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Dimension Technoscience @venir

Pour ses cinquante ans, le Laboratoire d’Analyse et d’architectures systèmes a choisi de présenter un recueil de nouvelles de science-fiction basé sur ses recherches en technosciences, de l’informatique à la communication, en passant par la robotique.

Les machines occupent une place de choix. Ainsi, Catherine Dufour démontre dans le très drôle « Sans Retour et sans nous », que les robots compagnons ne seraient pas seulement utiles aux personnes invalides et âgées, mais aussi aux individus désocialisés pour les aider à se reprendre en main : encore quelques réglages, et son prototype rendra bientôt Nao obsolète.

L’espace appartient déjà aux machines, comme le montre Jean-Louis Trudel avec « Semeuses d’amour en orbite instable » : moins sensibles que les humains aux rayons cosmiques, les femtosats, des satellites de très petite taille, sont plus efficaces pour coloniser la Lune et les astéroïdes. Au prix d’un désir d’indépendance ? Il reste aux deux intelligences à apprendre à coopérer…

La question de la conscience de la machine a été posée dès le départ, avec une belle ouverture d’esprit, par Xavier Mauméjean dans « La Science du cœur ». Autour d’une enquête sur un meurtre, il trace avec subtilité la frontière ténue entre intelligence biologique et artificielle.

À l’inverse, une machine consciente peut servir à mieux éprouver ce que ressent un humain. Dans « Pour le comprendre » d’Olivier Paquet, le seul membre de l’équipe à assister jusqu’au bout à la fin d’un robot qu’on voulait autonome, est son inventeur, hanté par le souvenir de son frère disparu.

Tout aussi touchant est « Changeling » de Lionel Davoust, qui met en scène un enfant solitaire fatigué de passer immuablement ses vacances chez ses grands-parents, à l’écart de tout. Surprotégé par ses parents, il se demande s’il est bien celui qu’il croit être.

Dans le récit de Mauméjean, on peut s’agréger temporairement à une intelligence collective favorisant la recherche de solutions. L’étape suivante pourrait être la télépathie. Sur ce thème, « Plénitude » de Silène Edgar, échoue à convaincre en raison de la naïveté et de la superficialité de son récit. Sa narratrice s’insurge contre la commercialisation d’un implant télépathique malgré les risques pour les 3 % de cerveaux mal constitués, ceux des psychotiques, des autistes, des génies et des surdoués. « Plus d’Einstein, de Hawking, de Turing » laisse entendre que l’humanité dépend de ces « handicaps », évacuant les débats entre inné et acquis, nature et culture.

Autour du thème de l’humain augmenté, Raphaël Granier de Cassagnac revient sur les circonstances qui ont mené Shin Hae-Wan, un des protagonistes de son roman Thinking Eternity, à réaliser la première greffe d’un œil artificiel. L’arrière-plan post-cataclysmique pourrait bien être la résultante des « Contaminations » de Sylvie Denis, excellent texte qui brosse sur trente ans la vie d’une communauté paysanne restant à l’écart du monde moderne, mais que les problèmes liés au changement climatique et aux cultures OGM à la longue inefficaces rattrapent néanmoins. Lucide, documenté, il est axé sur la nécessaire adaptation aux changements.

Le transhumanisme est, lui, frontalement abordé par Pierre Bordage avec « H+ », qui présente la progressive déshumanisation des individus augmentés ainsi que le fossé entre deux humanités.

Un article de Francis Saint-Martin situe la place de la SF par rapport aux avancées scientifiques, dissipant l’ancienne méprise voulant voir en Jules Verne et ses successeurs des prophètes plus que d’imaginatifs auteurs parlant d’avenir, tandis que dans sa postface Roland Lehoucq revient sur son rôle vis-à-vis de la science. Le tout est agrémenté d’illustrations de Barbara Quissolle.

Même si sont évoquées ici et là des dérives et des dangers, les auteurs se sont efforcés d’ouvrir des espaces de réflexion sur l’avenir des technosciences, et ses impacts selon les situations. L’anthologie, de très bonne tenue, est encore rehaussée par les commentaires en fin de récit, où les chercheurs du LAAS, avec un grand sens de la vulgarisation, font le point sur l’état actuel des recherches dans les domaines concernés. Pas d’optimisme béat ni de dénigrement pessimiste ici, mais un regard lucide et éclairé sur les technosciences. De quoi rêver et réfléchir !

Les Derniers Jours du Nouveau-Paris

En 1950, Paris occupé par les Nazis est isolé du reste du monde pour contenir les agressives créatures qui le hantent, suite à l’explosion d’une bombe S – « S » comme surréalisme, car en effet ces monstres improbables, les manifs, sont des manifestations grandeur nature de ce mouvement artistique. Quand André Breton rencontre Aleister Crowley, la magie injecte l’imaginaire directement dans le quotidien. Ainsi, Thibaut, jeune recrue de La Main à plume, la revue étant ici une organisation clandestine de résistance, sauve une photographe américaine poursuivie par des loups-table, et arpente un Paris transformé d’après les projets d’aménagement proposés par les surréalistes dans diverses contributions, comme un Arc de Triomphe changé en pissotière ou la cathédrale Notre-Dame reconvertie en silo à grain.

L’argument de ce court roman on ne peut plus délirant est l’occasion de rappeler la dimension résolument révolutionnaire du surréalisme et son projet de contamination du réel par des moyens oniriques. On sait les surréalistes attirés par l’étrange et le surnaturel : ils ont recensé parmi leurs prédécesseurs poètes, philosophes et médiums ayant cherché à voir au-delà du réel. Seul cet art subversif prônant une liberté anarchique était en mesure de s’opposer aux effroyables représentants d’un ordre nouveau.

À son tour, le Reich, dont on sait le goût pour l’ésotérisme, oppose aux productions de l’art dégénéré des démons issus de sa propre culture : c’est une imposante sculpture d’Arno Breker, l’architecte officiel du nazisme, qui lutte contre un cadavre exquis d’André Breton, Jacqueline Lamba (son épouse) et Yves Tanguy. On assiste dès lors à des scènes hallucinantes, poétiques ou glaçantes, mais aussi très drôles, comme l’intervention quasi divine d’Hélène Smith, la médium qui écrivait en martien, représentée sur les cartes du Tarot de Marseille, envoyant contre les Nazis une armada de soucoupes volantes. L’incarnation d’une œuvre d’art la plus saisissante, en fin de récit, n’est cependant pas d’origine surréaliste.

Si on peut regretter que les personnages et l’intrigue ne soient que le prétexte pour décrire les œuvres poétiques ayant pris vie, on admire le tour de force consistant à rassembler en un seul récit autant d’images et de phrases, parfois empruntées à des artistes peu connus du mouvement, avec quelques passages très réussis. Il n’est pas inutile de rafraîchir ses connaissances sur le surréalisme et sur certains protagonistes de la Seconde Guerre mondiale pour pleinement apprécier ce récit. En effet, la quête de Thibaut cherchant à en savoir davantage sur le Fall Rot, le Plan B des Allemands (sans rapport avec, dans notre continuum, l’invasion de la France à travers la Belgique), alterne avec des chapitres très réalistes se déroulant en 1941, à Marseille, à la villa Air-Bel de la riche Mary Jayne Gold, qui aide à l’exfiltration des artistes menacés par le nazisme, notamment les surréalistes. Varian Fry, journaliste américain, présente au groupe Jack Parsons, pionnier de la propulsion spatiale et disciple d’Aleister Crowley, ami aussi d’auteurs de science-fiction comme Robert Heinlein ou Jack Williamson. Fry estime en effet que les surréalistes pourraient lui inspirer un moyen susceptible de modifier le cours de la guerre. N’interviennent ici que des personnages historiques : l’effet de bascule avec les parties oniriques donne au récit les contours d’une uchronie en racontant les événements à l’origine du point de divergence.

Le récit est complété par une postface, partie intégrante de la fiction, où sont relatées les circonstances très étranges dans lesquelles cette histoire a été révélée à qui saurait l’écrire, elle-même suivie d’une annexe identifiant l’origine artistique des manifs et des objets de cet univers parallèle. Ces pseudo-recherches permettent de livrer au lecteur les sources d’inspiration de China Miéville, et quelques éclairages bienvenus sur le mouvement sur-réaliste et ses acteurs.

La fascination reste avant tout cérébrale : les phrases courtes décrivent une action avec objectivité, sans investissement émotionnel, comme pour éviter de parasiter les sentiments provoqués par les œuvres d’art. Au final, un récit étrange où réel et imaginaire s’interpénètrent de façon hypnotique pour mieux restituer l’esprit du surréalisme. Les amateurs d’art trouveront l’exercice exquis.

Conséquences d'une disparition

Tout le monde se souvient de ce qu’il faisait le 11 septembre 2001, lors de l’effondrement des deux tours. Mais de quoi se souvient-on exactement ? Moins des évènements que de sa propre histoire intimement mêlée.

Ben Matson a perdu dans le drame celle dont il était amoureux : Lilian se trouvait dans l’avion qui s’est écrasé au Pentagone. Elle était sur le point de divorcer de Martin Viklund, éminent représentant du département de la Défense. Sauf qu’elle n’émarge pas dans la liste officielle des passagers et que son mari lui avait demandé de ne pas prendre l’avion — mais elle avait appelé son amant au moment d’embarquer. Cependant, elle avait aussi tu d’autres détails qu’elle n’avait pas jugé utile de révéler ou qu’elle désirait volontairement cacher. À la même époque, Ben, en tant que journaliste scientifique, avait interviewé Kyril Tatarov, un célèbre mathématicien d’origine russe, à l’Hydro, un hôtel thérapeutique devenu une ambassade américaine. Tatarov devait mystérieusement disparaître en 2006, puis réapparaître sans jamais révéler ce qu’il s’était passé, laissant courir les rumeurs à son sujet. L’une d’elles, romantique, est devenue un film que Ben, qui avait promis de garder le silence sur les vraies raisons, a scénarisé pour des raisons financières. Mensonges, dissimulations, chacun compose ses petits arrangements avec la vérité.

Vingt ans plus tard, marié et père de deux enfants, Ben, longtemps traqueur obsessionnel des zones d’ombre du 11 septembre et de la personnalité trouble de Viklund, apprend qu’on a repêché en mer un avion qui pourrait être celui que Lilian a emprunté, annonce vite qualifiée de méprise, les restes étant soi-disant ceux d’un sous-marin. Il n’en faut pas davantage pour que le passé revienne, tel un boomerang, à son esprit. D’autant que d’autres déclarations le troublent, comme celle de sa belle-mère, à la mémoire chancelante, qui se souvient, dans un éclair de lucidité, avoir accompagné son futur gendre à l’Hydro en compagnie de Lilian. Une impossibilité manifeste, car Ben ne la connaissait pas encore. Une fois de plus, la réalité se délite devant l’accumulation de détails contradictoires.

Quand Christopher Priest s’attaque au 11 septembre, c’est moins comme enquêteur que comme comptable des distorsions du réel engendrées par l’onde de choc. L’examen attentif des faits révèle des zones d’ombre qui font douter de la version officielle même ceux qui rejettent les théories du complot. Priest démontre que quiconque entreprend de faire le tri dans une telle masse d’informations bascule dans un trou noir informationnel qui empêche à jamais la restitution de la vérité. « La mémoire est notre seule réalité » affirme celle qui, justement, a les souvenirs qui se brouillent.

En mêlant l’histoire intime à celle d’un événement au retentissement planétaire, l’auteur donne à voir la fragilité du réel, davantage tributaire des interprétations que des faits bruts. Pis : la traque de la vérité achève de brouiller la réalité, raison pour laquelle les chapitres, loin de figer les évènements avec précision, déclinent un présent sans date, «En ce temps-ci », et un passé enchâssé dans de vagues «  En ces temps-là » suivis de deux années faisant office de fourchette temporelle, un flou volontaire, analogue à l’esprit des mathématiciens, qui accordent davantage d’importance à la beauté ou à l’élégance d’un théorème qu’à son exactitude. C’est la raison pour laquelle l’histoire croise la trajectoire de Tatarov, dont le travail consistait à traduire en algorithme un théorème voulant que « si une situation peut être considérée comme réelle, alors elle aura des conséquences réelles  ».

Chacun « donne aux opinions leur propre dynamique » à partir de l’interprétation qu’il en fait : c’est ce que démontre le présent roman de façon subtile, à la progression mesurée, presque nonchalante, jusqu’à se faire glaçante en fin de récit. Le diable est dans les détails, et une fois de plus, Christopher Priest démolit nos certitudes au terme d’une enquête implacable. On trouvera en filigrane une critique des réseaux sociaux, lesquels, dans la confusion entre éducation et information déjà dénoncée par Platon, ont pour conséquence de donner « le pouvoir à ceux qui n’avaient pas la sagesse de diriger ». Comment ne pas entendre non plus un écho de l’actualité dans ce récit partiellement autobiographique, Priest ayant déménagé sur les lieux qu’il décrit pour fuir les conséquences du Brexit ? Dans un monde où les simulacres et les faux-semblants ne cessent de se multiplier, la lecture de Christopher Priest, acharné à décoller les bords disjoints du réel, est plus que jamais salutaire.

Black Bottom

Beth Raven, professeur de lettres en congé maladie longue durée, car déçu de l’enseignement comme des élèves, en profite pour tenir un journal où il déverse son acrimonie. Plus exactement un roblog : grâce à un implant iCortex, ce qu’il pense est instantanément publié sur les réseaux. Aussitôt lu et commenté, le succès rapide de ses billets interfère avec sa vie au quotidien, passablement bouleversée à la suite d’évènements de plus en plus rocambolesques.

Nous sommes dans un de ces univers délirants, surréalistes, que Curval affectionne : pour avoir sauvé un homme traîné à l’arrière d’une Cadillac, Beth et son ami de plus que longue date (ils étaient voisins dans une banque du sperme) se trouvent mêlés à une affaire dans le milieu de l’art qui les entraîne jusqu’à Venise, lors de la biennale d’art contemporain. En effet, la victime est un collectionneur, Holm, puni pour avoir mis en vente des œuvres de Festen, plasticien, concepteur d’un bloody art, qui démembre, écorche et recompose des humains consentants en « concepts morphologiques interactifs » incarnant les tares du genre humain. Cet artiste cupide et narcissique a ainsi réalisé sept sculptures qui relèvent d’un « art terroriste » destiné à plonger le spectateur dans la terreur si elles sont exposées simultanément.

Parallèlement, un vieil ami de Beth, Kevin Duchâtel, réapparaît pour se venger du vol d’un tableau de grande valeur : il enlève sa femme, Irène, une psychiatre qui devient sa maîtresse. C’est aussi pour la retrouver que le narrateur se rend à Venise. Tous deux tentaient à l’époque d’inventer un état intermédiaire entre le réel et l’imaginaire, l’aréel, visant à faire apparaître ce qui n’existe pas.

L’action est encore compliquée par le fait que la relation en temps réel des péripéties diffère de la réalité : il semble que Beth perd la boule, ou encore que son blog est piraté par des individus qui s’ingénient à réécrire son journal. Quoiqu’il en soit, le récit s’imbrique dans le réel et interfère avec lui, au point que le narrateur – et le lecteur avec lui — perd ses repères.

On pourrait relever un lien de parenté avec le dernier roman de Christopher Priest paru simultanément, Conséquences d’une disparition, Philippe Curval affirmant à son tour que « les matheux ont montré que le réel se compose d’une succession d’imaginaires aléatoires  ». Il distingue pour sa part trois états de la réalité : le plausible, le possible, le probable, qui dépendent des interprétations de tout un chacun. L’objectivité n’est qu’un consensus pour maintenir un semblant de cohésion, mais « le fait que chacun soit immergé dans sa propre pensée créait sans doute des interstices dans le réel ».

Et quelles plus grandes divergences d’interprétation peut-on éprouver, sinon devant une œuvre d’art ? Féroce critique de l’art contemporain, qui ressemble de plus en plus à une gesticulation à la recherche du happening et du spectacle remarquables parce qu’extrêmes, Philippe Curval sait capter comme personne l’air du temps, les nouveaux usages qu’il brocarde avec ironie, se contentant d’enregistrer le changement sans s’attarder. Ainsi, l’aphorisme de Descartes adapté aux réseaux sociaux devient : « Je pense, donc je suis suivi. » Le roblog est également l’occasion de faire preuve d’une belle inventivité dans le langage, tordu, déstructuré, perpétuellement renouvelé, juste reflet d’une société survoltée. Celle-ci est à l’image de cette danse des années 20, le Black bottom, au rythme endiablé, sautillant, où se désarticulent les membres dans une frénésie syncopée. Après plus de soixante ans d’une carrière parsemée de chefs-d’œuvre, Philippe Curval continue de faire preuve d’une belle énergie.

Notre monde mort

Notre monde mort réunit huit nouvelles de l’écrivaine bolivienne Liliana Colanzi. Il s’agit là de la première traduction française d’une œuvre de cette auteure par ailleurs journaliste et enseignante à la Cornell University. Mis à part celui donnant son titre au recueil et relevant de la science-fiction – il y est question de la colonisation de Mars –, tous ces récits s’inscrivent avec succès à la croisée des genres fantastique et horrifiques. « L’Œil » évoque l’inquiétante métamorphose d’une étudiante dépressive. « Alfredito » décrit les effets non moins troublants de la mort d’un garçonnet sur ses camarades. Les conséquences étranges et funestes du décès brutal d’un enfant constituent encore le ressort de «  Météorite ». La mort sera aussi le lot du jeune protagoniste de « Chaco », un adolescent fugueur à la psyché visionnaire. « La Vague », quant à lui, campe en quelques pages un univers miné par une apocalypse occulte. Le monde apparaît aussi au bord de l’effondrement dans « Cannibales » (convoquant la figure du serial killer) et dans « Conte avec oiseau », une histoire de folie médicale… Si ces nouvelles déclinent des motifs narratifs d’une sombre bigarrure, toutes ont en commun un regard rien moins qu’amène sur notre réel. Lorgnant du côté de la littérature criminelle la plus noire, les histoires de Liliana Colanzi dressent un panorama des formes les plus odieuses de la domination. Celle qu’infligent les adultes aux esprits et aux corps des plus jeunes placés sous leur coupe. Ou bien encore l’exploitation économique, empreinte de racisme, qu’imposent les Boliviens de souche européenne aux derniers représentants des peuples amérindiens. Certainement victimes de ces mille et une violences, les héros et héroïnes de Notre monde mort ne sont cependant pas totalement impuissantes. Étrangement fécondés par l’antique et chamanique savoir des temps précolombiens, leurs esprits développent une surprenante résistance. Celle-ci prend la forme d’un « don » (terme récurrent sous la plume de l’écrivaine) leur permettant d’accéder à une manière d’au-delà, afin d’y invoquer de redoutables puissances. Parfois simplement suggérés, parfois spectaculairement évoqués, ces « Grands Anciens » latino-américains constituent de paradoxaux sauveurs. Ils nimbent ainsi d’un espoir inattendu le Monde mort que dessine Liliana Colanzi par son écriture à la poétique précision.

Neuf Contes

Dernière publication en date de l’auteure de La Servante écarlate, ces Neuf contes apparemment disparates dressent en réalité un passionnant panorama de son œuvre. Relevant des littératures de l’Imaginaire à une exception près – « Matelas de pierre » est une histoire criminelle –, ces nouvelles viennent notamment souligner la vision atwoodienne des genres chers à Bifrost.

Trois d’entre elles témoignent ainsi du goût de l’écrivaine pour un certain réalisme fantastique. « Lusus naturae » a pour narratrice une jeune femme frappée d’une maladie aux conséquences singulières. Non seulement affublée d’une paire d’yeux jaunes et d’une considérable pilosité, l’héroïne se nourrit avant tout de sang. Ce mal – la porphyrie, comme le suggère quelques indices – la condamne à une existence cloîtrée et finalement tragique, ramassée en une dizaine de pages d’un gothique évoquant celui de Shirley Jackson. TelNous avons toujours vécu au château, « Lusus naturae » fait épouser le point de vue du « monstre », interrogeant ainsi de manière empathique la supposée normalité… D’une tonalité moins sombre mais pas moins inquiétante, « Le Marié lyophilisé» et « Je rêve de Zenia aux dents rouges et brillantes » participent encore de cet excitant métissage entre réalisme et étrange. Ces textes adoptent d’abord un regard documentaire et ironique. « Le Marié lyophilisé » s’ouvre sur les affres conjugales et professionnelles d’un brocanteur de Toronto. « Je rêve de Zenia aux dents rouges et brillantes » décrit quant à lui le quotidien domestique et sentimental d’un trio de Canadiennes sexagénaires. Mais émaillée de notations bizarres, l’écriture sape peu à peu ces réels. Et ce jusqu’à ce qu’un événement insolite fasse basculer ces récits dans un fantastique composite. « Le Marié lyophilisé » réinterprète ainsi la figure de Barbe-Bleue en l’associant à celle du succube, en un geste évoquant Angela Carter. «  Je rêve de Zenia aux dents rouges et brillantes » mêle pour sa part onirisme divinatoire et vengeance post-mortem… Se projetant dans un futur tout proche, « Les Vieux au feu » illustre la veine dystopique de Margaret Atwood. On y découvre Wilma, la pensionnaire d’une maison de retraite de luxe, un univers là encore précisément documenté. Mais outre les assauts du temps se traduisant par de surprenantes hallucinations, Wilma doit affronter ceux de « Notre Tour », un mouvement radicalement gérontophobe pratiquant l’extermination des personnes âgées au nom de la survie des plus jeunes. Marqué par un humour noir rappelant celui de C’est le cœur qui lâche en dernier, « Les Vieux au feu » dessine un futur aussi effrayant que la « Trilogie MaddAddam » (cf. T1, T2 et T3)… Enfin, un ensemble de contes réunissant« Alphinland », « Revenante», « La Dame en noir » et «  La Main morte t’aime » explore la fabrique des littératures de l’Imaginaire. Les trois premiers ont pour héroïne Constance, créatrice de Alphinland, un cycle de fantasy à succès ayant fait d’elle une auteure culte. Un statut que partage Jack l’auteur de La Main morte t’aime, un classique du roman d’horreur adulé par des générations de fans. Les nouvelles dévolues à ces sortes d’alter-egos de Ursula K. Le Guin et de Stephen King brossent un tableau du métier d’écrivain. Parfois acides quant à ce dernier, ces nouvelles en affirment aussi le formidable pouvoir émancipateur. Car, comme l’ensemble des Neuf contes, elles illustrent la conviction de Margaret Atwood que les littératures de l’Imaginaire peuvent rendre meilleures aussi bien celles et ceux qui les écrivent que leurs lecteurs et lectrices.

Harold

De qui Harold est-il le nom ? D’un corbeau, né au cœur de la Mitteleuropa à l’orée des années 1960… Se déroulant à Vienne en mars 1957, le prologue de ce beau roman (ici, la version remaniée d’un texte paru en 2010 aux éditions du Serpent à Plumes) de Louis-Stéphane Ulysse évoque la singulière entrée dans l’existence du volatile. Agrégeant réalisme documentaire et inquiétante étrangeté à la façon du film Le Troisième homme — relecture gothique de la Guerre froide –, ces pages liminaires décrivent le baptême de l’oisillon dans les catacombes de la Stephansplatz par un certain Laszlo. C’est à ce magicien de cabaret, d’allure méphistophélique, que le corbeau doit en effet son patronyme. Et c’est encore à lui que Harold doit de bientôt traverser l’Atlantique. Tirant le meilleur profit spectaculaire de l’intelligence hors-normes de l’oiseau, en réalité plus humaine qu’animale, Laszlo attire un jour l’attention du pianiste Liberace de passage en Europe. Impressionné par l’inédit numéro dont Harold est la vedette, l’extravagant showman invite l’homme et l’oiseau à se produire à Las Vegas. La cité du péché ne sera cependant que la première étape du périple américain de Harold. Séparé de Laszlo par un violent accident de voiture, le corbeau s’envole alors vers la Californie. Là, il rencontre Chase Lindsey, dresseur d’oiseaux de son état. Fasciné à son tour par les extraordinaires capacités de Harold, il l’emmène avec lui sur le tournage des Oiseaux après avoir été recruté par Universal. À son aviaire manière, Harold devient alors un membre de l’équipe du film fameux d’Alfred Hitchcock. Y côtoyant non seulement le réalisateur, le corbeau y rencontre encore Tippi Hedren, l’interprète principale du long-métrage. Avec celle-ci, Harold noue bien vite une relation aussi étroite qu’inhabituelle. La créature au noir plumage jouera dès lors un rôle clef dans la genèse du film dépeinte par Louis-Stéphane Ulysse comme proprement infernale. De même, le corbeau tiendra un rôle essentiel dans les prolongements souterrains et atroces que l’auteur prête aux Oiseaux… Car selon Harold, de l’autre côté du miroir aux alouettes hollywoodien se dissimule un univers où le Mal le plus impitoyable règne en maître. Marchant sur les traces sanglantes de Kenneth Anger (Hollywood Babylone) et de James Ellroy («  Le Quatuor de Los Angeles »), Harold s’en distingue cependant par son réalisme fantastique. Fidèle à la tonalité affichée par ses pages inaugurales, Harold auréole ainsi d’étrange son dévoilement de l’envers misogyne et criminel d’Hollywood. Face au prodigieux Harold – véritable ange gardien de Tippi Hedren —, Chase, Hitchcock ou bien encore la fratrie mafieuse des Gianelli se nimbent peu à peu d’une aura démoniaque. Échappant par la grâce de l’Imaginaire aux démonstratives pesanteurs de l’exofiction, Harold transforme ainsi sa relecture des Oiseaux en un conte moderne et tragique sur ces hommes qui n’aiment pas les femmes, et dans lequel le plus bestial n’est pas celui qu’on croit…

Entends la nuit

Entends la nuit , réjouissant et passionnant roman fantastique, marque le grand retour de Catherine Dufour à la fiction. Cela faisait en effet une presque décennie que l’auteure du Goût de l’immortalité, un des sommets de la science-fiction francophone des années 2000, n’avait publié de livre relevant de l’Imaginaire. L’écrivaine n’était cependant pas demeurée inactive, se faisant pendant les années 2010 essayiste avec des textes politiques et féministes tels que L’Histoire de France pour ceux qui n’aiment pas ça (Mille et une nuits) et Le Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses (Fayard). Et on se rappellera encore qu’elle est aussi une collaboratrice régulière du Monde diplomatique.

Cette attention critique au réel marque encore les chapitres initiaux de Entends la nuit. Ceux-ci narrent l’entrée dans la vie active de la parisienne Myriame, une vingtenaire emblématique d’une jeunesse très contemporaine. Celle de la « Génération Y » ou bien encore des « Millenials », selon les concepts sociologiques en vogue. Mal à l’aise avec une société dans les valeurs de laquelle elle ne se reconnaît guère — Myriame a un temps goûté une vie anarchisante dans l’Amsterdam underground —, l’héroïne de Entends la nuit peine tout autant à y trouver un emploi. Et c’est une manière de miracle que connaît Myriame lorsqu’elle réussit à se faire embaucher par la Zuidertoren, une entreprise transnationale prospérant dans l’immobilier – et dont le nom ne cache rien de la manière dont elle conçoit l’activité immobilière, puisqu’il s’agit du toponyme néerlandais de la Tour du Midi, gratte-ciel symbolisant le saccage urbanistique de Bruxelles… Exempte de toute lourdeur sociologisante, c’est d’une plume férocement ironique que Catherine Dufour évoque les débuts de la jeune femme à la Zuidertoren. Sa peinture mordante du monde entrepreneurial, sans en cacher la dureté, fait alors écho aux pages les plus drolatiques de Quand les dieux buvaient (cf. Bifrost 31), son très parodique cycle de fantasy. Myriame ne tarde cependant pas à découvrir que la « Z », comme elle l’appelle, sert de façade canoniquement ultralibérale à un univers surnaturel et pluriséculaire. Et auquel l’héroïne est initiée après avoir attiré l’attention de l’un de ses supérieurs hiérarchiques, le sé-duisant autant qu’étrange Vane. De leurs échanges d’abord distants et numériques (contemporain, Entends la nuit l’est encore par son usage du réseau social) naîtra bientôt une intense passion amoureuse. S’engageant avec exaltation dans les pas de son singulier amant, Myriame part à la découverte d’une topographie parisienne fantasmagorique. Empreint d’un érotisme gothique, ce passage de l’autre côté, non pas du miroir mais du mur (Le Passe-muraille de Marcel Aymé est ici explicitement cité), donne alors à Entends la nuit d’excitantes allures de conte de fées pour adultes. Mais ce dernier se métamorphose bientôt en un récit horrifique, à la violence âpre et étouffante. Se dessine dès lors une descente aux enfers (au sens propre) destinée à rappeler à Myriame « ce que le monde réserve aux prolotes qui croient au prince charmant  »…

Le dernier roman en date de Catherine Dufour séduit autant par son fantastique à l’originalité certaine que par sa lucide anatomie de la domination, et s’impose comme le plus recommandable des traités de savoir-vivre à l’intention des jeunes générations comme de leurs ainées.

Argent animal

Argent animal constitue la première traduction française d’un ouvrage de Michael Cisco. Il ne s’agit là que de l’un des treize livres publiés entre 1999 et 2018 par cet auteur étasunien. Hautement considéré par China Miéville ainsi que par Jeff VanderMeer, Michael Cisco a par ailleurs été récompensé par des prix tels que l’International Horror Guild Award ou bien encore le Best Weird Novel. Soient autant de patronages et de prix à même de susciter une curiosité certaine quant à cet Argent animal, qui plus est traduit par Claro.

S’inscrivant en un futur que l’on imagine proche, le roman débute dans une ville imaginaire d’Amérique latine, San Toribio. C’est là qu’ont été conviés à une conférence, entre autres spécialistes, les cinq économistes constituant les protagonistes initiaux d’Argent animal. Réunissant des femmes et des hommes de nationalités diverses, le quintette appartient à l’Institut d’Économie International. Tenant autant du cercle universitaire que de la secte, cette singulière élite participe du monde radicalement inégalitaire campé par le livre. Aux côtés de structures telles que l’IEI ou l’Organisation Internationale pour la Normalisation, les gouvernements pareillement inféodés à une «  économie mondiale […] devenue incontrôlable » s’emploient à protéger la minorité en tirant profit. Mais les jours de cet ordre inique semblent désormais comptés. Victimes d’une bizarre série d’agressions et d’accidents les empêchant de prendre part à la conférence, les cinq économistes de l’IEI conçoivent durant leur convalescence une forme inédite de monnaie appelée « argent animal ». Forte d’une puissance insolite, à la fois mystique et organique, la devise nouvelle semble agir par une vie propre. Échappant au contrôle de celles et ceux qui l’ont imaginé, l’argent animal va dès lors se répandre à travers l’espace géoéconomique, en sapant peu à peu les fondements. Les cinq économistes, entrés en dissidence après leur exclusion de l’IEI, accompagneront bientôt cette étrange révolution. Celle-ci sera encore rejointe par une certaine Assiyeh, autre protagoniste d’Argent animal. Tenant autant de l’aventurière que de la scientifique et de la sorcière, la femme jouera quelque rôle dans cette révolution fiduciaire et magique…

S’efforçant de faire éprouver à ses lecteurs et lectrices le trouble provoqué par cet extraordinaire basculement, Michael Cisco déploie une écriture en constante métamorphose. D’une linéarité plus qu’aléatoire, oscillant constamment entre science-fiction spéculative et fantastique horrifique, poésie surréaliste et considérations ironico-théoriques, Argent animal dessine une entreprise littéraire hors-normes. En réalité plus sensorielle que narrative, l’expérience proposée par Michael Cisco est certainement susceptible de fasciner une partie de ses lecteurs et lectrices. L’on a vu que l’auteur avait des admirateurs, et non des moindres. Mais pareille radicalité – se déployant qui plus est sur 700 pages – risque aussi d’exclure. Tel fut notamment le cas de l’auteur de la présente critique, demeuré tout à fait extérieur au trip qu’est Argent animal

Nuage orbital

L’innovation consiste à concevoir un outil plus efficace, moins fatigant à utiliser mais aussi moins coûteux à fabriquer : de la hache de pierre à la tronçonneuse, l’ingénierie a ainsi permis l’amélioration continue du rendement des bûcherons. La course à l’espace ne fait pas exception, même si son histoire est bien plus récente : on sait maintenant positionner en orbite maints satellites artificiels dont certains – raffinement suprême — sont habités. La technologie permettant de réaliser ces exploits est à présent éprouvée, mais elle reste si dispendieuse qu’elle est de facto réservée aux nations les plus industrialisées — quand ce n’est pas à l’initiative privée la plus riche. Taiyô Fuji pointe avec justesse dans Nuage orbital toute l’injustice impliquée par cet état des choses qui laisse sur la touche bon nombre de nations dont les ingénieurs, pourtant, ne déméritent pas dans la course à l’innovation : d’un côté se trouvent les nations industrialisées dont les techniciens spatiaux disposent d’ordinateurs à la puissance de calcul incomparable – le roman rappelle que le NORAD, chargé de la surveillance aérospatiale de l’Amérique du Nord, dédie une partie de ses ressources, humaines et informatiques, pour suivre l’itinéraire du Père Noël chaque soir de 24 décembre –, alors que de l’autre se trouvent des gens qui doivent parfois recourir au bricolage, au matériel hors d’âge, et même au calcul manuel, pour suivre la dynamique orbitale. Tout Nuage Orbital repose par conséquent sur une hypothèse science-fictive très intéressante : est-il possible, pour un ingénieur assez futé, de dépasser le handicap que représente une assistance informatique inférieure à celle de ses compétiteurs ? En d’autres termes, l’informatisation à outrance n’entraîne-t-elle pas une réduction de l’innovation technique, puisqu’elle conduit les ingénieurs à oublier leur créativité une fois le confort calculatoire acquis pour de bon ?

Les idées de Nuage orbital sont de toute évidence conçues pour captiver le lecteur intéressé par l’ingénierie, l’espace et la SF de progrès. Situé dans un futur proche, ce livre propose une réflexion sur le statut de l’innovation, qu’il calque sur un thriller politico-scientifique aux ramifications internationales où les intérêts des grands joueurs sur l’échiquier spatial s’opposent à ceux de leurs challengers. Kazumi et Akari, travaillant tous deux au sein d’une start-up vouée au suivi amateur des innombrables déchets spatiaux susceptibles de se changer en étoiles filantes, sont eux-mêmes des bricoleurs qui mettent par hasard au jour un complot international impliquant une technologie nouvelle : militarisée, celle-ci permet de détruire à moindre coût les satellites des grandes puissances. L’enjeu de la confrontation qui se préfigure, pour ceux qui se proposent de renverser la table, est de faire sortir un nouvel ordre spatial du chaos qui s’ensuivra. Comme on peut s’y attendre, la solution que l’équipe constituée autour de Kazumi et d’Akari mettra en œuvre, au profit des grandes puissances – USA en tête –, ne pourra venir d’un nouvel excès de puissance de calcul mais plutôt d’un bricolage. En ce sens, Nuage orbital peut bel et bien se lire comme une ode permanente à la créativité en ingénierie : on aurait de fait préféré que sa démonstration, louable, soit servie par un propos moins bavard… On aurait surtout apprécié que certains de ses personnages soient moins interchangeables, moins stéréotypés, aussi, et en tout cas plus attachants. Si aucun de ces défauts n’est tout à fait rédhibitoire, il n’empêche qu’ils interdisent à Nuage orbital d’atteindre le statut de grand livre que son argument aurait dû lui valoir. Dommage !

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