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L'Été de l'infini

Cet imposant recueil, pour lequel certaines traductions ont été révisées, comprend douze nouvelles, dont quatre inédites ; il est accompagné d’un imposant appareil critique signé Xavier Mauméjean pour la préface, Thomas Day pour le copieux entretien en deux parties, et Alain Sprauel pour la bibliographie, ainsi que, cerise sur la gâteau, un essai inédit de Christopher Priest sur l’adaptation cinématographique du Prestige.

« La Déliaison », pertinente préface de Xavier Mauméjean, analyse, dans le prolongement de Marianne Leconte, à qui il rend hommage, l’œuvre et les thématiques de Priest servies par un sens du détail et un souci de la précision documentaire : le jeu des apparences, qui voit le réel se déliter, la conscience en permanente reconstruction, diffractée par un Moi multiple, l’importance du regard, voyeur et témoin, les effets de masquage et d’exhibition, dualité qui témoigne d’une interrogation du réel aussi obsessionnelle que certaines récurrences, l’aviation et la Seconde Guerre mondiale, la musique classique, et surtout un constant rapport au temps.

Ce sont d’ailleurs des récits temporels qui ouvrent et ferment le recueil : « L’Été de l’infini », où des geleurs transforment des scènes en tableaux qui traversent les ans, telle celle, en 1903, d’un couple amoureux, et celle, en 1940, d’un bombardier en flammes, gelé avant de s’écraser au sol. Un enchevêtrement temporel identique est à l’œuvre dans « Errant solitaire et pâle », où enjamber dans un parc un des trois ponts, Hier, Aujourd’hui, Demain, permet de voyager dans le temps, ce qui conduit un homme à errer toujours plus loin en multipliant les passages pour retrouver celle dont, jeune, il tomba amoureux. Toute la finesse de l’intrigue repose sur le regard et la trajectoire du protagoniste au fil de sa quête.

On trouve aussi chez Priest une dimension horrifique, autour de la mutilation et de la torture, aussi bien physique que mentale : « La Tête et la main », métaphore du monde du spectacle dévorant les célébrités, présente le Maître de l’automutilation acceptant de pratiquer sur scène l’amputation ultime. Si « Le Baron », où un illusionniste embauche un comparse enfermé dans une armoire, évoque Le Prestige, « Les Effets du deuil » est un autre récit de dévoration où une veuve aux talents multiples demande à un magicien de lui apprendre son art. Voyeurisme et torture psychologiques sont à l’œuvre dans « La Femme dénudée », où, bien avant une scène célèbre de Game of Thrones, une libertine condamnée dans une société puritaine à vivre nue jusqu’à la date du procès, doit se rendre à pied au tribunal distant de cinq kilomètres, n’importe qui étant autorisé, dans l’intervalle, à la violer sans que personne n’ait le droit d’intervenir. Glauque également est « Haruspice », récit lovecraftien d’un devin qui se nourrit de cellules cancéreuses pour repousser des forces maléfiques, ce qui provoque des distorsions temporelles comme l’apparition, en 1937, d’un avion allemand de la prochaine guerre s’enfonçant lentement dans le marais de la propriété. Autour de la guerre et de la mort, « Rien de l’éclat du soleil » montre des militaires fuir de belliqueux extraterrestres dont on comprend mal les motivations. « Transplantation » voit un individu dont les fonctions vitales sont assurées par les machines se construire en rêve tout un univers, activité mentale mesurable qui pose la question éthique de son maintien en vie. « Le Monde du temps réel » se déroule aussi sur plusieurs niveaux de réalité : afin de vérifier l’impact d’un manque d’informations, des cobayes humains situés sur un soi-disant monde étranger reçoivent, sous prétexte d’un délai de téléchargement, des nouvelles en différé parcimonieusement distribuées, et finissent par inventer leurs propres infos, jusqu’aux plus délirantes. Expérience immorale, voyeurisme et rôle de l’observateur, fabrique de la réalité autour d’un décalage temporel, tous les thèmes de Priest sont à l’œuvre.

Le temps est contracté dans « Finale », où les souvenirs d’un rondo de Mozart et d’une chute en parachute traversent l’esprit d’un homme au moment de trébucher sur une voie à l’approche d’un train. Musique classique et temps à rebours cette fois sont au centre de « La Cage de chrome », hommage transparent à Ballard.

Si Priest se livre sans fard dans « La Suprématie de la maturité », entretien de Bifrost (n° 41) largement réactualisé, il se révèle encore plus passionnant dans « Magie, histoire d’un film » : c’est avec un humour et une pointe de désappointement qu’il narre les étapes du tournage du Prestige dont il fut tenu à l’écart, mais c’est avec fascination qu’on suit l’émergence du récit, les écueils surmontés, ainsi que la minutieuse et éclairante analyse des différences entre son œuvre et celle de Christopher Nolan. Dans sa préface, Mauméjean le cite : « Du pareil au même, le réel demeure-t-il strictement équivalent ou bien se fragmente-t-il en équivalents ? » On en a, dans ce témoignage, et à travers ces récits, de saisissants exemples. Un must, pour les amateurs de Priest, et ceux qui aimeraient découvrir ce grand écrivain.

42

Il serait tentant de saluer ce recueil pour son caractère méritant : son aspect professionnel, ses auteurs parfois peu connus, son souci du détail (présentations des textes, illustrations intérieures, couverture faussement pulp). Ce serait condescendant.

Deux préfaciers ouvrent le ban. Gérard Klein déplore la désaffection du grand public pour la nouvelle et la SF, mais loue les efforts de divers éditeurs, dont un que la modestie interdit de citer ici ; Xavier Mauméjean présente les textes avec l’acuité et la culture qu’on lui connaît. En postface, Jeanne A. Debats décrit la genèse du projet et tente, geste vain donc élégant, de définir la science-fiction.

Le plat de résistance, ce sont quinze nouvelles. Sylvie Denis met en scène dans « Sans but ni fin », un des meilleurs textes, deux jeunes que tout devrait opposer, mais que réunit le projet de se joindre à un convoi stellaire. Anthony Boulanger propose une uchronie mystique et glaçante, « Le dernier Ptolémée », où Pharaon enquête sur la venue des dieux au sein de l’équipage d’un vaisseau spatial happé par une anomalie. Sylvie Lainé offre « Melomania », clin d’œil à Maurice Renard. Michel Ferret joue les gonzos avec « Strange Days », dont la bande-son paraît sortie de ma discothèque mais dont l’imagerie décalée (les lézards à gros seins promis en quatrième de couverture) lui appartient. Sylvain Chambon, dans « Cul de sac », suit deux lignes narratives pour une parabole sur l’éthique du biohacking dans un futur où la misère n’est qu’un souvenir grâce à l’arrivée d’un alien en Tanzanie. Illustrateur de l’ouvrage, Olivier Cotte se tire non sans brio de l’exercice périlleux qu’est la SF humoristique, tendance Fredric Brown, avec « Prise en passant », traque au serial-killer E.T. dans Paris. Simon Bréan, qui s’est taillé une réputation d’essayiste, frappe un grand coup comme nouvelliste : l’ambitieux « Premier des citoyens » remet le cyberpunk à jour – enquête policière, dépaysement intérieur – avec ses réseaux sociaux engendrant des Pulsions. Timothée Rey se signale par la forme et la qualité de « Clandos », sa pièce de théâtre haletante, de l’anti-Banks aux sinistres accents d’actualité. Magali Couzigou retient l’attention avec « Nature humaine », portrait désabusé d’une activiste sûre de son bon droit face à la thérapie génique. Olivier Gechter conclut sur « La famine », une vision cynique de notre obsession pour l’hyper-connexion.

J’oublie dans cette énumération des textes brefs qui m’ont moins parlé, mais je n’ai rien lu de scandaleux. Modernes, soignés, les récits montrent une louable diversité d’inspirations et déjouent le reproche souvent adressé à la SF française d’être peu portée sur la science : l’influence de la biologie, notamment, enrichit le sommaire. 42 est au final une très belle anthologie dont la modestie – éditeur peu diffusé, textes non rémunérés – souligne la réussite.

Sous la colline

« En lui, tout est chaos, comme une salade. »

Le problème avec David Calvo, c’est qu’on voudrait toujours en lire plus alors qu’il ne nous en donne jamais assez. À sa décharge, il n’en est pas moins un hyperactif de la création en collaborant à plus d’une douzaine de jeux vidéo depuis 2012, année de son extraordinaire roman Eliott du néant, et aussi en continuant à faire vivre son web-comic Song of Beulah. Autant dire que la sortie d’un nouveau roman de ce méta-poète donne à la vie des atours de fête dont les afters peuvent se prolonger longtemps après la lecture, tant celle-ci illumine le cœur, réveille les sens et enchante l’esprit.

Avec Sous la colline, David Calvo met à exécution une grande idée : emmener ses lecteurs séjourner dans l’immeuble du Corbusier, à Marseille. En effet, qu’il s’agisse de la ville de Marseille ou de Charles-Edouard Jeanneret-Gris, dit « Le Corbusier », un réajustement de la qualité de l’image semblait plus que nécessaire : Marseille, la cité phocéenne, ne peut aucunement se résumer à un club de football, à une zone fatalement interlope ou à l’image aussi floue que fausse qu’en donnait un Pagnol très épinalisant. Calvo rend ses lettres de noblesse à une terre où la culture est riche, l’héritage antique et la modernité, naturellement, omniprésente. En 1952, cette modernité se traduit du haut de ses cinquante-six mètres par l’inauguration de « La maison du fada ». Et ici, la mise au point nécessaire était double : tout d’abord, distinguer Le Corbusier de son œuvre (oublier les travers de l’homme pour apprécier la singularité de sa création), puis distinguer son œuvre de ses avatars vérolés auxquels elle a donné naissance (et savoir faire la différence entre une Unité d’Habitation et une horrible barre de HLM).

Le pari est réussi et l’objectif dépassé. De page en page, le lecteur découvre « Le Corbu » de l’intérieur, son génie de conception et le bonheur qu’il apporte à ses occupants dans une aventure mystique où les mythes fondateurs de Marseille se réveillent et se font menaçants.

Bien d’autres surprises, et pas des moindres, en termes de profondeur thématique, font de la lecture de Sous la colline un véritable délice qui oblige le chroniqueur à sortir de sa réserve habituelle pour s’écrier : « Vas-y mon gars et surtout ne t’arrête pas : tu es comme une lumière dans la nuit noire. »

Le Marteau de Thor

« Tout cela faisait partie d’un plan, orchestré par des êtres venus d’ailleurs qui voulaient le rallier à leur cause. L’impression d’être surveillé en permanence depuis la pyramide maya de Cancuen, neuf mois plus tôt, trouvait soudain un sens… »

Merci aux instances supérieures du Bélial’ d’avoir accédé à notre requête : le tome 2 de la tétralogie « Origines » sort avec trois mois d’avance ! Après une phase d’ouverture menée de main de maître par Stéphane Przybylski dans Le Château des millions d’années, les pièces légères, espions de tous bords, commencent à s’animer, les dangers extraterrestres se dévoilent peu à peu et, tandis que les premiers échanges ont lieu, on perçoit le grondement des pièces lourdes en bordure d’échiquier. L’histoire, dont on prendra soin de ne rien dévoiler, se précise donc au rythme d’aventures endiablées servies par un style clair et encore plus maîtrisé qu’au précédent opus, notamment en ce qui concerne les nombreux sauts temporels auxquels on finit par s’habituer.

« Je vais te crever, espèce de salope nazie ! »

Les « salopes nazies », grosses légumes huileuses (Hitler, Heydrich… Hess !!!) comme petites mains terreuses (et anonymes) sont toujours aussi bien rendues par Stéphane Przybylski, dont l’aptitude à partager ses impressionnantes connaissances historiques n’a pas faibli depuis le premier tome. On aura donc, entre autres, le plaisir de retrouver le fantastique officier SS Friedrich Saxhäuser, laissé pour mort dans le volet précédent, revenu fondamentalement changé par son expérience du troisième type, dégageant un poil de mysticisme qui le place à mi-chemin entre Sheen/Willard et Brando/Kurtz dans l’Apocalypse Now de Coppola. Pas rien. Mais il n’occulte en aucune manière des personnages peu communs, comme Lady Alten ou Mr Lee, qui réservent des surprises plutôt… glaçantes.

« Ils vivent cachés dans des lieux reculés du globe depuis des siècles. L’heure n’est pas encore venue pour eux de se révéler au grand jour… »

Inutile d’insister : on aura compris que la mayonnaise prend bien, si bien qu’on se retrouve en quelques heures au bout du livre, lâché par l’auteur en plein milieu d’un suspense insoutenable. On se prend à attendre fébrilement les grandes manœuvres stratégiques ainsi que le final éclatant que nous réservent sans aucun doute les deux prochains tomes de la tétralogie, tant Le Marteau de Thor confirme la réussite du Château des millions d’années.

« Nous ne sommes pas des êtres miséricordieux. »

Oui, on sait, mais… bon : nous demander d’attendre jusqu’à septembre 2016 pour Le Club Uranium, c’est pas humain… Un petit effort ?

Chroniques de la science-fiction

« En tant qu’auteur de science-fiction, la question que j’entends certainement le plus souvent est : Pourquoi continuez-vous à écrire de la SF alors que nous vivons désormais dans le futur ? »

Il fut une époque, pas si lointaine, où nous ne vivions pas dans le futur. Une vie sans internet, sans téléphone portable, sans lecteur de DVD ni même de magnétoscope, une vie où les éditeurs n’avaient pas encore inventé l’excuse traduction révisée pour rééditer leur catalogue à tire-larigot. On ne connaissait certains livres que parce qu’un ami nous en avait parlé et certains films que par les images qu’en reproduisaient les ouvrages spécialisés. Et en un sens, une production comme L’Âge de cristal, à l’instar de bien d’autres, d’ailleurs, conserve peut-être plus de charme dans les pages d’une encyclopédie sur le cinéma qu’avec un visionnage de Blu-ray sur un écran 55 pouces. De même certains bouquins de Clarke, enfin bon, bref…

L’ouvrage que nous propose Guy Haley cadre parfaitement avec cette stratégie de débranchement : Les Chroniques de la science-fiction brillent de mille feux quelle que soit la page à laquelle on les ouvre : ici, James Ballard côtoie les X-Men, Valérian, Dragonball et le Docteur Who (6 pages !), les bandes dessinées et les romans voisinent leurs adaptations cinématographiques, les séries d’hier fréquentent celles d’aujourd’hui. Les articles sont organisés, on l’aura deviné, de manière chronologique suivant cinq périodes qui mènent de 1818 à nos jours. Entre autres vertus, ce parti pris permet de comparer ce qui est comparable en termes de création, mais aussi d’observer le glissement qu’a effectué la narration du domaine de l’écrit à celui du visuel. Une abondante iconographie en couleurs et particulièrement bien choisie illustre un propos clair et complet (même si l’on sait pertinemment que certains ne manqueront pas de détecter d’inévitables erreurs, comme il en existe dans tout livre de ce type – mais ne présumons de rien). Petite cerise sur un magnifique gâteau, le prolifique Stephen Baxter s’y fend d’un avant-propos de deux pages.

Les Chroniques de la science-fiction peuvent donc prétendre à devenir le cadeau idéal (c’est tard pour Noël, mais qu’importe) tant il ravira autant l’inculte à convertir que l’amateur éclairé qui n’attendra pas la panne internet pour le consulter à loisir. (Certains vont jusqu’à mordre quand on tente d’emprunter leur exemplaire – si, si !)

2084 - La fin du monde

« Le XXIe siècle sera pavé de bonnes intentions ou ne sera pas. »

Malraux – Anti-anti-Mémoires (d’une réalité parallèle)

 

Ex-æquo avec Hédi Kaddour mais Grand Prix du Roman de l’Académie française 2015 quand même, pardonnez du peu, 2084 – La Fin du monde est resté un moment dans les tuyaux pour épingler le prix Goncourt, ce qui lui aurait permis, comme chacun le sait, de devenir le presse-papiers tendance de l’année 2016. Raté.

Néanmoins, cette parution et le vent qui se fait autour permettent, une nouvelle fois, d’apprécier la déchéance du SPLIF. SPLIF ? Le Super Paysage LIttéraire Français, voyons ! Celui où l’on a définitivement rangé les vrais penseurs (Deleuze, Foucault, Bourdieu) dans la naphtaline pour célébrer de vulgaires commentateurs d’actualité le samedi soir en seconde partie de programme, sans parler de la troisième… Le SPLIF, qui refuse le statut de vraie littérature à la science-fiction dans laquelle se cachent pourtant d’autres vrais penseurs (pensée pour Ayerdhal, qui va bien nous manquer)… Le SPLIF, où l’on voit émerger, tout à coup, comme l’idée d’une suite au bouquin d’Orwell par un auteur algérien de langue française fustigeant (encore un peu de novlangue, Madame la Baronne ?) les excès de foi auxquels on assiste dans le Monde Arabe.

« (…) il fallait tout renommer, tout réécrire de sorte que la vie nouvelle ne soit d’aucune manière entachée par l’Histoire passée désormais caduque, effacée comme n’ayant jamais existé. »

Boualem Sansal – 2084 – La Fin du monde

Alors que le lecteur s’attend à lire une dystopie dans la lignée de 1984, il se fait balader dans un conte affreusement voltairien où tous les noms ont été changés, mais dont le manque cruel de dialogues accentue le côté anxiogène. Orwell n’est ici utilisé que comme une structure formelle, un canevas prêt à l’emploi où l’idéologie religieuse emprunte les habits du totalitarisme avec un talent certain mais sans surprise aucune. Aux deux tiers du bouquin, on a très envie de crier : « Mais je le savais déjà, tout ça ! » et, surtout, de passer à autre chose tant Boualem Sansal apporte peu de choses au concept original d’Orwell. On est en effet en droit de se demander à qui s’adresse ce (petit) pâté indigeste, tant son côté didactique et son manque profond d’originalité ne peuvent qu’agacer le lecteur d’anticipation qui finira à coup sûr par conclure que, finalement, la SF fait bien de se tenir en dehors du SPLIF. Relisez plutôt l’original, le 1984 d’Orwell dont on dit tout et n’importe quoi, ces derniers temps.

La Porte des mondes

Ce volume cartonné regroupe quatre textes : le roman de Robert Silverberg La Porte des mondes, et trois novellæ signées de la plume de Robert Silverberg, John Brunner et Chelsea Quinn Yarbro, tous ces textes étant situés dans un monde parallèle au nôtre où la peste noire a rayé soixante-quinze pour cent de la population européenne et a permis une formidable domination ottomane jusqu’au XXe siècle (formidable au point que toutes les œuvres de Shakespeare ont été écrites en turc !). Si l’objet-livre, fermé, semble des plus convaincant, il l’est moins à la lecture, tant la maquette intérieure prête à la critique : police de caractère trop petite, il manque un corps, voire deux ; postface en page de droite (page 287) et page-titre en page de gauche (page 288). Tant pis pour les amateurs de beaux objets. L’effort est méritoire, mais reste incomplet.

Les deux textes de Robert Silverberg sont loin d’être parmi ses meilleurs, mais se lisent toutefois avec un grand plaisir. Dans un cas comme dans l’autre, on s’attache au personnage principal : Dan Beauchamp, l’Anglais de dix-neuf ans qui découvre les Hespérides (Amériques) de 1963, sur lesquelles règnent Aztèques et Incas ; et Petit Père, le prince de Tombouctou qui s’apprête à devenir roi du Songhaï. Dédié à Robert A. Heinlein, La Porte des mondes est un subtil hommage aux juvéniles du père d’Étoiles, garde à vous ! On lui pardonne volontiers son didactisme en matière de mondes parallèles et certaines de ses notes de bas de page un tantinet ridicules. Texte faussement précurseur du steampunk (malgré sa peu fiable voiture à vapeur), aventure picaresque enlevée, La Porte des mondes se lit avec délectation (à tel point qu’il semble horriblement trop court !). Dans la droite lignée du texte précédent, « Tombouctou à l’heure du lion » est une comédie politique légère, pour ne pas dire téléphonée, sur laquelle plane un érotisme oriental convaincant.

Les novellæ de John Brunner et Chelsea Quinn Yarbro concluant l’ouvrage n’y rajoutent pas grand-chose et souffrent, avant toute autre considération, d’une traduction française d’un manque de professionnalisme ahurissant (absence d’harmonisation avec les traductions précédentes, problème de répétitions, de grammaire française, de concordance des temps – il ne manque rien ou presque au musée des horreurs). A été soustrait à ces deux longs textes l’essentiel : le ton si léger et pourtant si précis de Robert Silverberg. En quatre mots : « la musique du maître ».

Moi et le diable

Old Nick, écrivain new-yorkais âgé de soixante-cinq ans, plutôt aisé, aime les jeunes filles, dix-neuf ans, vingt ans (toute ressemblance avec l’auteur du roman est évidemment fortuite). Il aime les baiser, il aime les fouetter et il vient de découvrir, sur le tard, qu’il aime boire leur sang. Un sang jeune, puissant, qui va faire passer le vieux Nick de l’autre côté de l’Humanité, de l’autre côté de la Vie. Car le sang peut vaincre la mort.

Ainsi pourrait-on résumer Moi et le diable, réduire en une intrigue famélique un roman épais et majestueux comme le fleuve d’ichor qui relie le Purgatoire à l’Enfer. Cette compression nous pousserait, à l’évidence, à passer à côté de l’essentiel, qui n’est ni dans la colonne vertébrale de l’intrigue, ni dans sa classique ligne de force qui mène du mortel à l’immortel. De digression en digression, Nick Tosches s’affranchit de tous les codes de la littérature de genre (à l’instar de Glen Duncan dans Moi, Lucifer) et nous propose à la place une œuvre blasphématoire et audacieuse, choquante. Un roman qui traverse et relie toutes ses thématiques comme une fine lame de couteau enfoncée dans cinquante tranches de carpaccio premier choix. Avec un franc-parler, une limpidité stylistique et un art de la provocation qui rappellent Charles Bukowski, Tosches ouvre toutes les portes, toutes les chairs. Du sexe à la folie, de l’amour à la mort, de la vieillesse à la jeunesse, de la médecine à la magie, de l’alcoolisme au sexe-addictisme, il nous expose le caché, l’intime, l’inavoué, l’inavouable.

Moi et le diable est un délicieux carnage, un festin de viande tendre et saignante, baignant dans le sperme et les sécrétions vaginales. S’y mélangent et dansent comme des sorcières au clair de lune : Keith Richards, le Baclofène, le pacte faustien, les couteaux de collection, la littérature mondiale, les quartiers de la Grosse Pomme, le vampirisme, l’opium, la nourriture italienne et tout un tas de jeunes new-yorkaises paumées ou névrosées.

Pour lecteurs avertis ? Oui, tout comme Salo et les 120 journées de Sodome reste à réserver aux spectateurs avertis. Grand livre tordu pour esprits jouisseurs, grand livre jouissif pour esprit tordus, peu importe… Grand livre (servi par une traduction remarquable).

Le Corbeau de pierre

[Critique commune à La Ballade de la mer salée et Le Corbeau de pierre.]

Les bifrostiens et bifrostiennes amateur.e.s de Corto Maltese n’éprouveront aucune surprise à le voir figurer dans nos pages critiques. Quant à celles et ceux peu au fait de l’univers du marin maltais, on leur rappellera qu’il a beaucoup à voir avec les « mauvais » genres chers à Bifrost. La douzaine d’albums consacrée à la geste du gentilhomme de fortune ne relève pas du seul récit d’aventure. Dès La Ballade de la mer salée – le premier opus de la série réédité par Casterman dans une splendide version couleurs, comme les onze volumes suivants –, Hugo Pratt teinte son histoire, mêlant piraterie moderne, Grande guerre et amours impossibles, d’un fantastique discret. Encore diffus dans ce volume inaugural, cette propension au surnaturel se renforce dans les autres albums, notamment par la présence de l’occultisme. Hugo Pratt fait ainsi croiser la route de son héros avec celle de la sorcière Bouche-dorée dans Sous le signe du Capricorne. Par ailleurs fils d’une magicienne hispano-gitane, le marin révèle dans Fables de Venise des connaissances kabbalistiques, puis alchimiques à l’occasion des Helvétiques. En outre, le référent légendaire a été utilisé dans nombre de scénarii de Corto Maltese. Tel est le cas des Celtiques s’inspirant de la médiévale Matière de Bretagne et de Mû la cité perdue, placé sous le signe du mythe de l’Atlantide.

Ancré dans les littératures de l’Imaginaire par ses registres, le monde bédéistique de Corto Maltese l’est aussi par son rapport intertextuel et ludique à la fiction. Hugo Pratt compose ainsi une marqueterie agrégeant des références à des œuvres de l’Imaginaire les plus diverses – Les Helvétiques cite, par exemple, la littérature arthurienne et King-Kong – et des créateurs – Les Helvétiques, encore, met en scène Hermann Hesse –, devenant ainsi des personnages maltésiens. En brouillant les frontières entre son univers et ceux d’autres auteurs, de même qu’en abolissant les limites séparant fiction et réalité, Hugo Pratt adopte une démarche commune à nombre d’écrivains de l’Imaginaire contemporain. Une parenté que confirme la nouvelle de Léo Henry, « Révélations du prince du feu », incluse dans Le Diable est au piano (la Volte, 2013). Dans ce texte à la prose ciselée, l’auteur dévoile un épisode inconnu de l’existence de Corto Maltese et de Blaise Cendrars – l’enquête menée par le marin et l’auteur de Moravagine sur une série de meurtres rituels dans le Brésil des années 1920. Témoignant d’une belle intelligence de l’univers maltésien, « Révélations du prince du feu » constitue une déclinaison littéraire du personnage d’Hugo Pratt certainement brillante… et autrement plus séduisante que celles récemment proposées par Denoël.

L’éditeur a en effet (ré)inscrit à son catalogue deux romans ayant pour protagoniste le marin. Le premier, intitulé Corto Maltese, est pourtant l’œuvre d’Hugo Pratt lui-même : la transposition romanesque de La Ballade de la mer salée. Écrite en 1995 par le bédéaste, publié une première fois en français en 1996, elle revient sous une nouvelle couverture ornée d’une belle aquarelle du dessinateur. Hugo Pratt y fait certes montre d’une plume élégante. Mais cette Ballade de la mer salée littéraire échoue à enrichir l’univers fictionnel de Corto Maltese. Fondée sur un parti-pris de fidélité extrême à l’album, dont elle épouse la trame narrative et reprend les dialogues, cette novélisation s’avère pour l’essentiel redondante par rapport à la bande dessinée. Quant aux rares ajouts introduits par Hugo Pratt, ils appauvrissent la moderne Matière maltésienne dont la puissance de fascination bédéistique tient à un art consommé de l’ellipse, en détaillant inutilement les parcours biographiques de certains de ses personnages ou en dévoilant par trop leurs ressorts psychologiques. Déjà affadie par ces explicitations malvenues, La Ballade de la mer salée romanesque est aussi alourdie par de longs paragraphes didactiques sur le contexte historique ou les techniques maritimes.

Une emphase documentaire qui grève pareillement Le Corbeau de pierre de Marco Steiner, le second des romans maltésiens publiés par Denoël. Ce livre inédit, paru en Italie en 2014, est l’œuvre d’un collaborateur d’Hugo Pratt se qualifiant lui-même de « Wikipedia de Corto Maltese ». Le dessinateur le chargea en effet de mener des recherches documentaires nourrissant ses ultimes albums. On ne doute pas que Marco Steiner a réutilisé pour ce Corbeau de pierre une part non négligeable du matériau alors réuni… L’ex-documentaliste du bédéaste consacre dans son roman de nombreuses lignes à de doctes considérations historiques, géographiques ou même gastronomiques ; le chapitre 6, intégralement dévolu à l’histoire du marsala, constituant l’exemple le plus fastidieux de cette inflation informative. Bien évidemment, l’envahissant didactisme du professeur Steiner – l’auteur du Corbeau de pierre a emprunté son pseudonyme à l’universitaire fantasque, fidèle compagnon de Corto Maltese – nuit gravement au souffle narratif du roman. Ce que l’on regrettera d’autant plus que l’idée initiale du Corbeau de pierre s’avérait prometteuse. En imaginant cette première odyssée d’un Corto adolescent, s’initiant à l’aventure, à l’amour et à la magie lors d’un périple entre l’Irlande et la Sicile en passant par Venise, Marco Steiner aurait pu rajouter une page passionnante à la biographie fantasmée du Maltais…

Et c’est finalement du côté de la BD qu’on trouvera la plus stimulante variation maltésienne parue ces derniers mois : un treizième album de Corto Maltese, Sous le soleil de minuit (septembre 2015). Au scénario Juan Díaz Canales, dont la série « Blacksad » entrecroisait avec talent, comme Hugo Pratt, les « mauvais » genres. Au dessin Rubén Pellejero, qui respecte le graphisme prattien sans verser dans l’imitation servile. Belle réussite, Sous le soleil de minuit témoigne de la fécondité fictionnelle de l’univers initié il y a presque un demi-siècle par Hugo Pratt.

La Ballade de la mer salée

[Critique commune à La Ballade de la mer salée et Le Corbeau de pierre.]

Les bifrostiens et bifrostiennes amateur.e.s de Corto Maltese n’éprouveront aucune surprise à le voir figurer dans nos pages critiques. Quant à celles et ceux peu au fait de l’univers du marin maltais, on leur rappellera qu’il a beaucoup à voir avec les « mauvais » genres chers à Bifrost. La douzaine d’albums consacrée à la geste du gentilhomme de fortune ne relève pas du seul récit d’aventure. Dès La Ballade de la mer salée – le premier opus de la série réédité par Casterman dans une splendide version couleurs, comme les onze volumes suivants –, Hugo Pratt teinte son histoire, mêlant piraterie moderne, Grande guerre et amours impossibles, d’un fantastique discret. Encore diffus dans ce volume inaugural, cette propension au surnaturel se renforce dans les autres albums, notamment par la présence de l’occultisme. Hugo Pratt fait ainsi croiser la route de son héros avec celle de la sorcière Bouche-dorée dans Sous le signe du Capricorne. Par ailleurs fils d’une magicienne hispano-gitane, le marin révèle dans Fables de Venise des connaissances kabbalistiques, puis alchimiques à l’occasion des Helvétiques. En outre, le référent légendaire a été utilisé dans nombre de scénarii de Corto Maltese. Tel est le cas des Celtiques s’inspirant de la médiévale Matière de Bretagne et de Mû la cité perdue, placé sous le signe du mythe de l’Atlantide.

Ancré dans les littératures de l’Imaginaire par ses registres, le monde bédéistique de Corto Maltese l’est aussi par son rapport intertextuel et ludique à la fiction. Hugo Pratt compose ainsi une marqueterie agrégeant des références à des œuvres de l’Imaginaire les plus diverses – Les Helvétiques cite, par exemple, la littérature arthurienne et King-Kong – et des créateurs – Les Helvétiques, encore, met en scène Hermann Hesse –, devenant ainsi des personnages maltésiens. En brouillant les frontières entre son univers et ceux d’autres auteurs, de même qu’en abolissant les limites séparant fiction et réalité, Hugo Pratt adopte une démarche commune à nombre d’écrivains de l’Imaginaire contemporain. Une parenté que confirme la nouvelle de Léo Henry, « Révélations du prince du feu », incluse dans Le Diable est au piano (la Volte, 2013). Dans ce texte à la prose ciselée, l’auteur dévoile un épisode inconnu de l’existence de Corto Maltese et de Blaise Cendrars – l’enquête menée par le marin et l’auteur de Moravagine sur une série de meurtres rituels dans le Brésil des années 1920. Témoignant d’une belle intelligence de l’univers maltésien, « Révélations du prince du feu » constitue une déclinaison littéraire du personnage d’Hugo Pratt certainement brillante… et autrement plus séduisante que celles récemment proposées par Denoël.

L’éditeur a en effet (ré)inscrit à son catalogue deux romans ayant pour protagoniste le marin. Le premier, intitulé Corto Maltese, est pourtant l’œuvre d’Hugo Pratt lui-même : la transposition romanesque de La Ballade de la mer salée. Écrite en 1995 par le bédéaste, publié une première fois en français en 1996, elle revient sous une nouvelle couverture ornée d’une belle aquarelle du dessinateur. Hugo Pratt y fait certes montre d’une plume élégante. Mais cette Ballade de la mer salée littéraire échoue à enrichir l’univers fictionnel de Corto Maltese. Fondée sur un parti-pris de fidélité extrême à l’album, dont elle épouse la trame narrative et reprend les dialogues, cette novélisation s’avère pour l’essentiel redondante par rapport à la bande dessinée. Quant aux rares ajouts introduits par Hugo Pratt, ils appauvrissent la moderne Matière maltésienne dont la puissance de fascination bédéistique tient à un art consommé de l’ellipse, en détaillant inutilement les parcours biographiques de certains de ses personnages ou en dévoilant par trop leurs ressorts psychologiques. Déjà affadie par ces explicitations malvenues, La Ballade de la mer salée romanesque est aussi alourdie par de longs paragraphes didactiques sur le contexte historique ou les techniques maritimes.

Une emphase documentaire qui grève pareillement Le Corbeau de pierre de Marco Steiner, le second des romans maltésiens publiés par Denoël. Ce livre inédit, paru en Italie en 2014, est l’œuvre d’un collaborateur d’Hugo Pratt se qualifiant lui-même de « Wikipedia de Corto Maltese ». Le dessinateur le chargea en effet de mener des recherches documentaires nourrissant ses ultimes albums. On ne doute pas que Marco Steiner a réutilisé pour ce Corbeau de pierre une part non négligeable du matériau alors réuni… L’ex-documentaliste du bédéaste consacre dans son roman de nombreuses lignes à de doctes considérations historiques, géographiques ou même gastronomiques ; le chapitre 6, intégralement dévolu à l’histoire du marsala, constituant l’exemple le plus fastidieux de cette inflation informative. Bien évidemment, l’envahissant didactisme du professeur Steiner – l’auteur du Corbeau de pierre a emprunté son pseudonyme à l’universitaire fantasque, fidèle compagnon de Corto Maltese – nuit gravement au souffle narratif du roman. Ce que l’on regrettera d’autant plus que l’idée initiale du Corbeau de pierre s’avérait prometteuse. En imaginant cette première odyssée d’un Corto adolescent, s’initiant à l’aventure, à l’amour et à la magie lors d’un périple entre l’Irlande et la Sicile en passant par Venise, Marco Steiner aurait pu rajouter une page passionnante à la biographie fantasmée du Maltais…

Et c’est finalement du côté de la BD qu’on trouvera la plus stimulante variation maltésienne parue ces derniers mois : un treizième album de Corto Maltese, Sous le soleil de minuit (septembre 2015). Au scénario Juan Díaz Canales, dont la série « Blacksad » entrecroisait avec talent, comme Hugo Pratt, les « mauvais » genres. Au dessin Rubén Pellejero, qui respecte le graphisme prattien sans verser dans l’imitation servile. Belle réussite, Sous le soleil de minuit témoigne de la fécondité fictionnelle de l’univers initié il y a presque un demi-siècle par Hugo Pratt.

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