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Dictionnaire Tolkien

Sans contestation possible, Vincent Ferré est le spécialiste français de Tolkien. Agrégé de lettres modernes, ancien lecteur au Trinity College de Cambridge, aujourd’hui professeur de littérature générale et comparée à l’université Paris-Est Créteil, c’est à lui qu’on doit les dernières éditions de Tolkien en France chez Christian Bourgois, éditeur auprès duquel il supervise tout travaux concernant de près ou de loin notre bon papy John Ronald Reuel (tout en dirigeant la collection « Médiévalisme(s) » aux éditions du CNRS, dans laquelle on retrouve le Tolkien et ses légendes de notre collaboratrice Isabelle Pantin évoqué plus haut). Bref, Vincent Ferré et Tolkien, vielle histoire s’il en est, c’est du lourd, du costaud, du très sérieux. Ainsi, quand notre spécialiste s’entoure de soixante-trois collaborateurs (tout de même !) pour nous proposer un dictionnaire encyclopédique de plus d’un kilo (1,2 kg, pour être précis ; j’ai vérifié !) comportant trois cent quarante notices sur pas loin de sept cents pages, le tout représentant plus de deux millions et demi de signes, autant dire qu’on s’attend à avoir du solide. Et force est de constater qu’on n’est pas déçu, loin s’en faut. Tout y passe, en fait, de l’œuvre elle-même (contexte, origine, constitution et constituants), y compris ses rameaux les moins connus et/ou inédits en français, ses sources (Beowulf, qualifié « d’une des plus importantes inspirations de Tolkien », Wagner, ou plutôt l’antiwagnérisme, l’Edda…), continuateurs et enrichisseurs (Alan Lee, John Howe, Peter Jackson et compagnie), sans oublier, de fait, les supports dérivés (cinéma, jeux de rôle, etc.), mais aussi l’auteur lui-même, sa vie, ses proches, femme, enfants et petits-enfants, et bien sûr quantité de mots clés (« sacrifice », « guerre », « religion »…). De là à faire du présent Dictionnaire un incontournable pour tout amateur tolkienien digne de ce nom, il n’y a qu’un pas qu’on s’empressera de franchir sans sourciller. Naturellement, l’esprit chagrin, le Sauron en chacun de nous, en somme, ne manquera pas de relever quelques coquilles agaçantes, surtout au regard de la haute tenue globale du propos (et de ceux qui les tiennent, tous ou presque universitaires, qui jamais (ou quasi) ne versent dans l’abscons), ou encore un manque d’uniformité dans le ton (soixante-trois collaborateurs, rappelons-le) qui rappelle qu’un polissage supplémentaire de l’ensemble n’aurait peut-être pas été de trop. Enfin, bien sûr, l’actualité autour de Tolkien étant ce qu’elle est, certaines entrées mériteraient déjà quelques mises à jour (la traduction de Beowulf par Tolkien est désormais disponible, par exemple). Mais quoi ? Ce Dictionnaire Tolkien, au sein d’un corpus critique pourtant fort chargé, s’impose d’emblée comme imparable, une somme passionnante qui à elle seule, par la richesse de l’œuvre qu’elle expose et décrypte, achèvera de convaincre quiconque de l’importance majeure de son sujet dans le champ littéraire mondial — et au diable la quarantaine d’euros qu’il vous en coûtera, ce livre les vaut, et de beaucoup.

Tolkien, 30 ans après (1973-2003)

Ce recueil d’articles universitaires paru en 2004 présente une sorte d’état de l’art de la recherche sur l’œuvre de Tolkien, trente ans après sa mort. Comme le veut le genre du recueil universitaire, les sujets abordés sont variés, et si des thématiques les relient parfois (la question du mal, l’étude de l’influence de mythes nordiques, le rapport de la littérature au film qui venait alors de sortir), on ne trouvera pas là un livre proposant un propos critique uni et construit. On y évoque des sujets aussi variés que le motif mythique du cycle de l’anneau (Charles Delattre), l’influence sur Arda de structures propres à l’idéologie indo-européenne (Laurent Alibert), les problématiques de traduction des langues inventées de Tolkien (Thomas Honegger), la question foisonnante du statut des textes du corpus tolkienien : les versions éditées sont-elles définitives ? Comment aborder les quatre versions existantes de l’Ainulindalë ? (Michaël Devaux), etc.

Tout n’intéressera pas de manière égale le lecteur, les sujets traités étant plus ou moins faciles d’accès et plus ou moins experts. Suit une sélection « personnelle ».

Les personnes curieuses de l’histoire de l’édition française seront avisées de lire l’interview de Christian Bourgois, qui a publié « Le Seigneur des Anneaux » sans l’avoir lu (mais l’a profondément aimé ensuite), sur le conseil insistant et avisé de Jacques Bergier (que serait l’Imaginaire en France sans Bergier ?), en a payé les droits une bouchée de pain, et a eu un mal fou à faire traduire une œuvre qui a usé tous les traducteurs qu’il avait embauchés. Un touchant portrait d’éditeur, de sa façon de travailler, de ses goûts littéraires. Bourgois aimait voir dans l’œuvre de Tolkien le Moyen Age des préraphaélites, et avoue préférer les personnages au monde.

Vincent Ferré présente une histoire passionnante de la réception de Tolkien en France, entre choix de traductions chaotiques, journalistes paraissant redécouvrir l’auteur à chaque sortie d’ouvrage, adoubement par quelques grandes figures littéraires (Bergier, Gracq — rien que ça — et plus de près de nous Pierre Jourde), avant l’entrée définitive dans la reconnaissance publique (au-delà des nombreux fans) avec l’arrivée du film.

Jean-Philippe Qadri offre une analyse pointue du chapitre V de Bilbo le Hobbit, le fameux concours d’énigmes, en exposant les sources, la logique littéraire et révélant comment ce chapitre a été réécrit par Tolkien entre l’édition de 1937 et celle de 1951 du roman, la publication de la version révisée — celle qui forme la source du récit du « Seigneur des Anneaux » — ayant été décidée de manière unilatérale par l’éditeur, alors que Tolkien hésitait encore !

Paul Airiau, à travers une étude des images employées dans le récit que fait Gandalf de son combat contre le Balrog, commente l’utilisation d’images bibliques (issues de la Genèse, du Livre des Rois, de l’Apocalypse de saint Jean ou de la Première épitre aux Corinthiens), et d’une littérature spirituelle chrétienne (maître Eckart, saint Jean de la croix) autour de la figure de l’escalier sans fin de Durin, qu’il rapproche de l’échelle de Jacob. Mais si Gandalf prend ainsi des traits christiques, il n’est pas le Christ. Tolkien, catholique convaincu, place son œuvre dans un temps préchrétien qui ne peut donc mentionner des éléments de la révélation. Et si Tolkien parle de Dieu, il le fait par le silence, l’absence, la voix passive. Naked, I was sent back.

Guido Semperini s’attaque à une critique classique de l’homme et de l’œuvre : son supposé racisme. Après avoir rappelé les positions humanistes très claires de Tolkien (sa condamnation sans appel de Hitler, puis plus tard du régime de l’apartheid, et surtout sa profonde amertume d’avoir vu la culture nordique « ruinée et pervertie » par les nazis), il établit un distinguo dans les récits tolkieniens entre les dimensions historique et mythologique, les orques appartenant clairement à ce dernier pan. Ils sont le reflet corrompu et souillé des hommes, leur part mauvaise, comme Gollum est en quelque sorte la part mauvaise de Frodon, ressort d’une lutte intérieure devenue personnage par la grâce de la fantasy.

Dans « Frodo et Aragorn, le concept du héros », Verlyn Flieger montre comment le récit du « Seigneur des Anneaux » se déploie entre deux figures : le héros épique (Aragorn) et le « petit homme » des contes (Frodo). Sans toutefois se couler dans les figures imposées de ce type de personnages : la fin des contes de fées (le royaume et le mariage) sont l’apanage d’Aragorn, tandis que la souffrance du héros tragique tombe sur les épaules de Frodo. Au début de son projet, Tolkien avait voulu faire de « Grand Pas » un hobbit, puis un elfe. Ce n’est qu’une fois fixé sur un personnage d’homme, sorte de prince médiéval caché, qu’il a compris que son récit quittait la simple « suite » de Bilbo le Hobbit, pour s’engager dans un projet plus ample.

Anne Besson, enfin, étudie la descendance littéraire de Tolkien, notamment dans le corpus de la fantasy commerciale (chez Hobb, Eddings, Feist, Brooks, Bradley ou dans les romans Donjons & Dragons…). Si de manière évidente certains motifs du monde sont souvent repris (elfes, nains, ents, cavaliers noirs…) de même que des concepts narratifs (la compagnie de personnages), on observe aussi l’envie de composer, à l’instar de Tolkien, une œuvre-monde faisant référence à un corpus historique et légendaire, même si l’intertextualité n’est souvent que fictive (alors que les contes et légendes référencés dans le « Seigneur des Anneaux » existent bel et bien). De même, les cartes imaginaires, inspirées par l’illustre modèle, deviennent des définitions du monde, là où celle du Nord-Ouest de la Terre du Milieu « suggère un au-delà de la fiction ». Les mondes sont systématisés (sept domaines, onze royaumes oubliés…), comme des espaces imaginaires clos. Anne Besson effectue un détour intéressant mais trop bref par le jeu de rôle, et constate une stérilisation du déploiement imaginaire lors du passage du jeu au roman. L’auteur de cette chronique a de bonnes raisons de ne pas être d’accord sur ce point, mais c’est une autre histoire…

Méditations sur la Terre du milieu

Prenez ce que Karen Haber considère comme « les maîtres de la fantasy ». Demandez-leur ce qu’ils pensent de Tolkien et ce que représente son œuvre à leurs yeux : vous voilà avec les Méditations sur la Terre du Milieu. Le principal écueil de ce type de livre-hommage, c’est la dimension répétitive. Pour prestigieux que soient les auteurs ici réunis (on citera pêle-mêle Martin, Pratchett, Anderson, Le Guin, Swanwick, Card ou encore Hobb, auxquels s’ajoutent pour la présente édition une poignée de romanciers français), tous ne se sortent pas avec le même brio de l’exercice imposé et du schéma « j’ai lu Tolkien adolescent, puis relu, et relu encore, et ma vie s’en est trouvée bouleversée »… De fait, et sans surprise, on en apprend ici davantage sur les auteurs sollicités que sur l’objet de leur sollicitation : questionnez n’importe quel écrivain sur l’œuvre d’un collègue, et dans la plupart des cas il vous parlera d’abord de lui. Ce qui ne signifie pas que ce soit toujours sans intérêt, bien entendu. A ce titre, on sortira du lot l’essai d’Ursula Le Guin, qui aborde la rythmique très particulière du style littéraire de Tolkien, George R.R. Martin, qui se fend d’une courte préface limpide synthétisant l’apport tolkienien — « On m’a déjà entendu dire que dans la fantasy contemporaine, le décor devient un personnage en soi. C’est à Tolkien qu’on le doit. » —, ou Harry Turtledove, qui, en bon historien, souligne combien la littérature de fantasy dans son acception moderne est une littérature sinon réactionnaire, en tout cas conservatrice, et combien c’est sans doute à cela qu’elle doit une bonne part de son succès — « [La fantasy] est une ancre dans une mer déchaînée. Parfois, ça peut aussi être une béquille. » Orson Scott Card livre aussi une analyse (un poil péremptoire) des travaux littéraires de Tolkien, revenant sur l’aversion de l’allégorie chez ce dernier et louant la « littérature d’évasion » pour ce qu’elle est (un outil de communion) de manière somme toute convaincante, de même que Terri Windling, qui, égale à elle-même, explore les contes, leurs ressorts, leur cruciale importance, avec un brio aussi personnel que magistral. Au rang des textes plus personnels, justement, on citera enfin la très belle et touchante contribution de Michael Swanwick, qui fait écho au récit de l’auteur figurant au sommaire du présent Bifrost. Cet ouvrage a pour nous, lecteurs francophones, une conséquence inattendue : il nous rappelle combien la fantasy est un monde anglophone, et combien, pour ce monde anglophone, le reste du monde, justement, n’existe pas (excepté pour Windling). Aussi ne peut on que saluer l’initiative de l’éditeur français du présent ouvrage, Stéphane Marsan, des éditions Bragelonne, qui a prolongé l’exercice d’hommage auprès de certains auteurs bien de chez nous (Lœvenbruck, Gaborit, Colin, Genefort et Ange). Las, l’enfer est pavé de bonnes intentions : aucune contribution inoubliable à signaler de ce côté. Pire, lorsqu’on constate que plus aucun de ces auteurs ou presque n’écrit aujourd’hui de fantasy (quand il écrit seulement encore…), voilà qui en dit long sur l’état du genre en France et nous renvoie au caractère décidément anglophone du domaine. Bref…

Nous voilà au final avec un recueil d’articles très disparate, fort joliment illustré par maître John Howe mais souffrant d’un format carré peu pratique. A vous de voir si deux textes formidables (Swanwick et Windling) et une poignée d’autres intéressants (Card, Turtledove, Le Guin) suffisent à vous faire craquer 25 euros. En ce qui me concerne, j’aurais plutôt tendance à passer mon tour…

Sur les terres de Tolkien

Pour une personne ayant découvert « Le Seigneur des Anneaux » avec l’adaptation cinématographique qu’en a fait Peter Jackson, il est difficile d’imaginer la Terre du Milieu autrement que de la manière dont elle lui est apparue pour la première fois à l’écran. Et peut-être encore plus de réaliser qu’il fût une époque où les lecteurs de la trilogie de Tolkien n’avait pas forcément en tête la même chose quand on évoquait l’Argonath, le Balrog ou encore Minas Tirith. C’est dire l’influence que les images nées de l’esprit de John Howe, et réutilisées par Jackson, ont pu avoir. De fait, quand on replonge dans l’histoire originale aujourd’hui, il s’avère pour ainsi dire impossible de s’affranchir des visions des cavaliers noirs, de la Porte de la Moria ou même, en allant chercher dans les petits détails, de lembas (cette nourriture elfique dont une bouchée vous cale pour une journée) qui nous ont été offertes par l’artiste canadien. Certainement parce que personne n’a su aussi bien que lui donner vie aux mots de J.R.R. Tolkien (2).

John Howe, sur les terres de Tolkien nous propose de replonger en Terre du Milieu à l’aide des croquis et des dessins, des peintures et des merveilles de l’illustrateur ayant séjourné un certain temps en Champagne-Ardenne, région qui a publié le superbe ouvrage qui nous occupe à l’occasion d’une exposition des œuvres de l’artiste. Pour une fois, les éditeurs ont compris que face à de telles images, les textes pesaient parfois trop lourd. C’est certainement pourquoi ils n’ont mis que quelques pages d’explications (le plus souvent admiratives) avant de conclure l’ensemble par une courte (auto)biographie (très intéressante, soit dit en passant). La part belle est ainsi laissée au plaisir de regarder et non de lire.

Ainsi, cet album nous permet de retrouver des personnages et lieux devenus maintenant célèbres, mais également de constater les changements effectués par Jackson quant aux visions de Howe — et, pourquoi pas, éventuellement comparer la nôtre à celle de l’artiste, pour peu qu’on soit parvenu à ne pas se laisser « contaminer » par ses productions à la lecture des livres de Tolkien (Howe illustrant par ailleurs la plupart des couvertures des ouvrages de l’auteur de Bilbo, privilège qu’il partage avec l’artiste anglais Alan Lee). Si certains rendus déçoivent un peu quand on constate les traits flous prêtés aux figures humanoïdes, l’ensemble ravi néanmoins l’esprit et l’imagination par la richesse des détails offerts et l’élégance du trait servant si bien l’univers tolkienien. Il est amusant de constater que, parfois, les simples croquis préparatoires sont encore plus fascinants que les peintures qu’ils ont aidé à faire naître.

C’est pourquoi, que l’on soit un expert de la Terre du Milieu ou un simple néophyte attiré par l’art à tendance heroic fantasy, John Howe, sur les terres de Tolkien constitue une excellente lecture, ou plutôt une merveilleuse découverte d’un ailleurs non pas « enchanteur », mais totalement envoûtant. Voici en tout cas un beau complément à l’œuvre de Tolkien.

L'Étoile du matin

Oxford, en 1919. Dans la cité universitaire évoluent quatre personnages, tous blessés d’une façon ou une autre par la guerre qui vient de s’achever, tous à un tournant de leur vie. T. E. « Ned » Lawrence, venu défendre la cause de ses amis arabes aux négociations du traité de Versailles et forcé par son éditeur à se remettre à son manuscrit. C. S. « Jack » Lewis, menant une étrange vie entre l’université et la famille de son meilleur ami disparu ; le poète Robert Graves et John Ronald Reuel Tolkien, ce dernier hanté par les spectres des amis disparus dans les tranchées de la somme.

Dans cet étrange roman de l’auteur italien Wu Ming 4 (pseudonyme de Federico Guglielmi), on entre dans la vie de trois créateurs de mythes et dans celle d’un homme qui en devint un lui-même. Un projet difficile : mettre en scène des personnages réels et raconter la naissance, suite au traumatisme de la Grande Guerre, de certains des mythes de notre époque.

De fait, ce roman très ambitieux est globalement raté : le rapprochement des quatre voix ne crée aucune dynamique romanesque, on a l’impression d’une série d’extraits juxtaposés qui feraient entendre un discours un peu trop subtil pour l’oreille du lecteur, sans jamais trop savoir où nous porte le récit.

Si l’œuvre est imparfaite, elle comporte toutefois de beaux morceaux : l’évocation du monde universitaire anglais des années 1920 avec ses règles rigides et ses révoltes à venir. Les doutes, la personnalité ambiguë et la mise en scène par lui-même (et par un journaliste américain) de la légende de celui qu’on appelle déjà Lawrence d’Arabie. La vie de famille singulière de ce futur grand moraliste de Jack Lewis, qui entre dans le foyer et dans le lit de la mère de son ami disparu, ou bien les choix entre poésie, vie de famille, université et épicerie du futur mythographe, Robert Graves.

Pour se concentrer sur Tolkien, le jeune homme mis en scène par le roman (il a 28 ans) est un beau personnage, hanté par l’indicible douleur de la guerre et de la perte, comprenant que c’est dans le travail de ses poèmes écrits à l’hôpital après sa blessure (« La Chute de Gondolin ») que se trouvera le salut de son esprit. Wu Ming 4 propose là une belle figure de créateur en devenir, qui se croit obligé de choisir entre son travail universitaire « sérieux » pour subvenir à la vie de sa famille, et une œuvre dont il pense qu’il n’y a rien à espérer, un jeune homme amoureux et aimé de son épouse Edith, savourant le plaisir des promenades dans le paysage campagnard de l’Oxforshire, et triste à mourir de devoir partir enseigner dans la grise ville de Leeds.

L’auteur semble s’être abondamment documenté sur ses personnages et leur cadre de vie. Pourquoi ne pas nous avoir livré quatre essais biographiques ? Qu’apporte ici la fiction ? Je n’ai pas su le distinguer, et c’est là mon plus grand regret concernant ce livre plutôt bien écrit, attachant, mais qui m’a laissé au bord du chemin.

Le Commando des immortels

Il n’est pas usurpé de dire que J.R.R. Tolkien a créé l’un des univers de fiction les plus connus au monde. Mais Tolkien lui-même aurait-il fait un bon personnage de fiction ? C’est en tout cas ce que pense Christophe Lambert, qui met en scène le professeur d’Oxford dans une intéressante tentative de marier la fantasy, l’uchronie et le roman de guerre.

Peu de temps après Pearl Harbor, les Américains sont toujours englués dans le conflit en plein Pacifique. La Birmanie, point clé de la guerre dans la région, est sur le point d’être conquise par les Japonais, nettement plus à leur aise dans la jungle que les soldats étasuniens. L’état-major américain a alors une idée innovante : pourquoi ne pas demander aux elfes de les aider ? Car dans ce monde, et c’est là qu’arrivent tout à la fois la fantasy et l’aspect uchronique, les elfes existent et, qui plus est, vivent dans une sorte de réserve, Sylvaniel, comme de si nombreux Amérindiens sur le continent nord-américain. Après négociations, les elfes acceptent, mais à une seule condition : que Tolkien, alors en pleine rédaction du « Seigneur des Anneaux », fasse partie de l’expédition…

Ceci n’est que le point de départ du roman, dont la majeure partie se déroule en Asie, à mesure que l’écrivain anglais, d’habitude si casanier, se retrouve plongé en plein conflit, avec un crescendo de tracasseries (conditions précaires, stress permanent…) qui culminent dans des affrontements sanglants avec l’ennemi. Tout ça y est dépeint de manière très réaliste, notamment par le truchement de protagonistes bien campés, des militaires américains ou anglais rodés aux elfes que rien ne semble perturber, en passant par une très bonne trouvaille, un métis humain-elfe qui peine à se situer dans cet univers. Lambert a fait des études de cinéma, et cela se sent dans sa façon de tenir la caméra, de convoquer les grands codes du film de guerre, dans son montage intelligent, dosage équilibré d’action et de scènes plus intimistes, comme celle du village, havre de calme au milieu du déluge de balles. Le livre se pose ainsi en un enchaînement de péripéties, jusqu’à ce qu’un autre niveau de lecture commence à se superposer : l’auteur y développe sa théorie selon laquelle les mythes sont tous issus du même creuset, et qu’on trouvera fatalement des similarités entre deux croyances de peuples très dissemblables. De roman de guerre, le livre évolue alors vers un registre plus aventurier, souvent trépidant, au sein duquel les clins d’œil au « Seigneur des Anneaux » se multiplient, du passage sous la montagne à la fameuse scène du Balrog sur le pont, constituant par là même une mise en abyme de la thématique de l’origine commune de tous les mythes, davantage ludique que démonstrative.

Œuvre au final nettement plus fine que son postulat initial (« Tolkien rencontre les elfes ») ne le laissait envisager, livre à plusieurs niveaux de lecture, Le Commando des immortels se révèle un excellent roman, de ceux qui confirment que Lambert est l’un des plus intéressants auteurs français actuels.

 

[La critique d'Olivier Girard in Bifrost 52.]

Lettres

La correspondance occupait une place importante dans l’activité de J.R.R. Tolkien, qui écrivit de nombreuses lettres, parfois fort longues, permettant — même s’il n’appréciait guère cette approche — d’éclairer sous un nouveau jour la genèse et le sens de son œuvre fictionnelle. Cette édition des Lettres de Tolkien en est une démonstration pour le moins frappante ; son existence en édition de poche a d’ailleurs de quoi surprendre, mais témoigne assurément de la popularité de l’auteur, comme du désir finalement très commun d’en apprendre davantage sur la Terre du Milieu.

Pourtant, la sélection ici opérée par le biographe de Tolkien, Humphrey Carpenter, avec l’assistance de son fils Christopher, éditeur de ses œuvres posthumes, est tout d’abord extrêmement frustrante : on ne trouve en effet quasiment rien avant 1937… Manquent dès lors bon nombre de lettres qui auraient pu être passionnantes, tant en ce qui concerne la vie de Tolkien (notamment son mariage, ou encore son expérience de la Première Guerre mondiale, sans parler bien sûr de ses études et du début de sa carrière de professeur ; on ne trouve par ailleurs que deux lettres adressées à son grand ami C.S. Lewis) que son œuvre (ainsi, quasiment rien sur les états les plus anciens du Silmarillion, sous la forme des Contes perdus, etc.) : le livre débute véritablement, non sur la composition de Bilbo le Hobbit, qui reste assez mystérieuse, mais sur le processus qui a conduit à sa publication… et l’on ne peut s’empêcher de ressentir ici comme un manque. Aussi, disons-le : c’est surtout la composition et la publication du « Seigneur des Anneaux » qui font l’objet des nombreux courriers ici compilés. Il y a là un parti pris que l’on peut juger dommageable… mais il est certain que le lecteur de Tolkien y découvrira néanmoins bien des choses intéressantes. Et l’on voit, derrière ces lettres, la volonté farouche de l’auteur de parvenir un jour à publier son « grand œuvre », le « Légendaire » dont « Le Seigneur des Anneaux » constitue la suite et la fin (bien plus que Bilbo le Hobbit), au moins sous la forme abrégée du Silmarillion… ce qui, hélas, n’arrivera pas de son vivant.

Cela dit, l’étude du processus de maturation du « Seigneur des Anneaux » qu’autorisent ces Lettres est tout à fait passionnante. On retiendra notamment les lettres adressées durant la Deuxième Guerre mondiale à son fils Christopher, en Afrique du Sud, qui témoignent des difficultés rencontrées par l’auteur devant cette œuvre qui a pris des proportions monstrueuses. Ses rapports avec son éditeur — et avec son fils Rayner Unwin — sont de même très intéressants. Puis, le roman en-fin publié rencontrant un succès inattendu, on aura droit à de longues lettres à des fans (dans un premier temps tout du moins, Tolkien finira par se lasser des importuns…) détaillant tel ou tel point de son œuvre et de son univers.

Cette « littérature intime » est aussi, bien sûr, l’occasion de se faire une idée de la personnalité de l’auteur. Une personnalité complexe, comme de juste. La profonde humilité de Tolkien frappe dans ses lettres les plus anciennes ; elle tranche avec l’orgueil teinté de lassitude qui caractérise bien davantage les lettres les plus tardives, lesquelles dessinent le portrait d’un auteur sans doute guère commode, prompt à s’agacer de la médiocrité, très exigeant, et volontiers porté sur le « pédantisme », ainsi qu’il le reconnaît lui-même…

On trouve par ailleurs de nombreuses lettres permettant d’aborder la pensée de l’auteur, notamment en matière de théologie (Tolkien était fervent catholique, et a écrit de longues lettres sur la question), moins pour ce qui est de la politique (on notera cependant, de la part de cet homme par ailleurs très conservateur, de beaux éclats, comme les superbes lettres concernant la volonté de traduire Bilbo le Hobbit en allemand en 1938, quand l’éditeur eut le malheur de demander à Tolkien s’il était « aryen »… Sa réponse « de philologue » ne laisse certainement pas indifférent !).

Tolkien était rétif à la biographie et à la « déconstruction » des œuvres. Il n’appréciait guère que l’on se livre ainsi à l’étude de sa personne, notamment, pour dénicher les « sources » du « Seigneur des Anneaux », ou déterminer son éventuel contenu allégorique. L’idée d’une édition de ses Lettres l’aurait sans doute laissé sceptique, au mieux… Pourtant, c’est là une mine d’informations pour l’amateur. Si cette édition, pour les raisons mentionnées plus haut, a quelque chose de terriblement frustrant, ce gros volume de correspondance est donc une lecture de choix pour qui s’intéresse à la personnalité du « subcréateur » de la Terre du Milieu, ainsi qu’à la genèse et au « sens » de son œuvre sans pareille.

Les Monstres et les Critiques

Avant d’être l’auteur de Bilbo le Hobbit et du « Seigneur des Anneaux », ainsi que du « Légendaire » qui leur sert de toile de fond et ne devait être publié qu’à titre posthume, J.R.R. Tolkien était un professeur de philologie à Oxford. Ce recueil d’essais destinés dans l’ensemble à un large public (les plus pointus restent dans les publications universitaires) offre une occasion sans pareille de faire le lien entre ces deux activités de l’auteur, et éclaire sous un nouveau jour la production de fictions tolkiéniennes. On ne peut en effet s’empêcher de lire ici Tolkien à la lumière de ce que l’on en sait par ailleurs ; et, si le public de ces conférences n’en était sans doute pas conscient alors, il est clair pour qui a lu ses fictions que Tolkien, tout en menant à bien ses activités universitaires, trouve ici la matière d’un plaidoyer en faveur de son approche de la littérature d’Imaginaire.

Le volume s’ouvre sur la très importante conférence de 1936 qui lui donne son titre, et qui devait constituer un tournant dans l’exégèse de Beowulf, le fameux poème anglo-saxon. Tolkien y rejette la tentation de ne se servir de cette œuvre qu’à titre de source historique, ou de n’y voir qu’une allégorie. Il montre le « sérieux » des Monstres, et insiste sur la valeur du poème en lui-même, non seulement sur le plan de la forme, mais aussi du fond. Une lecture critique d’un genre nouveau, donc, et qui éclaire tout particulièrement les intentions de Tolkien dans sa propre production de fictions. Suit « Traduire Beowulf », qui s’intéresse aux difficultés inhérentes au rendu du poème allitératif dans un anglais moderne (on notera que la propre traduction dudit Beowulf par Tolkien vient de paraître en anglais).

Dans « Sire Gauvain et le Chevalier vert », conférence à propos d’un fameux récit arthurien, on retrouve des préoccupations assez similaires. Tolkien s’intéresse ici surtout à la question morale au cœur du texte, celle du péché et de la confession, vue au travers d’une sorte de « hiérarchie des normes » ; ce qui n’a sans doute rien d’étonnant de la part d’un fervent catholique, mais nous rappelle à bon droit que cette dimension religieuse est essentielle dans « Le Seigneur des Anneaux ».

Suit une nouvelle traduction de « Du conte de fées » (texte que l’on trouve également dans Faërie). La dimension de plaidoyer n’a sans doute jamais été aussi forte que dans cette très importante conférence, qui s’intéresse notamment aux notions chères à l’auteur de « sub-création » et d’« eucatastrophe », là encore fondamentales pour la lecture de l’œuvre fictionnelle tolkiénienne (a fortiori dans une perspective chrétienne), de même que son affirmation longuement argumentée que le « conte de fées » n’est pas en tant que tel destiné aux enfants.

On passe ensuite à des essais consacrés à la question des langues, réelles ou imaginaires (or l’on sait aujourd’hui que la création de langues imaginaires fut pour Tolkien un préalable à la constitution de son « Légendaire »). « L’Anglais et le gallois » s’intéresse au premier versant, et au goût pour la forme ; on s’attardera cependant davantage sur « Un vice secret », conférence en forme de confession, sur la création, à la fois ludique et sérieuse, de langues imaginaires, dont Tolkien donne des exemples à la fin (avec notamment un poème sur Eärendel).

Le volume se clôt, enfin, sur le « Discours d’adieu à l’université d’Oxford », qui s’intéresse notamment à la dénomination « langue et littérature anglaises ».

Fort bien construit — les essais s’enchaînent d’une manière qui fait sens —, Les Monstres et les critiques et autres essais est un ouvrage remarquable à tout point de vue. Il permet d’apprécier les différentes facettes de l’activité tolkienienne, et au final les rassemble en une même entreprise, à la fois érudite et ludique, de subcréation de langues et d’univers dans une perspective morale. Le « sérieux » de la fantasy y est affirmé avec talent, de même que son caractère « adulte ». Outil indispensable à l’analyse de l’œuvre du maître, Les Monstres et les critiques… est donc une lecture de choix pour qui s’intéresse aux soubassements théoriques des romans de hobbits et du « Légendaire ».

Faërie et autres textes

Cette nouvelle édition de Faërie, plus hétéroclite que l’originale, comprend deux textes évoqués par ailleurs dans ce guide de lecture : nous ne reviendrons donc pas ici sur l’essai « Du conte de fées » qui justifie son titre, repris dans une nouvelle traduction dans Les Monstres et les critiques, et pas davantage sur Les Aventures de Tom Bombadil. Restent deux poèmes et trois contes.

« Le Retour de Beorhtnoth » est un poème dramatique en vers allitératifs, adapté en son temps pour une version radiophonique, et qui constitue en quelque sorte une « suite » au poème vieil-anglais « La Bataille de Mal-don ». Ce dialogue entre deux serviteurs d’un roi qui a péri avec son armée en raison de son orgueil mal placé (ce qui justifie une longue « postface » de Tolkien, le texte ayant d’abord été publié comme un essai) traite ainsi de manière critique des notions de chevalerie et de courage, d’honneur et de guerre, et entre en résonance avec d’autres œuvres tolkieniennes (on pense notamment à ses essais sur Beowulf et Sire Gauvain et le Chevalier vert, mais il est sans doute également possible d’établir des liens avec, par exemple, le personnage de Boromir dans « Le Seigneur des Anneaux »).

« Mythopoeia », très différent, se présente comme l’adresse de « celui qui aime les mythes » (Tolkien) à « celui qui ne les aime pas » (C.S. Lewis), car « ils ne sont que des mensonges […] quoique soufflés dans du Vermeil ». Ce poème passablement complexe éclaire (dans une certaine mesure…) les relations entre les deux amis et auteurs.

Les trois contes en prose de ce recueil, qui illustrent les conceptions exposées dans « Du conte de fées », sont de même très divers. Le plus intéressant est probablement « Feuille, de Niggle », jolie allégorie (de la part d’un auteur qui ne prisait pourtant guère le genre) fortement teintée de connotations chrétiennes et de références autobiographiques, traitant de l’art, de la sub-création et de la mort, par le biais du peintre « Fignoleur », qui s’acharne à représenter des feuilles dans le plus grand détail, mais peine pour rendre un arbre dans son ensemble…

« Le Fermier Gilles de Ham », conte fondateur du « Petit Royaume » (en Angleterre), est autrement plus léger. Ce texte plein d’humour — à vrai dire limite parodique — évoque un simple paysan qui, ayant chassé un géant par un coup de chance, se voit auréolé d’une réputation de héros le conduisant à lutter contre un dragon… Mais le bonhomme a de la ressource. Un aperçu, sans doute, de ce que Tolkien aurait pu faire en dehors du « Légendaire ».

Reste enfin « Smith de Grand Wootton », sans doute le récit le plus classique des trois, puisqu’il s’agit d’une variation sur le thème de l’homme marqué par la Faërie, qui passe sa vie à errer du monde des mortels à celui des fées.

De toute évidence, nous ne sommes pas là en présence du meilleur Tolkien, tant la distance est grande entre ces œuvres courtes et « simples », et la démesure du « Légendaire » et des romans de hobbits qui font la singularité de l’auteur. C’est néanmoins une lecture fort agréable, qui permet d’entrevoir d’autres facettes de la production tolkiénienne, tant en vers qu’en prose.

La Légende de Sigurd et Gudrun

Disons le tout de suite, La Légende de Sigurd et Gudrún n’a que peu de rapport avec la Terre du Milieu, du moins peu de rapport direct, car à bien y regarder, ces deux lais tirés des Eddas, à l’instar du Kalevala et de Beowulf, apparaissent comme la matrice du Silmarillion. Rédigés comme un hommage aux Eddas, les deux poèmes comportent plus de cinq cents strophes de huit pieds (strophe fornyrdislag), respectant la métrique des vers allitératifs de l’Edda poétique. Ils reprennent en particulier des éléments de la légende nordique la plus célèbre, la Völsunga Saga, plus connue dans nos contrées sous sa version wagnerisée de L’Anneau des Nibelungen. Pourtant, il n’y a que peu de rapport entre ce texte archaïque mêlant des éléments historiques, légendaires et mythiques, et l’interprétation nationaliste et grandiloquente du compositeur allemand.

J.R.R. Tolkien opte pour un retour aux sources, celles des Eddas. A la manière des conteurs médiévaux, il tente d’unifier le corpus hétérogène et lacunaire à sa disposition pour établir une sorte de continuité entre l’histoire des Völsung, celle de Gudrún et de sa famille les Niflung (les Nibelungen). A l’instar des récits de la matière de Bretagne, de Rome et de France, il souhaite également par son hommage promouvoir une sorte de matière nordique, cette Grande Histoire des peuples du Nord appelée à ses yeux à devenir, pour l’Angleterre, l’équivalent de la légende de Troie. Un vœu pieux puisque ces deux lais n’ont pas dépassé le stade du manuscrit, restant essentiellement un exercice d’érudition destiné à un public bien informé. Un fait dont est conscient Christopher Tolkien puisque l’ouvrage est accompagné d’un paratexte copieux se composant d’un avant-propos, de deux introductions, de commentaires et de glossaires censés contextualiser et éclairer le propos des deux poèmes. Il faut avouer que tout ceci est utile, car contrairement à la matière de Bretagne, la Völsunga Saga n’est pas devenue une référence de la culture populaire aussi connue que le Roi Arthur, Merlin et Lancelot.

Si la lecture de La Légende de Sigurd et Gudrún ne paraît pas essentielle, a fortiori si l’on n’est pas passionné par les mythes nordiques, l’ouvrage apporte cependant des éléments de compréhension fort intéressants sur la genèse du Silmarillion et de la Terre du Milieu. En livrant sa propre version de la Saga des Völsung, J.R.R. Tolkien forge quelques-uns des thèmes et motifs qui traversent sa propre œuvre. En effet, comment ne pas voir dans l’histoire de Sigurd, meurtrier du dragon Fáfnir, comme un écho de la Geste des Enfants de Húrin ? Comment ne pas faire un parallèle entre la malédiction de l’or d’Andvarid et celle de l’anneau unique dans « Le Seigneur des Anneaux » ? Comment ne pas voir dans les interventions régulières d’Odin, une manifestation des Valar, voire du plus célèbre des Istari, Gandalf ?

A se demander si finalement, l’esprit de La Légende de Sigurd et Gudrún ne perdure pas à travers la Terre du Milieu.

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