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Le Bord du monde

Enfermé dans une prison aussi crédible que si elle avait été fabriquée par Bricorama pour Disneyland Paris, Aplecraf le trouvère (aucun rapport avec le mariage d'un fondement et d'une louchée de moisissures) attend la mort. Il a eu le malheur de tomber amoureux de la servante Quadrilba et non de la princesse Déléisse, jalouse à en tuer. Mais voilà que, surprise du chef, il reçoit la visite de l'excentrique (c'est le quatrième de couverture qui le dit) Théodulf de Sapre. Ce dernier lui promet la liberté et l'aventure. La grande aventure jusqu'au bord du monde, car Théodulf a un projet : il veut cartographier le Monde Obscur.

Outre un façonnage douteux et une couverture vilaine (on a connu Alain Brion plus inspiré), ce livre est formidable. Je dirais même plus : c'est un cas d'école. À mon humble avis, il contient dans ses 528 pages maquettées façon minou de vierge infibulée — serré serré — ABSOLUMENT TOUT ce qu'il ne faut pas faire en matière de fantasy moderne (et je mets tout particulièrement l'accent sur cet épithète).

Apocalypse now : laissons-nous gagner par le plaisir de l'énumération.

1/ Le style, un pseudo « moyen français » déjà ringard à l'époque où Tolkien mouillait ses couches, est au minimum lourdingue, horripilant la plupart du temps, illisible par endroits. Ce n'est pas en enlevant le « e » final d'« encore » qu'on écrit bien en vieux français. Deux perles, pour le fun :

 • « À l'heure où Oniriad abaisse ses tentures, de blanches chauves-souris prennent leur envol, et c'est spectacle merveilleux d'observer leurs vives arabesques au-dessus des toits. » (page 5) (Là, dans un de ces éclairs de méchanceté gratuite dont je suis coutumier, j'ai pensé au premier roman de Léa Silhol, si ampoulé qu'il a l'élégance d'un miroir de bordel napolitain.)

 • « Vous souvient-il, ami Trémégor, d'un certain parfum de fleur qui flottait dans ce village. » (page 138)

 Au fil de ma lecture, qui s'est apparentée à une reptation naturiste sur un tapis de barbelés rouillés, je n'ai pu m'empêcher de comparer la langue pâteuse d'Anfosso à celle, vertigineuse, recréée par Pierre Pelot pour Le Pacte des loups et C'est ainsi que les hommes vivent. Victoire à Pelot par K.O. — avec coulis cérébral, comme on dit dans Urgences.

2/ Les personnages sont complètement désincarnés, ce sont des archétypes creux (trouvère, aventurier, sorcière, princesse) sur lesquels ont été gravés au fer rouge des noms qui rappellent vaguement la littérature médiévale anglo-saxonne (Le Lai de Beowulf ?). Ils mangent et boivent avec parcimonie et n'ont quasiment aucun problème de tripaille, de libido, d'hygiène et de tuyauterie intime. Les décors sont en carton-pâte, deux millimètres d'épaisseur. On est une fois de plus chez un Chrétien de Troyes passé à la moulinette Disney, c'est comme si Excalibur de John Boorman, La Chair et le sang de Paul Verhoeven et même le Conan le barbare de John Milius n'avaient jamais existé (ne parlons pas de Tigane ou de La Compagnie Noire).

3/ L'intrigue rebondit avec autant d'élégance qu'une moitié de balle de tennis lâchée du haut d'un immeuble de trois étages ; il se passe des tas de trucs au court du récit, mais comme on se contrefout des personnages et de ce qui peut leur arriver, ça n'a guère d'intérêt. En fait, assez vite (vers la page 80/528), histoire de sourire/souffler un peu, on aimerait que les protagonistes meurent tous dans d'atroces souffrances (empalement au Tabasco™, massage au miel chez les fourmis rouges).

4/ C'est trop long, dilué, dénué du moindre horizon d'attente, du moindre enjeu érotique ou romantique (hé oui, monsieur Anfosso, les personnages des livres dits « modernes » sont comme les gens de la vraie vie, ils doivent aller aux toilettes, tenter régulièrement de se reproduire pour perpétuer l'espèce et, crème fouettée sur la tarte tatin, ils ont même le droit d'avoir des réactions irrationnelles). À cette attaque perfide, l'auteur pourrait rétorquer que justement, son projet était de ne pas livrer un roman « ouvrez les guillemets » moderne « fermez les guillemets »… But atteint les yeux fermés, Le Bord du monde n'est pas moderne et moins encore progressiste ; c'est même par endroits totalement réactionnaire (et puant).

Fabrice Anfosso a du talent — il l'a prouvé avec « Ave Maria », Prix du jeune écrivain 1999 — mais son Bord du monde est une catastrophe littéraire qui fera date (ou plus probablement, passera totalement inaperçu) ; surtout à cause de toutes les comparaisons que cette geste approximative suscite : on pense aux aventures de Sindbad (deux volumes chez Phébus), aux œuvres de Pelot citées infra, à Thomas le rimeur d'Ellen Kushner. On y pense, fort, à toutes les pages, et on regrette d'avoir perdu tant de temps à lire ce pavé — cette littérature coupée à l'eau du robinet — alors qu'il y a tellement de livres passionnants sur les rayons de nos librairies préférées.

Le Roi de bruyère

Impression, hasard ou veine inexplicable : plus je lis de fantasy contemporaine, et plus je rencontre de textes intéressants, de récits qui savent se faire novateurs dans la tradition. C'est encore le cas avec ce nouveau Greg Keyes, premier opus d'une tétralogie prometteuse.

Dans un lointain passé, le peuple de Croatanie s'est libéré du joug des seigneurs skasloï. La révolte, initiée par les « Hommes-Nés », arrivés depuis peu dans le pays, a triomphé grâce au concours d'une femme, la « Reine-Née » Génia Dare. Elle sera la première souveraine de l'ère d'Erévon, celle de la paix et de la civilisation.

Deux mille ans plus tard, la jeune princesse Anne Dare découvre, alors qu'elle joue dans la cité des morts avec son amie Austra, le tombeau de sa légendaire ancêtre, dont elle semble avoir hérité la témérité et les talents de magicienne. Une communication mystique, ténue mais effective, s'établit entre elles. Commencent alors à se produire dans la forêt des crimes atroces et mystérieux, que l'on attribue au « greffyn », animal terrifiant relevant du même folklore que le « Roi de Bruyère », celui dont le réveil doit annoncer la fin du monde, selon les croyances populaires.

Cinq grands destins vont alors se croiser…

Certes, il n'est pas toujours simple d'oublier ici les noms de Robin Hobb ou Peter F. Hamilton — il est vrai qu'il y a plus que des points communs entre Spendlove et le Quinn Dexter de Rupture dans le réel — , voire celui d'Holdstock — du fait du titre, déjà, Le Roi de Bruyère, qui évoque le fameux Passe-Broussaille — , bref, de ne pas se dire que tout ceci a comme un goût de déjà lu… Certes. Sauf que nous sommes ici en présence de l'auteur de la tétralogie de « L'Âge de la déraison », cycle au cours duquel Keyes démontra à loisir l'étendue de ses capacités et lui valut un Grand Prix de l'Imaginaire 2002 mérité. De fait, dès le prélude, on plonge dans un univers à la fois original et cultivé, un substrat où se croisent des peuples dont les origines tiennent à la fois des mondes romain, germanique et celte, dans une fusion bien plus étroite qu'une simple identité pseudo-européenne.

Là où l'auteur est particulièrement bien inspiré, c'est qu'il émaille son texte de vocables originaux qui sont autant de clins d'œil pour le lecteur polyglotte. Malheureusement, on hésite parfois entre le néologisme et la déformation phonétique d'un terme qui aurait un sens précis dans une langue morte ou vivante. Du coup, on se surprend à toujours craindre de perdre un peu de la finesse du texte. L'écriture de Keyes fascine aussi par son art d'introduire le drôle au détour d'une phrase, quitte à trancher avec le ton général du récit. L'effet est d'autant plus réussi que ces moments sont rarissimes : à peine quatre ou cinq fragments sur cinq cents pages, mais d'une efficacité telle qu'on ne les oublie pas.

Un bémol, toutefois : la traduction. Sans insister sur des maladresses de styles dommageables à la fluidité de l'écriture, on soulignera le choix surprenant d'un mélange entre tutoiement et vouvoiement dans les dialogues, sans la moindre justification au choix qui prévaut dans chaque cas. Cela aurait valu, de la part de l'intéressé, pour le moins une note explicative : entendre un écuyer marquer le plus grand respect à sa reine tout en la tutoyant, cela surprend un lecteur européen. On demeure disposé à croire que ce choix est fondé, mais encore faudrait-il qu'on nous dise en quoi.

Reste au final un livre tout à fait passionnant, dont on a hâte de découvrir les prochains opus et qui pourrait valoir à son auteur une nouvelle récompense littéraire méritée.

Le Graal de Fer

Le Pré aux Clercs nous livre tout frais la seconde partie du « Codex Merlin » de Robert Holdstock, Le Graal de Fer, et annonce pour l'an prochain le troisième volet : The Broken Kings. C'est pas humain, ça : douze mois, c'est long ! D'autant que vous allez dévorer cet opus en moins de deux, ce qui vous fera encore plus de temps à attendre…

Nous avions laissé Jason mourant à Dodone, victime d'un coup de lance de son fils Thesokorus, juste après qu'il ait découvert que Médée s'est contentée de cacher ses enfants à travers le Temps, au lieu de les assassiner, et qu'elle les a élevés dans la haine de son nom. Merlin, lui, était en route pour Alba, à bord d'un esprit-écho d'Argo, le légendaire navire de Jason, dont Celtika nous avait raconté la reconstruction, et le premier périple de Pohjola aux Thermopyles sous l'égide de Mielikki.

Nous retrouvons l'Enchanteur à Taurovinda, accueilli de funeste manière par « Les Trois de Sinistre Présage », dont la prophétie est aussi obscure que peu rassurante : « Trois reviennent, qui te sont une menace. Une quatrième est déjà là, qui se cache ». En attendant le retour d'Urtha, il ramène de l'Autre Monde Kymon et Munda, les deux enfants du chef Cornovidi.

Ce dernier, le premier des Trois, à peine remis de son combat avec le traître Cunomaglos, fait route vers son royaume. Il le découvre envahi par les habitants du Pays Fantôme. La lutte sera d'autant plus âpre que Taurovinda a été construite sur un ancien territoire appartenant aux morts et à ceux-à-naître. Derrière les tensions qui se manifestent dans le camp des Ombres se dessinent les machinations obscures de Médée, qui n'hésite pas à retenir Merlin dans ses illusions enchanteresses au moment où Urtha aurait besoin de lui. Pire encore, si Kymon soutient son père, Munda, sous l'influence de Niiv, qui poursuit toujours Merlin de ses assiduités, se rebelle davantage à mesure que se développe son Talent de Clairvoyance. Elle cherche également à rejoindre dans l'Autre Monde son ancien compagnon de jeu, le Petit Rêveur.

Deuxième à revenir, Jason, à bord de l'Argo — ce dernier venant compléter le trio —, poursuit sa Quête. Il a juré de se venger de Merlin et de retrouver son plus jeune fils, Kinos, qui, selon l'oracle d'Arkamon, « se trouve entre les murailles battues par les flots et règne sur son monde, bien qu'il l'ignore ». Supposant que ce royaume est celui qui s'étend au-delà de la Sinueuse, Jason a décidé de rallier Alba. Il est devenu, rejoignant le destin de son fils, un Homme Perverti, puisqu'il commerce avec la Mort : pour compléter son équipage, il a en effet fait appel à six des Argonautes originels en utilisant les « kolossoï », risquant le paradoxe temporel…

Voici donc rassemblés de nouveau les héros de la première Quête, que leurs intérêts respectifs vont emmener au Pays Fantôme. C'est une seconde — ou plutôt une troisième — Odyssée qui commence, avec ses épisodes-clés, ses Iles aux noms évocateurs, sa consultation des héros disparus, ses sirènes, bref, toute la panoplie inlassablement renouvelée par le génie de Holdstock, jamais vraiment éloigné de ses modèles mythiques, et pourtant toujours original.

Je vous laisse découvrir l'issue de ce périple, aux méandres si complexes qu'ils frôlent parfois l'ésotérisme. Ainsi, les trois îles aux aspects éminemment symboliques, habitées par autant de « fantômes » de Kinos suscités par Médée, sont à elles seules presque trop riches de sens pour éviter que le sens du destin et de la Quête personnelle du Petit Rêveur ne se perde finalement dans une surcharge de significations. La destinée de Merlin se complexifie elle aussi, puisque Mielikki lui révèle qu'il est depuis toujours lié à l'Argo, qui sera son tombeau à la Fin des temps.

Mieux vaut relire Celtika avant de se plonger dans Le Graal de Fer, car l'auteur ne se perd pas en rappel des événements antérieurs : les deux parties s'enchaînent comme deux simples chapitres. Cette économie met en relief, a contrario, certains épisodes, comme le subterfuge de Médée, dont le récit est répété jusqu'à plus soif. Ils prennent ainsi une valeur particulière, comme s'ils étaient une extension à la dimension du roman des vers qui reviennent périodiquement dans un poème épique, pour faciliter le travail de mémorisation de l'aède. Il faut être Holdstock, pas de doute, pour se permettre une telle figure d'écriture.

La lecture révèle également que le mélange gréco-celtique qui avait fait le charme du premier volet laisse place à une simple cohabitation des univers : les deux mythologies ne fusionnent plus. Toute la première partie du roman se concentre sur la reconquête de Taurovinda : on est en pleine geste celtique. L'irruption d'Argo sur le champ de bataille, faisant fuir les Ombres, illustre bien la manière dont l'esprit grec tranche dans le récit celte et vient modifier le fil des événements. À partir de ce moment, on renoue avec l'esprit et le style homérique.

Au premier abord, on se dit qu'il s'agit d'une faiblesse. À la lecture de la postface, pourtant, on comprend que cet effet est recherché, maîtrisé et porteur de sens. L'auteur donne en effet succinctement les éléments socio-historiques qui pourraient constituer la trame du « Codex Merlin », histoire de dire que non seulement son récit est magnifique, mais qu'il pourrait aussi être ethnologiquement pertinent. La rupture entre les deux univers mythiques vient alors croiser celle des civilisations, et leurs relations se superposent aux destinées historiques des peuples. Un tel niveau de maîtrise, qui transcende le simple jeu littéraire, force l'admiration.

À lire, assurément.

Icares 2004

Il en va de l'édition comme d'un verger : elle évolue au rythme des saisons, passant de l'été à l'automne, de l'hiver au printemps. Et les fruits les plus délicats, ceux par lesquels on réalise que le climat s'est modifié, sont sans doute les anthologies, qu'elles soient thématiques ou, plus délicates encore, générales. La dernière récolte a surtout fait la part belle aux premières et les météorologues du milieu s'accordent tous pour affirmer, avec un indice de confiance élevé, que les anthologies générales ont vécu, que le temps des Escales… au Fleuve Noir, sous le patronage inspiré de Serge Lehman, Jean-Claude Dunyach ou Sylvie Denis, est révolu, rejeté dans l'Histoire. Et voilà que, courageusement, Richard Comballot et l'éditeur Mnémos décident de nous prouver le contraire avec un fruit hors saison aux atours inattendus, Icares 2004. Mais encore faut-il y regarder de plus près, vérifier que cet agrume improbable a bien été cueilli dans le jardin des Hespérides et non ramassé sur le bas-côté du champ.

D'emblée, Icares 2004 surprend. Non seulement parce que Richard Comballot, briscard de la science-fiction francophone, refuse tout carcan thématique dans l'appel qu'il lance à ses auteurs, mais, de surcroît, parce qu'il évite habilement, quand beaucoup d'autres s'y enlisent, la querelle des Anciens et des Modernes. Car il réunit ici le meilleur des deux mondes, ou presque… Dufour y côtoie Jeury (son grand retour ?), Heliot y rencontre Andrevon, Mauméjean y épouse (toutes proportions gardées) Curval. Il n'y a ici aucun parti pris de « jeunisme », ni non plus de passion démesurée pour les « vieux pots ». Le corpus est ouvert, vivifiant. Mordons donc dans le fruit à pleines dents !

La première bouchée, prise au hasard, est délicieusement acide. Avec ses « Mémoires Mortes », Catherine Dufour confirme un talent de plume et fait entendre une voix d'auteur à part entière. Bien au-delà de l'humour sarcastique et de l'idolâtrie pour l'absurde qui sont déjà sa marque de fabrique, ce texte révèle une extraordinaire acuité sociologique et une humanité troublante. Le récit frappe au cœur et laisse un malaise difficile à dissiper. Personnalité et plume équivoques, Catherine Dufour est un auteur à suivre, mais ça, on le savait déjà. Deuxième bouchée, « La Gantière et l'Équarrisseur », de Francis Berthelot, qui s'illustre doublement ici, avec une nouvelle et un essai introductif. L'auteur n'est plus à présenter et son récit, merveilleusement désuet, ressemble à un conte de Flaubert revisité par Andersen. Quant à sa préface, Le Berceau de la fiction, subtile, presque maniérée, elle nous rappelle pourquoi écrire de la fiction revient à s'abreuver inlassablement à la glaise du réel et aux rêves de l'enfance, dans une sublime ambiguïté. Et Berthelot de conclure que la fiction est le Sisyphe de la littérature, « séculaire et éternellement jeune, elle continue à semer la pagaille dans le monde des lettres ». Troisième bouchée, plus légère, plus sucrée, mais laissant derrière elle une amertume tenace, « Astrolabe », de Xavier Mauméjean, véritable fils prodige des dieux de l'écriture échevelée et de l'épopée héroïque. Une réflexion désopilante sur les affres de l'écriture créative confrontée au hachoir de la vente, ou, pour le résumer en une phrase, « après des années d'écriture, il avait obtenu la gloire en jetant trois fadaises sur le papier ». Emporté par l'élan, on dévore rapidement le reste du fruit avec encore quelques bonnes bouchées, comme cette relecture irrévérencieuse des modèles par Johan Héliot dans « Le Robot du devoir », ce style incisif et provocateur de Jacques Barbéri, ce retour savoureux au space opera sous les plumes de Richard Canal et Daniel Walther, le savoir-faire plus qu'accompli de Jean-Claude Dunyach et Pierre Bordage, en terminant par une bonne vieille histoire d'amour, de politique et d'immortalité, par le sieur Philippe Curval qui ne se prend jamais vraiment au sérieux dans « Au tirage et au grattage ».

Oh, bien sûr, il y a quelques pépins, de sorte qu'on se demande, une fois le fruit mangé, si notre appétit a été réellement assouvi. Cette anthologie, après digestion, laisse paradoxalement un souvenir assez vague, comme si ses meilleurs éléments étaient noyés dans la masse. L'absence d'ossature thématique y est-elle pour quelque chose ? Une absence qui n'a pourtant pas nuit à Escales sur l'horizon, anthologie qui brille encore au firmament des bouquins cultes ? Alors, qu'est véritablement cet Icares 2004 ? Un chant du cygne ou le sacre d'un nouveau printemps ? Il n'y a qu'une manière de le savoir, aperto libro.

Article PKD

Trente ans jour pour jour après le décès de Philip K. Dick, découvrez l'hommage que lui a rendu Gilles Goullet avec un article biographique paru dans le Bifrost n°18.

Critiques Bifrost 30

Retrouvez sur l'onglet Critiques toutes les chroniques de livres du Bifrost n°30 !

Nouvelle Egan

En attendant la sortie de Zendegi le 15 mars, (re)découvrez Le Continent perdu, une nouvelle de Greg Egan à lire en ligne ou à télécharger gratuitement !

La Forêt d'émeraude

Contrairement à une idée largement répandue, la novélisation n'est en rien une pratique commerciale récente ; il y a une quarantaine d'années, Ellery Queen commettait l'excellent et introuvable Sherlock Holmes contre Jack l'éventreur, utilisant comme trame le film britannique éponyme. Depuis, nombre d'auteurs appréciés pour leurs œuvres personnelles (et sans doute à la recherche d'argent facile) ont joué le jeu : Terry Bisson (Galaxy quest, Le Cinquième élément), Orson Scott Card (Abyss), Christopher Priest (Short circuit, eXistenZ), Pierre Pelot (Le Pacte des loups), William Kotzwinkle (E.T. l'extraterrestre), Elizabeth Hand et j'en passe. Avec des résultats très variables, oscillant entre le scandaleux (Tomb Raider) et le formidable (Le Pacte des loups).

Pour ceux qui n'auraient jamais vu le film, La Forêt d'émeraude raconte le destin amazonien de la famille Markham. Bill Markham, âgé de quarante ans, veut retrouver son fils, Tommy, kidnappé à l'âge de sept ans par la tribu des Invisibles. Après dix ans passés dans la jungle, Tommy est devenu Tomme (prononcez tômmé), le fils du chef des Invisibles, celui qui lui succédera. Il est amoureux de Kachiri et l'enfant qui vit dans son corps est sur le point d'être mis à mort au cours d'une cérémonie incluant une prise massive de drogue hallucinogène. Evidemment, Bill Markham finira par retrouver Tommy/Tomme, et chacun d'eux verra sa vie changer du tout au tout.

Ce qui n'aurait pu être qu'une apologie post-hippie (le film date de 1984) du retour à l'« état de nature » se transforme assez rapidement en une magnifique réflexion sur l'identité, l'appartenance à un territoire, la survivance (impossible) de sociétés préindustrielles. Au fil des pages, Holdstock, et cela ne surprendra personne, s'intéresse principalement à la forêt pluviale, à ses mœurs et à ses mythes. Bien sûr, que ce soit dans le film ou dans le livre, Pallenberg (scénariste), Boorman (réalisateur), et Holdstock (novélisateur) prennent fait et cause pour les Invisibles, pour Tomme et la belle Kachiri à la peau cuivrée… mais attention, même si les Blancs sont (pour la plupart) ignobles, même si un certain idéal à la Rousseau scintille dans le lointain, les Féroces rôdent et, comme chez Lévi-Strauss, les tropiques sont — bien souvent — tristes, moites, dangereux… et parfois cannibales. Les choses ne sont pas aussi tranchées (ou naïves) que l'on voudrait bien le croire (la nature est dangereuse, la société primitive est par essence injuste car penchant vers l'harmonie et non vers l'équité) et chacun (Markham, son fils, les Féroces, les Blancs) possède de réelles motivations, tangibles, jamais gratuites.

Reste que le message réel du livre (qui n'est pas celui voulu par l'auteur) est terrible, car on sait très bien comment tout cela finira : comme tant d'autres, les Invisibles disparaîtront…

Voilà une œuvre littéraire (hé oui…) servie par une véritable volonté, celle de l'enrichissement. Car Holdstock, que l'on sent d'un naturel généreux quasiment à toutes les pages, ne s'est pas contenté de faire le « livre du film », il a mis de la chair sur l'os et de la peau sur cette chair humaine, cette pulpe végétale enfoncée profondément dans le pourrissement qui la nourrit. Il a développé les personnages (au prix de quelques changements), modifié certaines scènes, certains postulats, tout en préservant la magie qui était omniprésente dans le film de Boorman. On regrettera néanmoins le coup d'accélérateur qu'il donne à la fin du récit, où il expédie en quelques pages à peine le voyage de Tomme jusqu'à Belore et les scènes dans le bordel — très fortes dans le film. On regrettera aussi la couverture (hideuse, surtout au niveau du personnage central), les erreurs de traduction qui ont survécu à cette réédition (chainsaw traduit « scie à chaîne » ou « scie à chaînettes » — Leatherface en rit encore). Reste que malgré ces petits désagréments, La Forêt d'émeraude est un grand moment de lecture-plaisir, là où l'on n'attendait qu'un simple produit.

Cid « j'aimerais bien en aller en Amazonie, mais mon patron i'veut pas » Vicious

Féerie romans et nouvelles

Les textes issues de l'intégrale Féerie pour les ténèbres de Jérôme Noirez sont désormais téléchargeable à la pièce en numérique, les romans pour 7,99 € et les nouvelles pour 0,99 €.

La Foire aux atrocités

Né en 1930 à Shanghai, interné par les Japonais dans un camp de prisonniers civils à la suite de l'attaque sur Pearl Harbor, médecin raté, pilote dans la RAF, grand amateur d'art moderne, concepteur-organisateur d'une exposition sur les accidents de voiture, J. G. Ballard est un des auteurs majeurs du XXe siècle, un des rares écrivains — plus de trente livres publiés — qui se soient attaqué à ce siècle, tel un chevalier, visionnaire et pervers, désireux de décrypter les courants souterrains d'une époque incompréhensible, trop complexe pour la plupart des gens. Will Self présente l'édition 2001 de La Foire aux atrocités de la façon suivante « … le summum du roman expérimental en Angleterre. Les annotations de Ballard dans cette version définitive constituent un tour de force et sont par elles-mêmes une œuvre totalement originale. » Tout est dit ou presque, roman expérimental (illisible ?) complété en 2001, un tour de force. Mais essayons d'aller plus loin… de fournir quelques clés.

1/ Comment lire La Foire aux atrocités ?

Deux méthodes connues.

a) La méthode dite classique, éprouvante, qui consiste à lire le livre dans l'ordre. b) Celle préconisée par l'auteur dans sa préface de l'édition 2001 : « Quant aux lecteurs qui se sentiraient quelque peu intimidés par la déconcertante structure narrative de La Foire aux atrocités (quoiqu'elle soit beaucoup plus simple qu'il y paraît au premier regard), ils devraient tenter une approche différente. Au lieu de commencer chaque chapitre par son début, comme dans tout roman traditionnel, contentez-vous d'en tourner les pages jusqu'à ce qu'un paragraphe retienne votre attention. Si quelque idée ou quelque image vous y semble intéressante, balayez alors du regard les paragraphes voisins jusqu'à ce que vous y trouviez quelque chose qui résonne en vous de façon à piquer votre curiosité. »

Deux méthodes connues, donc, et plusieurs à inventer.

2/ Qu'est-ce que La Foire aux atrocités ?

Plusieurs hypothèses.

a) Personne n'en sait rien, l'auteur y compris, mais plus malin que les autres, il se permet de faire semblant de savoir ; c'est ce qu'on appelle le « privilège de l'auteur ». b) Un livre collage sur les symboles et autres icônes des années 60 : Marilyn Monroe, Malcolm X, J. F. K, Elizabeth Taylor, Abraham Zapruder, Ralph Nader, la guerre du Viêt-nam, Jackie Kennedy, Lee Harvey Oswald. c) Une présucée de Crash ! dopée au napalm et au pop art, rythmée par le vacarme des hélicoptères Bell. d) Une galerie de peintures dans un hôpital psychiatrique. e) Une œuvre mineure de Williams S. Burroughs, signée par un anglais afin de respecter un système de quotas inconnu du commun des mortels. f) Une tentative plutôt aboutie de conciliation de l'architecture et de la sexualité.

3/ Est-il vraiment nécessaire de lire La Foire aux atrocités ?

a) Oui. b) Non. c) Il existe autant de réponses à cette question qu'il y a de lecteurs sur Terre.

4/ Comment choisir entre La Foire aux atrocités (traduction de François Rivière) et Le Salon des horreurs (traduction d'Elisabeth Gille) ?

a) Certaines sources bien informées se sont répandues en injures quand elles ont appris que les éditions Tristram reprenaient la traduction de Rivière et non celle de Gille. b) Certaines sources bien informées ont poussé un soupir de soulagement quand elles ont appris que les éditions Tristram reprenait la traduction de Rivière et non celle de Gille. c) Le rédacteur de la présente chronique serait tenté de faire un mix des deux ; mix qu'il prolongerait jusqu'au contenu même des deux éditions en intégrant au Salon des Horreurs les commentaires de Ballard datant de 2001 (passionnants), la préface de Burroughs datant de 1990 (intéressante) et en virant le texte grotesque de Jean-Jacques Schuhl qui n'a visiblement rien compris au pudding.

En conclusion, La Foire aux atrocités est à la fois un livre majeur, un truc sans intérêt maintenant que nous sommes au XXIe siècle, et un majeur tendu au lecteur, aux critiques, qu'ils soient coincés ou non, et au XXe siècle défunté par la Shoa, l'agent orange et les architectes neo-puritains. Chapeau monsieur Ballard, vous avez parfaitement orchestré l'accident : les années 60 sont entrées en collision avec la littérature et les victimes déambulent sur Mulholland Drive, dans les bunkers de la Seconde guerre mondiale, hébétées, à peine capables de regarder Hollywood ou Utah Beach en contrebas.

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