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Les critiques de Bifrost

Le Goût de l'immortalité

Le Goût de l'immortalité

Catherine DUFOUR
LIVRE DE POCHE
317pp - 7,70 €

Bifrost n° 41

Critique parue en janvier 2006 dans Bifrost n° 41

C'est une longue lettre qu'écrit la narratrice, jamais nommée parce que peut-être innommable, à une personne qui désire la voir en chair et en os. Mais elle n'est pas « faite et refaite » comme ses semblables, qui tirent de leurs clones de quoi remplacer leurs organes défectueux : sa forme d'immortalité est bien pire et la fait ressembler au cadavre d'une adolescente. Elle en veut à sa mère, prostituée mandchoue aux cosmopolites clients, de l'avoir sauvée d'un empoisonnement au plomb en la confiant à iasmitine, la sorcière du dessus, dont l'appartement, transformé en officine ésotérique, recèle bien des mystères. Cloîtrée au 42e, à ha rebin, elle vit par procuration, à travers internet et grâce aux gens qu'elle croise. La seule personne qui lui ait manifesté un peu d'affection est une autre voisine, ainademar, polléinisatrice dont elle comprendra plus tard le sort qu'elle a subi.

L'histoire qu'elle narre est celle de cmatic, bel entomologiste envoyé dans son immeuble en mission d'espionnage par une transnationale après qu'il ait enquêté en polynésie sur des Moustiques mutants propagateur de paludisme sur les races blanches exclusivement. C'est aussi celle de son ami shi et de cheng, une jeune fille qui est passée par les pires affres après avoir échappé à plusieurs épidémies virales, les rota 8 et 10, aux funestes conséquences sociales.

Difficile de faire plus noir que ce récit aux allures de techno-thriller qui relate avec moult détails sordides une société gangrenée par la pollution, en proie à l'extrémisme vaudou, aux mains de multinationales toujours plus avides, où la génétique fait des miracles mais aussi des ravages. Réflexion sur les extrémités auxquelles on peut aller pour prolonger sa vie, ce roman est magnifié par une ironie sarcastique qui pare la froide lucidité d'un humour aussi féroce que désabusé. Les noms de ville et de personne ne méritent plus la majuscule, celle-ci revient au Vivant, à la Nature si malmenée par l'espèce humaine.

Après trois romans à l'humour ravageur (Nestiveqnen), une poignée de nouvelles où s'affirmait son talent, notamment dans Bifrost (en attendant un recueil annoncé au Bélial' pour 2006), Catherine Dufour livre ici une œuvre qui suscite l'admiration. Son écriture somptueuse (peut-être juste un peu forcée, parfois), qui cisèle des aphorismes à chaque page, donne à cette tragédie l'éclat d'un joyau. Noir.

Claude ECKEN

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