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Entre troll et ogre

Arsouille est vieux. Arsouille est ronchon. Arsouilles est perclus d’arthrite. Surtout, Arsouille est un troll. Et quand on vit dans une société en guerre et contrôlée par les ogres, pas facile d’être un troll de plus de 70 ans. Les règles sont simples. La fermer, sous peine de se faire bouffer. Tenir son rang (d’inférieur), sous peine de se faire bouffer. Ne pas créer de problèmes publics (du genre ramper dans la rue après s’être fait refaire le groin par une bande de trollards en pleine poussée hormonale), sous peine de se faire bouffer. Ou, au choix, de devenir de la chair à canon. Pas facile tous les jours, mais jusqu’ici, Arsouille s’en est plutôt bien sorti. Il vit chez sa belle-fille et son petit-fils, au chaud, et il a de quoi manger tous les jours. Il suffit simplement de grogner un peu de temps en temps pour remettre les pendules à l’heure.

Pourtant, quand il reçoit une lettre de son frère jumeau, Arpète, qu’il n’a pas vu depuis au moins cinquante ans, tout est remis en question. Car pendant qu’Arsouille passait de trollinou à troll en pleine puberté, Arpète, lui, se transformait en ogre. Les aléas de la Grande Poussée Dentaire… Et si les trolls sont des brutes épaisses qui ne réfléchissent pas plus loin qu’à demain et qu’au poing de leur voisin, les ogres, eux, sont des êtres froids et calculateurs, craints par tous (ah, ça, le prestige de mâchoires télescopiques extrêmement puissantes, rapides, aux dents acérées !). Surtout, les ogres sont dénués de sentiments. Alors pourquoi, Arpète semble-t-il regretter avec émotion leur séparation et désire-t-il revoir son frère ?

Un troll, ça ne questionne pas, ça n’imagine pas, ça ne réfléchit pas. Et plus particulièrement, un troll, ça ne retourne pas à l’école pour apprendre à lire une carte (en se faisant embaucher en tant que prof), et ça ne se lance pas dans une traversée du pays pour aller se balader en zone de guerre et rechercher son frangin ogre… Sinon, où va le monde ? !

Dans une gouaille stylistique assez savoureuse, l’auteure nous livre une parabole fantas(y)ste sur la nature humaine. S’amusant joyeusement avec les clichés attachés aux créatures choisies, elle dresse une satire assez efficace de l’importance de l’éducation, de l’impact de la violence sur une société très hiérarchisée, et du déterminisme social. C’est inattendu, drôle, et on s’y laisse prendre un peu malgré soi. Car s’il y a bien une chose que révèlent les sourires de plus en plus nombreux à la lecture de cette quête initiatique, c’est qu’en chacun de nous s’affrontent troll et ogre. Et que peut-être, si on y réfléchit bien (et eux aussi), existe-t-il quelque chose d’autre, entre les deux…

L'Enfant de poussière

Syffe est orphelin et ne se souvient de rien avant ses huit ans. Même pas de son véritable nom, le sien étant un simple sobriquet inspiré par son teint basané et un peuple dont il serait originaire. Il vit au jour le jour avec ses compagnons, Cardou, Merle et Brindille (dont il est secrètement amoureux), entre la ferme de la veuve qui les a recueillis, et les rues de Corne-Brune, la petite cité de province isolée dans laquelle, débrouillards, ils parviennent à grappiller de petits travaux, et de quoi manger (presque) à leur faim. Et puisqu’ils ont décidé d’être heureux, ils le sont. Peu importe la mort du suzerain du Royaume-Unifié. Peu importe les rumeurs grandissantes de conflits.

Mais un jour, Syffe est pris en flagrant délit de vol à l’étalage par le première-lame Hesse, à la réputation sombre et ambiguë. En échange de sa liberté, il devient informateur, puis espion pour le garde, et découvre peu à peu la réalité rugueuse du monde des adultes, avec ce qu’il contient de trahisons, de parties d’échecs politiques, de pertes cruelles, de tragédies et de déceptions. Un monde au bord de la rupture, dans lequel le garçon va devoir apprendre à évoluer s’il veut vieillir…

Voici un récit d’apprentissage qui n’est pas sans rappeler Robin Hobb et son assassin royal, tant par le style, que par les difficultés auxquelles est confronté son narrateur, personnage principal d’une histoire commencée bien longtemps avant sa naissance et dont la pleine mesure dépasse l’entendement humain. Réunissant tous les ingrédients pour en faire un récit addictif (une origine mystérieuse dont on devine la résolution dans un prochain tome, la renaissance d’un pouvoir ancien, un ennemi bien dissimulé, et une puissance menaçante en arrière-plan…), Dewdney réussit à écrire une fresque épique prenante tout en dépeignant un héros attachant dans sa quête d’identité, qui plus est en ne délaissant pas les personnages secondaires, complexes et forts (particulièrement ceux dans lequel Syffe projette sa recherche d’un père fantasmé).

La facilité avec laquelle l’auteur semble inviter le réalisme dans un univers élaboré et cohérent est telle qu’on pourrait presque transposer le récit dans notre réalité médiévale, sans l’étrangeté d’une géographie et d’une Histoire inconnue. La magie y est à peine effleurée, et tient plus du doute fantastique entre réel et imaginaire que de la force surnaturelle traversant les autres récits de fantasy, surtout décrite par un enfant (puis un adolescent).

L’ensemble tient le lecteur en haleine presque jusqu’à la fin, le vrai bémol étant peut-être un affaiblissement scénaristique sur les derniers chapitres. Mais ce choix semble s’inscrire dans l’annonce d’un deuxième tome (pour octobre 2018) qui, on l’espère, tiendra les promesses faites dans le premier…

La Crécerelle

Tueuse, exterminatrice, maudite, sorcière… telle est la réputation de la Crécerelle. Cette femme, en apparence jeune, qui, longtemps auparavant, a cru pouvoir se libérer d’un destin violent, est aujourd’hui captive d’un contrat encore pire que celui qu’elle tentait de fuir. Car la Crécerelle n’a plus le choix : esclave de la volonté d’une créature de l’outre-monde, elle sème la mort sur son chemin pour avoir le droit de vivre. Et pas n’importe quelle mort. De préférence horrible, toujours magique, en utilisant la multiplicité des probabilités et des mondes intérieurs propres à chaque humain. À la fois exécutrice et victime, mais jamais héroïne, car « un héros, ce n’est rien qu’un tueur qui soigne son image », elle avance, sans relâche, sans espoir de rédemption, dans cette spirale infernale. Jusqu’à ce sursaut rebelle, où, dans une vaine tentative d’échapper à l’insupportable, elle déclenche une réaction en chaîne, autre spirale ouvrant la porte au chaos, et se retrouve contrainte de s’engager sur des voies encore pires pour sauver l’humanité de son erreur.

Dans un récit où les frontières entre fantasy et science-fiction sont aussi troubles que celles entre les dimensions évoquées (ou invoquées ?), nous découvrons ainsi les circonvolutions d’un personnage fort qui cherche à s’affranchir à tout prix (et particulièrement celui de la vie des autres) d’un univers trop étriqué pour sa façon d’agir, mais surtout, de penser. La violence esthétisée n’est pas sans rappeler certains récits tarantinesques et rend hommage aux pulps. La magie est présente, mais, loin des usages habituels du genre, s’exprime de façon méthodique en une technique surtout fondée sur l’étude approfondie de la théorie, et qui évolue selon les sources d’apprentissages.

D’ailleurs, c’est bien ce qui surprend, dans ce roman qui n’a de fantasy que le synopsis, tant l’écriture y est philosophique, psychologique, scientifique. Faut-il voir dans la peinture de ce monde de départ si fragile (baptisé la Perle) une référence à la caverne de Platon ? La psychanalyse freudienne se reflèterait-elle dans les actions et les doutes des deux personnages principaux ? Quoi qu’il en soit, oublié le médiéval si ce n’est à travers quelques traits de civilisation esquissés, et bienvenus les recours aux sciences, que ce soit par la description d’univers mathématiques ou par l’importance accordée à la noosphère… Teilhard de Chardin et Vernadski sont bien présents, et parfois même un peu trop, au risque d’en perdre le fil narratif. Mais c’est peut-être là tout l’enjeu de ce texte car « quand on creuse les mythes, on tombe toujours sur d’autres mythes plus anciens, et personne ne remonte jusqu’au bout ; quand on recule suffisamment, on tombe sur des périodes où les peuples qui sont censés avoir donné naissance au mythe en question n’existaient pas encore. »

Ne reste que le questionnement.

Guillaume Sorel illustre Jack Vance

Attention les yeux ! Sur le forum, découvrez le work in progress de Guillaume Sorel pour la double couverture des Nouvelles de Jack Vance, deux volumes de la collection Kvasar rassemblant l'essentiel des nouvelles et novellas hors-cycle de l'auteur du cycle de Tschaï

Les lendemains qui chantent… vus d'hier

Sur le blog, Bertrand Bonnet vous invite à jeter un œil à deux récentes parutions d'ArchéoSF : Demain, les révolutions !, anthologie présentée par Philippe Éthuin, et Une Utopie moderne de H.G. Wells. Les lendemains supposés chanter hier chantent-ils encore ?

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