviter ces derniers, tout en barrant de façon très classique.

Ce qui ne suffit malheureusement pas au lecteur pour atteindre les rivages de l'extase livresque. Entre un traducteur qui a visiblement des problèmes côté français et un écrivain au style des plus malheureux, il a même sérieusement intérêt à s'arrimer au mat s'il veut revoir un jour la côte. Notre auteur australien a pourtant quelques idées. Rien d'original, certes, mais une façon de traiter son sujet qui change un tantinet de la vision purement anglo-saxonne. Mais quelle écriture ! Misère ! ! Cela donne des personnages peu attractifs et un récit au rythme mal géré (quand il y en a !). Et le plus rédhibitoire : des changements de point de vue qui se succèdent à un rythme effréné sans transition, d'où une confusion quasi permanente qui finit par lasser.

La partie historique n'a aucun intérêt. McMullen n'a pas su rendre ses reconstitutions assez vivantes pour que l'on suive les pérégrinations de son héros avec plus qu'un intérêt poli. La partie « futuriste » (an 2028) est plus intéressante. Malheureusement, c'est aussi la partie où le nombre de défauts s'accroît. Outre ceux cités ci-dessus, on ajoutera, pour faire bonne mesure, des ficelles grosses comme des cordes d'amarrage, des facilités et des raccourcis irritants, sans parler d'un deus ex machina qui donne envie de hurler de frustration.

Bref, un ratio plaisir/nombre de pages sous la moyenne pour un livre dont on se passera sans regret.

Faerie Hackers

[Critique commune à Faërie Hackers et Obsidio.]

Mon Vénéré Boss veut une double critique de Johan Heliot. C'est tombé dans ma boîte à mail l'autre jour. Comme ça, paf ! ! Bon, j'ai traîné les pieds et beaucoup soupiré, mais c'est la coutume : « Your wish is my command », dont acte.

J'ai traîné les pieds parce que du sire Heliot, jusqu'à présent, tout ce que l'on a lu de bien, c'est son premier roman, La Lune seule le sait. La sagesse voulait donc qu'on s'abstienne désormais de lire du Heliot tant qu'il s'acharnerait à écrire du steampunk.

Changement de cap, puisque les deux livres dont il est question ici n'ont rien à voir avec le steampunk. Et c'est un soulagement. Bien sûr, cela ne constitue pas un gage de qualité.

Gardons le meilleur pour la fin et commençons par Obsidio. Nous voici donc avec entre les mains un recueil de trois novellas d'assez bonne tenue. La première, « Les maux blancs », se ramène à la quête du père : un tueur à gage élève seul son fils. L'année de ses treize ans, un contrat tourne mal. Le père s'échappe, mais le gosse se fait arrêter. Du centre de détention pour mineur à la prison, l'enfant, devenu adulte, n'aura de cesse à sa sortie de retrouver son père, pour pouvoir enfin s'en libérer. « Retour aux sources », quant à elle, commence dans le monde de la cybernétique et de la vente de logiciels, pour finir par plonger au cœur de l'humanité dans ce qu'elle a de plus sauvage et de plus primitif, avant même qu'elle ne se sépare du reste du monde vivant pour former sa propre branche et entamer sa longue ascension à partir de l'homme de Cro-Magnon. Enfin « Obsidio », la nouvelle éponyme du livre, prend appui sur les habitants paumés d'une cité de banlieue à moitié morte pour raconter une guerre de toute éternité où s'affrontent des êtres fantastiques qui n'ont rien à voir avec le genre humain.

Trois histoires, trois milieux totalement différents, avec cependant un fil rouge : la révolte, la tentative désespérée de maîtriser une vie qui s'emballe et vous échappe soudainement, pour finir par l'acceptation/soumission qui permet une renaissance. L'aspect fantastique de ces trois récits épouse une courbe ascendante : très discret dans la première novella, il incarne l'un des personnages principaux dans la dernière. Des trois, la première est sans doute la meilleure. Ecrite à la première personne, elle balance entre l'humour des Tontons Flingueurs et la froideur d'un John Woo période asiatique.

Si Obsidio souffre de quelques longueurs, le point le plus négatif de ce recueil réside dans le message personnel que tente de faire passer l'auteur. Car Johan Heliot est un rebelle. Et il le fait savoir. Tout y passe : le RMI, les banlieues dortoirs, la bourgeoisie, les flics, la télé… Tout est bon pour brandir son petit poing serré de rage. Une véritable galerie de clichés, des images d'Epinal pré-formatées et recrachées à l'emporte-pièce, de façon tellement naïve et maladroite que ce n'en est même pas touchant. Des phrases toutes faites, un discours mille fois rebattu, et on obtient une bouillie mal digérée qui colle vaguement la nausée. Heliot ne possède ni le recul, ni la réflexion, ni la touche d'humour ou encore la véritable hargne qui transforment les mots en missiles qui vont droit au cœur de la cible. Un discours démago pour de vrais maux. Sur une nouvelle, c'est mignon, c'est touchant. Sur 460 pages, ça devient fatiguant.

Virage à 180 degrés et salto arrière rattrapé avec les dents pour Faërie Hackers. Ah ! Voilà une merveille ! Deux mondes : le monde d'en bas, Faërie, où vivent tous les êtres magiques que l'imagination puisse concevoir, et sur lequel règne le Roi Couleur. Le monde d'en haut, la Surface, où vous et moi vivons bêtement sans rien savoir. De la paix en Surface dépend la paix du monde d'en bas. Et, certes, depuis que les habitants de Faërie ont réussi à emprisonner tous les démons dans le Rebut, la paix règne. Mais la grande tragédie de la Seconde Guerre mondiale a compromis cet équilibre. La Shoah a permis à l'un des démons les plus terribles de se libérer. Il remonte en Surface et, utilisant les techniques cyber-technologiques les plus modernes, concocte un plan terrifiant pour se venger et reconquérir Faërie. Très vite, il enlève le fils du Roi et disparaît. Le Roi Couleur se voit contraint de demander l'aide de Lillshellyann, une fée renégate exilée en Surface pour avoir eu des prétentions politiques. Accompagnée par Lartagne, champion du Roi et protecteur du Dauphin, Lil va arpenter le tout Paris à la recherche du Démon et de l'enfant. Son enquête va la mener aux portes d'une société de création de jeux vidéo : Devil's Game. Et la partie ne fait que commencer…

Alliance harmonieuse de la technologie du monde moderne et d'une fantasy imaginative de qualité, ce roman est une source de plaisir et une belle surprise hexagonale. Un style rythmé et nerveux, sans temps mort, des personnages solides aux caractères bien trempés, des décors contrastés et hauts en couleurs, une histoire dont la simplicité n'enlève rien au charme et à l'intérêt, voici un roman fort bien réussi qui flirte avec la littérature jeunesse, se lit d'une seule traite et dont on sort le sourire aux lèvres.

Que ce soit dans Obsidio ou dans Faërie Hackers, Johan Heliot fait montre d'une inventivité exceptionnelle ; ses personnages à caractère fantastique sont impressionnants. De ce point de vue, la novella « Obsidio » est forte et puissante. Reste que les terres arides de l'interrogation existentielle et de l'étude des mœurs humaines ne sont pas pour lui. Mais dès lors qu'il parcourt les territoires de la Faërie, Heliot se révèle un guide sûr et merveilleux à qui il manque peu de chose pour devenir un écrivain magique.

À surveiller de près.

$pace OPA

La guerre des mondes selon Wells n'aura pas lieu. Les armes économiques sont bien plus redoutables pour conquérir un adversaire, comme en témoigne ce roman très humoristique. Comment, en effet, Johnson Mukerjii saurait-il sauver sa société conceptrice d'un écran holographique quand des extraterrestres se présentent avec des produits cent fois plus performants ? La Terre se débarrasse un peu vite de ses possessions en échange de secrets industriels que sa technologie est incapable de fabriquer, voire de comprendre. La récession provoque l'effondrement de la Bourse.

Mukerjii ne peut se refaire qu'en se battant sur le même terrain : il conçoit un gadget pour vaisseaux spatiaux, aussi ridicule que promu à un brillant avenir, qui intéresse les riches touristes aux yeux pédonculés. Tout en démontant les mécanismes du capitalisme d'entreprise, Greg Costikyan raconte avec jubilation les aventures échevelées de son P.D.G. poursuivi par une pléiade de plaignants, avocats, militaires, gouvernements et hommes d'affaires.

Il est dommage qu'une farce aussi réussie repose sur un argument peu crédible, le gadget qu'invente Mukerjii pour réussir sa reconquête économique, un porte-boissons à fixer au mur au moyen d'une ventouse pour ne pas laisser flotter sa consommation dans le vaisseau ; en effet, on peine à croire que des civilisations extraterrestres disposant ailleurs de l'anti-gravité comme de la gravité artificielle n'aient pas songé à installer celle-ci sur leurs moyens de transport.

Hormis ce défaut, on est enchanté par cette farce caustique, dont les sarcasmes n'épargnent rien ni personne. La location d'un stand à une foire-exposition interstellaire est un morceau d'anthologie.

 Issu de l'univers du jeu de rôle, Greg Costikyan confirme sa réputation d'auteur déjanté aussi brillant qu'hilarant. Avec $pace O.P.A., il se glisse d'emblée à la hauteur d'un Sheckley.

Mars la rouge - 1

Mars la Rouge, le premier tome de la « trilogie martienne » de Kim Stanley Robinson, vient de paraître en deux volumes chez Pocket, dans une édition augmentée. Il décrit de façon hyperréaliste les étapes de la colonisation de Mars, ainsi que les enjeux politiques et sociologiques de l'entreprise. Si, durant le voyage, les dissensions entre les Cent Premiers, scientifiques triés sur le volet, sont peu marquées, elles se radicalisent au fur et à mesure de la progression de la terraformation. Le désir de préserver la beauté sauvage de la planète les divise en plusieurs factions, depuis les adeptes de la terraformation dans le respect de valeurs écologiques jusqu'aux opposants à la moindre modification climatique.

Le projet utopique de faire de Mars un monde basé sur la fraternité et la solidarité butte aussi devant l'afflux trop important de colons soumis à de rudes conditions d'existence à leur arrivée. Il s'effrite sous la pression de la Terre minée par la surpopulation et le manque de ressources, qui souhaite récupérer les bénéfices de ses investissements et dicter ses conditions sans prendre en compte les réalités du terrain, manipulée par les transnationales appliquant sans cesse sa logique du profit effréné. Entre John Boone, héroïque astronaute de la première expédition martienne, qui refuse la tutelle terrienne, et Franck Chalmers, plus pragmatique, qui cherche à composer avec la Terre, l'amitié se double d'une rivalité feutrée. Quand commence la révolution, c'est un rêve qui s'écroule. La conquête de Mars débute par un regrettable désastre.

D'autres figures marquantes émergent dans ce roman, comme Maya Toitovna, affectivement instable, Arkady Bogdanov, qui, depuis Phobos, incite à la rébellion, ou encore Hiroko Ai qui entre en clandestinité. Les relations entre les protagonistes, toujours plus complexes à mesure qu'on apprend à les connaître, accroissent l'effet de réel suscité par le soin minutieux du détail que Robinson a apporté à l'ensemble de cette œuvre aussi intelligente que forte, où la réflexion le dispute à la passion.

On ne peut être qu'emporté par le souffle évocateur de Robinson qui a mis dix-sept ans à bâtir cette formidable épopée, récompensée par le Nebula et le British SF Award, et dont Cameron projette de réaliser un feuilleton télévisé. La « Trilogie de Mars » est un chef-d'œuvre à côté duquel il ne faut pas passer.

Échecs et maths

Est-il possible d'écrire de la hard science avec loufoquerie ? Oui, prétend Bisson, qui le démontre sur le champ avec trois nouvelles qui se suivent chronologiquement mais sont lisibles indépendamment. Sous-titré « E=MC3 », ou encore « Tout le monde devrait avoir un ami comme Wilson Wu », ce recueil met en scène Irving, un avocat subissant des difficultés professionnelles et conjugales. Ses problèmes ne sont qu'un aspect secondaire de la question, mais ils mettent souvent en lumière les étranges phénomènes que son étonnant ami Wu parvient à expliquer, voire à enrayer avec la plus déconcertante facilité. Celui-ci, diplômé en droit, médecine, mathématiques et physique, qui exerça des activités aussi diverses que pâtissier, ingénieur, musicien de rock, entomologiste et météorologue, est un hyperactif curieux de tout qui ne manque jamais de rendre service et a en outre le don de tomber sur les phénomènes les plus étranges, qu'il parvient à expliquer.

« Le Trou dans le Trou » présente une fissure de l'espace-temps, baptisée adjacence méta-euclidienne néotopologique (non-congruente et périodique de surcroît), qui permet de récupérer, depuis une casse automobile, le Lunar abandonné sur la Lune (une partie, du moins). Dans « Le Bord de l'univers », Wu détecte une onde d'inversion anti-entropique amorçant le début du Big Crunch ; Irving en constate les effets sur une automobile abandonnée dans un terrain vague puis dans son entourage immédiat, à sa grande déception, puisque cela compromet ses chances de refaire sa vie avec Candy. Mais Wu résout toutes les difficultés, de sorte qu'Irving peut envisager une lune de miel à New York. Celle-ci risque malheureusement d'être mise à mal par une fuite de temps transitionnel provoquant une singularité chronologique compressant le temps à New York. Et voilà pourquoi taxi et métro sont à l'heure !

Les arguments pour expliquer ces aberrations sont d'une rigoureuse logique et s'appuient sur les récentes théories, ce qui permet probablement à Bisson d'affirmer en première page de son ouvrage : « Basé sur des faits réels ! » Mais les effets qu'il en tire, constatés à l'échelle de la vie banale d'Irving, sont des plus désopilants. Humour décalé et hard science rigolote font de ce recueil une lecture réjouissante.

Les Chronolithes

Le temps a toujours fasciné la S-F, le plus souvent pour les paradoxes qu'il engendre, mais jamais une idée aussi séduisante que celle de Wilson n'avait encore été exploitée ni traitée avec un tel talent. Un monument de pierre apparaît à Chumphon, en Thaïlande, fait dans un matériau inconnu, inaltérable ; il commémore une victoire que gagnera un dénommé Kuin dans vingt ans. Le froid qui accompagne son apparition provoque une onde de choc thermique qui dévaste les alentours. Bientôt, les impressionnants obélisques se multiplient en Asie, tous à la gloire du même seigneur de la guerre. À qui sont destinés ces chronolithes et que signifient-ils ? Le supposé tyran asiatique partant à la conquête de la planète est-il d'ores et déjà assuré des victoires qu'il commémore ou bien cherche-t-il à impressionner d'éventuels opposants ? D'ores et déjà, le conflit se situe sur le plan de la communication, en annonçant comme inéluctable l'issue de batailles à venir.

Scott Warden, qui a assisté à l'apparition du premier chronolithe et qui connaît de difficiles passages dans sa vie personnelle, est malgré lui une des pièces de cet échiquier temporel, une pièce recrutée par Sulamith Chopra, la physicienne la mieux placée pour étudier le phénomène grâce à ses travaux sur la turbulence Tau, au moment où l'onde de choc psychologique liée à l'apparition des chronolithes fait entrer le monde en récession. Les Etats-Unis procèdent à un surarmement préventif et se réservent les technologies sensibles tandis qu'un courant mystique de kuinistes, qui voient dans le leader du futur un messie salvateur, pousse les plus extrémistes à assister, au péril de leur vie, aux prochaines apparitions de chronolithes, qu'on a su prévoir grâce aux modifications de la radioactivité.

Le roman met en évidence l'effet larsen des chronolithes amplifiant les événements du futur ainsi que la force persuasive de l'information sur les esprits. Plutôt que de narrer les épisodes géopolitiques susceptibles de favoriser cet avènement, Robert Charles Wilson choisit une narration plus intimiste, à partir du point de vue de Warden, dont les déboires affectifs et familiaux sont une métaphore de l'impact des chronolithes : à cause d'eux, il brise son ménage puis perd son emploi. Mais c'est grâce à eux également qu'il reconquiert l'affection de sa fille, ce qui laisse augurer d'un possible renversement de situation dans cette guerre temporelle idéologique. L'écriture est elle aussi parfaitement adaptée au sujet en choisissant de présenter les protagonistes placés dans des situations nouvelles, chronolithes dont on accepte l'augure, avant d'expliquer les événements qui les y ont conduits. Tout à la fois roman psychologique retraçant l'essentiel d'une vie, avec ses bonheurs et ses déboires, et spéculation orchestrée autour d'une brillante idée, Les Chronolithes est le roman le plus marquant et le plus intelligent de ces derniers mois.

Les Larmes de Machiavel

Florence, 1498. Un corps atrocement mutilé est retrouvé dans l’Arno, les instances politiques s’en mêlent et Niccolò Machiavel, jeune secrétaire de la chancellerie, mène l’enquête. Plusieurs autres corps vont suivre le même chemin que le premier. L’affaire, qui met en danger la république florentine, implique aussi un moine étrange : Savonarole.

Voilà un premier roman (visiblement écrit en français par un auteur italien) qui n’a rien de scandaleux, qui tient plus de l’enquête policière que de l’uchronie et qui comporte des scènes d’une rare violence (une scène de torture notamment, presque insoutenable). Reste que Raphaël Cardetti ne respecte  pas  le  lien implicite qui le lie avec ses lecteurs (il triche sans honte aucune pour maintenir le suspens) et manque cruellement de sensualité quand il décrit la Renaissance, ses souterrains, ses figures politiques, ses vices et ses bordels. Un auteur à suivre, a priori, mais qui livre ici un premier livre ennuyeux, farci de dialogues inutiles et souffrant surtout de la comparaison avec un autre ouvrage mettant en scène Machiavel : Les Conjurés de Florence de Paul J. McAuley (qui reste encore à ce jour le meilleur livre de son auteur).

Fumée d'opium

Daniel Innes, électricien, vit seul depuis sa séparation avec Sheila. Ensemble, ils ont eu deux enfants : Phil, une grenouille de bénitier plus radine que Scrooge, et Charlie, une insoumise qui considère son père comme un débile mental depuis qu’elle a treize ans. Plutôt que de donner une conclusion satisfaisante à ses études à Oxford (un truc de nazes…), Charlie a cédé aux sirènes du sud-est asiatique, notamment à la consommation d’opium. Apprenant que sa « petite fille » est emprisonnée à Chiang Mai pour trafic de drogue et risque la peine de mort, Daniel se rend en Thaïlande avec Phil et son meilleur ami, le gros Mick. Là, il ne va pas tarder à découvrir que la jeune femme incarcérée n’est pas sa fille, mais une « fourmi » nommée Claire Marchand qui a dérobé son passeport à Charlie alors que celle-ci faisait un mauvais trip dans un village perdu du nord-ouest thaïlandais. Pour Daniel, le véritable voyage peut commencer maintenant qu’il sait où chercher Charlie : à la frontière avec la Birmanie, dans une zone interdite aux touristes, sur laquelle règnent des bandes armées héritées de l’époque où Khun Sha était le Kaiser Söze thaïlandais. Accompagné par deux guides, Coconut et Bhun, puis par un jeune guide akha, notre trio britannique ne tardera pas à retrouver Charlie (p. 208)… Mais les esprits de la montagne rôdent dans ce coin perdu du monde extrême-oriental.

Voilà un livre qui ne manquent pas de défauts et qui, pourtant, se lit avec grand plaisir, presque comme un thriller estival. Pour ce qui est des défauts, ils sont surtout cantonnés dans la première moitié du récit où Joyce et ses gros sabots ne nous épargnent rien : Phil, le fils fanatique religieux, est un personnage tellement outré que le lecteur a du mal à y croire ; le consul britannique est probablement pédophile (ce qui permet à Mick de le faire chanter) ; Mick tombe amoureux d’une magnifique thaïlandaise de grande taille, Mae-Lin, qui est bien évidemment un travesti ; le trio anglais se comporte de manière odieuse la plupart du temps (forcément, les asiatiques sont de gros hypocrites, de sales vendeurs de drogue, des types qui bradent leurs gamines aux étrangers et violent celles des autres) ; les prostituées sont toutes plus belles les une que les autres (l’auteur nous le dit trois fois en moins de vingt pages). Et au final, Joyce est bien plus à l’aise dans sa description de la jungle et des villages montagnards (pp. 208 à 397), plutôt que dans celle de Chiang Mai — la Perle du Nord — (pp. 79 à 183) dont il donne un portrait extrêmement réducteur, limite cliché. Il est d’ailleurs étonnant de remarquer que le récit s’améliore au fur et à mesure que les personnages de Joyce perdent leurs préjugés racistes et se laissent pénétrer par l’ambiance asiatique, les odeurs, les couleurs et les saveurs.

Pour conclure cette critique, il convient sans doute d’avertir le lecteur de Bifrost sur un point important : malgré la collection dans laquelle Fumée d’opium est publié, il ne s’agit pas d’un livre d’horreur, mais d’un solide roman de littérature générale comportant quelques éléments fantastiques (et encore…). Le ou les véritables sujets de ce roman relèvent clairement du mainstream ; Joyce nous parle de l’incommunicabilité entre un père ouvrier spécialisé et ses enfants plus éduqués, de la découverte d’un pays autre. Il en profite pour mettre en parallèle, de façon satisfaisante, le paradis naturel thaïlandais et le paradis artificiel offert par l’opium. Voilà donc un bon roman sur la Thaïlande auquel le lecteur curieux de découvrir ce pays préférera néanmoins la lecture de La Plage d’Alex Garland, livre-culte qui n’a pas volé son statut et parle des paradis artificiels et naturels avec beaucoup plus de mordant que Fumée d’opium.

Structura Maxima

La structure. Un monde en cloche, limité par la Paroi, traversé par des poutrelles, des canalisations, des ascenbus, des trains à vapeur. Là, vivent deux strates de la même civilisation italianisante : les poutrelliers et les vapeuriers. Les premiers, supérieurs, sont les serviteurs de Valladolis, leur déité, dont le domaine se trouve au-delà de la Paroi. Les seconds sont principalement des ouvriers, les maîtres du magma qui sert à fabriquer la vapeur.

Quel décor ! On se croirait chez Rintaro et son Metropolis, chez Miyazaki et son Château dans le ciel (d'ailleurs, Paquet rend un hommage appuyé à ce réalisateur : on se balade dans Laputa et on rencontre une télépathe nommée Noshikaa). Dans ce paysage fabuleux, ce premier roman nous narre alternativement l'histoire d'un père, Victor Mégare, et de son fils, Jehan. Le géniteur a été blessé par la vapeur (en fait un sabotage) ; Jehan, lui, a fait son choix, il sera poutrellier et vivra loin de la vapeur et de ses dangers, il rencontrera sa marraine Marquisa, changera de nom et d'amis. Mais la vie n'est jamais simple et un rapport des mineurs va tout compliquer, pousser les uns et les autres sur des voies inattendues ; en effet, la structure va bientôt se trouver à court de minerai de fer, ce qui pourrait bien déclencher une guerre entre les poutrelliers et les vapeuriers. On s'en doute dès le départ, ce que l'auteur veut nous montrer, hors une classique lutte de classes, c'est la guerre, ses origines, son déroulement, ses victimes…

Voilà un roman bien écrit (à l'exception notable des dialogues, d'une platitude à faire passer Jane Birkin pour un kit sexuel de montagnes russes), un roman construit avec rigueur qui laisse néanmoins une assez tiède impression. Le tout semble scolaire, aurait mérité d'être resserré et au final ce texte libère un ennui discret (comme certaines nouvelles d'Ursula K. Le Guin ou de Brian Stableford, trop professorales pour être passionnantes). On sent, presque à chaque page, que Structura Maxima est un livre réellement intéressant, ambitieux, mais il manque quelque chose, une étincelle de folie, un peu d'ambiguïté, un peu de méchanceté ou de sentiments exacerbés. Et puis il y a tous ces mots en italien, ces insupportables notes de bas de page qui font gadget. Dommage, surtout quand on s'attarde à penser que Structura Maxima risque fort d'être le meilleur premier roman francophone de l'année 2003.

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