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Ange mémoire

[Critique commune à Ange mémoire et Mysterium.]

Suite au succès de Spin, qui reçut le prix Hugo en 2006, nous arrivent les premiers romans inédits de Wilson. La Cabane de l'aiguilleur, dans le volume omnibus Mysterium, et Ange mémoire, sont respectivement ses premier et deuxième romans. Si leurs thèmes sont assez anecdotiques, on retrouve d'emblée cette approche qui n'appartient qu'à lui, centrée sur les personnages. L'intrigue est au service moins de l'histoire que de la psychologie des protagonistes centraux, qu'elle permet de révéler progressivement.

Ainsi, dans La Cabane de l'aiguilleur, l'originalité du roman tient dans le choix du contexte, à savoir la Crise de 1929. On y décrit merveilleusement le sort des miséreux jetés sur les routes et traqués par la police ou les milices méfiantes envers les vagabonds, ainsi que le caractère pudibond et guindé des travailleurs des petites bourgades. L'irruption de deux êtres au comportement étrange, manifestement venus d'ailleurs, et qui cherchent à se rejoindre, ne peut que faire entrer en ébullition tout ce petit monde pétri de peur, d'envie et de suspicion. Travis Fisher et Nancy Wilcox, confrontés à l'inconnu, sont forcés de choisir leur camp, ce qui ne va pas sans mal quand, comme Travis, on a nécessairement gardé quelques mauvais côtés des préjugés dans lesquels on a baigné.

À l'inverse, Ange mémoire, que publie Folio « SF » (un inédit en poche, voilà qui mérité d'être salué !), présente une idée originale sur une trame classique : la quête d'une pierre extraterrestre, l'onirolithe, aux propriétés mémorielles proprement extraordinaires puisqu'elle restitue les souvenirs des personnes entrant en résonance avec elle. Le héros est un Ange, un mercenaire plus tout à fait humain car son cortex, grâce à une puce, enregistre de façon objective tout ce qu'il voit. On comprend que Keller (l'Ange en question) se contraint à cette objectivité pour cesser d'éprouver des sentiments. Ostler, qui lui confie la mission, a pour sa part renoncé à ce câblage et agit dans le but d'aider Teresa, l'artiste de son cœur, capable de se servir de la pierre, afin de la faire renoncer à la drogue avant qu'il ne soit trop tard. Dans ce roman qui évite les poncifs du cyberpunk, il ne manque ni espions, ni courses-poursuites épiques, mais la pierre n'est que le prétexte à révéler les blessures secrètes de ces trois personnages.

Le conformisme moral, l'intolérance, surtout liés aux croyances religieuses, est un thème récurrent dans l'œuvre de R. C. Wilson, magistralement exploité dans Mysterium, qui a obtenu le Memorial Philip K. Dick Award en 1994. Une petite ville des États-Unis se trouve transportée dans un univers parallèle à la technologie moins évoluée, où sévit une théocratie aussi sévère qu'impitoyable, et doit faire face aux conséquences de ce déplacement spatio-temporel (pénurie alimentaire, absence d'électricité, etc.). Les proctors (la police religieuse de cette Amérique du nord alternative) dépêchent Evelyn, une ethnologue dont les travaux frisent parfois l'hérésie, pour étudier ce morceau de civilisation étrangère qui devient soudain l'objet de convoitises, à cause de ses secrets technologiques.

À ces deux romans, Mysterium et La Cabane de l'aiguilleur, qui composent l'essentiel de l'omnibus « Lunes d'encre », s'ajoutent six nouvelles inédites, dont une, « Le Mariage de la dryade », reprend l'univers de BIOS (cf. critique in Bifrost n°26). Deux très courtes fictions se penchent sur la problématique du voyage spatial réservé aux machines (« Le Grand adieu ») et sur le concept de communauté partageant les mêmes goûts (« Les Affinités »), question essentielle à l'heure où Internet propose à chacun de retrouver ses semblables. « Le Théâtre cartésien », lauréat du Sturgeon Award 2007, traite de la notion d'intelligence artificielle et de la conscience des machines avec une rare finesse : un artiste présente dans son spectacle un gel prenant la forme de l'être vivant auquel il est connecté et qui, une fois déconnecté de l'original, diverge et « meurt ». Autour de cette trame tout à fait fascinante, traitée de façon perverse, voire diabolique, Wilson tire des motifs et des effets typiques de son approche originale. « YFL-500 », qui présente le moyen qu'a trouvé un artiste incapable de rêver pour réaliser des œuvres fortes, se déroule dans le même univers ; il s'agit davantage d'une nouvelle à chute, mais qui fait forte impression. Enfin, « Julian : un conte de Noël » se situe à nouveau dans une théocratie intolérante, au XXIIe siècle, alors que la pénurie de pétrole et le déclin de la société d'abondance a considérablement remodelé la société. Il s'agit d'une autre pièce superbe à la hauteur des attentes placées en Robert Charles Wilson.

Précisons que ce recueil, sans équivalent à l'étranger, est commenté par l'auteur et préfacé par Jacques Baudou qui, brièvement, retrace la carrière littéraire de l'auteur. On ne peut qu'être enchanté par ce copieux volume qui prouve, s'il en était encore besoin, que Robert Charles Wilson, dès le début, était porteur de tout un monde sensible et original.

Incontournable.

Fleurs de dragon

« Japon, 1489. Dans un pays sombrant dans le chaos des guerres civiles, l'enquêteur Ryôsaku est chargé par le shôgun de pourchasser de mystérieux assassins prenant pour cibles des samouraïs. En compagnie de Kaoru, Keiji et Sôzô, trois adolescents maîtrisant l'art du sabre, mais hantés par un passé douloureux, il traque sans merci ces tueurs insaisissables. Armé de son seul marteau à sagesse, Ryôsaku devra éviter à ses compagnons de tomber dans des pièges aussi nombreux que pervers et affronter l'essence même du mystère. » Extrait du quatrième de couverture.

Voilà pour l'histoire. N'en disons pas plus.

Quant à la critique, peut-être faudrait-il, avant d'y plonger, remonter aux sources les plus vives de ces Fleurs de dragon, c'est-à-dire parler du chanbara (ou chambara), un genre théâtral et cinématographique typiquement japonais, codifié, qui est, en un sens, l'équivalent de nos bons vieux films de cape et d'épée.

C'est sans doute du côté d'Akira Kurosawa que Jérôme Noirez est allé chercher la tonalité tantôt sombre, tantôt enjouée de son roman, le Kurosawa de Yojimbo, Sanjuro, Les Sept samouraïs, évidemment, et La Forteresse cachée — films qui se distinguent par leur mélange de comédie, d'humanité et de flambées de violence (souvent très ramassées, les combats au katana ne durent que chez Quentin Tarantino). Et c'est sans doute du côté de Yasuzo Masumura et Yoshio Inoue (le diptyque Hanzo the razor) que Noirez a trouvé son personnage principal, Ryôsaku, bien que ces deux œuvres cinématographiques ne soient guère « jeunesse ».

Il y a donc de l'hommage dans ce livre — la scène dans les sables évoque La femme des sables d'Abé Kôbô — , mais il y a surtout une enquête qui, bientôt, se sépare en deux comme la langue du serpent. Et des personnages fort bien troussés (y compris les enfants, ce qui n'a rien d'évident). Le livre n'est pas sans défaut : la narration au présent se relâche de temps à autre (gisements de verbes être et avoir, forme passive lourdingue, description plate), le narration omnisciente donne parfois, notamment lors des scènes d'action, une impression d'éparpillement. Mais au final on se régale à lire cette enquête tissée de croyances, saupoudrée d'un fantastique d'autant plus percutant qu'il est léger, chevillé au corps même de la vie. Voilà un bon exemple de littérature jeunesse jubilatoire, un livre qui plane mille lieues au-dessus de ses défauts — et c'est aussi en cela que Jérôme Noirez est grand.

Fiction T7

C'est sous une très belle couverture de Laurent Bourlaud que se présente le dernier Fiction en date, le tome 7. S'il reste un nombre considérable de coquilles, des erreurs de mise en pages en veux-tu en voilà (notamment au niveau des dialogues), des erreurs dans les références (La Tour de Babel de Ted Chiang, citée deux fois, s'appelle La Tour de Babylone dans notre monde), sans oublier quelques traductions suspectes, il faut reconnaître que ça a été pire (souvenez-vous du tome 6 !). Seule la nouvelle de Kim Antieau (traduite, prétendument, par Ludivine Arnaud) tangente l'illisible, surtout quand passé simple et passé composé se mélangent un peu n'importe comment (la partouze grammaticale est un art difficile, avant tout pour ceux qui en sont spectateurs).

Pour ce qui est du sommaire, il y a du très bon. Pour commencer, la novella de Rhys Hughes « La Vieille maison sous la neige où personne ne va sauf ce soir toi et moi », le texte (la plus originale des descentes aux enfers écrites jusqu'à aujourd'hui, et probablement encore pour quelques années) est insolite, déroutant, très bon de bout en bout, et extrêmement bien traduit par Sonia Quémener (qui, d'ailleurs, livre une autre très bonne traduction dans ce même tome). Cela faisait longtemps que je n'avais pas ressenti autant de plaisir à lire un texte, sentiment qui se répétera deux fois encore pour ce seul tome (malgré des traductions nettement moins convaincantes) avec le texte de Ted Chiang « Le Marchand et la porte de l'alchimiste » et la scatologique novella à six mains de Jonathan Lethem, James Patrick Kelly et John Kessel, « 90% de tout », qui a manqué me faire mourir de rire.

Les autres textes sont moins marquants, à part celui des cousins Colin & Calvo, très bon, et celui de Dominique Douay, surprenant et divinement répugnant. Sans oublier le beau texte féministe de Michaela Roessner qui confirme tout le bien que je pensais déjà de ses écrits. Quant à la nouvelle de Daryl Gregory, « Non-possible », c'est sans aucun doute le texte le plus insignifiant qu'il m'ait été donné de lire de ce nouvel auteur américain plus que prometteur (« Damascus », publié dans le Year's Best 24 de Gardner Dozois arrachait, pour le moins, la culotte à Yvette)

Seul texte dont on se serait vraiment passé : « Inspirer les vapeurs » de Kim Antieau, un article « féministe » que je soupçonne d'être en fait écrit par un hell's angel phallocrate tant il est ridicule ; le meilleur passage est sans doute aucun celui où « l'autrice » nous explique qu'elle a compris que l'oncle de son petit ami, oncle soupçonné du meurtre de son épouse, est bel et bien coupable, croix de bois, croix de fer !, car cet immonde porc possédait dans ses toilettes une pile de revues pornographiques. Pas érotiques, madame, pornographiques, avec des gros-plans baveux. En poussant cette logique jusqu'au bout, je me demande quel génocide cette dame (si c'est bien une dame et non Larry Flint sous pseudo) serait capable de me mettre sur le dos après avoir consulté le contenu du disque dur de mon ordinateur ?

Fiction, c'est aussi des dessins, des photos et des gribouillages : ceux de David Calvo sont laids et ne présentent pas le moindre intérêt (à part peut-être pour un pédo-psychiatre) ; le port-folio de Patrick Imbert est beau, mais politiquement convenu, dans un registre très proche de celui d'Appel d'air ; seul Lasth sort vraiment son épingle du jeu avec une BD évoquant le manga Akira et le meilleur de l'underground graphique (et typographique) new-yorkais.

Un très bon numéro (même en prenant en compte les habituelles réserves grammaticales, typographiques, orthographiques, lexicales et autres).

Clairvoyante

Après avoir publié son premier roman sous son nom de femme mariée, Glenda Noramly (Havenstar, 1998), c'est en 2003 que l'australienne Glenda Larke publie le premier volume de sa trilogie des Îles Glorieuses (suivie depuis par une autre trilogie, The Mirage Makers). Deux cycles qui, il faut bien le reconnaître, n'ont guère déchaîné les foules. Ni celle des lecteurs, ni celle des journalistes.

Si je reproduis ci-après le début de la quatrième de couverture de Clairvoyante, ce n'est point par paresse, mais tout simplement parce que ce texte de présentation donne une bonne idée de l'ouvrage :

« Braise Sangmêlé s'était juré de ne jamais remettre les pieds à la Pointe-de-Gorth, repaire de tout ce que les Îles Glorieuses comptent de désespérés, de trafiquants, d'escrocs et de criminels sans foi ni loi prêts à tuer père et mère pour quelques setus ou une choppe de bineille. Mais les Vigiles, qui règnent en maître sur l'archipel, ne l'entendent pas de cette oreille. Braise est la seule à pouvoir mener à bien une mission délicate pour leur compte : ramener le plus discrètement possible la Castenelle de Cirkase en fuite. Et on ne lui demande pas son avis. »

Une magicienne en mission, une noble femme disparue, un méchant magicien, un bel homme de foi… Le terrain est connu. Connu. Connu. Et les rares secrets seront bien vite éventés. Tant et si bien qu'on s'ennuie ferme. Le tout est maîtrisé, correctement écrit, bien foutu, bien traduit (encore que l'emploi de la première personne du passé simple, à la place du passé composé, peut poser problème), mais au final, c'est propre, fleuri, professionnel (comme le carrelage de salle de bain de Tante Edna). Et ce n'est pas un ou deux passages convenus dans les bordels des Îles Glorieuses qui changent foncièrement la donne. C'est du sous-Robin Hobb, jamais scandaleux, jamais mauvais — professionnel, vous dis-je… Voilà un livre qui, une fois la dernière page tournée, évoque ces vieux westerns où, après une journée de chevauchée dans le désert et l'échange de plomb chaud contre quelques volées de flèches, de bons sudistes descendent de cheval en pantalon et chemise parfaitement repassés, sans tache, ni auréole sous les bras.

Sergio Leone, Sam Peckinpah et Clint Eastwood n'ont eu de cesse de révolutionner le western. Il serait bon qu'un trio de cette envergure s'attaque à la fantasy.

Recettes intimes de grands chefs

[Critique commune à Porno et Recettes intimes de grands chefs.]

Et on reparle d'Irvine Welsh. Huit ans après la parution française d'Une ordure, récemment réédité en poche (critique in Bifrost n°49), voici deux inédits de l'enfant terrible de la littérature anglaise : Porno, la suite attendue du très culte Trainspotting, et Recettes intimes de grands chefs, un conte fantastique. Deux romans publiés simultanément, et une belle occasion de (re)découvrir un écrivain turbulent, aux fictions déjantées et particulièrement décapantes.

Commençons par Porno. C’est donc la suite de Trainspotting. Précision importante : on ne peut apprécier pleinement Porno que si, et seulement si, on a gardé en mémoire l’intrigue et les personnages principaux de Trainspotting. Ceci étant dit, si vous n’avez pas lu le roman, mais que vous avez vu le film éponyme de Danny Boyle, vous pouvez vous attaquer à Porno — car l’adaptation cinématographique était très fidèle au livre.

A priori, écrire une suite à un roman aussi marquant que Trainspotting avait tout de la fausse bonne idée. Mais dès les premières pages de Porno, le charme opère. On marche, on galope, et on est tout de suite accro. A tel point qu’après seulement quelques dizaines de pages, on se dit qu’il aurait été bien dommage que Welsh n’écrive pas ce second opus. On y retrouve, bien sûr, toute l’équipe de Trainspotting : Renton, Sick boy,  Spud et Begbie. Nous sommes toujours à Edimbourg. Quelques années sont passées, et les quatre amis se sont perdus de vue. Simon David Williamson, alias Sick Boy, a encore pour projet de conquérir la planète ; mais en attendant ce grand jour, il doit déménager pour s’installer dans un quartier qu’il déteste. Spud, malgré ses efforts pour décrocher, est toujours toxico. Begbie est en prison pour meurtre. Et Mark Renton, profitant du pactole qu’il a volé à ses trois ex-amis, s’est exilé à Amsterdam, où il est devenu cogérant d’une discothèque. Et si je vous dis que des circonstances inattendues vont les réunir à nouveau, vous ne serez pas trop surpris. En fait, l’élément déclencheur, c’est une jeune femme nommée Nikki. Elle est étudiante en audiovisuel, mais travaille également comme masseuse dans un sauna où les clients viennent surtout chercher des massages très intimes. Sick Boy rencontre Nikki. C’est le coup de foudre immédiat et réciproque. Mais Sick Boy n’est pas du genre à se contenter d’une histoire d’amour banale. Et puis à quoi lui sert l’amour, s’il ne le conduit pas à se surpasser ? Alors Sick Boy a une idée fulgurante : il va réaliser et produire un film porno, dans lequel Nikki tiendra le rôle principal. Mais pas un petit porno minable tourné à la va-vite. Non ! Un grand film, un porno qui fera date dans l’histoire du septième art…

On le voit, l’argument de départ est plutôt mince, voire même squelettique. Et pourtant, on ne s’ennuie pas une seconde à la lecture de Porno. Car Welsh est en très grande forme. D’entrée de jeu, il plonge son lecteur en plein cœur d’un maelström d’émotions et de situations délirantes. Sick Boy entame le tournage de son porno, et Begbie sort de prison. Les années de cellule ne l’ont pas changé : c’est toujours un partisan convaincu de l’ultra violence, et il est bien décidé à se venger de Mark Renton. Les évènements s’enchaînent rapidement, sans temps mort, et Welsh fait preuve d’une maestria qui laisse pantois. Porno s’avère beaucoup plus facile à lire que Trainspotting, mais tout aussi explosif. Le procédé narratif est le même : chaque mini chapitre est raconté du point de vue d’un des personnages. Welsh creuse en profondeur les motivations de chacun, et met à nu ce qu’il n’avait fait qu’effleurer dans Trainspotting : rapport au sexe, à l’argent, à l’image de soi… Son constat est simple : un film porno est désormais un produit de consommation comme un autre, et qui fait partie intégrante de la culture populaire. Et Welsh en profite pour s’interroger sur le rapport trouble entre voyeurisme et narcissisme. Mais ce qui fait de Porno un grand roman — et une suite qui tient toutes ses promesses — c’est surtout l’incroyable talent de portraitiste de Welsh. Ses personnages sont si forts, si vivants qu’on a l’impression qu’ils vont littéralement jaillir hors du livre pour nous proposer d’aller boire une bière dans le pub le plus proche. Et puis, ce qui fait aussi de Porno un roman imparable et irrésistible, c’est qu’on rit énormément à la lecture des aventures tragi-comiques de ce quatuor infernal. Alors, aucune raison de se priver d’un tel plaisir. Car comme pourrait le dire Spud : « Genre, si t’achètes ce bouquin, et que tu le lis et tout, ce sera vraiment trop cool pour toi, mec, tu vois ? » 

Changement de registre avec le second roman : Recettes intimes de grands chefs. Welsh s'essaye ici à un tout autre genre littéraire : le conte fantastique. Danny Skinner travaille au département de la Santé et de l'Hygiène d'Edimbourg. C'est un garçon très porté sur l'alcool, la drogue et les femmes. Egocentrique, et doté d'un cynisme à toute épreuve, il semble promis à un brillant avenir. Mais l'arrivée d'un tout nouveau collègue, Brian Kibby, va bouleverser sa vie. Kibby est un jeune homme timide, qui consacre tout son temps libre à la construction de modèles réduits. Tout oppose ces deux hommes, et dès leur première rencontre, Skinner éprouve pour Kibby une haine radicale, viscérale. Une haine si puissante, si fantastique, qu'elle en devient très vite surnaturelle, pour se transformer en un véritable envoûtement : Skinner continue à se livrer à tous les excès, mais c'est désormais le corps de Kibby qui en subit les conséquences. Il est progressivement atteint des pires horreurs : virus inconnus, maladies étranges, troubles psychosomatiques. Il doit bientôt être opéré pour qu'on lui greffe un nouveau foie, et il est contraint d'abandonner son travail. Skinner, tout à fait conscient de ce qu'il est en train de faire subir à son collègue, ne se laisse pas apitoyer par la déchéance physique de Kibby. Mais il commence à réaliser que le lien surnaturel qui le lie à Kibby est aussi une terrible dépendance, une addiction dangereuse. De son côté, Kibby s'interroge et décide d'aller consulter une vieille femme connue pour ses pouvoirs paranormaux…

Recettes intimes de grands chefs est un ébouriffant remix littéraire, qui tient à la fois du Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde et du Docteur Jekyll et Mister Hyde de R.L. Stevenson. Un conte fantastique d'une modernité radicale, une fable cruelle, atroce et hilarante. C'est aussi une satire sociale virulente. Impossible de résister au charme vénéneux de ce roman très mal élevé, aussi efficace que subtil, et porté par une écriture qui fusille son lecteur à bout portant. On se surprend à rire de cette histoire horrible, et on se demande jusqu'où tout ça va aller. Seul petit bémol : la longueur du roman. L'intrigue aurait sûrement gagné en intensité si elle avait été plus compacte, plus resserrée.

En conclusion, le moins qu'on puisse dire c'est qu'Irvine Welsh est un écrivain qui évolue bien. Il a su s'émanciper de ses premières influences (notamment de celle de William Burroughs, très nette dans Trainspotting), pour se rapprocher peu à peu d'un autre grand agitateur de neurones : Chuck Palahniuk. Le même ton féroce, des thèmes très proches, et la même radicalité dans l'écriture et le traitement narratif. C'est dire à quel point Irvine Welsh est un écrivain essentiel, à quel point il serait dommage de passer à côté de l'un ou l'autre de ces deux romans.

Porno

[Critique commune à Porno et Recettes intimes de grands chefs.]

Et on reparle d'Irvine Welsh. Huit ans après la parution française d'Une ordure, récemment réédité en poche (critique in Bifrost n°49), voici deux inédits de l'enfant terrible de la littérature anglaise : Porno, la suite attendue du très culte Trainspotting, et Recettes intimes de grands chefs, un conte fantastique. Deux romans publiés simultanément, et une belle occasion de (re)découvrir un écrivain turbulent, aux fictions déjantées et particulièrement décapantes.

Commençons par Porno. C’est donc la suite de Trainspotting. Précision importante : on ne peut apprécier pleinement Porno que si, et seulement si, on a gardé en mémoire l’intrigue et les personnages principaux de Trainspotting. Ceci étant dit, si vous n’avez pas lu le roman, mais que vous avez vu le film éponyme de Danny Boyle, vous pouvez vous attaquer à Porno — car l’adaptation cinématographique était très fidèle au livre.

A priori, écrire une suite à un roman aussi marquant que Trainspotting avait tout de la fausse bonne idée. Mais dès les premières pages de Porno, le charme opère. On marche, on galope, et on est tout de suite accro. A tel point qu’après seulement quelques dizaines de pages, on se dit qu’il aurait été bien dommage que Welsh n’écrive pas ce second opus. On y retrouve, bien sûr, toute l’équipe de Trainspotting : Renton, Sick boy,  Spud et Begbie. Nous sommes toujours à Edimbourg. Quelques années sont passées, et les quatre amis se sont perdus de vue. Simon David Williamson, alias Sick Boy, a encore pour projet de conquérir la planète ; mais en attendant ce grand jour, il doit déménager pour s’installer dans un quartier qu’il déteste. Spud, malgré ses efforts pour décrocher, est toujours toxico. Begbie est en prison pour meurtre. Et Mark Renton, profitant du pactole qu’il a volé à ses trois ex-amis, s’est exilé à Amsterdam, où il est devenu cogérant d’une discothèque. Et si je vous dis que des circonstances inattendues vont les réunir à nouveau, vous ne serez pas trop surpris. En fait, l’élément déclencheur, c’est une jeune femme nommée Nikki. Elle est étudiante en audiovisuel, mais travaille également comme masseuse dans un sauna où les clients viennent surtout chercher des massages très intimes. Sick Boy rencontre Nikki. C’est le coup de foudre immédiat et réciproque. Mais Sick Boy n’est pas du genre à se contenter d’une histoire d’amour banale. Et puis à quoi lui sert l’amour, s’il ne le conduit pas à se surpasser ? Alors Sick Boy a une idée fulgurante : il va réaliser et produire un film porno, dans lequel Nikki tiendra le rôle principal. Mais pas un petit porno minable tourné à la va-vite. Non ! Un grand film, un porno qui fera date dans l’histoire du septième art…

On le voit, l’argument de départ est plutôt mince, voire même squelettique. Et pourtant, on ne s’ennuie pas une seconde à la lecture de Porno. Car Welsh est en très grande forme. D’entrée de jeu, il plonge son lecteur en plein cœur d’un maelström d’émotions et de situations délirantes. Sick Boy entame le tournage de son porno, et Begbie sort de prison. Les années de cellule ne l’ont pas changé : c’est toujours un partisan convaincu de l’ultra violence, et il est bien décidé à se venger de Mark Renton. Les évènements s’enchaînent rapidement, sans temps mort, et Welsh fait preuve d’une maestria qui laisse pantois. Porno s’avère beaucoup plus facile à lire que Trainspotting, mais tout aussi explosif. Le procédé narratif est le même : chaque mini chapitre est raconté du point de vue d’un des personnages. Welsh creuse en profondeur les motivations de chacun, et met à nu ce qu’il n’avait fait qu’effleurer dans Trainspotting : rapport au sexe, à l’argent, à l’image de soi… Son constat est simple : un film porno est désormais un produit de consommation comme un autre, et qui fait partie intégrante de la culture populaire. Et Welsh en profite pour s’interroger sur le rapport trouble entre voyeurisme et narcissisme. Mais ce qui fait de Porno un grand roman — et une suite qui tient toutes ses promesses — c’est surtout l’incroyable talent de portraitiste de Welsh. Ses personnages sont si forts, si vivants qu’on a l’impression qu’ils vont littéralement jaillir hors du livre pour nous proposer d’aller boire une bière dans le pub le plus proche. Et puis, ce qui fait aussi de Porno un roman imparable et irrésistible, c’est qu’on rit énormément à la lecture des aventures tragi-comiques de ce quatuor infernal. Alors, aucune raison de se priver d’un tel plaisir. Car comme pourrait le dire Spud : « Genre, si t’achètes ce bouquin, et que tu le lis et tout, ce sera vraiment trop cool pour toi, mec, tu vois ? » 

Changement de registre avec le second roman : Recettes intimes de grands chefs. Welsh s'essaye ici à un tout autre genre littéraire : le conte fantastique. Danny Skinner travaille au département de la Santé et de l'Hygiène d'Edimbourg. C'est un garçon très porté sur l'alcool, la drogue et les femmes. Egocentrique, et doté d'un cynisme à toute épreuve, il semble promis à un brillant avenir. Mais l'arrivée d'un tout nouveau collègue, Brian Kibby, va bouleverser sa vie. Kibby est un jeune homme timide, qui consacre tout son temps libre à la construction de modèles réduits. Tout oppose ces deux hommes, et dès leur première rencontre, Skinner éprouve pour Kibby une haine radicale, viscérale. Une haine si puissante, si fantastique, qu'elle en devient très vite surnaturelle, pour se transformer en un véritable envoûtement : Skinner continue à se livrer à tous les excès, mais c'est désormais le corps de Kibby qui en subit les conséquences. Il est progressivement atteint des pires horreurs : virus inconnus, maladies étranges, troubles psychosomatiques. Il doit bientôt être opéré pour qu'on lui greffe un nouveau foie, et il est contraint d'abandonner son travail. Skinner, tout à fait conscient de ce qu'il est en train de faire subir à son collègue, ne se laisse pas apitoyer par la déchéance physique de Kibby. Mais il commence à réaliser que le lien surnaturel qui le lie à Kibby est aussi une terrible dépendance, une addiction dangereuse. De son côté, Kibby s'interroge et décide d'aller consulter une vieille femme connue pour ses pouvoirs paranormaux…

Recettes intimes de grands chefs est un ébouriffant remix littéraire, qui tient à la fois du Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde et du Docteur Jekyll et Mister Hyde de R.L. Stevenson. Un conte fantastique d'une modernité radicale, une fable cruelle, atroce et hilarante. C'est aussi une satire sociale virulente. Impossible de résister au charme vénéneux de ce roman très mal élevé, aussi efficace que subtil, et porté par une écriture qui fusille son lecteur à bout portant. On se surprend à rire de cette histoire horrible, et on se demande jusqu'où tout ça va aller. Seul petit bémol : la longueur du roman. L'intrigue aurait sûrement gagné en intensité si elle avait été plus compacte, plus resserrée.

En conclusion, le moins qu'on puisse dire c'est qu'Irvine Welsh est un écrivain qui évolue bien. Il a su s'émanciper de ses premières influences (notamment de celle de William Burroughs, très nette dans Trainspotting), pour se rapprocher peu à peu d'un autre grand agitateur de neurones : Chuck Palahniuk. Le même ton féroce, des thèmes très proches, et la même radicalité dans l'écriture et le traitement narratif. C'est dire à quel point Irvine Welsh est un écrivain essentiel, à quel point il serait dommage de passer à côté de l'un ou l'autre de ces deux romans.

Juste être un homme

On a découvert Craig Davidson en France avec Un goût de rouille et d’os, un recueil de nouvelles. Et le choc a été rude. Car certaines de ces nouvelles (et notamment celle qui donnait son titre au recueil) étaient d’une puissance de frappe, d’une force et d’une maîtrise narrative étonnantes. Alors forcément, on espérait beaucoup du premier roman de ce jeune canadien surdoué. Sans doute un peu trop. Juste être un homme est un roman solide, mais pas inoubliable. On attendait nettement mieux de Craig Davidson. Et pourtant, ça démarre plutôt bien : Paul Harris, 26 ans, est issu d’un milieu aisé. Son avenir, tout tracé, est de reprendre l’entreprise viticole de son père. Mais un soir, dans un bar, il est sauvagement agressé. Incapable de se défendre, roué de coups, partiellement défiguré, il prend soudain conscience de sa vulnérabilité, et des limites de l’éducation qu’il a reçue. Pour Paul, c’est une véritable révélation. Il comprend qu’il doit s’endurcir, abandonner ses vêtements confortables de fils de bonne famille, et faire face à la violence du monde qui l’environne. Il se lance alors dans une quête obsessionnelle, un lent apprentissage de la douleur. Pour Rob Tully, c’est tout le contraire. Chez les Tully, la boxe est une tradition familiale, le seul espoir d’échapper à la misère. Rob, 16 ans, est un jeune boxeur très doué. Soutenu et managé par son père et son oncle, deux boxeurs ratés, il n’a pas le choix : il doit devenir un champion, inscrire le nom des Tully au firmament de la boxe, et peu importe ses doutes ou ses interrogations…

L’argument est simple. Et bien sûr, on devine très vite que Paul et Rob sont appelés à se rencontrer, à combattre l’un contre l’autre. Le lecteur apprend aussi, dès les premières pages, où aura lieu cette rencontre : dans La Grange, une ancienne ferme où se déroulent des combats clandestins d’une violence extrême. Du coup, le roman est comme vidé de sa substance, privé de tout enjeu réel, avant même d’avoir su nous captiver. On retrouve dans Juste être un homme des thèmes déjà présents dans Un goût de rouille et d’os : filiation, rédemption, rapport père-fils, culte acharné du corps, apprentissage de la souffrance pour donner un sens à sa vie… D’où une forte impression de déjà lu. Mais ce qui donnait force et intensité à ses nouvelles, se délite dangereusement sur ce format plus long. La conclusion du récit, beaucoup trop prévisible, n’arrange rien à l’affaire. Et on a bien du mal à s’intéresser aux destins croisés de Paul et Rob, puisqu’on a déjà compris où Craig Davidson veut en venir. Quelques longueurs — des scènes entre Paul et son père, d’autres entre Rob et son oncle, alors que le lecteur a compris depuis belle lurette la nature exacte de leurs relations — viennent encore compliquer le problème. Alors, qu’est-ce qui reste ? Il y a bien sûr les qualités d’écriture de Davidson. Et c’est vrai que certains passages sont magnifiques, âpres et tendus. Mais ça ne suffit pas. Le sujet de Juste être un homme aurait pu donner matière à une formidable nouvelle, mais s’avère décidément trop court pour un premier roman. L’influence de Chuck Palahniuk est toujours très présente. L’intrigue de Juste être un homme rappelle d’ailleurs souvent celle de Fight Club : ici aussi, il s’agit de deux hommes qui finalement n’en forment qu’un, et qui vont s’affronter à mains nues dans un lieu clandestin. Mais la comparaison s’arrête là. Bref, on est vraiment déçu, et c’est dommage. Ceci étant dit, on attend quand même la suite avec impatience, en se disant que Juste être un homme est un simple galop d’essai, une bonne séance d’échauffement avant le grand match. Et que ce qu’on veut maintenant de Craig Davidson, c’est qu’il nous offre un combat en douze rounds, un vrai roman. Qu’il chausse les gants, et qu’il frappe fort, comme il sait si bien le faire dans ses nouvelles.

Crocs

Autant vous le dire tout de suite, Crocs est une histoire de loups-garous. Eh oui, une de plus ! Mais c'est justement toute la force de ce roman teigneux, sexy et très accrocheur : faire du neuf avec du vieux. Réinventer avec maestria un thème apparemment usé, en l'attaquant de manière frontale. Avec un parti pris stylistique détonnant : car Crocs est entièrement écrit en vers libres. En fait, c'est un roman slamé. Et non seulement le procédé fonctionne, mais ce choix d'écriture donne à l'intrigue un rythme et une tension très particulière. Alors laissez-vous tenter, car une histoire de loups-garous comme celle-ci, vous n'en avez encore jamais lu.

L'action se passe à Los Angeles. Dès la nuit tombée, la ville appartient à la meute. Un gang d'hommes et de femmes capables de se métamorphoser à volonté en chiens féroces, en prédateurs sanguinaires. Car ils sont les lointains descendants d'une race de Lycanthropes, des loups-garous qui ont dû s'adapter à l'environnement urbain. La meute est une entité très hiérarchisée, dirigée par Lark, un leader charismatique et manipulateur. Lark apprend l'existence d'autres meutes, à San Pedro et à Long Beach. Il décide d'enquêter, mais il est rapidement trahi par un de ses fidèles lieutenants. Une série de meurtres sanglants et inexplicables attirent l'attention d'un policier nommé Peabody. Une jeune femme appartenant à la meute tombe amoureuse d'Anthony Silvo, un attrapeur de chiens qui travaille pour la mairie. Et tandis qu'une guerre larvée débute entre les différents gangs, Lark doit s'exiler pour fonder une nouvelle meute et préparer sa contre-attaque…

Tous les ingrédients sont réunis pour une tragédie sanglante, quelque part entre Shakespeare et Quentin Tarantino. Et c'est très exactement ce que Toby Barlow nous offre. Crocs est tout à la fois un thriller horrifique, un polar nerveux, une fable gothique, un hommage vibrant au cinéma d'épouvante et la littérature fantastique (on n'est parfois pas très loin de certains auteurs comme Steve Rasnic Tem, ou même Clive Barker). C'est aussi un long poème narratif, qui passe sans prévenir d'un ton à un autre, qui emprunte au langage parlé, à l'argot, pour tout à coup se permettre des moments de pur lyrisme, d'érotisme torride (parfois teinté de zoophilie), ou d'ultra violence assumée. Eh oui, Toby Barlow est parvenu à fusionner tout ça dans un seul et unique roman ! Et le résultat est réellement excitant. Crocs est un roman qui possède un charme ravageur, presque carnassier. On est d'entrée de jeu happé par cette histoire aux rebondissements multiples et aux personnages intrigants. Et la forme choisie — cette écriture en vers libre — ajoute encore au plaisir qu'on prend à la lecture. Difficile de lâcher ce roman hors norme, ambitieux et jouissif, survolté et maîtrisé d'un bout à l'autre. Toby Barlow innove, invente une nouvelle forme romanesque, tout en étant capable de maintenir son lecteur en permanence sous pression. C'est très fort. Alors si vous croisez ce roman dans une librairie, jetez-vous dessus et dévorez-le à belles dents. Il est fait pour ça. Et il ne vous laissera pas sur votre faim.

Xavier Bruce (animal à poils durs)

L'avis de Télérama sur Zendegi

« Greg Egan poursuit son interrogation sur le devenir de l'homme. Qu'est-ce qui le différencie de la machine ? Le monde virtuel pourra-t-il dans l'avenir se confondre avec la réalité ? Un roman humaniste et passionnant, excellente introduction à une oeuvre importante de la science-fiction d'aujourd'hui. »

Télérama

Critiques Bifrost 43

Retrouvez sur l'onglet Critiques toutes les chroniques de livres du Bifrost n°43 !

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