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L'infinie comédie

«  Ensuite j’ai perdu ma femme à cause de la boisson. Je ne dis pas que je ne savais plus où elle était et tout ça, seulement un beau jour, quand je suis arrivé, y avait quelqu’un d’autre qui s’en chargeait à ma place.  »

Un kilo deux cent quatre-vingt grammes pour 1488 pages sur papier bible dans son édition française qui aura failli rendre fou l’un de ses traducteurs 1, mettre quelques éditeurs2 courageux sur la paille et, surtout ne jamais sortir dans notre beau pays3. C’eût été dommage tant la presse littéraire, ou ce qu’il en reste par-ci par-là, s’est galvanisée à grands coups d’articles parfois forts intéressants sur L’Infinie comédie, monument incontesté de la littérature américaine4. Si l’argument annonce clairement le contexte d’un futur proche, le lecteur surbooké d’Imaginaire est en droit de se demander si David Foster Wallace fait réellement partie de notre club, et s’il doit plonger tête baissée dans un univers qu’il ne quittera peut-être pas de sitôt.

A la première question, on répondra : oui, David Foster Wallace fai(sai)t5 résolument partie de notre club dans la mesure où Philip K. Dick, William S. Burroughs et James G. Ballard6 hantent son œuvre d’une page l’autre. A la seconde interrogation, on placera le lecteur devant lui-même et face à ses responsabilités : un monument, ça se visite, même si on n’est pas obligé d’en tomber amoureux7.

(1) à en croire Francis Kerline qui, quand il s’exprime dans le Books d’octobre 2015, avoue qu’il aurait bien traité l’auteur d’« enfoiré » après une dure année de travail.

(2) après avoir édité des recueils de nouvelles, et autres textes plus courts, Le Diable Vauvert, alors titulaire des droits, jeta l’éponge.

(3) alors qu’il a fait un tabac en Allemagne, en Italie, en Australie, etc.

(4) entre le colloque tenu en septembre dernier à la Sorbonne et l’incroyable somme exégète qu’on trouve sur internet…

(5) gravement dépressif, l’auteur s’est pendu, non sans succès, en 2008.

(6) technologie dickienne, toxicomanie burroughsienne et folie balardienne sont au rendez-vous. La preuve par trois, rires et sourires en plus.

(7) ceci était un test : l’ouvrage contient 380 notes sur 157 pages et leur lecture est indispensable, comme celle, du reste, de L’Infinie comédie.

Le dictionnaire Khazar

Qui sont les Khazars ? Une peuplade turc semi-nomade, qui, depuis son berceau originel entre la mer Noire et la mer Caspienne, a établi un khaganat ; à son apogée, celui-ci s’est étendu des Carpates jusqu’à l’ouest du Khazastan, du Sud de la Russie actuelle jusqu’à la Géorgie. Puis, peu avant le 1er millénaire, les Khazars se sont convertis à l’une des trois grandes religions du Livre (mais laquelle ?), et ont disparu des annales historiques peu de temps après. La question de leur conversion soulève encore des controverses. C’est aussi le sujet central de ce Dictionnaire khazar, premier roman de l’auteur serbe Milorad Pavi?, originellement paru chez Belfond en 1988, indisponible depuis longtemps, et réédité au Nouvel Attila à l’automne 2015. Elégante réédition : découpage de couverture, reliure apparente, maquette sobre et créative. Sous-titré « Roman-lexique en 100 000 mots » (avouons-le, nous n’avons pas compté), ce Dictionnaire… consiste en trois dictionnaires – le premier de sources chrétiennes, le deuxième de sources islamiques, et le dernier de sources hébraïques – louvoyant autour de la polémique khazare : lorsque le khagan a convoqué trois émissaires des trois grandes religions monothéistes, et qu’il leur a demandé d’interpréter son rêve, déclarant qu’il prendrait la religion de celui qui lui apporterait l’interprétation la plus convaincante, à quel dieu – Dieu, Allah ou Yahvé – s’est-il converti ? Et quel jeu a joué la princesse Ateh ? Forts d’une quinzaine d’entrées de longueurs inégales, se renvoyant les unes aux autres, ces trois dictionnaires s’attachent aux participants à la polémique khazare au VIIIe siècle (à moins que ça ne soit le IXe), les chroniqueurs du XIIe siècle, les auteurs de ces dictionnaires au XVIIe siècle, et les chercheurs qui étudièrent la question khazare au XXe siècle, dans un jeu de vraie-fausse érudition digne de Borges. C’est certain, ce Dictionnaire khazar n’aurait pas déparé dans les ouvrages aussi magnifiques qu’imaginaires décrits par l’auteur argentin dans son recueil Fictions. Réel et fiction s’entremêlent au sein d’un écheveau serré, dans un exercice à la fois fascinant et aride : il n’y a pas d’intrigue à proprement parler, en-dehors de la non-résolution de la polémique khazare, et chaque entrée de dictionnaire prend soin d’épaissir le mystère. Histoires enchâssées, digressions parfois longuettes, symétries étranges, jeux de correspondances et de miroirs imprègnent ce livre : rien d’étonnant à ce que Le Dictionnaire khazar existe en deux versions, une édition masculine et une édition féminine, qui ne diffèrent que par un seul et unique mot, forcément crucial.

On l’aura compris, voici un indispensable pour les amateurs d’objets littéraires non-identifiés. Et l’on espère que le Nouvel Attila poursuivra son travail d’exhumation des œuvres du fascinant Milorad Pavi?.

Le Fantôme de la tasse de thé

Lafcadio Hearn est connu pour Kwaidan, recueil d’histoires de fantômes et autres bizarreries nippones. Parmi les textes le composant, il est un fragment intitulé « Dans une tasse de thé » qui n’a pas vraiment de chute : nous y voyons un homme d’armes du nom de Sekinaï qui, lors d’une halte dans une maison de thé, aperçoit dans sa tasse un reflet qui n’est pas le sien – celui d’un fantôme de samouraï. Il boit néanmoins, et se retrouve hanté par l’esprit de Shikubu Heinaï, qui lui annonce qu’il se vengera bientôt de cet affront inacceptable…

Et ça s’arrête là. Ce qui est certes un brin frustrant…

D’où l’idée de cet étrange petit livre : trois auteurs imprégnés de culture nipponne y livrent leurs « suites », chacun étant accompagné d’un illustrateur différent, respectivement Rémi Maynègre (plutôt quelconque…), Nancy Peña (l’approche la plus classique, via des sortes d’estampes), et Johan Walder (dans un style manga tordu).

Jean-Philippe Depotte entame l’exercice, mais biaise, dans la mesure où son récit n’est pas à proprement parler une « suite » : il entend remonter le temps pour expliquer comment le visage du détestable samouraï a fini dans cette tasse de thé. L’histoire est classique mais astucieuse. Sauf que lorsque le récit s’arrête, on en reste au même point : on ignore ce qui va arriver à Sekinaï.

N. M. Zimmermann livre bel et bien une « suite » directe – et c’est sans doute elle qui a l’approche la plus classique, voire convenue. Cela reste une conclusion bienvenue quoique prévisible à l’anecdote de Kwaidan. On appréciera notamment la manière dont l’auteur emploie le thème du double suicide (les différents récits sont parsemés de traits culturels japonais, et cela participe sans doute de l’intérêt du livre).

Reste Jérôme Noirez, qui quitte le Japon féodal pour nous ramener au temps présent – sa « suite » n’a donc rien de direct, et le lien avec le matériau de base est assez lâche… Son récit est le plus connoté « jeunesse », avec son narrateur adolescent victime d’un cruel drame amoureux. C’est bien le caractère rude de ce récit qui fait son intérêt. Une bonne idée par ailleurs, toujours dans la mise en scène de la culture japonaise : l’intérêt des personnages pour la cérémonie du thé… Mais certaines scènes peuvent donner une impression d’artifice, comme si elles étaient des concessions arrachées pour la forme.

On pourrait considérer que seule N.M. Zimmermann a pleinement joué le jeu – mais la manière dont Jean-Philippe Depotte et Jérôme Noirez ont accompli l’exercice ne manque pas pour autant d’intérêt, et évite au recueil de sombrer dans la répétition. Bref, nous voici avec une curiosité, peut-être pas totalement satisfaisante, certainement pas renversante, mais néanmoins sympathique. Et nul doute que les jeunes lecteurs – a fortiori ceux qui s’intéressent à la culture nipponne – pourront y trouver un intérêt.

Le Mystère Dyatlov

En février 1959, dans l’Oural, neuf jeunes gens bien entraînés, sept garçons et deux filles, partaient pour une randonnée sportive vers le Kholat-Siaskhyl , le mont des cadavres dans la langue mansi, l’ancien peuple autochtone. Ils ne reviendront jamais. On les retrouvera morts, certains gelés, d’autres ayant subi des coups, éparpillés hors de leur tente lacérée. Aucun ne portait ses chaussures.

C’était l’époque de Khrouchtchev, un moment de respiration après la mort de Staline. Mais aussi l’époque des escadrons de la mort à la recherche des zeks évadés, l’époque des tests de fusées et d’armes nucléaires. Une époque de secrets. L’enquête n’a permis aucune conclusion définitive, les parents des disparus ont dû se battre pour accéder aux quelques informations qu’on voulait bien leur donner.

Sur ces faits réels passionnants, Anna Matveeva construit un roman très bancal. Son héroïne et double fictionnel vit comme l’auteur, en 1999 à Sverdlovsk/Iekaterinenbourg, la ville d’où était originaire le groupe Dyatlov, et se retrouve par un hasard un peu fantastique à lire une pile de vieux documents sur le groupe. Ce procédé, de mêler enquête réelle et fiction, est assez élégant en ce qu’il permet de construire une relation émotionnelle avec les faits. Malheureusement la fiction, si elle nous donne une vision intéressante de la vie en Russie à la fin des années 90, est globalement très mal écrite, mal ficelée et sans intérêt. Toutes les pistes intéressantes (la vision du premier chapitre, la relation aux voisins bizarres…) sont abandonnées, et le style est au mieux plat.

On s’en moque un peu, car l’auteur cite et commente de nombreux documents réels (près de la moitié du livre, en fait), reproduits dans une police de caractère spécifique, qui permettent au lecteur de disposer de tous les éléments et de se faire sa propre opinion quant à l’explication du mystère. Prisonniers en fuite ? Avalanche ? Accident militaire ? Opération de nettoyage ? (Créature indicible ?)

Rien ne colle parfaitement, on ne saura jamais. Mais le temps de ce (court) documentaire, on sera replongé dans un monde tout aussi étrange pour la narratrice que pour nous, lecteurs français : l’Union Soviétique des années 1950, ses étudiants, ses sportifs, ses chansons, ses carnets de randonnée. Le plongeon dans le passé et le beau mystère valent quand même le coup d’œil. On songe en rêvant à ce qu’une romancière plus rigoureuse et plus chevronnée pourrait faire d’une pareille histoire.

L'Île au trésor

Étonnant projet que celui-ci : reprendre la trame et les personnages de L’Île au trésor de Stevenson pour les plonger dans un futur proche. Là où Pelot fait preuve d’une vraie originalité, c’est qu’il n’a pas décidé de simplement s’inspirer du célèbre roman, il en réalise un décalque presque parfait : la trame est quasiment identique, les noms des personnages inchangés (Long John Silver devient tout de même Johnny Jump Silver)… S’il s’agissait de cinéma, on parlerait de remake. Ce projet éditorial est surtout l’occasion pour l’auteur vosgien de rendre hommage à l’écrivain écossais et à son texte séminal du roman d’aventures contemporain devenu l’un des plus grands classiques de la littérature mondiale. Une opération casse-gueule, bien sûr, car même si Pelot n’a pas la prétention de se comparer au maître, son Île au trésor doit dépasser le stade de la simple copie et s’avérer un ouvrage à lire pour lui-même, indépendamment de son glorieux aïeul, tout en proposant son content de péripéties et de personnages bien campés. Pierre Pelot, cinquante ans d’écriture au compteur, s’acquitte de la tâche avec maestria, et ce dès les premières pages (l’arrivée, ou plutôt l’échouage de Billy Bones), les descriptions acérées permettant à l’auteur de croquer en quelques mots ses protagonistes. On suit ainsi le jeune Jim Hawkins, dont la tante tient un hôtel sur une île des Caraïbes, dans un futur où le niveau des océans a dramatiquement grimpé, remodelant les continents. Plutôt qu’une longue description des changements climatiques ayant conduit à la situation présente, Pelot préfère procéder par petites touches, conférant crédibilité au récit et favorisant l’immersion du lecteur. Celle-ci est nécessaire car le rythme va bientôt s’accélérer à mesure que les bad boys entrent en scène. Dès lors, l’auteur nous embarque pour une aventure débridée qui nous emmène jusqu’au Brésil, avec quelques réminiscences du Monde englouti de Ballard ou d’Apocalypse Now de Coppola (pour la très angoissante remontée du fleuve). On appréciera notamment la maîtrise de la tension sous-jacente entre Jim et les siens d’une part, les malfrats d’autre part : même si personne n’est dupe des enjeux, tous vont faire comme si de rien n’était avant que les antagonismes ne finissent par surgir au grand jour. Et Pelot fait du lecteur son complice : on connaît le déroulement de l’histoire, l’auteur ne peut donc nous prendre par surprise, mais il y arrive parfois néanmoins, dans le choix d’une petite entorse au roman de Stevenson, et l’on se prend à imaginer le père de Dylan Stark nous adressant un clin d’œil appuyé par-delà les pages.

Au final, Pierre Pelot s’est emparé d’un matériau en or pour nous en proposer une relecture moderne et vivifiante parfaitement maîtrisée, y compris dans sa distance à l’œuvre étalon : ni trop proche, ni trop éloignée – une preuve éclatante du talent d’écrivain populaire du bonhomme.

C'est ainsi que les hommes vivent

Énorme pavé écrit sur deux ans après d’imposantes recherches documentaires, CAQLHV est le chef-d’œuvre de Pierre Pelot, comme en font les Compagnons du devoir. Il fait entrer Pelot dans la petite confrérie des écrivains de fresque, aux côtés de Tolstoï et des autres photographes d’univers.

1599, dans les Vosges, une pauvre femme dont le seul tort est d’être trop belle est envoyée au bucher par de faux témoignages. Dans sa prison, alors qu’on va la soumettre à la question, elle accouche d’un enfant qui devait être celui de la félicité et qui sera celui du malheur, né le poing en avant sur la paille d’un cul de basse fosse. Exposé après le supplice de sa mère, Dolat est « adopté » sur un coup de tête par la très jeune Apolline, fille de petite noblesse promise à devenir chanoinesse de Remiremont. Elle sera sa « marraine » avant de devenir, plus tard, sa maitresse et son unique amour. Trente-six ans de rapprochements et de séparations récurrents pour les deux jeunes gens, d'abord entre libertinage et complot de cour, puis en fuite hors du monde balisé de la ville, vers cet en-dehors qu’on appelait au Moyen-Âge la Sauvagerie, le tout au milieu des affres de l’abominable Guerre de Trente Ans.

1999, dans les Vosges, Lazare, grand reporter revenu au pays, commence une quête de ses origines qui le reliera sans le vouloir à ces hommes et femmes ensevelis par l’Histoire, et à un trésor enterré pour lequel beaucoup ont vilement massacré.

En 1179 pages, Pelot fait revivre un monde disparu, par la langue d’abord, mélange de français archaïque et de patois vosgien, impressionnant dans des dialogues rugueux et de peu de mots, par la profusion de détails, ensuite, où tout est décrit, même et surtout le plus ignoble, toutes ces animalités d’où peinait à s’extirper l’humanité d’une époque bien primitive. En ce début du XVIIe siècle, la Renaissance n’a pas vraiment atteint les marches vosgiennes, encore moins l’infinité des gueux, urbains ou forestiers, qui peuplent la région. Hormis la prospérité de quelques nobles et religieux, la vie là-bas est atrocement dure. La justice, impitoyable, est de plus formidablement injuste. L’existence est courte, entre malnutrition, maladies, malemorts. On vit dans la merde et l’ordure, on peut mourir à tout moment, on se prostitue pour manger (mal), on mange même ses enfants, paraît-il, quand tout va trop mal. Les hommes vivent mal, et les femmes bien plus. Dans un monde d’hommes, une femme est un bien qu’on peut céder, vendre, acheter, et qui doit, pour survivre sans se prostituer, avoir un « homme » qu’il n’est pas besoin d’aimer. En lui ouvrant son entrecuisson, on obtiendra de lui aide matérielle et identité déléguée.

Détails et langage s’allient pour balayer toute la vie de ces miséreux (prolétaires étymologiques) dont le monde n’a que faire. Gueux des taudis urbains, forestiers exonérés de corvée, charbonniers des forêts profondes, mineurs d’argent ou d’or, tous tentent de survivre, fût-ce au prix de la vie des autres. Il n’y a de solidarité qu’au sein de l’immédiate communauté, là où on peut survivre et forniquer, prolonger sa vie et prolonger la vie. L’étranger est souvent inutile, au pire une menace, au mieux une proie. Et quand la guerre arrive, qu’elle est cruelle comme jamais, qu’on torture et qu’on tue pour rire (rappelons que les horreurs de la Guerre de Trente Ans furent à l’origine du premier droit de la guerre), la bestialité des sédentaires doit se hisser au niveau de celle des écorcheurs en maraude. Des deux côtés, on tue, certes, mais on profane aussi, par plaisir, quand on ne mange pas. Gueux et écorcheurs sont deux faces d’une même pièce, indifféremment l’une ou l’autre, c’est d’autant plus vrai pour Dolat et Apolline, qui devront aller au fond de l’abjection pour continuer à vivre. Racontant misère et malheur, la langue, les phrases de Pelot emportent tout sur leur passage. Comme un fleuve en crue, le verbe de Pelot saisit et entraîne loin, si loin son lecteur. Les premières dizaines de pages consacrées au supplice de la « sorcière » époustouflent et donnent le ton, les scènes de massacre et de torture qui closent le récit aussi. C’est ainsi que les hommes vivent – comme des bêtes qui voudraient aimer et trouvent de petits ilots de joie dans un océan de lancinante souffrance –, qu’ils meurent aussi, souvent. Et rien n’a changé sous le vernis de civilisation, Lazare le sait bien. En 1999 aussi des hommes cherchent le trésor caché et des hommes meurent pour lui. Et que dire des guerres modernes, en Tchétchénie ou ailleurs, qui ne comptent pas moins de massacres de masse, viols, humiliations et mutilations. Il suffit de s’éloigner un peu du centre occidental et d’aller vers la périphérie mondiale, vers ces marches jumelles de celles que parcoururent éperdument Dolat et Apolline, loin de la sécurité relative de leur jeunesse. La bestialité est toujours là, n’attendant qu’une occasion de s’exprimer, qu’un humain de hasard sur qui se déchaîner.

Ceux qui parlent au bord de la pierre

[Critique commune à Sous le vent du monde, Le Nom perdu du soleil, Debout dans le ventre blanc du silence et Ceux qui parlent au bord de la pierre.]

Pierre Pelot s’était déjà frotté au roman préhistorique avec Le Rêve de Lucy, qui avait bénéficié des conseils scientifiques d’Yves Coppens. Il a remis le couvert avec « Sous le vent du monde », pentalogie d’une ambition rare, débutant 1,7 million d’années avant notre ère et s’achevant il y a de cela 32 000 ans, et se déroulant aux quatre coins du globe. Il s’agit de narrer l’homme naissant au cours de cette longue période, qui verra à terme Sapiens dominer le monde.

Plusieurs thèmes se montrent récurrents au fil de la série, le plus important étant probablement celui de la communication : dans chaque roman, Pierre Pelot invente au moins un lexique particulier, souvent deux – il faudra dès lors aux personnages se faire comprendre d’un groupe à l’autre… Complexe jeu sur le langage, qui peut se montrer rebutant, mais a aussi un côté ludique à l’occasion, et dont la pertinence ne saurait faire de doute.

On assiste par ailleurs à la naissance de plusieurs concepts fascinants – ainsi de la religion, au fur et à mesure que les rites funéraires, notamment, et les questionnements qui les accompagnent, prennent de plus en plus d’importance pour nos ancêtres. On voit de même se construire des tabous, éventuellement en relation avec le totémisme, et leur violation qui débouche à terme sur une conception archaïque de la justice.

La technologie n’est pas en reste – et tout est lié. Les outils de ces hommes premiers se perfectionnent sans cesse, encore que sur des périodes longues. On les voit aussi, au fur et à mesure, construire des abris et se vêtir de peaux, voire enjoliver leur environnement par un artisanat naissant – tandis que l’art pariétal finit par apparaître. Se pose par ailleurs, forcément, la question essentielle de la domestication du feu – qui renvoie à La Guerre du feu, bien sûr, tant le roman séminal de J.-H. Rosny Aîné que le film de Jean-Jacques Annaud.

Mais l’homme est bien plus que tout cela : il s’interroge autant qu’il ressent. Au fil des romans, on le voit développer les traits les plus louables – dont une curiosité de tous les instants, et une certaine solidarité teintée d’empathie –, mais aussi les plus détestables : la violence est souvent de la partie, qu’elle soit provoquée par l’ignorance et l’incompréhension, ou par des affects plus individuels comme la jalousie…

Pour raconter cette longue histoire, Pierre Pelot a recours à un style très particulier : au-delà même des lexiques, il use de longues et complexes périphrases ou analogies, indispensables pour se faire comprendre – de nombreuses scènes y sont consacrées, qui peuvent à l’occasion se montrer aussi enthousiasmantes pour le lecteur que pour les intervenants, la joie de la compréhension justifiant bien des tours et détours et des tentatives d’explications confuses.

Au-delà, il faut bien reconnaître que ces romans sont d’un abord rugueux… et que leur lecture – a fortiori en bloc – a quelque chose de franchement épuisant. La tendance de l’auteur à détailler à l’extrême les moindres scènes participe de cette difficulté, et plus encore quand il s’agit de scènes d’« action » (au sens large), tellement précises qu’elles en deviennent illisibles, se traînant au long de paragraphes et de phrases interminables accumulant les propositions…

« Sous le vent du monde » séduit par son ampleur, son intelligence et sa justesse – sa poésie aussi, dont les titres témoignent. Mais la série peut rebuter par ses procédés stylistiques, certes appropriés, mais délicats à appréhender et pouvant légitimement en décourager plus d’un. Une lecture fascinante, donc, mais qui demande un certain travail – et s’il est heureux que ces efforts soient le plus souvent récompensés, on avouera que ça n’est pas toujours le cas…

Debout dans le ventre blanc du silence

[Critique commune à Sous le vent du monde, Le Nom perdu du soleil, Debout dans le ventre blanc du silence et Ceux qui parlent au bord de la pierre.]

Pierre Pelot s’était déjà frotté au roman préhistorique avec Le Rêve de Lucy, qui avait bénéficié des conseils scientifiques d’Yves Coppens. Il a remis le couvert avec « Sous le vent du monde », pentalogie d’une ambition rare, débutant 1,7 million d’années avant notre ère et s’achevant il y a de cela 32 000 ans, et se déroulant aux quatre coins du globe. Il s’agit de narrer l’homme naissant au cours de cette longue période, qui verra à terme Sapiens dominer le monde.

Plusieurs thèmes se montrent récurrents au fil de la série, le plus important étant probablement celui de la communication : dans chaque roman, Pierre Pelot invente au moins un lexique particulier, souvent deux – il faudra dès lors aux personnages se faire comprendre d’un groupe à l’autre… Complexe jeu sur le langage, qui peut se montrer rebutant, mais a aussi un côté ludique à l’occasion, et dont la pertinence ne saurait faire de doute.

On assiste par ailleurs à la naissance de plusieurs concepts fascinants – ainsi de la religion, au fur et à mesure que les rites funéraires, notamment, et les questionnements qui les accompagnent, prennent de plus en plus d’importance pour nos ancêtres. On voit de même se construire des tabous, éventuellement en relation avec le totémisme, et leur violation qui débouche à terme sur une conception archaïque de la justice.

La technologie n’est pas en reste – et tout est lié. Les outils de ces hommes premiers se perfectionnent sans cesse, encore que sur des périodes longues. On les voit aussi, au fur et à mesure, construire des abris et se vêtir de peaux, voire enjoliver leur environnement par un artisanat naissant – tandis que l’art pariétal finit par apparaître. Se pose par ailleurs, forcément, la question essentielle de la domestication du feu – qui renvoie à La Guerre du feu, bien sûr, tant le roman séminal de J.-H. Rosny Aîné que le film de Jean-Jacques Annaud.

Mais l’homme est bien plus que tout cela : il s’interroge autant qu’il ressent. Au fil des romans, on le voit développer les traits les plus louables – dont une curiosité de tous les instants, et une certaine solidarité teintée d’empathie –, mais aussi les plus détestables : la violence est souvent de la partie, qu’elle soit provoquée par l’ignorance et l’incompréhension, ou par des affects plus individuels comme la jalousie…

Pour raconter cette longue histoire, Pierre Pelot a recours à un style très particulier : au-delà même des lexiques, il use de longues et complexes périphrases ou analogies, indispensables pour se faire comprendre – de nombreuses scènes y sont consacrées, qui peuvent à l’occasion se montrer aussi enthousiasmantes pour le lecteur que pour les intervenants, la joie de la compréhension justifiant bien des tours et détours et des tentatives d’explications confuses.

Au-delà, il faut bien reconnaître que ces romans sont d’un abord rugueux… et que leur lecture – a fortiori en bloc – a quelque chose de franchement épuisant. La tendance de l’auteur à détailler à l’extrême les moindres scènes participe de cette difficulté, et plus encore quand il s’agit de scènes d’« action » (au sens large), tellement précises qu’elles en deviennent illisibles, se traînant au long de paragraphes et de phrases interminables accumulant les propositions…

« Sous le vent du monde » séduit par son ampleur, son intelligence et sa justesse – sa poésie aussi, dont les titres témoignent. Mais la série peut rebuter par ses procédés stylistiques, certes appropriés, mais délicats à appréhender et pouvant légitimement en décourager plus d’un. Une lecture fascinante, donc, mais qui demande un certain travail – et s’il est heureux que ces efforts soient le plus souvent récompensés, on avouera que ça n’est pas toujours le cas…

 

Le nom perdu du soleil

[Critique commune à Sous le vent du monde, Le Nom perdu du soleil, Debout dans le ventre blanc du silence et Ceux qui parlent au bord de la pierre.]

Pierre Pelot s’était déjà frotté au roman préhistorique avec Le Rêve de Lucy, qui avait bénéficié des conseils scientifiques d’Yves Coppens. Il a remis le couvert avec « Sous le vent du monde », pentalogie d’une ambition rare, débutant 1,7 million d’années avant notre ère et s’achevant il y a de cela 32 000 ans, et se déroulant aux quatre coins du globe. Il s’agit de narrer l’homme naissant au cours de cette longue période, qui verra à terme Sapiens dominer le monde.

Plusieurs thèmes se montrent récurrents au fil de la série, le plus important étant probablement celui de la communication : dans chaque roman, Pierre Pelot invente au moins un lexique particulier, souvent deux – il faudra dès lors aux personnages se faire comprendre d’un groupe à l’autre… Complexe jeu sur le langage, qui peut se montrer rebutant, mais a aussi un côté ludique à l’occasion, et dont la pertinence ne saurait faire de doute.

On assiste par ailleurs à la naissance de plusieurs concepts fascinants – ainsi de la religion, au fur et à mesure que les rites funéraires, notamment, et les questionnements qui les accompagnent, prennent de plus en plus d’importance pour nos ancêtres. On voit de même se construire des tabous, éventuellement en relation avec le totémisme, et leur violation qui débouche à terme sur une conception archaïque de la justice.

La technologie n’est pas en reste – et tout est lié. Les outils de ces hommes premiers se perfectionnent sans cesse, encore que sur des périodes longues. On les voit aussi, au fur et à mesure, construire des abris et se vêtir de peaux, voire enjoliver leur environnement par un artisanat naissant – tandis que l’art pariétal finit par apparaître. Se pose par ailleurs, forcément, la question essentielle de la domestication du feu – qui renvoie à La Guerre du feu, bien sûr, tant le roman séminal de J.-H. Rosny Aîné que le film de Jean-Jacques Annaud.

Mais l’homme est bien plus que tout cela : il s’interroge autant qu’il ressent. Au fil des romans, on le voit développer les traits les plus louables – dont une curiosité de tous les instants, et une certaine solidarité teintée d’empathie –, mais aussi les plus détestables : la violence est souvent de la partie, qu’elle soit provoquée par l’ignorance et l’incompréhension, ou par des affects plus individuels comme la jalousie…

Pour raconter cette longue histoire, Pierre Pelot a recours à un style très particulier : au-delà même des lexiques, il use de longues et complexes périphrases ou analogies, indispensables pour se faire comprendre – de nombreuses scènes y sont consacrées, qui peuvent à l’occasion se montrer aussi enthousiasmantes pour le lecteur que pour les intervenants, la joie de la compréhension justifiant bien des tours et détours et des tentatives d’explications confuses.

Au-delà, il faut bien reconnaître que ces romans sont d’un abord rugueux… et que leur lecture – a fortiori en bloc – a quelque chose de franchement épuisant. La tendance de l’auteur à détailler à l’extrême les moindres scènes participe de cette difficulté, et plus encore quand il s’agit de scènes d’« action » (au sens large), tellement précises qu’elles en deviennent illisibles, se traînant au long de paragraphes et de phrases interminables accumulant les propositions…

« Sous le vent du monde » séduit par son ampleur, son intelligence et sa justesse – sa poésie aussi, dont les titres témoignent. Mais la série peut rebuter par ses procédés stylistiques, certes appropriés, mais délicats à appréhender et pouvant légitimement en décourager plus d’un. Une lecture fascinante, donc, mais qui demande un certain travail – et s’il est heureux que ces efforts soient le plus souvent récompensés, on avouera que ça n’est pas toujours le cas…

Sous le vent du monde

[Critique commune à Sous le vent du monde, Le Nom perdu du soleil, Debout dans le ventre blanc du silence et Ceux qui parlent au bord de la pierre.]

Pierre Pelot s’était déjà frotté au roman préhistorique avec Le Rêve de Lucy, qui avait bénéficié des conseils scientifiques d’Yves Coppens. Il a remis le couvert avec « Sous le vent du monde », pentalogie d’une ambition rare, débutant 1,7 million d’années avant notre ère et s’achevant il y a de cela 32 000 ans, et se déroulant aux quatre coins du globe. Il s’agit de narrer l’homme naissant au cours de cette longue période, qui verra à terme Sapiens dominer le monde.

Plusieurs thèmes se montrent récurrents au fil de la série, le plus important étant probablement celui de la communication : dans chaque roman, Pierre Pelot invente au moins un lexique particulier, souvent deux – il faudra dès lors aux personnages se faire comprendre d’un groupe à l’autre… Complexe jeu sur le langage, qui peut se montrer rebutant, mais a aussi un côté ludique à l’occasion, et dont la pertinence ne saurait faire de doute.

On assiste par ailleurs à la naissance de plusieurs concepts fascinants – ainsi de la religion, au fur et à mesure que les rites funéraires, notamment, et les questionnements qui les accompagnent, prennent de plus en plus d’importance pour nos ancêtres. On voit de même se construire des tabous, éventuellement en relation avec le totémisme, et leur violation qui débouche à terme sur une conception archaïque de la justice.

La technologie n’est pas en reste – et tout est lié. Les outils de ces hommes premiers se perfectionnent sans cesse, encore que sur des périodes longues. On les voit aussi, au fur et à mesure, construire des abris et se vêtir de peaux, voire enjoliver leur environnement par un artisanat naissant – tandis que l’art pariétal finit par apparaître. Se pose par ailleurs, forcément, la question essentielle de la domestication du feu – qui renvoie à La Guerre du feu, bien sûr, tant le roman séminal de J.-H. Rosny Aîné que le film de Jean-Jacques Annaud.

Mais l’homme est bien plus que tout cela : il s’interroge autant qu’il ressent. Au fil des romans, on le voit développer les traits les plus louables – dont une curiosité de tous les instants, et une certaine solidarité teintée d’empathie –, mais aussi les plus détestables : la violence est souvent de la partie, qu’elle soit provoquée par l’ignorance et l’incompréhension, ou par des affects plus individuels comme la jalousie…

Pour raconter cette longue histoire, Pierre Pelot a recours à un style très particulier : au-delà même des lexiques, il use de longues et complexes périphrases ou analogies, indispensables pour se faire comprendre – de nombreuses scènes y sont consacrées, qui peuvent à l’occasion se montrer aussi enthousiasmantes pour le lecteur que pour les intervenants, la joie de la compréhension justifiant bien des tours et détours et des tentatives d’explications confuses.

Au-delà, il faut bien reconnaître que ces romans sont d’un abord rugueux… et que leur lecture – a fortiori en bloc – a quelque chose de franchement épuisant. La tendance de l’auteur à détailler à l’extrême les moindres scènes participe de cette difficulté, et plus encore quand il s’agit de scènes d’« action » (au sens large), tellement précises qu’elles en deviennent illisibles, se traînant au long de paragraphes et de phrases interminables accumulant les propositions…

« Sous le vent du monde » séduit par son ampleur, son intelligence et sa justesse – sa poésie aussi, dont les titres témoignent. Mais la série peut rebuter par ses procédés stylistiques, certes appropriés, mais délicats à appréhender et pouvant légitimement en décourager plus d’un. Une lecture fascinante, donc, mais qui demande un certain travail – et s’il est heureux que ces efforts soient le plus souvent récompensés, on avouera que ça n’est pas toujours le cas…

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