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Le Troqueur d'âmes

Étrange objet que ce Troqueur d'âmes, à bien des égards. D'abord parce qu'il est doublement posthume. Entamé par Alfred Bester, avant qu'il ne disparaisse en 1987, il fut achevé par Roger Zelazny, mort en 1995, et parut finalement en 1998 aux Etats-Unis. Étrange surtout par son contenu, totalement foutraque, et détonant franchement au sein de la production S-F actuelle.

On s'épargnera la peine de résumer une intrigue à ce point déjantée, tout juste en posera-t-on les bases : Alf, journaliste au Rigodon, est envoyé à Rome pour enquêter sur une étrange boutique où, comme il le découvrira rapidement, des hommes de toutes les époques se rendent pour y exaucer leur vœu le plus cher ou se débarrasser de leurs tares les moins avouables. Parmi la clientèle, on croisera Edgar Allan Poe, Beethoven ou Cagliostro. Et d'autres créatures beaucoup moins définissables. Les protagonistes de ce récit sont nombreux, et ne sont pas forcément ce qu'ils semblent être, voire ce qu'ils pensent être. Les événements se succèdent à une vitesse effarante, les lieux et les époques se succèdent, se superposent, et le lecteur se sent rapidement aussi perdu que le héros.

L'intrigue du Troqueur d'âmes n'est pas sans évoquer le van Vogt de la grande époque : un bordel absolument pas maîtrisé, trois idées par page, généralement pas développées, et une cadence qui ne faiblit pas. Les personnages en revanche, et les dialogues surtout, portent bien la marque de Bester et de Zelazny. Truculents, érudits et cyniques, ils s'affrontent en des joutes verbales ma foi pas déplaisantes.

L'histoire semble parfois n'avoir ni queue ni tête (même si les auteurs retombent in fine sur leurs pattes), nombre des épisodes contés sont absolument gratuits et ce roman est définitivement à classer parmi les œuvres les plus mineures de ses progéniteurs. On n'ira pourtant pas jusqu'à déconseiller sa lecture.

Le Quadrille des assassins

Malgré une trilogie globalement décevante chez J'ai Lu (Les Aventures de Pierre Pèlerin), Hervé Jubert m'a toujours semblé avoir un fort potentiel, entrevu dans ses deux premiers romans parus dans la collection « Abysses » il y a quelques années. Après la lecture de ce Quadrille des assassins, je commence à douter…

Levons tout de suite une ambiguïté : si le roman paraît dans une collection pour la jeunesse, il n'en a pourtant aucune caractéristique et n'hésite pas à l'occasion à mêler violence et sexe — l'une des premières scènes du livre décrit un meurtre assez peu ragoûtant.

Le Quadrille des assassins ne relève de la S-F que de façon lointaine. L'époque n'est pas précisée, futur proche ou présent parallèle. L'action se déroule pour l'essentiel dans des villes-musées, reconstitutions de lieux emblématiques de périodes révolues : le Londres du XIXe siècle, le Paris de Louis XIV ou la Venise des Doges. Ces lieux, avec quelques autres, sont devenus des centres touristiques majeurs, sortes de Disneylands historiques.

Pour le reste, le roman de Jubert œuvre plutôt dans le registre du fantastique : son héroïne est une magicienne, la sorcellerie est présente tout au long du récit et le diable en personne viendra même faire une apparition. Qu'importe, Jubert a toujours affiché un dédain royal pour les genres, qu'il s'est toujours plu à mêler, plus souvent pour le meilleur que pour le pire, d'ailleurs.

L'intrigue en deux mots : Roberta Morgenstern, sorcière employée au Bureau des Affaires Criminelles, est chargée d'enquêter sur un meurtre commis dans le Londres reconstitué. Elle est accompagnée d'un jeune collègue, Clément Martineau, dont c'est la première mission. Ils découvriront rapidement que le tueur en question est un célèbre personnage historique — Londres, XIXe siècle, assassin, ai-je besoin de vous faire un dessin ? D'autres événements similaires vont bientôt se dérouler à Paris, conduisant les enquêteurs à s'intéresser au créateur de ces villes-musées, vieillard qui semble devoir sa longévité à autre chose qu'aux progrès de la science.

En premier lieu, Le Quadrille des assassins souffre d'un récit extrêmement linéaire : les personnages se rendent dans une première ville, résolvent l'affaire, partent pour une deuxième ville, etc. C'est le moindre de ses défauts. Le vrai problème, c'est que ce roman est d'une vacuité totale. L'univers mis en scène n'a pas plus d'épaisseur qu'un décor de théâtre. Les personnages ne sont ni attachants, ni sympathiques, ni même intéressants. Le style est totalement impersonnel. Et surtout, Jubert a beau multiplier les péripéties et les scènes d'action, en particulier dans le dernier quart du récit, on s'ennuie à pleurer. Certains de ces défauts étaient déjà sensibles dans les œuvres précédentes de l'auteur, mais ils n'ont jamais été aussi criants. Jusqu'alors, Jubert parvenait à les masquer derrière une imagination fertile et un goût pour l'insolite salvateurs. Cette fois, rien ne vient sauver le navire du naufrage.

Le Slynx

Nous sommes sur l'ancien site de Moscou : une mystérieuse explosion nucléaire et trois siècles écoulés ont ramené la société à un état moyenâgeux et rendu les humains semi-bestiaux. Sauf les Anciens qui vivaient au moment de l'Explosion, devenus immortels (sauf accident ou maladie) et témoins impuissants de la dégénérescence de leurs descendants. Une fantasy satirique (en dépit de vagues allusions à la radioactivité) qui rejoint curieusement la S-F des Fables de l'Humpur de Pierre Bordage, avec son protagoniste homme-cochon et l'emploi d'un langage aux archaïsmes étudiés (il faut remercier le traducteur pour avoir paré le texte des couleurs du français du XVIe siècle ainsi que pour ses notes de bas de page, fréquentes et indispensables à qui n'est pas imprégné de culture russe).

Mais Tatiana Tolstoï est moins optimiste et plus cruellement comique que Bordage. Coïncidence ? elle vient de la littérature générale, et Le Slynx est un livre sur les livres, qui ne cesse de faire des citations des poètes russes, et se réfère sans cesse au plus prestigieux de tous, Pouchkine. Son village futur est un miroir déformant de la politique russe du vingtième siècle : il change de nom avec chaque nouveau dictateur, on guette avec crainte les « méchants Tchétchènes » (qui ne viennent jamais), le pouvoir émet des oukases, et tout le monde se cache soigneusement quand passe la police médicale, qui emporte les gens sans espoir de retour. Et les livres sont, bien sûr, tous interdits — ils pourraient vous rendre malade, n'est-ce pas. Il y a des passages à rire aux larmes, comme ce service funéraire des Anciens (pp. 165-173) où tout le monde dit du mal de la défunte, mais en profite pour exalter le passé en défendant des positions qui n'ont pas varié d'un iota. Même les « dissidents » en prennent pour leur grade avec leur adoration anachronique des photocopieuses et leur espoir dans l'aide de l'Occident.

Nous suivons la vie de Benedikt, modeste copiste ballotté entre ses parents, des gens d'avant, trop tôt disparus, son mentor Nikita (lui aussi un Ancien), et la fille dont il est amoureux, Olenka. Dans une dystopie classique, la culture et l'amour permettraient au protagoniste naïf de se désaliéner. Et Benedikt en passe fort près, via une amourette avec Barbara, qui a, elle, assez de jugeote pour savoir que tous les livres n'ont pas été écrits par le tyran du moment, Fiodor Kouzmitch. Mais Benedikt tombera dans d'autres bras, et sera présenté au chef de la police : une aubaine, car on sait que ce sont les censeurs qui ont les meilleures collections de livres interdits. Un désastre, car, avec le pouvoir, Benedikt, qui n'était déjà pas une lumière, devient abject. Et la lecture ne le sauvera pas : il met sur le même plan Anaïs Nin et Le Ninja au manteau sanglant…

Est-il indécent que l'on puisse rire autant d'un livre aussi noir ? Peut-être qu'une fois admise l'idée que l'homme est irrémédiablement mauvais, et ne pensera jamais qu'à porter tort à son prochain pour son propre gain, seul reste l'humour comme manière d'aborder le monde. De toute façon, Tatiana Tolstoï le fait brillamment, bâtit un univers affreux, nous rassure finalement : quelle chance nous avons de lire des livres ; quelle chance nous avons de lire le sien.

Atomic Bomb

Résumer un tel livre tient de la gageure la plus totale : on a affaire ici à un « Objet Littéraire Non Identifié », fruit de la conjonction des talents de deux frappadingues, Fabrice Colin et David Calvo. Pour ceux qui souhaiteraient néanmoins connaître un semblant d'intrigue, on leur dira que l'histoire commence dans le parc de Kensington Garden, à Londres, où deux personnes, Kelvo et Collins, s'amusent à faire le poirier au milieu d'écureuils. Plus tard, ils iront surfer sur l'onde de choc produite par l'explosion de la bombe atomique en plein désert du Nevada. On parlera aussi, pêle-mêle, d'extraterrestres attachants, d'un grand constructeur de jeux vidéo et de rats. Bien sûr, il se trouvera des lecteurs qui ne supporteront pas ce bric-à-brac intenable. À ceux-là, les auteurs ont prévu de fournir une réponse, qui tient dans le titre du deuxième chapitre : « On vous emmerde ». Ou, en d'autres termes moins directs, ne cherchez pas à retrouver une histoire linéaire et classique. Mieux vaut que vous laissiez tomber dès la première page toutes vos facultés d'analyse et de rationalisation, et savouriez simplement l'humour des personnages, l'extravagance des situations, et le côté joyeusement bordélique de l'ensemble.

Dans ce triptyque (dont la première partie avait été publiée dans Jour de l'an 2000, aux éditions Nestiveqnen), il y a également des tonnes de références à la culture, sans distinction entre celle dite « officielle » et la « populaire ». La quatrième de couverture présente ce livre comme « un Fantasia post-moderne mis en musique par Marylin Manson et filmé par Terry Gilliam sous speed ». Cette description est encore trop réductrice — voire fausse, la bande-son empruntant par exemple aussi bien aux années 80 (qui se souvient encore de Den Harrow ?) et aux années 90 (Neil Hannon et Divine Comedy). Les auteurs citent entre autres Shakespeare, les préraphaélites, Walt Disney, Richard Brautigan, artistes qu'ils apprécient tout particulièrement. Et ce livre de se transformer en œuvre très personnelle, qui expose une certaine philosophie de la vie, entre tolérance et volonté affirmée de conserver une âme d'enfant prompte à s'émerveiller. Reste à savoir comment s'est articulée l'écriture de ce texte à quatre mains : Fabrice Colin s'est-il chargé des seuls passages dont le narrateur est successivement Collins, Nik et Ko, laissant à David Calvo la paternité des passages signés Kelvo, Valk et Ka ? Ou la situation est-elle plus complexe ? Qu'importe, au fond, puisque cette dichotomie est le moteur du livre, et lui confère son énergie vitale.

Bref, ce court roman est un régal à savourer immodérément, une vision totalement disjonctée et jouissive de l'imaginaire de deux auteurs qui n'ont pas fini de nous surprendre. Kwak.

Plastic Jesus

« Les Beatles étaient devenus plus populaires que le Christ ». Cette phrase a été prononcée par John Lennon en 1966. Bon. Maintenant, imaginez que les deux piliers, les vrais moteurs de ce groupe « plus populaire que le Christ », aient été gays. Cela aurait-il un tant soit peu changé le monde ? Tel est le postulat de départ de Plastic Jesus. Et autant vous le dire tout de suite, d'après Poppy Brite, la réponse à la question posée est bien évidemment oui… Donc, John et Paul (ils ont un autre nom et leur groupe ne s'appelle pas les Beatles, mais il s'agit bien d'eux), sont gays. Et John (en fait, son nom c'est Seth, dans le bouquin) meurt le corps truffé de balles — cinq, pour être précis. Paul (son nom à lui, c'est Peyton), fou de douleur, va voir le psychanalyste de John/Seth, un vrai fan de leur groupe ayant lui-même assumé son homosexualité grâce aux deux rock-stars. Paul veut rencontrer Ray Brinker, l'assassin de John, et pense que le psychanalyste devrait pouvoir lui permettre d'accéder au meurtrier. Les deux hommes discutent, et bientôt Paul raconte son histoire, sa rencontre avec John, la formation du groupe, sa vie amoureuse…

Plastic Jesus n'est pas un mauvais livre. Ce n'est pas non plus, loin s'en faut, le chef-d'œuvre de Poppy Brite. Le texte est court (100 pages, le reste du volume étant meublé par une introduction, des illustrations hideuses de l'auteure, une interview ainsi qu'une sorte d'essai fictionnel tiré de Coupable, recueil d'essais abscons de Brite publié récemment Au diable vauvert). En fait, il s'agit davantage d'une novella que d'un roman. Brite y fait preuve de son habituelle sensibilité, de sa justesse de ton et de son style simple, nerveux. Si ses motifs centraux demeurent inchangés (l'amour, le sexe et ses orientations, le rock, la créativité, etc.), on notera toutefois qu'on retrouve ici l'auteure d'Âmes perdues non seulement débarrassée de son appareillage gothique habituel (fantôme, vampire et magie), mais aussi du cadre classique de ses bouquins (principalement la Nouvelle Orléans et la Louisiane). De fait, Plastic Jesus tient davantage de la littérature générale que de la littérature de genre. Voici donc un livre d'une auteure dont le talent n'est plus à prouver mais qui vaut surtout par la dimension (direction ?) nouvelle qu'il donne à son œuvre.

Le Pas de Merlin

« Ne croyez pas les contes de fées : ce sont les hommes qui brisèrent cet équilibre, et non les nains malfaisants, chargés de tous les maux. Les hommes et leur nouvelle religion, prônant l'unicité et proclamant la suprématie d'une race sur toutes les autres : une seule terre, un seul dieu, un seul roi… ».

Ainsi donc, la première trilogie de Fetjaine, celle des Elfes (remarquable et tout juste rééditée chez Pocket — cf. critique in Bifrost n° 17 et l'interview de l'auteur dans le n° 21), narrait-elle cette histoire avant l'Histoire, la tragédie de la rupture, la fin du monde d'avant, quand hommes, elfes et nains cohabitaient en harmonie. Ce nouveau cycle nous contera donc l'après-chute, le monde des hommes et de leur cruauté, l'avènement de leur royaume et leurs conflits fratricides, le fer des rois guerriers et le bois des croix monastiques. Et si la première trilogie pouvaient se présenter comme une manière de rapprochement entre la « Matière de Bretagne » et un appareillage romanesque qu'on qualifiera, faute de mieux, de tolkienien, ce nouveau cycle marque un autre rapprochement, celui de cette même « Matière de Bretagne » avec l'Histoire, la grande, la vraie, la nôtre…

Nous sommes à la fin du VIe siècle. La Grande Bretagne, après le départ des romains, est éclatée en une multitude de royaumes : au nord le royaume picte, à l'est les royaumes saxons, au nord-ouest et sur l'île d'Irlande les royaumes gaels et scots. À la croisée de ces territoires, les bretons ont toutes les peines du monde à survivre, éparpillés, divisés, diminués. Il leur faudra pourtant parvenir à s'unir sous la bannière d'un roi suprême s'ils espèrent résister à leurs voisins, une union qui n'ira pas sans son lot de trahisons et de mésalliances… Au sein de ce tourbillon de violence, un gamin, Myrddin, fils bâtard du plus grand roi de son temps, le riothime Ambrosius Aurelianus, se voit échoir des charges et devoirs qu'il ne souhaitait pas. Le voici propulsé sur les chemins de l'aventure, aventure qui, bien sûr, comme en toute bonne fantasy, sera d'abord une initiation…

Au-delà de ses indéniables qualités de conteur et son sens aigu de la dramaturgie, le vrai talent de Fetjaine, ce qui en fait tout l'intérêt, c'est la perpétuelle mise en perspective historique de ses récits. En cela, ses romans arthuriens sont autre chose qu'une pierre de plus — aussi bien taillée qu'elle soit — à ajouter au gigantesque édifice littéraire qu'est la « Matière de Bretagne ». L'introduction du Pas de Merlin, le premier tome de cette nouvelle trilogie, est à ce titre exemplaire. L'auteur s'y livre à quelques « réajustages » étonnants. On y apprend par exemple l'apport fondateur au mythe d'une certaine tribu scythe, les iagyzes, ou encore que si Merlin a probablement existé, le cas d'Arthur est plus hypothétique — il serait, comme Merlin d'ailleurs, l'assemblage de plusieurs personnages ; peut-être même, et c'est l'avis de l'auteur, se limiterait-il à un simple surnom honorifique ! Et Fetjaine de conclure en évoquant le « cadre historique de ce récit… imaginaire » (p. 20). C'est dit. L'auteur inscrit son récit dans un strict cadre, celui de l'histoire. Cette démarche, cette mise en perspective historique de la légende, place Fetjaine dans la lignée des premiers conteurs médiévaux, ceux de l'Historia Brittonum (vers 830), Geoffroy de Monmouth et Chrétien de Troyes. Un parrainage parfaitement assumé par l'auteur même si, dans ce Pas de Merlin, sur le strict plan narratif, on ressort moins convaincu qu'à la lecture du premier cycle. Le roman n'en est pas moins passionnant de bout en bout, et l'ensemble des quatre livres qui forment à ce jour le corpus arthurien de Fetjaine, une œuvre remarquable, un sommet de fantasy.

Le Trait d'union des mondes

520 pages écrites petit. Premier volume d'une trilogie annoncée. Une ampleur peu fréquente dans notre imaginaire hexagonal. La couverture est particulièrement hideuse, ce qui, par contre, est fort fréquent. Le roman n'est pas estampillé S-F. Mais cela en est-il ? Peut-être bien…

L'ouvrage n'est pas facile à classer. Ni thriller ni mainstream, ni S-F ni fable mystique. Un peu de tout ça… Jérôme Camut a délaissé les effets de manches du thriller tout en en conservant la construction. Il a sabré à la base toute dimension tragique et laissé tomber l'issue dramatique avec la fatalité d'une pierre. Ça aurait pu être un roman de Michael Crichton et c'est tout autre chose.

À l'aube du XVIe siècle, dans une France renaissante où sévit l'Inquisition, Malhorne ressuscite pour la première fois. Faut-il parler de métempsycose ou de transmigration ? La conscience — ou faut-il dire l'âme — de notre bonhomme qui en avait alors fort peu se transfère dans le corps d'un nouveau-né où elle reste en stand-by jusqu'à ce qu'il perde son pucelage. Un bon moyen que l'auteur a trouvé pour esquiver les problèmes générés par une conscience adulte dans le corps d'un petit enfant.

Après être bêtement mort sur le champ de bataille, il sera traumatisé par sa première résurrection. Il jettera ensuite à la Macarine les bases d'une famille qui le suivra de génération en génération avant de partir sur le chemin de St Jacques, puis Lisbonne, et de traverser l'Atlantique pour s'échouer sur les côtes du Brésil et y mourir d'une flèche au curare. Revenir comme chamane et conduire sa tribu au fond de la sylve pour échapper aux Blancs ; franchir les Andes pour défier le Pacifique en pirogue et y mourir. Revenir esclave africain, traverser l'océan Indien et mourir. Revenir Japonais et traverser une Inde en proie à la peste et gagner le Tibet pour y recevoir l'enseignement d'un lama. Devenu riche anglais, retrouver les Macare, faire fortune en Louisiane et mourir sous la guillotine durant la révolution française et renaître mongolien, puis Egyptien. Rencontrer Van Gogh, l'aventure coloniale, les camps de la mort et le goulag… Au cours de toutes ses vies, Malhorne a marqué le monde d'un heptagone de statues identiques…

Franklin Adamov en a découvert une, la seconde, façonnée en Amazonie, et la mystérieuse fondation Prométhée ne tarde pas à compléter la collection. À la fin du tome 1, on ne sait pas pourquoi Denis Craig, le magnat de l'armement, a créé cette fondation, comme s'il subodorait l'existence de Malhorne, lequel semble entretenir des liens mystiques avec les descendants de ceux qu'il a rencontrés ici ou là.

Livre de son époque, Malhorne ne véhicule tout au plus qu'une problématique résiduelle et relève du divertissement. On y retrouve l'idée, présente dans le film Stigmata ou le Jésus Vidéo d'Andreas Eschbach, que, pour préserver la foi, l'Église se doit de combattre tout ce qui pourrait établir sa « mystique » dans les faits puisqu'elle perdrait dès lors son statut de mystère.

Ce premier tome est avant tout une esquisse, encore floue et amenée à acquérir une dimension plus large. Tout apparaît lié en dépit de nombreux fils encore épars. L'aspect narratif domine le roman, avec, notamment, le récit des vies antérieures de Malhorne. Malgré quelques détails douteux et certaines longueurs — on a connu bien pire sur des livres plus courts — Malhorne est somme toute un roman prenant. La force de Jérôme Camut réside dans ses personnages. Non qu'il leur confère une épaisseur psychologique hors du commun, mais il sait leur donner du corps, du jus, de la saveur. Même les troisièmes rôles que Malhorne a croisés au cours de ses vies ont leur empreinte, parfois forte. Certains arrivent à être touchants. Et pourtant, souvent on frôle le cliché. Mais ça fonctionne. Paradoxalement, c'est un roman très professionnel tout en restant personnel. Comme si la volonté de fabriquer un best-seller n'était pas parvenue à gommer la patte de l'auteur.

Pas speed mais bien mené, pas prise de tête pour un rond, idéal pour la plage…

La Ligue de Prométhée

Que reste-t-il du Londres du XIXe siècle ? Un peu de ce bon vieux fog, des ruelles obscures, des fantômes édentés qui se perdent sur le pavé. L'ombre des fiacres d'où les aristocrates regardent se tortiller le peuple en s'encanaillant parfois sur sa misère. Cette merveilleuse injustice sociale que chacun dénonce en l'acceptant, comme une rengaine propre à forger une identité revendicatrice.

Londres d'en haut, Londres d'en bas… On pourrait penser à Neverwhere de Gaiman et sa cassure dans le temps. On pourrait aussi continuer à faire le parallèle habituel entre Neil Gaiman et Christopher Fowler. Mais la Ligue de Prométhée s'éloigne de la Londres étrange de Gaiman pour revenir à des questions plus proches de nous et bien plus effrayantes, quelques mois après que la France s'est posée la question des groupuscules extrémistes.

À Londres, Vincent Reynolds, intellectuel précaire et prolétaire, attend la gloire, flanqué d'amis tout droit issus d'un roman de Nick Hornby. Lorsqu'il a enfin la possibilité de percer en rédigeant un article sur la lutte des classes, il se trouve confronté à quelques problèmes majeurs. Son sujet, Sebastian Wells, un aristocrate cynique, l'entraîne dans une relation étrange et se révèle être un prédateur exercé. La société secrète dont il est président, la Ligue de Prométhée, prône toutes sortes de théories captivantes : le droit féodal (vie ou mort), la soumission des femmes, le sang pur, la séparation traditionnelle pour l'Angleterre du reste du monde. Renversant les rôles de l'observateur et du sujet, Wells impose une course macabre à Vincent, dont l'enjeu est sa propre survie. Mais si Wells maîtrise les lois et ses représentants dans leur moindre détournement, Reynolds connaît mieux que quiconque ce Londres populaire vomi par la Ligue.

Fowler fournit ici un huitième roman subtil. La dualité ne s'exprime pas dans l'affrontement de personnages monochromes. Reynolds plonge dans l'indicible : la fascination qu'exerce le pouvoir sur ceux qui en dénoncent, par tradition inverse, les dysfonctionnements, lorsque la peur de la différence se dit civilisée, s'organise en caste et prend l'apparence du raisonnement. L'absence de doute qui fait la force du nationalisme de la Ligue, et du nationalisme en général, est bien à l'origine de l'attirance de Reynolds pour son adversaire.

Au-delà du jeu à la Running Man où Vincent devra résoudre des énigmes de potaches sanguinaires et hellénistes, le véritable sujet de Fowler rejoint donc la question du surhomme. Toucher la « grandeur », même lorsqu'elle est mensongère, même lorsqu'elle est répugnante, permet-elle de la disséquer et d'en sortir indemne ? Wells semble trancher dans la chair : le destin de Prométhée, qu'il détourne en prédication, suffit à lui faire accepter définitivement sa déchéance.

Que reste-t-il du Londres du XIXe siècle ? Un Londres de la fin du XXe. Une ambiance schizophrénique et familière — au-dessus et dans la ville fracturée grouillent deux classes distinctes — qui cache encore un mal-être social que Fowler exploite avec talent. Roman fantastique, noir ou policier, tout simplement un bon livre qui, à défaut de mener quelques irréductibles vers les bureaux de vote, fait exploser en douceur certaines idées reçues, sur le genre comme sur le sujet.

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